Contenu du sommaire : COVID-19, migrations et parcours. Des mobilités aux prismes de l'immobilité : paradoxes et réalités

Revue Revue Européenne des Migrations Internationales Mir@bel
Numéro vol. 38, no 1-2, 2022
Titre du numéro COVID-19, migrations et parcours. Des mobilités aux prismes de l'immobilité : paradoxes et réalités
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Dossier thématique

    • Éditorial : COVID-19, migrations et parcours : ruptures et continuités - Florian Aumond, Véronique Petit, Nelly Robin p. 7-36 accès libre
    • États et diasporas face à la mort en migration : une analyse comparée des cas sénégalais et tunisien avant et pendant la pandémie de la COVID-19 - Félicien de Heusch, Carole Wenger, Jean-Michel Lafleur p. 37-62 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Comment les États d'origine et leurs diasporas se positionnent-ils face au « droit » au rapatriement des corps ? En articulant la littérature sur « mort et migration » avec les corpus sur les diasporas et le transnationalisme, cet article analyse les rapports entre les émigrés et les autorités de leur pays d'origine par le prisme de la mort. Il repose sur une enquête comparative sur les politiques de rapatriement de dépouilles dans douze États et sur un travail ethnographique sur les mobilisations des réseaux associatifs des émigrés sénégalais et tunisiens autour de ce « droit » avant et pendant la pandémie de la COVID-19. En proposant la notion de double rejet des « corps COVID » par les États de résidence et d'origine durant la pandémie, cet article mobilise le concept d'économie morale dans l'analyse des politiques d'attention des États vis-à-vis de leurs ressortissants à l'étranger (diaspora policies).
      How do states of origin and their diasporas position themselves in relation to the “right” to body repatriation? By articulating the literature on “death and migration” with the corpus on diasporas and transnationalism, this paper analyzes the relationship between emigrants and the authorities of their country of origin through the prism of death. This study is based on a comparative survey of body repatriation policies in twelve states and on ethnographic fieldwork on the mobilization of Senegalese and Tunisian emigrants' associative networks around the “right” to body repatriation before and during the COVID-19 pandemic. By proposing the notion of a double rejection of “COVID bodies” by the States of residence and origin during the pandemic, this article mobilizes the concept of moral economy in the analysis of diaspora policies.
    • Réponses politiques à la crise de la COVID-19 et gestion migratoire en Turquie et en Irak : des enjeux de territorialités ? - Tony Rublon p. 63-87 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Exacerbant les tensions politiques et sociales déjà existantes, la pandémie a révélé les faiblesses structurelles de certains États face à l'appréhension des flux migratoires et à la question de l'accueil des exilés et des déplacés. L'Irak et la Turquie constituent les deux espaces principaux sur lesquels se concentre cette étude de cas. Les réponses sanitaires et politiques adoptées par ces États ont en effet eu des impacts spécifiques dans une région où la fréquence et la densité des mobilités sont importantes, et où les conflits n'ont cessé de précariser les populations et d'affaiblir les acteurs étatiques capables de répondre aux crises. La notion de territorialité permet justement de saisir les éléments qui ont structuré et influencé les réponses sanitaires et politiques à la pandémie de COVID-19, en ce qu'elle ajoute à la notion de contrôle territorial, la relation entre l'individu et sa communauté. Nous décrivons la manière dont les différentes forces politiques en présence se sont emparées de la crise sanitaire pour asseoir leur pouvoir, redéfinir leur(s) politique(s) migratoire(s) et réorienter la gestion des personnes déplacées. Il s'agit également de questionner le travail de production de savoirs scientifiques en sciences humaines et sociales dans un contexte de crise sanitaire dans lequel les chercheurs se trouvent eux-mêmes confrontés à la fermeture des frontières et contraints à l'immobilité.
      Exacerbating already existing political and social tensions, the pandemic has revealed the structural weaknesses of some states in dealing with migratory flows and the issue of receiving exiles and displaced persons. Iraq and Turkey are the two main areas on which this case study focuses. The health and policy responses adopted by these states have had specific impacts in a region where the frequency and density of mobility are high, and where conflicts have constantly made populations more precarious and weakened the state actors capable of responding to crises. The notion of territoriality allows us to grasp the elements that structured and influenced the health and policy responses to the COVID-19 pandemic, in that it adds to the notion of territorial control, the relationship between the individual and his or her community. We describe how the various political forces involved seized on the health crisis to consolidate their power, redefine their migration policy(ies) and reorient the management of displaced persons. It is also a question of questioning the production of scientific knowledge in the human and social sciences in a context of health crisis in which researchers are themselves confronted with the closure of borders and forced to remain inactive.
