Contenu du sommaire : S'allier à l'Est. Militaires et diplomates face aux fluctuations du système européen (1917-1938)
Revue | Guerres mondiales et conflits contemporains |
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Numéro | no 288, octobre-décembre 2022 |
Titre du numéro | S'allier à l'Est. Militaires et diplomates face aux fluctuations du système européen (1917-1938) |
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S'allier à l'Est. Militaires et diplomates face aux fluctuations du système européen (1917-1938)
- Introduction - Matthieu Boisdron, Gwendal Piégais p. 3-6
- La France et les bolcheviks : partenaires et adversaires (novembre 1917-juillet 1918) - Andreï Pavlov, Gwendal Piégais p. 7-22 À partir de la révolution d'Octobre, les diplomates et militaires français en poste en Russie tentent de comprendre la nouvelle donne politique et de composer avec un pouvoir bolchevique qui promeut la « paix sans annexion ni compensation ». Mais loin de représenter un moment de rupture, la séquence qui va de novembre 1917 à l'été 1918 est riche en projets de coopérations militaires et d'hypothèses d'alliance entre Français et bolcheviks. Les Français, leurs alliés, et les bolcheviks ne renoncent que très tardivement à l'idée d'une coopération militaire, voire d'une alliance contre l'Allemagne. Il faut une série de crises diplomatiques et militaires pour que la rupture soit consommée et que les bolcheviks soient considérés comme des ennemis.From the October Revolution, French diplomats and military officers posted in Russia tried to understand the new political situation and to deal with a Bolshevik power promoting “peace without annexation or compensation”. But far from being a rupture, the sequence between November 1917 and Summer 1918 was full of military cooperation projects and alliance hypotheses between the French and the Bolsheviks. The French, their allies, and the Bolsheviks didn't renounce until very late the idea of military cooperation, or even an alliance against Germany. It takes a series of diplomatic and military crises for the rupture to be consummated and for the Bolsheviks to be considered as enemies.
- Du tsar à la République. Les stratégies de reconversion d'officiers russes dans l'armée française après la révolution d'Octobre (1917-1921) - Gwendal Piégais p. 23-36 Dans le sillage de la révolution d'Octobre et de la guerre civile qui fait rage en Russie, la France accueille sur son territoire de nombreux réfugiés russes, parmi lesquels on compte de nombreux vétérans de l'armée impériale. L'armée française reçoit ainsi, jusqu'à la fin de l'année 1918, des dizaines de candidatures d'officiers russes demandant à servir la France.À partir d'une analyse de ces demandes, et des réponses apportées par l'armée française, cet article rend compte des profils de ces hommes qui souhaitent rejoindre l'armée d'un ancien allié. Les réponses apportées par les autorités françaises montrent une tendance – fondée sur un ensemble de représentations – à favoriser un remploi de ces hommes dans l'Empire colonial, ou bien auprès des nouveaux alliés de la France en Europe centrale.In the wake of the October Revolution and of the Civil war raging in Russia, France welcomed many Russian refugees, including many veterans of the Imperial Army. Until the end of 1918, the French army received dozens of applications from Russian officers asking to serve in France. Based on an analysis of these applications, and the answers given by the French army, this article will report on the profiles of these men who wished to join the army of a former ally. The answers given by the French authorities show a tendency – based on a set of representations – to favor a replacement of these men in the colonial Empire, or with the new allies of France in Central Europe.
- Les militaires français en URSS dans les années 1930 : entre pragmatisme et problématique d'alliance - Georges Vidal p. 37-50 Le rapprochement franco-soviétique entamé au début des années 1930 comprend l'instauration à partir du printemps 1933 de relations entre l'armée française et l'armée soviétiques qui permettent à des officiers français de séjourner en URSS comme attachés militaires, stagiaires ou membres de missions militaires. Ils ont pour mission d'apporter des éléments de réponses à trois questions :– Ce régime est-il stable, solide et a-t‑il les moyens de mener une politique de puissance ? Corrélativement, les objectifs des dirigeants soviétiques sont-ils avant tout révolutionnaires ou nationaux ?– Par-delà la propagande du Kremlin et les données statistiques, quelle est la véritable valeur de l'Armée rouge ?– Une alliance est-elle souhaitable et possible ?La qualité du travail fournit par ces observateurs est reconnue par le haut commandement qui la prend en considération dans ses prises de décisions et dans l'influence qu'il peut exercer sur le pouvoir politique pour orienter la politique française en Europe orientale.The Franco-Soviet rapprochement that began in the early 1930s included in the spring of 1933 the establishment of relations between the French army and the Soviet army which allowed French officers to stay in the USSR as military attachés, trainees or members of military missions. Their mission is to provide answers to three questions:– Is this political regime stable, solid and does it have the means to conduct a policy of power? Correlatively, are the objectives of the Soviet leaders above all revolutionary or national?– Beyond the Kremlin propaganda and statistical data, what is the true value of the Red Army?– Is an alliance desirable and possible?The quality of the work provided by these observers is recognized by the High Command, which takes it into consideration in its decision-making and in the influence it can exert on political power to guide French policy in Eastern Europe.
