Contenu du sommaire : L'aide au développement : une fenêtre sur le politique

Revue Cultures & conflits Mir@bel
Numéro no 126, été 2022
Titre du numéro L'aide au développement : une fenêtre sur le politique
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  • Dossier

    • Repolitiser l'étude de l'aide au développement : Introduction - Jacobo Grajales, Marie Saiget p. 7-18 accès libre
    • La réforme des organisations internationales de développement par le « modèle des parties prenantes » : Les effets d'un double mouvement contradictoire sur la contestation transnationale - Auriane Guilbaud p. 19-40 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article s'intéresse aux transformations des structures de gouvernance des organisations internationales intergouvernementales (OI) actives dans le champ du développement, qui s'ouvrent à la participation d'acteurs non-étatiques (ANE) considérés comme parties prenantes. En se focalisant sur deux cas d'études, celui de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et celui de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), cet article montre en particulier que le tournant des années 2010 est marqué par l'intégration de dispositifs de participation des parties prenantes dans le cadre de réformes des OI au moins partiellement inspirées par le tournant participatif des politiques de développement et le nouveau management public. Si l'un des objectifs est de produire du consensus, voire de la convergence, entre des acteurs divers – et notamment de permettre la participation formelle et conventionnelle des entreprises à but lucratif –, cet article montre que ces dispositifs engendrent également de nouvelles opportunités de contestation transnationale.

      This article focuses on the transformation of the governance structures of those international intergovernmental organizations (IOs) which are active in the field of development and which are opening up to the participation of non-state actors (NSAs) considered as stakeholders. Focusing on two case studies, the World Health Organization (WHO) and the Food and Agriculture Organization of the United Nations (FAO), this article shows in particular that the turn of the 2010s is marked by the integration of stakeholder participation mechanisms in the framework of IO reforms, at least partially inspired by the participatory turn in development policies and new public management. While one of the objectives is to produce consensus, or even convergence, between diverse actors - and in particular to allow for the formal and conventional participation of for-profit companies - this article shows that these mechanisms also generate new opportunities for transnational contestation.
    • Avec ou sans coca ? Itinéraire conflictuel d'une appropriation corporatiste des politiques de développement par les cultivateurs du Tropique de Cochabamba, Bolivie - Romain Busnel p. 41-59 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article interroge les reconfigurations se jouant autour des politiques de développement dans la région productrice de coca du Tropique de Cochabamba, en Bolivie. À partir de 2006, les conflits locaux, l'alternance politique gouvernementale au niveau national et la transformation du cheminement de l'aide au niveau international ont abouti à une saisie du développement par leurs principaux bénéficiaires, les syndicats de cultivateurs de coca, largement favorables au parti au pouvoir. Cette appropriation corporatiste, soutenue par des mobilisations et stratégies d'investissement électoral depuis les années 1990, a permis aux syndicats de définir à la fois les modalités d'accès aux agences canalisant les fonds de l'aide internationale, mais également de distribuer la manne du développement selon des logiques partisanes et sectorielles. Bien que contraintes par les instruments financiers imposés par les bailleurs, ces politiques ne sont pas tant imposées d'en haut que retravaillées selon les visions propres au territoire dans lequel elles s'inscrivent.

      This article examines the reconfigurations occurring around development policies in the coca-growing region of Cochabamba Tropic, Bolivia. From 2006 onwards, local conflicts, governmental political change at the national level and the transformation of aid flows at the international level have led to a seizure of development by its main beneficiaries, the coca growers' unions, which are largely in favor of the ruling party. This corporatist appropriation, supported by mobilizations and electoral investment strategies since the 1990s, has allowed the unions to define both the modalities of access to the agencies channeling international aid funds, as well as the distribution of the development manna through partisan and sectoral lines. Although constrained by the financial instruments imposed by donors, these policies are not so much imposed from above as reworked according to the specific visions of the territory in which they are implemented.
    • Du post-conflit au développement, une question de temps ? : Temporalités de l'action publique et sortie de conflit en Côte d'Ivoire - Marie Saiget, Jacobo Grajales p. 61-81 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article étudie la transformation des politiques du foncier rural dans le contexte ivoirien. Ce domaine d'intervention a en effet changé depuis la fin du conflit armé en 2011, quand il a été défini par des acteurs de l'aide comme relevant de l'intervention « post-conflit », avant d'être redéfini comme un vecteur de développement économique et de l'« émergence ». Cette contribution analyse les multiples jeux bureaucratiques, à Abidjan comme chez les bailleurs, à l'Agence française de développement, l'Union européenne et la Banque mondiale. Elle met en lumière la manière dont les qualifications et requalifications de l'aide au développement fonctionnent comme des instruments d'orientation de l'action publique sur le foncier. Les séquences temporelles ainsi définies offrent à la fois des cadres de référence et des ressources pour justifier et maîtriser le cours de l'action. Cette recherche est basée sur sept terrains d'enquête conduits en Côte d'Ivoire et à Paris depuis 2016.