    • Brazilian Migration Regime and Differential Control of International Mobility during the COVID-19 Pandemic - Svetlana Ruseishvili, Caio Fernandes p. 89-114 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article examine les effets des restrictions de la mobilité internationale dues à la pandémie de COVID-19 au Brésil de mars 2020 à octobre 2021. Nous soutenons que le régime migratoire et frontalier, mis en place dans cette période, n'a pas totalement suspendu les normes établies mais a plutôt imposé une hypervigilance sélective, plaçant sous exception des lieux et des groupes de migrants déterminés. Nous avons mené une étude qualitative exploratoire en interrogeant des résidents migrants et en examinant l'ensemble des actes normatifs restrictifs produits par le gouvernement brésilien pour contrôler la circulation transfrontalière internationale. Nous avons également exploré les données statistiques de la Police Fédérale sur les déportations pendant la période de pandémie. Nous constatons que les déportations ont connu une croissance excessive, notamment dans les zones frontalières. La fermeture des frontières a ainsi créé une différentiation socio-spatiale du contrôle des migrations, en renforçant la vigilance dans les zones frontalières et en rendant illégaux les migrants à l'intérieur du pays.
      This article examines the effects of international mobility restrictions due to the COVID-19 pandemic in Brazil from March 2020 to October 2021. We argue that a peculiar migration and border regime was established in this period, which did not totally suspend the established norms but instead enforced selective hypervigilance, placing under exception determined places and groups of migrants. We conducted an exploratory qualitative study by interviewing migrant residents and examining the totality of restrictive normative ordinances produced by the Brazilian government to control international cross-border circulation. We also explored the Federal Police data on deportations through the pandemic period. We state that there has been an excessive growth of deportations, especially in the border areas. The border closure thus created a normative basis for socio-spatial differentiation of migration control, enhancing vigilance in border zones and illegalizing migrants in non-gateway localities.
    • « Vie privée et familiale » en temps de pandémie. Continuités et ruptures d'une politique discriminatoire : le cas de la France - Laura Odasso, Frédérique Fogel p. 115-137 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article interroge l'impact des mesures de lutte contre la COVID-19 sur le droit à la vie familiale en France. Fermeture de l'accueil préfectoral, gel de la délivrance des visas pour regroupement familial et clôture des frontières internationales laissent des familles dans l'impasse. Des personnes sur le territoire voient s'éloigner l'espoir d'une régularisation, d'autres en attente de réunification voient se dilater le temps de leur séparation. Des mesures gouvernementales complexes se sont succédé, le recours aux pratiques légales exceptionnelles (référé) est devenu courant, et des mobilisations collectives diverses se sont développées. L'analyse de l'immobilisation administrative et de ces mobilisations révèle une amplification des inégalités dans l'accès au droit et de la visibilisation de certaines catégories. Ces dynamiques s'inscrivent dans la continuité d'une dégradation du droit des étrangers, antérieure à la crise sanitaire.
      This article examines the impact of the measures to contain COVID-19 on the right to family life in France. The shutdown of prefectural reception facilities, the freezing of visas for family reunification and the closure of international borders leave families at a dead end. Some people already in the country are seeing the hope of regularisation fade away, while others waiting for reunification are seeing the time of their separation getting longer. While several complex government measures have followed one another, the recourse to exceptional legal practices (i.e.: summary proceedings) has become common, some collective mobilisations have emerged. The analysis of the administrative immobilisation and of these mobilisations reveals an amplification of the inequalities in accessing the law and of the visibility of certain categories. These dynamics reflect the ongoing deterioration of the rights of foreigners prior to the health crisis.
    • Une année perdue ? Le parcours migratoire des étudiants internationaux en France à l'heure de la crise sanitaire - Évelyne Barthou, Yann Bruna, Emma Lujan p. 139-170 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les étudiants internationaux ont été particulièrement affectés par la crise sanitaire, avant tout du fait de leur statut d'étudiant, mais aussi de l'éloignement familial et de leurs conditions de logement. Ils ont été fortement touchés par l'isolement et le sentiment de solitude, ce qui a pu entrainer des difficultés de compréhension et d'apprentissage mais aussi des conséquences psychologiques assez lourdes. Les outils numériques ont été un facteur facilitant dans cette période mais les injonctions universitaires et familiales à la connexion permanente ont mené certains d'entre eux à un sentiment de saturation et à une volonté de déconnexion, au moins temporaire, quoique très difficile. Enfin, la crise sanitaire a poussé de nombreux étudiants à repenser leur projet et mobilité internationale, que le retour définitif soit devenu incontournable, nécessaire ou inenvisageable.