- L'alliance franco-polonaise dans les estimations militaires et diplomatiques de Moscou dans les années 1920 - Iskander E. Magadeev p. 51-64 Cet article analyse la perception soviétique de l'alliance franco-polonaise dans les années 1920. Moscou estimait les liens entre Paris et Varsovie comme un élément crucial de la situation stratégique en Europe. Considérant la Pologne comme son ennemi le plus probable, les dirigeants soviétiques craignaient que l'assistance française, soit sous la forme de livraison des matériels de guerre, soit par l'envoi des troupes, ne renforce effectivement les pays constitutifs du « cordon sanitaire ». Bien plus, l'offensive française éventuelle contre l'Allemagne à l'Ouest pouvait presque annuler les victoires de l'Armée rouge à l'Est. À Moscou, on a considéré à juste titre l'affaiblissement de l'alliance franco-polonaise après la conclusion des accords de Locarno en 1925, quand bien même le « noyau dur » de ses estimations antérieures ont persisté même après cette date.This article analyses the Soviet percetions of the Franco-Polish alliance in the 1920s. The relationship between Paris and Warsaw was regarded in Moscow as one of the crucial blocs of the European strategic situation. Perceiving Poland as the most probable enemy, the Soviet leaders feared that the French assistance to Poland, taking the form of the arms delivery or the dispatch of troops, could strengthen seriously the “sanitary cordon” against the USSR. Much more, the eventual French offensive against Germany in the Western Europe could cancel the successes of the Red Army in the East of the continent. The Soviets noticed the weakening of the Franco-Polish alliance after the Locarno treaties, but the “hard core” of their conceptions persisted even after 1925.
- Défendre l'alliance. La pédagogie sur les alliances avec les États de la Petite Entente auprès de l'Italie (1920-1933) - Anne-Sophie Nardelli-Malgrand p. 65-79 De 1920 à 1933 la France dut articuler ses alliances avec les États de la Petite Entente et son entente chaotique et indécise avec l'Italie, qui rejetait toute forme de confédération danubienne. Cerner la valeur que la France accordait à ses alliances bilatérales, et à la Petite Entente comme un tout, dans ses discussions avec l'Italie et étudier la pédagogie déployée à Rome sur ces questions permet ainsi d'interroger les fondamentaux des alliances. La stratégie d'intégration diplomatique menée par la France jusqu'au Pacte à Quatre s'avéra une impasse : la façon de concevoir et de présenter les alliances françaises en Europe centrale traduisit leur dépendance à une conciliation avec l'Italie, conciliation d'autant plus instable qu'elle négligeait les évolutions du régime fasciste.From 1920 to 1933, France had to link its alliances with the states of the Little Entente and its chaotic and indecisive relation with Italy, which rejected any form of Danubian confederation. The value that France placed on its bilateral alliances, and on the Little Entente as a whole, in its discussions with Italy, and the pedagogy implemented in Rome on these issues, thus allows us to scrutinize the fundamentals of alliances. The strategy of diplomatic integration pursued by France until the Four-Power Pact proved to be a dead end: the way French alliances in Central Europe were conceived and presented reflected their dependence on a conciliation with Italy, a conciliation that was unstable insofar it neglected the developments of the Fascist regime.
- L'Entente baltique, une « Petite Entente du Nord » ? (1918-1940) : petits états, projets régionaux et perceptions françaises - Julien Gueslin p. 81-97 De 1918 à 1940, de multiples projets visant à réunir les États de la Baltique orientale ont été initiés avec un succès relativement limité et ce en dépit de l'écho rencontré en France par le traité de septembre 1934 qui consacra le terme « de pays baltes ». L'article entend replacer l'idée d'Entente baltique au centre de la réflexion de petits États en quête d'une place dans l'Europe nouvelle et sa rhétorique, d'un appui auprès des puissances tout en craignant de se fondre dans un espace régional à l'homogénéité utopique. L'étude des perceptions françaises montre l'ambiguïté d'une grande puissance partagée entre son désir de promouvoir un concept utile aux idées françaises, la volonté de ne pas s'engager et le fait d'arriver à bloquer l'hégémonie de toute autre grande puissance.From 1918 to 1940, lots of projects in order to build bridges between the eastern Baltic states haven't been initiated successfully in spite of the keen interest in France for the treaty of September 1934 which consecrated the term of “pays Baltes”. The article aims to refocus the idea of the Baltic Entente on these small states who wanted to find their place in the new Europe and its rhetoric, and also a support from the powers. They were also intent on avoiding to dissolve into a regional space based on utopian homogeneity. The study of French perceptions shows the ambiguity of a great power divided between its desire to promote a concept useful to French ideas, the desire not to commit itself and the fact of managing to block the hegemony of any other great power.
