Contenu du sommaire : Les enfants de la Machine
Revue | Ecologie & politique |
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Numéro | no 65, 2022/2 |
Titre du numéro | Les enfants de la Machine |
Texte intégral en ligne | Accès réservé |
- Gorbatchev et nous - Jean-Paul Deléage p. 5-6
Dossier. Les enfants de la Machine
- L'obsolescence du naître - Mathias Lefèvre, Jacques Luzi p. 9-19
- De l'eugénisme d'État à l'eugénisme libéral : où vont les biotechnologies ? - Bertrand Louart p. 21-39 L'eugénisme est en quelque sorte le « cadavre caché dans le placard » de l'histoire de la biologie. Car les fondements « théoriques » de ce qui fut au début du xxe siècle une science reconnue constituent encore le socle de la biologie moderne. Là où l'eugénisme d'État instaurait des normes en fonction d'objectifs politiques généraux, l'actuel eugénisme libéral instaure des normes sous des prétextes en apparence scientifiques et techniques. La finalité est toujours de trouver des solutions scientifiques et techniques à des problèmes que l'on ne veut pas envisager d'abord dans leurs dimensions humaines, sociales et politiques.In a way, e ugenics is the “corpse hidden in the closet” of the history of biology. For the “theoretical” foundations of what was a recognized science at the beginning of the 20th century still form the basis of modern biology. Where state eugenics established norms according to general political objectives, the current liberal eugenics establishes norms under apparently scientific and technical pretexts. The aim is always to find scientific and technical solutions to problems that one does not want to consider first in their human, social and political dimensions.
- Un monde sans mères ? - Silvia Guerini, Jacques Luzi p. 41-58 Dans cet article, les technologies de reproduction artificielle, de la procréation médicalement assistée à l'utérus artificiel (l'ectogenèse), en passant par les modifications génétiques, sont toutes considérées comme des aspects profondément interconnectés du même projet transhumaniste. Après avoir décrit ce projet, des origines aux derniers développements technologiques, l'article aborde les soutiens politiques à sa réalisation, ainsi que les stratégies de son acceptabilité sociale, et notamment l'influence des mouvements transféministes et LGBTQ. Dès lors que la bioéthique correspond à la ratification a posteriori des perfectionnements dans l'artificialisation de la reproduction, seule une opposition populaire permettra d'éviter l'instauration d'une société sans mères.In this article, artificial reproductive technologies, from medically assisted reproduction to the artificial womb (ectogenesis) and genetic modification, are all seen as deeply interconnected aspects of the same transhumanist project. After describing this project, from its origins to the latest technological developments, the article discusses the political support for its realization, as well as the strategies for its social acceptability, including the influence of the transfeminist and LGBTQ movements. Since bioethics corresponds to the ex post ratification of improvements in the artificialization of reproduction, only popular opposition will make it possible to avoid the establishment of a society without mothers.
- Naissance, nature et liberté - p. 59-78 Ayant documenté depuis une décennie les avancées technoscientifiques et sociopolitiques de la reproduction artificielle de l'humain, les auteurs reviennent ici sur quelques étapes du débat notamment chez les « progressistes ». Quoi de commun entre les militantes du Feminist International Network of Resistance to Reproductive and Genetic Engineering des années 1970-1980, l'écoféminisme de Françoise d'Eaubonne, et l'actuel soutien des Verts aux revendications néoféministes et LGBT ? Tandis que l'opposition à la technification de la reproduction humaine scandalise désormais, cet article rappelle quelques fondements de la pensée écologiste : on ne fabrique pas les êtres vivants, ils naissent ; on ne peut être écologiste et anti-industriel sans combattre la mainmise technocratique sur la reproduction, qui ouvre la voie à l'eugénisme : sans combattre toute artificialisation de la production infantile.Having documented for a decade the techno-scientific and socio-political advances of human artificial reproduction, the authors return here to some of the stages of the debate, particularly among “progressives.” What do the activists of the Feminist International Network of Resistance to Reproductive and Genetic Engineering of the 1970s and 1980s have in common with the ecofeminism of Françoise d'Eaubonne and the current support of the Greens for neofeminist and LGBT demands? While opposition to the technification of human reproduction now offends, this article reminds us of some of the foundations of ecologist thought: living beings are not manufactured, they are born; one cannot be an ecologist and anti-industrialist without fighting the technocratic stranglehold on reproduction, which paves the way for eugenics: without fighting any artificialization of child production.
