Contenu du sommaire : Frontières sectorielles et luttes professionnelles
Revue | Gouvernement & action publique |
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Numéro | volume 12, no 1, janvier-mars 2023 |
Titre du numéro | Frontières sectorielles et luttes professionnelles |
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Frontières sectorielles et luttes professionnelles
- Franchir les frontières bureaucratiques : (Dé)sectorisation et transversalité dans l'action publique - Anne-Cécile Douillet, Vincent Lebrou, Luc Sigalo Santos p. 9-26 La prolifération de politiques et de dispositifs qualifiés de « transversaux », « intersectoriels », « trans-sectoriels », etc., semble remettre en cause l'organisation historique de l'action publique par secteurs. Les travaux d'analyse des politiques publiques qui les prennent pour objet y voient souvent une réponse à la « complexification » des problèmes publics. En se situant dans une perspective constructiviste, ce numéro conçoit plutôt les frontières sectorielles de l'action publique comme objets et produits d'un travail concurrentiel de délimitation de périmètres bureaucratiques, dont le franchissement ou le déplacement n'a rien d'évident, ni d'automatique. Articulant sociologies de l'action publique, de l'administration et des professions, les articles rassemblés ici examinent différentes formes de remise en cause des frontières bureaucratiques, – qu'elles prennent des formes très bricolées ou plus institutionnalisées – et la façon dont elles reconfigurent les rapports professionnels, institutionnels, et parfois le contenu même de l'action publique.The proliferation of policies and instruments described as “transversal”, “intersectoral”, “mainstreaming”, etc. seems to challenge the historical sectoral organisation of public policies. Policy studies often see them as a response to the “complexification” of public problems. Anchored in a constructivist perspective, instead this issue apprehends the boundaries of public intervention as objects and products of a competitive process of organizational designing. Bringing together policy studies and the sociology of professions, the articles gathered together in this issue examine different forms of boundary work – whether it be dominated by tinkering or institutionalization – and the ways in which they affect professional and institutional relations, and sometimes the very content of public policies.
- L'intersectorialité négociée « par le bas » : Quand une institution médico-sociale s'inscrit dans les murs d'un collège - Hugo Bertillot, Noémie Rapegno, Cécile Rosenfelder p. 27-49 Résumé Le droit à l'éducation en milieu ordinaire des enfants en situation de handicap est reconnu par la loi depuis 2005. En faisant évoluer les catégories de l'action publique, la logique inclusive met sous tension la partition historiquement construite entre écoles ordinaires et institutions médico-sociales. À partir d'une enquête menée au sein d'un dispositif qui permet à des élèves handicapés et aux professionnels qui les accompagnent d'inscrire leurs activités quotidiennes dans un collège, cet article s'intéresse aux modalités d'un franchissement des frontières sectorielles « par le bas ». L'irruption de professionnels et d'élèves du médico-social suscite des réticences professionnelles au sein de l'établissement scolaire. C'est dès lors par de multiples négociations professionnelles que ce franchissement trouve une forme de stabilité, ordre local négocié rendu fragile par les rivalités bureaucratiques entre les tutelles sectorielles.The right to mainstream education for children with disabilities has been recognized in law since 2005. This article is based on a study carried out within a project designed to enhance their inclusion within schools. In so doing, it explores the ways in which sectoral boundaries can be crossed ‘from below'. The arrival of professionals and pupils from the French “medical-social” sector within a mainstream school aroused professional reticences within the latter. It was only after a succession of inter-professional negotiations that this crossing eventually reached a form of stability. The resulting negotiated local order has nonetheless still been rendered fragile by bureaucratic rivalries.
- De la souillure à la culture : Le graffiti, d'un secteur d'action publique à l'autre - Julie Vaslin p. 51-71 Dans les politiques municipales parisiennes, le graffiti fait l'objet d'une double administration, à la fois par les acteurs du secteur de la propreté et par ceux des politiques culturelles. À travers une socio-histoire et une analyse contemporaine de cette double prise en charge bureaucratique, cet article analyse le glissement des graffitis d'un secteur d'action publique à l'autre. Les archives, entretiens et observations mobilisés permettent de dépasser l'apparente contradiction entre les politiques d'effacement et de promotion des graffitis, au nom du maintien de l'ordre esthétique urbain. L'article montre ainsi comment différentes catégories d'acteurs organisent l'extraction de certains graffitis des politiques de propreté pour les intégrer dans les politiques culturelles.Within Parisian municipal policies, graffiti has been the subject of two modes of administration, one by actors in the cleaning sector and another by those engaged in cultural policies. Through combining a socio-historical study and more contemporary analysis of this two-sided public management, this article analyses the creeping of graffiti from one policy sector to another. Archives, interviews and observations have enabled this research to go beyond the apparent contradiction between graffiti removal policies and promotion of this activity, in order to understand how the multi-sectoral administration of the same public policy issue. This article shows how public and private actors have organized the extraction of certain graffiti from cleanliness policies in order to integrate them within Paris's cultural policies.
