Contenu du sommaire : Migration et travail détaché en Europe
Revue | Migrations société |
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Numéro | vol. 34, no 190, octobre-décembre 2022 |
Titre du numéro | Migration et travail détaché en Europe |
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Éditorial
Dossier - Migration et travail détaché en Europe
- Le travail détaché : 25 ans après son instauration, état des lieux et perspectives - Frédéric Décosse, Emmanuelle Hellio, Béatrice Mésini p. 15-27 Mis en place par la directive 96/71/CE il y a plus de 25 ans, le détachement a connu un essor exponentiel en France, comme dans l'ensemble des pays de l'Union européenne (UE) : entre 2004 et 2018, le nombre de travailleurs détachés au sein de l'UE est passé de moins de 500 000 à près de 3 millions. Loin d'être un dispositif de libre circulation des travailleurs, le détachement s'affirme davantage comme un nouvel avatar de l'utilitarisme migratoire qui « multiplie » les frontières et renouvelle la segmentation du marché du travail européen. Ce dossier thématique de la revue Migrations Société consacré au travail détaché en Europe rassemble des cas d'étude qui analysent la réalité de ce phénomène dans divers pays et secteurs d'activité : la construction navale, l'industrie agroalimentaire et l'agriculture industrielle. Cette introduction propose un état de l'art des travaux francophones et anglophones consacrés au détachement et souligne l'apport des différentes contributions concernant les pratiques de détachement à l'œuvre sur les marchés du travail hexagonal et européen.
- Le détachement comme planche de salut ? Le recours à la main-d'œuvre étrangère dans la construction navale - Sara Casella Colombeau, Claire Flécher, Jean-Marie Pillon, Daniel Veron, Claire Vivés p. 29-46 À partir d'une enquête de terrain réalisée dans l'un des derniers bastions de l'industrie navale française, à Saint-Nazaire, cet article réinscrit le recours aux travailleurs détachés dans une sociohistoire de la construction navale. Depuis les années 2000, la gestion de la main-d'œuvre aux Chantiers de l'Atlantique2 est marquée par le recours croissant à la main-d'œuvre étrangère, favorisé par le développement de la sous-traitance internationale en chaîne. Aujourd'hui, le détachement est un rouage structurel de l'organisation des chantiers et il constitue même, de l'avis de certains acteurs patronaux et politiques, la planche de salut des chantiers de Saint-Nazaire. À la croisée d'une analyse des changements productifs, de l'organisation du travail et des modalités de recours à la main-d'œuvre étrangère sur les chantiers, notre enquête, qui a démarré à l'automne 2020, contribue à la compréhension des transformations des politiques d'immigration de travail en France et en Europe. Le détachement, conséquence et condition d'un recours structurel à la sous-traitance dans l'industrie, relève pleinement d'une forme de « délocalisation sur place ». Ce cas interroge les propriétés spécifiques de cette forme de mobilisation d'une main-d'œuvre étrangère par rapport à des formes plus canoniques de la migration de travail, au regard notamment de la place de la régulation étatique et de la capacité des employeurs à contrôler la mobilité du travail.
- La logistique, raison d'être du travail détaché aux abords du port de Rotterdam : Le cas d'AMC Natural Drinks - José Angel Calderón, Pablo López Calle, Antonio Ramírez Melgarejo p. 47-64 L'étude de cas présentée dans cet article constitue un outil d'analyse particulièrement pertinent pour comprendre un certain nombre de changements profonds dans l'organisation du travail à l'échelle internationale qui doivent être étudiés de façon conjointe. Il s'agit, d'une part, des transformations dans les organisations productives sous l'impulsion de ce que la littérature spécialisée nomme « la révolution logistique », et, d'autre part, de l'apparition en Europe de mobilités intracommunautaires de type pendulaire, directement gérées par l'« industrie de la migration » qui se constitue de manière ad hoc dans le contexte de la construction d'un marché européen de l'emploi. Les analyses en sociologie du travail montrent que, bien plus qu'un processus technique plus ou moins complexe, la logistique constitue surtout un instrument essentiel pour mettre en place un modèle de production dit « juste-à-temps »1 qui réduit les coûts des stocks (matériaux, produits, personnel permanent…) et qui peut s'appliquer à la fois à la production, aux pratiques de consommation, ou encore à la gestion de la mobilité de la main-d'œuvre. C'est précisément cette recherche d'une mobilité organisée et de plus en plus fonctionnelle qui nécessite des formes contractuelles et des statuts juridiques adaptés, ce qui nous permet d'émettre l'hypothèse d'une similitude entre l'utilitarisme des politiques migratoires (dont le détachement constitue une des modalités) et les principes de fonctionnement de la logistique. Cette contribution se focalise en particulier sur les différentes formes de détachement utilisées par une entreprise espagnole de production de jus de fruits (AMC Natural Drinks), qui a délocalisé une partie de ses activités productives aux abords du port de Rotterdam, et sur la façon dont les processus productifs s'adaptent à la possibilité de disposer — grâce au détachement — d'une main-d'œuvre pleinement flexible parce que déracinée et fragmentée par une multiplicité de types de contrats de travail et de statuts de séjour.