- Réflexions autour de La servante écarlate - Michela Di Carlo p. 79-91 La capacité de reproduction des femmes fait face à plusieurs menaces. La référence, au sein des mouvements féministes, à La servante écarlate, de Margaret Atwood, renvoie au risque réel, avec la baisse de la fertilité et la remise en cause de l'avortement aux États-Unis, d'un régime religieux, autoritaire et violent. Mais le progrès de l'artificialisation de la reproduction humaine est aussi un moyen, plus insidieux, d'exploiter les femmes, sans lien avec la religion et la tradition. La pensée féministe doit donc réfléchir de manière plus critique à ce que la science et la technologie font du corps de la femme.Women's reproductive capacity faces several threats. The reference within feminist movements to The Handmaid's Tale (Margaret Atwood) points to the real risk that, with declining fertility and the reconsideration of abortion in the United States, a religious, authoritarian and violent regime could be established. But progress in the artificialization of human reproduction is also a means of exploiting women, more insidious, and unconnected with religion and tradition. Feminist thinking must therefore reflect more critically on what science and technology do to women's bodies.
- Les acceptologues : Les « minorités de genre » au service de la fabrication des enfants - Renaud Garcia p. 93-112 Cet article est une analyse critique de l'influence grandissante du discours queer et trans (abusivement estampillé LGBT) autour de la reproduction artificielle de l'humain. Il montre qu'au-delà de la lutte pour de nouveaux droits et de la destruction revendiquée de la famille patriarcale, ces progressistes qui pensent mêler anticapitalisme et production machinale des enfants expriment surtout leur haine de la nature et leur hantise d'être nés (et non fabriqués). Néanmoins, en choisissant les solutions technologiques en laboratoire au lieu des pratiques symboliques (telles que l'adoption), ils dérivent curieusement vers la sociobiologie et l'eugénisme, rejetons théoriques de la science dans la modernité industrielle. Tout cela illustre enfin une des extravagances de l'époque : ceux qui, dans la lignée de Pierre Kropotkine ou Élisée Reclus, défendent à la fois la nature et l'humaine nature contre la dynamique destructrice du capitalisme technologique (qui cherche désormais à industrialiser les origines même de la vie), finissent par être tenus pour des alliés de l'extrême droite.The following paper analyzes, from a critical viewpoint, the growing influence of queer and transgender discourses (improperly labelled “LGBT”) that deal with the artificial human reproduction. It holds that beyond the fight for new rights and the search for the destruction of patriarchy and conventional family, those leftists who try to link anticapitalist views to the industrial production of children express, most of all, their hatred of nature and the dread of being born (instead of designed). Nevertheless, choosing technological solutions contrived in laboratories instead of symbolic ways (such as adoption), they strangely drift towards sociobiology and eugenics, the theoretical offshoots of science in modern industrial times. Finally, the whole picture illustrates one of the eccentricities of our time: the fact that those who, in line with Peter Kropotkin or Élisée Reclus, stand up for nature and human nature against the destructive dynamics of technological capitalism (which now seeks to industrialize the very origins of life) are said to be right-wingers allies.
- Dompter toujours plus le vivant : Une critique de la « bio-ingénierie » - Gaëtan Flocco, Mélanie Guyonvarch p. 113-130 Notre époque est marquée par un développement croissant de techniques sophistiquées de modification et d'amélioration du vivant (génie génétique, séquençage de l'ADN, édition du génome, nanotechnologies) qui en véhiculent une conception particulière. Le vivant est considéré comme une machine « démontable » et « remontable » à loisir, façonnable selon les désirs, les fantasmes ou les objectifs économiques de ceux qui s'y attellent. Or, une telle conception « machinique » du vivant se situe au cœur du travail d'un ensemble de chercheurs et ingénieurs en biotechnologies. L'article présente une enquête sociologique menée sur le domaine de la biologie de synthèse, considérée comme une « ingénierie du vivant », et montre de quelles manières ce domaine de recherches et d'innovations, en accroissant toujours plus, en discours comme en actes, la maîtrise et l'exploitation du vivant, contribue à la bioéconomie et à ses objectifs d'amélioration du vivant.Our era is marked by an increasing development of sophisticated techniques for modifying and improving living organisms (genetic engineering, DNA sequencing, genome editing, nanotechnologies) which convey a particular conception of the living. The living is considered as a machine “dismountable” and “remountable” at leisure, shapable according to the desires, fantasies or economic objectives of those who work on it. However, such a “machinic” conception of living things is at the heart of the work of a group of biotechnology researchers and engineers. The article presents a sociological survey carried out on the field of synthetic biology, considered as an “engineering of the living,” showing in what ways this field of research and innovation, by ever increasing, in speech and in action, the control and exploitation of living organisms, contributes to the bioeconomy and its objectives of improving living organisms.