- Intersectorialité et redéfinition d'un problème public : Invention politique et contre-invention administrative des groupes d'intervention régionaux de la police judiciaire - Marion Guenot p. 73-94 Cette contribution s'intéresse aux groupes d'intervention régionaux (GIR), qui rassemblent des policiers et des gendarmes, mais aussi des inspecteurs des impôts, de la douane et de l'inspection du travail. Créé en 2002, le GIR est l'élément-clé de la communication politique sécuritaire du ministre de l'Intérieur de l'époque. L'article examine ensuite les obstacles à la mise en œuvre de ce dispositif, source de tensions et de conflits de juridiction sur le terrain. Enfin, l'article montre comment le dispositif réoriente sa mission sur la saisie du « patrimoine criminel » en créant une nouvelle forme d'intersectorialité par en bas qui s'éloigne du mandat prescrit par le politique. Cette évolution est due à la fois à la résistance des administrations à l'instrumentalisation politique et à l'alliance entre les membres du GIR qui développent ce partenariat selon leurs propres règles.This contribution deals with Regional Intervention Groups ( groups d'intervention régionaux: GIR) comprised of police officers, tax auditors, customs officers and labor market fraud inspectors. Created in 2002, GIRs have certainly become a central tool of political communication for the Minister of the Interior. But this article analyzes instead the barriers that have often prevented judicial cooperation, generated tensions and intensified conflicts of jurisdiction. Finally, we show how GIRs have refocused their mission to tackle “criminal patrimonies”, thereby creating a new intersectorality from below that has developed greater distance from the highly politicized mandate they were initially given. This shift stems firstly from the reluctance of key administrators to have their activity reshaped for political goals and, secondly, from the solidarity that has developed between GIR members who have progressively reorientated their partnership based upon their own rules.
- La transversalité de la culture dans la politique de cohésion européenne : Heurs et malheurs d'une action au service d'objectifs et d'intérêts multiples, de Bruxelles à Palerme - Fanny Bouquerel p. 95-118 La culture, catégorie d'action publique aux contours flous et évolutifs, est envisagée à Bruxelles suivant une approche transversale, appelée aussi mainstreaming culture. Celle-ci consiste à prendre en compte les enjeux de ce secteur dans l'ensemble des politiques communautaires. Cette approche offre l'opportunité à la culture de déborder de ses frontières sectorielles et d'amplifier son périmètre ; elle comporte aussi des risques liés à ses contenus et aux intérêts divergents des nombreux acteurs qui la façonnent et la mettent en œuvre. La politique de cohésion européenne illustre ce franchissement sectoriel de l'action culturelle, celle-ci étant incluse dans une programmation dite intégrée. Elle met dans le même temps en lumière des désajustements sectoriels entre deux niveaux d'action publique, lorsque les acteurs territoriaux traduisent les orientations bruxelloises par une forme d'intersectorialité inaboutie. Mobilisée pour répondre à des objectifs multiples, la culture ne tient pas ses promesses et les moyens qui lui sont alloués diminuent au fil des années. Ces dynamiques influencent la nature du partenariat impliqué dans cette action, laissant sur le côté de nombreux acteurs culturels. Le franchissement des frontières sectorielles aboutit à une fragmentation et une dilution des actions menées, renforçant les fractures au sein de la scène culturelle régionale.The culture sector, a blurred and shifting category of public action, is envisaged in Brussels via a cross-cutting approach, mainstreaming culture, which aims to take cultural concerns into account in all EU policies. This approach offers the opportunity for culture to unfold beyond its sectoral borders and to amplify its perimeter of action; it also entails risks related to its content and the divergent interests of the many actors who shape and implement it. By including culture within an integrated programming aimed at fostering development in general, the EU's Cohesion Policy reflects sectoral transgression within cultural action while bringing to light sectorial misalignments between two levels of public action. In so doing, regional actors translate EU orientations into an intersectorality that generally remains incomplete. Called upon to meet multiple objectives, culture does not keep its promises and, consequently, its sphere of influence has shrunk over recent years. These dynamics have strongly influenced the nature of the partnership which supports policy in this field, leaving many cultural actors on the sidelines. Ultimately, the crossing of sectoral borders has resulted in a fragmentation and dilution of the actions carried out. Meanwhile it has widened divides within the cultural field at the regional level.