- À la recherche d'un front oriental. Le général Gamelin, la Pologne et la Petite Entente, de la remilitarisation de la Rhénanie à l'été 1938 - Simon Catros p. 99-112 Alors que la diplomatie française semble marquer le pas après l'ébranlement qu'a constitué le 7 mars 1936 et pour contrer le projet de Pierre Cot d'une alliance franco-soviétique, le général Gamelin, chef de l'armée française, mit en œuvre une paradiplomatie dynamique visant à rapprocher les puissances de l'Europe médiane réputées amies, telles que la Pologne, la Yougoslavie et la Roumanie, de la France. Largement infructueuse, cette paradiplomatie reposait sur un double postulat erroné : que les chefs militaires de ces puissances étaient francophiles ; qu'ils étaient assez influents pour infléchir la politique extérieure de leur gouvernement. Elle ne permit pas de sortir la France et son alliée tchécoslovaque de leur isolement.With France's diplomatic efforts seemingly stalled after the upheaval of March 7, 1936, and in order to counter Pierre Cot's plans for a Franco-Soviet alliance, French army chief General Gamelin undertook a dynamic para-diplomatic endeavor to court reputedly friendly Central European powers such as Poland, Yugoslavia, and Romania. This largely unsuccessful effort, predicated on two erroneous assumptions—that those countries' military heads were Francophiles and that they had sufficient authority to influence their governments' foreign policy—failed to lift France and its ally Czechoslovakia out of their isolation.
Varia
- Opération Torch : les dernières heures de la collaboration « à la Darlan » - Bernard Costagliola p. 113-130 Nommé à la vice-Présidence du Conseil (fév. 1941), l'amiral de la flotte François Darlan reçoit mission du maréchal Pétain de relancer avec l'Allemagne nazie la collaboration dont le principe a été posé aux entretiens de Montoire (oct. 1940). Darlan élabore une collaboration d'État dans le but de remplacer la convention d'armistice par un statut nouveau permettant à la France de récupérer sa souveraineté au prix de l'alliance militaire avec le Reich. Mais Berlin rejette l'offre du gouvernement de Vichy et Darlan démissionne, remplacé par Pierre Laval. Présent à Alger lors du débarquement anglo-saxon en Afrique du Nord (7-8 nov. 1942), Darlan renonce définitivement au mirage de la collaboration et relance l'Empire dans la guerre aux côtés des Alliés.Appointed Vice-Presidency of the Council (Feb. 1941), Fleet Admiral François Darlan is given the task by Marshal Pétain to relaunch the collaboration with Nazi Germany, the principle of which had been established at the Montoire talks (Oct. 1940). Darlan sets up a State collaboration with the aim of replacing the armistice convention with a new statute allowing France to recover its sovereignty at the price of the military alliance with the Third Reich. But Berlin rejects Vichy's offer and Darlan resigns, replaced by Pierre Laval. Present in Algiers at the time of the Anglo-Saxon landing in North Africa (7-8 Nov. 1942), Darlan finally gives up the illusion of collaboration and revives the Empire in the war alongside the Allies.
- Saint-Cyr et les saint-cyriens à l'épreuve de la guerre d'Indochine (1946-1955) - Manatea Taiarui p. 131-150 Entre 1946 et 1955, après les secousses de la Seconde Guerre mondiale, l'École spéciale militaire de Saint-Cyr, désormais installée à Coëtquidan, doit relever de nouveaux défis dans le contexte de la Guerre froide et des guerres de décolonisation. L'institution et ses élèves subissent le choc de la guerre d'Indochine, un conflit où les méthodes conventionnelles de la guerre sont remises en cause par un nouvel adversaire. Durant les neuf années de combats, où la « guerre révolutionnaire » menée par le Vietminh fait rage, Saint-Cyr vit à l'épreuve de la guerre d'Indochine. La formation et la vie militaire des saint-cyriens subissent des recompositions profondes, au point que ce conflit bouleverse durablement les représentations et la perception même de la guerre et de l'Extrême-Orient au cœur de la lande bretonne.Between 1946 and 1955, after the tremors of World War II, the French Academy of Saint-Cyr, henceforth based in Coëtquidan, faces new challenges in the context of Cold War and decolonization wars. The institution and its students are feeling the brunt of Indochina War, a conflict where conventional methods of warfare are challenged by a new enemy. During the nine years of fighting, when the “revolutionary war” led by the Vietminh is raging, Saint-Cyr lived to the test of the Indochina War. The training and military life of Saint-Cyr underwent profound recompositions, to the point that this conflict lastingly upsets the representations and even the perception of War and the Far East in the heart of Breton moor.
- Opération Torch : les dernières heures de la collaboration « à la Darlan » - Bernard Costagliola p. 113-130