- La question du maximum : Biocapitalisme, démographie et eugénisme - Jacques Luzi p. 131-147 À l'âge industriel, la question démographique est influencée par le principe de population de Malthus, qui relie la préoccupation démographique et le maintien des inégalités sociales. Avec l'association Malthus-Darwin-Galton, cette préoccupation a pris une dimension eugéniste. Celle-ci apparaît concrètement au sein de la société mondiale. L'eugénisme négatif (stérilisation forcée) permet de limiter les naissances au sein des populations pauvres des pays du Sud. Pendant que l'eugénisme positif, porté par les biotechnologies, se développe au sein des pays riches. Comment tenir compte des limites naturelles à l'expansion de la population mondiale, sans favoriser l'extension de l'eugénisme ?In the industrial age, the demographic question is influenced by Malthus' population principle, which links the demographic concern with the upholding of social inequalities. With the Malthus-Darwin-Galton association, this concern took on a eugenicist dimension. This is concretely visible in world society. Negative eugenics (forced sterilization) makes it possible to limit births among poor populations in the South. At the same time, positive eugenics, driven by biotechnology, is developing in the rich countries. How can we take into account the natural limits to the expansion of the world's population, without encouraging the spread of eugenics?
- Aux antipodes de la reproduction artificielle : la « naissance respectée » - Émilie Bénard, Aurélien Berlan p. 149-163
Variations
- Quand habiter devient un commun : Discussion sur le concept du commun autour du cas des habitats participatifs - Pierre Servain p. 167-181 Plusieurs approches du concept du commun peuvent être distinguées : une première se base sur le triptyque défini par Elinor Ostrom en termes de ressources, de communautés et de modalités de régulation ; une deuxième se centre sur le travail de praxis instituante ; une troisième s'axe autour du principe de garantie de l'accès aux ressources utiles ; une quatrième enfin se comprend comme le cadre de l'expérience partagée. L'article propose d'étudier en quoi ces quatre approches s'opposent mais surtout en quoi elles se complètent, en incarnant le propos dans le cas de l'habitat participatif, défini comme une démarche de mise en commun de l'habitat.Several approaches to the concept of the common can be distinguished: a first approach is based on the triptych defined by Elinor Ostrom in terms of resources, communities and methods of regulation; a second focuses on the work of instituting praxis; a third revolves around the principle of guaranteeing access to useful resources; a fourth, finally, is understood as the framework of shared experience. The article proposes to study how these four approaches are opposed but above all how they complement each other, by embodying the argument in the case of participatory housing, defined as a process of pooling housing.
- Quand habiter devient un commun : Discussion sur le concept du commun autour du cas des habitats participatifs - Pierre Servain p. 167-181
Notes de lecture
- Céline Lafontaine, Bio-objets. Les nouvelles frontières du vivant, Seuil, Paris, 2021 - Mélanie Guyonvarch, Gaëtan Flocco p. 185-187
- Aurélien Berlan, Terre et liberté. La quête d'autonomie contre le fantasme de délivrance, La Lenteur, Saint-Michel-de-Vax, 2021 – Stefano Boni, Homo confort. Le prix à payer d'une vie sans efforts ni contraintes, L'échappée, Paris, 2022 - Jacques Luzi p. 187-190
- Marie-Ève Bouillon et Sandrine Bula, Plateau volant, motolaveur, purée minute. Au Salon des arts ménagers (1923-1983), CNRS Éditions, Paris, 2022 - Michèle Descolonges p. 190-192
- William Acker, Où sont les « gens du voyage » ? Inventaire critique des aires d'accueil, Éditions du commun, Rennes, 2021 - Michèle Descolonges p. 192-195