- Redessiner les frontières de l'État environnemental en région : Quête de transversalité et contraintes bureaucratiques - Jean-Pierre Le Bourhis, Laure Bonnaud, Emmanuel Martinais p. 119-139 L'article analyse un déplacement des frontières sectorielles dans l'État environnemental en suivant la création du ministère de l'Écologie et du Développement durable et de ses directions régionales (DREAL) entre 2007 et 2015. Portée par des acteurs politiques lors de la campagne présidentielle de 2007, la réforme doit faire naître une bureaucratie faisant travailler ensemble les administrations chargées des activités productives à fort impact sur les ressources (Équipement, Industrie) et celles centrées sur les écosystèmes (Environnement) afin d'accroître la transversalité ministérielle au nom du développement durable. À partir de données d'archives et d'entretiens auprès de hauts fonctionnaires nationaux et régionaux, nous montrons, à rebours d'une approche essentialiste, l'existence de conceptions concurrentes de cette transversalité et le poids des enjeux bureaucratiques et professionnels dans la mise en place des DREAL. Dans un contexte de restrictions budgétaires, l'effort pour introduire plus de transversalité est réorienté par des jeux de compétition et d'alliance entre cadres intermédiaires et entre fiefs bureaucratiques des corps techniques de l'État. La réforme conduit à redessiner les organigrammes, regrouper les équipes de direction et unifier leurs discours mais elle laisse persister des identités professionnelles, des cloisonnements et la nécessité de coordinations internes. Les changements observés sont limités et ne répondent pas aux objectifs initiaux d'une transversalité ambitieuse et d'une administration intégrée du développement durable.The article analyzes how sectoral boundaries have shifted within the environmental state following the creation of the French Ministry of Ecology and Sustainable development and its regional directorates (DREAL) between 2007 and 2015. Prompted by politicians during the 2007 presidential campaign, this reform was intended to create an integrated bureaucracy by merging together three public administrations in charge of the Environment, Transport and Industry, in order to increase ministerial transversality in the name of sustainable development. Contrary to an essentialist reading of this reforme, based on archival data and interviews with national and regional senior civil servants, we highlight the existence of competing conceptions of transversality and the weight of bureaucratic and professional issues within the creation of the DREALs. In a context of budgetary restrictions, the effort to introduce more transversality was reoriented by competition and alliances between middle managers from various bureaucratic fiefdoms of the State's administrative and technical corps. The reform has led to the regrouping of management teams, a unified discourse, and consolidated organigrammes within the DREALs. But it has also allowed professional identities, compartmentalization and the need for internal coordination to persist. The changes observed are limited and do not meet the initial objectives of strong transversality and a fully integrated administration of sustainable development.
- La transversalisation managériale de l'État : Variété des activités gestionnaires dans l'administration française (1980-2014) - Philippe Bezes, Scott Viallet-Thévenin p. 141-171 Cet article souligne les bénéfices qu'il peut y avoir à pluraliser, historiciser et ancrer dans les trajectoires des ministères, sur la durée, l'étude de l'essor et de l'institutionnalisation des activités de gestion dans l'État. Pour ce faire, il s'appuie sur une base de données mesurant l'évolution historique des structures administratives au sein des administrations centrales en France depuis 1980 et mobilise des indicateurs inédits. Proposant une typologie des activités managériales qui alimente un processus de « transversalisation » et défendant l'intérêt d'une étude des structures qui les portent, l'article confirme l'existence d'un tournant néo-managérial, manifesté notamment par la progression importante des activités de contrôle et de pilotage, associées au New Public Management. Mais il note aussi son ampleur modérée dans le contexte français ainsi que la présence forte, ancienne et structurante, d'activités de gestion plus classiques (ressources humaines, logistique, technologies de l'information, affaires juridiques, etc.). En comparant cinq ensembles ministériels (Défense, Affaires étrangères, Éducation, Économie et Finances, Écologie et Équipement), il identifie des trajectoires ministérielles de managérialisation différentes. La variété des activités gestionnaires à l'œuvre invite à penser la complexité des maillages gestionnaires dans lesquels sont pris les ministères et l'État.This article highlights the benefits of pluralizing, historicizing and anchoring in the trajectories of ministries over time, the study of the rise and institutionalization of management activities within the state. It draws upon a database measuring the historical evolution of administrative structures inside central administrations in France since 1980 and uses a set of original indicators. By proposing a typology of the managerial activities that have fed into a process of “transversalization”, and by studying in depth the organizations that have promoted them, the article confirms the existence of a neo-managerial turn, characterized by significant growth of control and steering activities, associated with New Public Management. But it also highlights the relatively moderate extent of this in the French case, as well as the strong, long-standing and structuring presence of more traditional management activities (human resources, logistics, information technology, legal affairs, etc.). By comparing five ministerial departments (Defense, Foreign Affairs, Education, Economy and Finance, Ecology, and Public Works), it identifies different ministerial trajectories of managerialization. The variety of managerial activities at work invites us to think about the complexity of the managerial webs within which ministries and the state itself are caught.
- Franchir les frontières bureaucratiques : (Dé)sectorisation et transversalité dans l'action publique - Anne-Cécile Douillet, Vincent Lebrou, Luc Sigalo Santos p. 9-26
Lectures
- Les principes administratifs du gouvernement représentatif : Anthony Michael Bertelli (2021) - Cyril Benoît p. 175-182
- Émilien Ruiz (2021) : Trop de fonctionnaires ? Histoire d'une obsession française (XIXe-XXIe siècles) - Olivier Quéré p. 183-185
- Gilles Jeannot, Simon Cottin-Marx (2022) : La Privatisation numérique. Déstabilisation et réinvention du service public - Anne Bellon p. 185-189
- Matthieu Ansaloni, Andy Smith (2021) : L'Expropriation de l'agriculture française. Pouvoirs et politiques dans le capitalisme contemporain - Cécile Gazo p. 189-193