      Foreign students have been particularly affected by the health crisis, primarily because of their status as students, but also because of their family's remoteness and housing conditions. They were strongly affected by the isolation and the feeling of loneliness, which could lead to learning and understanding difficulties on the one hand, and to heavy psychological consequences on the other hand. Digital devices have been a facilitating factor in this period but academic and family injunctions to permanent connection have led some of them to a sense of saturation and a desire to disconnect, at least temporarily, though it has been very difficult in practice. Finally, the health crisis has prompted many students to rethink their project and international mobility, whether the final return has become inevitable, necessary or unavoidable.
    • Être jeune « coincé·e à l'étranger » : le cas des Égyptien·ne·s venu·e·s étudier en France et leur vécu de la crise de la COVID-19 - Sarah Boisson, Mayada Madbouly p. 171-200 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La première phase de la crise sanitaire de la COVID-19, entre mars et juillet 2020, a inauguré une situation internationale inédite en termes de circulation des personnes. S'est alors généralisée dans le champ des migrations internationales la question des « coincé·e·s à l'étranger », au niveau de la gestion des États nationaux, mais également dans leur double vécu de crise entre le contexte d'accueil et le contexte d'origine : entre présence physique et vécu distancié. Cet article propose une étude de cas autour de la façon dont cette première phase de mesures sanitaires a été vécue par des étudiant·e·s et jeunes professionnel·le·s égyptien·ne·s vivant en France au moment du déclenchement de l'épidémie. Nous nous interrogeons sur la signification d'être « coincé·e·s à l'étranger » pour cette population — dont les membres conçoivent le plus souvent leur migration comme temporaire — au niveau de leur vécu. Nous avons voulu également montrer en quoi cela avait été un enjeu pour le gouvernement égyptien lorsqu'il a fallu organiser le rapatriement dans ce contexte brutal de mobilités internationales. Cet aspect révèle la difficulté d'une exposition à des injonctions sanitaires et administratives contradictoires entre les deux pays, amenant les individus à développer des stratégies d'adaptation et de négociation face aux contextes et aux autorités nationales, tout en se raccrochant à différents liens transnationaux disponibles pour cette population venue étudier en France.
      The first phase of the COVID-19 health crisis, between March and July 2020, inaugurated an unprecedented international situation in terms of the movement of people. The issue of those “stranded” abroad became widespread in the field of international migration, at the level of the management of national states, but also in their double experience of crisis between the host context and the context of origin: between physical presence and distanced experience. This article proposes a case study on how this first phase of health measures was experienced by Egyptian students and young professionals living in France at the time of the outbreak of the epidemic. We question the meaning of being “stranded abroad” for this population — who most often conceive their migration as temporary — in terms of their experience. We also wanted to show how this was an issue for the Egyptian government when it had to organise repatriation in this brutal context of international mobility. This aspect also reveals the difficulty of exposure to contradictory health and administrative injunctions between both countries, where strategies of adaptation and negotiation must be developed in the face of national contexts and authorities, while at the same time holding on to the transnational links available to this population who has come to study in France.
  • Chronique juridique

  • Varia

    • Mémoires et silences. Violences transgénérationnelles et transfrontalières de la répression franquiste - Delphine Leroy p. 211-238 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Un village de la région Castilla y León, marqué par une importante émigration au cours des années 1950-1970 est aujourd'hui traversé par des approches divergentes de l'Histoire : une recherche universitaire, qui a collecté des récits de vie et exhumé une histoire locale de la domination franquiste (Iglesias Ovejero, 2016) et un groupe (constitué à la fois de résident·e·s et d'émigrant·e·s), qui considère que le silence sur ces méfaits est largement préférable, tant leur évocation serait susceptible de raviver des conflits fratricides. Cet acharnement au silence témoigne paradoxalement d'une mémoire vive. Or, comme le signale Moro (2002) concernant l'approche transculturelle, les descendant·e·s de migrant·e·s ont besoin de recomposer une histoire familiale, car ses effets influent sur les personnes, même si elles résident dans un autre territoire. À partir d'entretiens oraux et d'observations impliquées, l'enquête se déroule alors que des corps de disparu·e·s enfouis dans une fosse commune sont exhumés. Elle se focalise sur les enjeux que revêtent aujourd'hui l'évocation ou le silence sur l'histoire de la répression franquiste dans la région, mais également à travers la mobilité des habitant·e·s et de leurs descendant·e·s.