- Protéger les droits des salariés ou défendre l'emploi national ? : L'ambivalence des politiques de lutte contre la fraude au travail détaché - Pierre-Edouard Weill p. 65-82 Cet article analyse les politiques de lutte contre la fraude au détachement menées en France, dont les logiques oscillent entre défense des droits des salariés détachés et préservation de l'emploi national. Il montre comment le travail détaché constitue un enjeu politique européen de plus en plus saillant avec son intensification et les réformes successives du cadre réglementaire européen. Les gouvernements des principaux pays d'accueil impulsent ces réformes, dont les programmes nationaux de lutte contre la fraude contribuent à la légitimation. Dans le cas français, l'élaboration de ces programmes implique une mobilisation partenariale et transnationale. Leur mise en œuvre localisée offre cependant un rôle central à l'Inspection du travail, pour laquelle le détachement est devenu une priorité majeure au milieu des années 2010. L'imposition par le gouvernement d'objectifs chiffrés très élevés implique à la fois des résistances des agents de contrôle et un sur-contrôle des entreprises de pays majoritairement exportateurs de salariés détachés, associées au dumping social et à des risques de fraude. Les résultats de ces programmes s'avèrent contrastés, qu'il s'agisse de freiner le recours au détachement des entreprises ou de garantir les droits des salariés. Les contrôles aboutissent à de nombreuses amendes à l'encontre des entreprises prestataires, mais elles ne sont pas toujours recouvrées, tandis que les investigations judiciaires se focalisent sur les affaires aux plus gros enjeux financiers pour les organismes de sécurité sociale. Les difficultés de mise en œuvre des politiques de lutte contre la fraude au détachement révèlent ainsi les apories d'une réglementation qui demeure largement contournée, malgré ses réformes successives.
- Établir la preuve du recours intentionnel au travail dissimulé sous couvert de travail détaché - Paul Ramackers, Emmanuelle Hellio, Béatrice Mésini, Frédéric Décosse p. 83-96 Inspecteur du travail fraîchement retraité, Paul Ramackers est l'auteur de deux ouvrages sur l'Inspection du travail, ainsi que de nombreux articles consacrés à cette institution. Au moment de notre entretien, réalisé en septembre 2021, il occupait les fonctions de directeur du travail au sein de la Direction départementale de l'emploi, du travail et des solidarités (ddets)2 du Gard et de secrétaire permanent du Comité opérationnel départemental anti-fraude (codaf) de ce même département. À ce titre, il a joué un rôle de premier plan dans l'instruction de l'enquête ouverte pour « fraude au détachement » contre l'agence d'intérim espagnole Campo Verde3. Auteur d'un premier signalement au parquet dès 2004, suivi de cinq autres entre 2016 et 2019, il a été cité à comparaître le 19 mai 2021 comme témoin devant le Tribunal correctionnel de Marseille. L'entretien a été réalisé dans les locaux de la ddets à Nîmes dans le cadre de notre projet de recherche FINCA4. Il est revenu longuement sur cette affaire, pour expliquer notamment les leviers mobilisés par l'administration pour faire la preuve de l'intention frauduleuse des entreprises prestataires recourant aux travailleurs détachés. Il a ainsi expliqué comment, avec le concours des différents services concernés, les trois éléments constitutifs du délit de travail dissimulé ont pu être patiemment réunis : l'élément « légal », car prévu par un texte de loi, l'élément « matériel », constitué par des actes prohibés par la loi, et enfin l'élément « moral », en raison de l'intention coupable du prestataire et des exploitants agricoles utilisateurs de la main-d'œuvre.