      This article studies the transformation of rural land policies in the Ivorian context. This area of intervention has indeed changed since 2011, when it was defined as falling under “post-conflict” intervention, before being redefined as a vector of economic development and “emergence”. This article analyses the multiple bureaucratic games in Abidjan, among donors, at the French Development Agency, the European Union and the World Bank. It sheds light on the ways in which the qualifications and requalifications of development aid function as instruments for orienting public action on land. The temporal sequences that are defined offer both frames of reference and resources to justify and control the course of action. This research is based on seven research trips conducted in Côte d'Ivoire and Paris since 2016.
    • Au-delà de la technicisation. Projets de développement, carrières d'« experts » et légitimation de pratiques autoritaires en Éthiopie - Mehdi Labzaé p. 83-101 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Sur la base d'entretiens auprès d'experts internationaux et d'une enquête de terrain menée en Éthiopie entre 2013 et 2019, cet article revient sur l'idée de projets de développement comme « machines anti-politiques », proposée par James Ferguson, pour montrer que les projets financés par des bailleurs extérieurs peuvent aussi, en contexte autoritaire, avoir de solides effets de légitimation du régime en place. L'étude de projets fonciers en Éthiopie montre comment les experts en développement investissent à la fois dans des stratégies revendiquées d'évitement du politique et dans des discours de justification de l'autoritarisme au nom d'une téléologie du développement. Les projets et experts internationaux qui les peuplent sont avant tout inscrits dans des marchés concurrentiels de l'aide au développement, dont les enjeux priment sur ceux des sociétés d'intervention. La nécessité de conclure au succès des projets pousse les praticiens de l'aide à s'accommoder de pratiques violentes de leurs partenaires éthiopiens voire à organiser les conditions de leur ignorance de celles-ci lorsqu'elles sont rendues publiques.

      Based on interviews with international experts and a field survey conducted in Ethiopia between 2013 and 2019, this article revisits James Ferguson's idea of development projects as «anti-political machines» to show that externally funded projects can also, in authoritarian contexts, have strong legitimizing effects for the ruling regime. The study of land projects in Ethiopia shows how development experts invest in both claimed strategies of political avoidance and discourses of justification of authoritarianism in the name of a development teleology. The projects and international experts who populate them are above all inscribed in competitive development aid markets, whose stakes take precedence over those of the intervention societies. The need to conclude that projects are successful pushes aid practitioners to accommodate the violent practices of their Ethiopian partners or even to organize the conditions for their ignorance of these practices when they are made public.
    • Penser le développement comme un mythe : croyances, engagements et (in)cohérences de l'engagement coopératif au Chiapas (Mexique) - Raphaëlle Parizet p. 103-131 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article se penche sur le cas d'une coopérative de développement agricole réunissant des producteurs indiens de café dans la région du Chiapas au Mexique, initiée par la mission jésuite, et le confronte à l'analyse de G. Rist qui attribue au développement une direction unique et une irréversibilité. En s'appuyant sur les travaux de P. Veyne, l'article propose au contraire un réenchantement mythique du développement : ce qui est central ici, c'est la plasticité et la complexité des régimes de croyances – applaudir la coopérative n'est pas nécessairement l'ovationner. À partir d'une analyse processuelle de l'engagement, l'article cherche à comprendre les raisons d'entrée et de maintien des agriculteurs dans la coopérative. Les croyances des coopérateurs ne sont pas toutes alignées, elles s'ajustent, se contredisent et n'ont pas besoin d'être valides pour opérer. L'irréductible externalité, l'existence de figures tutélaires et d'expériences sociales partagées s'articulent à des nécessités économiques, des chevauchements de sociabilité et de solidarité, l'ensemble faisant tenir un passé collectif marqué par des conflits, des déceptions militantes et des trajectoires individuelles d'engagement.

      This article examines the case of an agricultural development cooperative of Indian coffee producers in the Chiapas region of Mexico initiated by the Jesuit mission, comparing it to the analysis of G. Rist who attributes to development a unique direction and an irreversibility. Drawing on the work of P. Veyne, the article proposes, on the contrary, a mythical re-enchantment of development: what is central here is the plasticity and complexity of belief regimes - applauding the cooperative is not necessarily ovation. Using a processual analysis of engagement, the paper seeks to understand the reasons why farmers enter and remain in the cooperative. The beliefs of cooperators are not all aligned, they adjust, contradict each other and do not need to be valid to operate. The irreducible externality, the existence of tutelary figures and shared social experiences are articulated with economic necessities, overlapping sociability and solidarity, all of which hold together a collective past marked by conflicts, militant disappointments and individual trajectories of engagement.
  • Hors thème

    • La violence cartographique au cœur de la relation entre l'État et les autochtones en Argentine - Alberto Preci p. 133-151 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article étudie la violence qui caractérise la relation entre l'État et les peuples autochtones en Argentine au prisme de la production cartographique institutionnelle. En mobilisant la notion de « violence cartographique », l'article montre comment les logiques d'exclusion et d'invisibilisation des autochtones ont été rendues en cartes et « en vrai », et comment cela a constitué une logique de fond, toujours d'actualité, de la construction de l'Argentine moderne. L'analyse d'un corpus de trois cartes, réalisées entre 1901 et 2016, qui représentent la portion du Chaco argentin correspondant à l'Est de la province de Salta, révèle le maintien et la reproductivité des stratégies institutionnelles de domination des autochtones, malgré un contexte socio-politique en pleine évolution.

      This paper examines the violence that defines the Indigenous-State relationship in Argentina through the lens of institutional cartographic production. By mobilizing the notion of ‘cartographic violence', the paper shows how the logics of exclusion and invisibilization of Indigenous people have been materialized in maps and in “real life”, and how this has constituted a background logic, still relevant today, of the construction of modern Argentina. The analysis of three maps, made between 1901 and 2016, which represent the portion of the Argentine Chaco corresponding to the eastern part of the province of Salta, reveals the preservation and reproduction of State's strategies of indigenous domination, despite a changing socio-political context.
  • Chronique bibliographique