      A village in the Castilla y Léon region, scarred by the important emigration wave it experienced between 1950s and 1970s, is penetrated by diverging approaches of History: an academic research study, which collected life-stories and unearthed a local history of Francoist domination (Iglesias Ovejero, 2016), and a group (consisting of both residents and emigrants), which reckons silence on these wrongdoings are immensely preferable because of the high risk their mention would trigger a revival of fratricidal strife. This dedication to silence is paradoxically the sign of acute memory. But, like Moro (2002) and the transcultural approach, the descendants of migrants, because of the impact it has on people, need to reconstruct a family history, even if they live in another territory. On the basis of interviews and participant observation, the study is carried out while the bodies of missing persons are unearthed from a mass grave. It focuses on the stakes of mentioning or keeping silent today the history of Francoist repression within the region as well as through the mobility of the residents and their descendants.
    • La cuisine commerciale informelle de femmes brésiliennes en France : entre assignation, émancipation et mise en réseau - Marie Sigrist, Isabelle Bianquis, Maxime Michaud p. 239-260 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Pour résister à la précarité et s'autonomiser dans leur nouveau pays de résidence, des femmes brésiliennes cuisinent des préparations associées à leur pays et les vendent à d'autres Brésiliens dans la ville de Lyon. À travers des dynamiques informelles, non déclarées légalement en France, adaptées de leur pays d'origine, elles pallient les difficultés sociales et économiques de leur quotidien. Elles témoignent ainsi de la façon dont l'alimentation, dans un contexte migratoire, peut relever d'un savoir-faire qui devient valorisable par la distance culturelle. Une telle valorisation ne concerne pas seulement des recettes et des techniques mais inclut aussi des modalités de commercialisation largement diffusées au Brésil. Si les femmes immigrées s'émancipent à travers cette activité, des logiques sociales particulières les placent toutefois dans une position d'assignation aux activités de care.
      In order to resist precariousness and to boost autonomy in their new country of residence, Brazilian women cook dishes associated with their homeland and sell them to other Brazilians in the city of Lyon. Through informal activities, not legally declared in France, adapted from their country of origin, they alleviate the social and economic difficulties of their daily lives. Thus, they bear witness to the way in which food, in a migratory context, can be part of a know-how that becomes valuable through cultural distance. Such valorization does not only concern recipes and techniques but also includes trade practices widely present in Brazil. Although the immigrant women emancipate themselves through this activity, particular social rationales assign them to care activities.
    • Le travail détaché : un système autonome - Jens Thoemmes p. 261-284 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le détachement représente une dimension croissante de la mobilité intra-européenne. Cet article propose une analyse du travail détaché, basée sur une recherche transnationale menée auprès de travailleurs portugais du secteur de la construction en France, comprenant quarante-cinq entretiens et des observations. Inspirée par la théorie de la régulation sociale (Reynaud), notre approche considère le travail détaché comme un système social, opposé à la négociation collective. Le résultat de l'analyse du processus du détachement montre un passage de la migration à la mobilité caractérisée par des conditions de travail difficiles, des négociations et accords tacites. Au lieu de considérer le détachement comme un emploi informel, nous voudrions montrer qu'il crée ses propres règles devant être considérées autant que les éléments juridiques afin de comprendre la propension croissante à l'utilisation de ces travailleurs.
      Posting represents a growing dimension of intra-European mobility. This article provides an analysis of posted work, based on transnational research conducted among Portuguese workers in the construction sector in France, including forty-five interviews and observations. Inspired by the theory of social regulation (Reynaud), our approach considers posted work as a social system, opposed to collective bargaining. The result of the analysis of the posting process shows a shift from migration to mobility characterised by difficult working conditions, tacit negotiations and agreements. Instead of considering posting as informal employment, we would like to show that it creates its own rules that need to be considered as much as the legal elements in order to understand the increasing propensity to use these workers.
  • Notes de lecture