- Un parcours semé d'embûches : Entretien avec un travailleur détaché d'origine colombienne - Charline Sempéré p. 97-104 Cet entretien a été réalisé en mars 2022 dans une commune du département du Gard avec Rodrigo, travailleur détaché espagnol d'origine colombienne en France. Notre interlocuteur revient sur les conditions de son recrutement par l'agence d'intérim international Campo Verde et aborde la question des difficiles conditions de travail et d'hébergement des travailleurs détachés dans le secteur agricole en France.
- Le détachement dans le secteur agricole : monographie d'une agence d'intérim international - Frédéric Décosse, Emmanuelle Hellio, Béatrice Mésini p. 105-124 Cet article pose un regard monographique sur le principal opérateur du détachement dans l'agriculture provençale : l'entreprise de travail temporaire espagnole (ett) Campo Verde1. Ce faisant, il propose une analyse du fonctionnement de la prestation de services internationale dans un secteur dit « en tension », fonctionnement qui repose sur l'articulation de trois logiques d'action distinctes mais complémentaires : une logique de stock, qui conduit l'ett à mobiliser une infrastructure logistique de transport et d'hébergement pour créer dans le pays où est fournie la prestation un excédent de main-d'œuvre détachée disponible et en attente ; une logique de flux, basée sur les principes de convocabilité et de révocabilité de l'intérimaire, qui font de celui-ci un ouvrier mobile et discipliné, susceptible d'être déplacé « juste-à-temps » d'un chantier à un autre, en fonction de la demande des entreprises utilisatrices ; et une logique de fidélisation des meilleurs éléments et d'accumulation du temps de travail par les salariés détachés, liée à leur trajectoire de migrants extracommunautaires et au fait que le travail agricole réalisé en France, faiblement rémunéré, soit sous-déclaré en Espagne. L'article est issu d'une recherche collective menée au sein du projet Frontières, im-mobilisation et néolibéralisme en temps de Covid dans l'agriculture (finca)2. Il repose sur l'exploitation d'un matériau riche et diversifié comprenant des données statistiques (base de données du système d'information sur les prestations de services internationales [sipsi]), des archives judiciaires, des entretiens semi-directifs et des observations participantes réalisées au sein du Collectif de défense des travailleurs agricoles étrangers (codetras).
- Bibliographie sélective - p. 125-127
- Le travail détaché : 25 ans après son instauration, état des lieux et perspectives - Frédéric Décosse, Emmanuelle Hellio, Béatrice Mésini p. 15-27
Varia
- Accès à l'éducation et à la formation des détenteurs de la Duldung : Expériences des jeunes réfugiés d'Afrique subsaharienne en Allemagne - Ghislaine Sandrine Bakoben p. 131-147 Quels sont les facteurs qui (dé)favorisent l'intégration des jeunes adultes réfugiés1 originaires d'Afrique subsaharienne dans le système éducatif allemand ? La recherche dont est tiré cet article pose la question des facteurs qui, outre la barrière linguistique, entravent l'accès de ces jeunes adultes réfugiés au système éducatif allemand. Pour trouver des réponses à notre questionnement, nous avons opté pour une approche méthodologique qualitative. La recherche a été réalisée de mars 2018 à avril 2021 à partir d'un échantillonnage boule de neige, ce qui nous a permis d'interroger 20 jeunes adultes réfugiés, hommes et femmes, arrivés en Allemagne entre 2014 et 2015, sur leur intégration dans le système éducatif. Les données recueillies ont été analysées et les hypothèses vérifiées après analyse du contenu des entretiens. Les premiers résultats démontrent que, hormis la barrière linguistique, ce sont le manque de transparence de l'offre éducative et la précarité du statut administratif qui restreignent réellement l'accès de ces jeunes réfugiés au système éducatif allemand. Cette situation est particulièrement dramatique lorsqu'il s'agit de jeunes réfugiés détenteurs d'une Duldung2 à l'instar de notre groupe d'enquêtés originaires d'Afrique subsaharienne confrontés à une marginalisation légale.
- Accès à l'éducation et à la formation des détenteurs de la Duldung : Expériences des jeunes réfugiés d'Afrique subsaharienne en Allemagne - Ghislaine Sandrine Bakoben p. 131-147
Note de lecture
- REA, Andrea, Sociologie de l'immigration (3e édition), Paris : Éd. La Découverte, 2021, 128 p. - Niandou Touré p. 149-152
Nouveautés documentaires du CIEMI
- Nouveautés documentaires du CIEMI - p. 153