Contenu du sommaire
Revue | Politique africaine |
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Numéro | no 167, 2022/3 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Recherches
- Le thanatopouvoir des passeurs djiboutiens - Alexandre Lauret p. 5-28 Cet article traite de la pratique de l'enterrement des migrants éthiopiens chez certains passeurs djiboutiens. Il s'appuie sur des données empiriques récoltées auprès de passeurs entre 2016 et 2021. La mort des migrants sur la route menant vers la péninsule Arabique devient un enjeu politique et sociétal pour la population locale et l'État. L'enterrement des corps est alors pris en charge par les passeurs, ce qui soulage les pouvoirs publics. Cette gestion permet par la suite une marge de manœuvre aux passeurs, devenus incontournables, pour négocier leur présence et faire pérenniser leur activité. Cette thanatopolitique a donc des conséquences sur le vivant : l'amenuisement entre les sphères licites et illicites, ainsi que l'évolution de l'éthique des passeurs autour du devoir funéraire.This article looks at the practice of certain Djiboutian smugglers of burying Ethiopian migrants. It is based on empirical data collected from smugglers between 2016 and 2021. The deaths of migrants along the route leading to the Arabian Peninsula has become a political and societal issue for the local population and the State, and so the responsibility for burying the bodies is assumed by the smugglers, which relieves the public authorities of their duties. This way of managing the situation allows the smugglers, who have become essential, to negotiate their presence, and enables them to continue their activities. This thanatopolicy therefore has consequences for the living : a shrinking of the lawful and unlawful sphere, and an evolution of the ethics of smugglers around burial obligations.
- Entre le silence épidémique et le bruit des bulldozers. Le choléra au temps de l'Émergence économique en Côte d'Ivoire - Leonardo W. Heyerdahl p. 29-52 Lorsqu'en 2014 les premiers cas de choléra apparaissent dans un quartier de pêche d'Abidjan habité principalement par des étrangers, le système de surveillance et de notification épidémiologique se grippe. Cet article retrace l'histoire du silence épidémique, décrit sa pratique institutionnelle et son rôle dans la Côte d'Ivoire post-conflit. Loin d'être total, le silence épidémique est orienté. Il alterne avec des discours locaux qui visent à contester la légitimité de la présence des groupes affectés par la maladie. Cette économie de la parole entretient la reproduction du risque épidémique et sert un mouvement plus large de délogement des cadets sociaux du cœur d'Abidjan et de l'Émergence économique promise.When the first cases of cholera appeared in a fishing neighbourhood of Abidjan inhabited mainly by foreigners in 2014, the epidemiological surveillance and notification system stalled. This article traces the history of epidemic silence, and describes its institutional practice and its role in post-conflict Côte d'Ivoire. Far from being a total silence, epidemic silence is calculated. It alternates with local discourses that seek to challenge the legitimacy of the presence of groups affected by the disease. This economy of speech keeps the reproduction of the risk of epidemic alive, and serves a broader movement to dislodge younger groups from the heart of Abidjan and the promised economic emergence.
- Le hirak sur la place Saïd Mekbel à Bejaïa (Algérie). Ethnographie des gaâdates (rencontres) politiques - Atmane Aggoun p. 53-74 Bien qu'utilisé lors de rassemblements protestataires, le « microphone du peuple » reste peu étudié par les chercheur·e·s en science sociales. Je tenterai dans cette contribution de défricher le terrain quant à son utilisation au sein des gaâdates (rencontres) politiques sur la place Saïd Mekbel à Béjaïa en Kabylie, concomitantes aux manifestations hebdomadaires du hirak. Là où l'on pourrait n'y voir que des manifestations d'histoires personnelles, on repère l'agrégation de corps unis dans un même mouvement. Dès lors, émerge un processus politique car la prise de parole rend compte, certes, de singularités publicisées, mais aussi et surtout d'un désir d'être là, et finit par constituer une politique des affects. Nous souhaitons dans un premier temps décrire les formes variées du « dire » élaborées par les participants pour dans un second temps mettre en relief une sociologie de « l'affect politique ».Despite its use at protest rallies, the “people's microphone” remains little studied by social science researchers. In this paper, I will attempt to explore its use in the political gaâdates (meetings) in Saïd Mekbel square in Béjaïa, Kabylia held at the same time as the weekly hirak demonstrations. Where one could only see manifestations of personal histories, it is possible to identify a coming together of bodies united by the same movement. A political process emerges from that time on, because speaking out undoubtedly offers an account of publicised singularities, and also – and above all –, a desire to be there, finally ending up by constituting a politics of affects. We first attempt to describe the various forms of “saying” developed by the participants and then highlight a sociology of “political affect”.
- Une révolution bureaucratique avortée. Les énarques et l'État au Mali - Adam Baczko, Gilles Dorronsoro p. 75-96 A contrario de la thèse d'une fonction publique « introuvable », les énarques maliens donnent à voir un corps doté d'un « intérêt au dés intéressement ». L'établissement de l'Ena (École nationale d'administration) résulte d'une coalition entre hauts fonctionnaires et quelques hommes politiques confrontés à un effondrement des institutions. Un concours méritocratique, une formation exigeante et un statut avantageux ont favorisé des profils issus des classes populaires et moyennes, qui ont connu une rapide ascension au sein de l'administration. Mais cette révolution bureaucratique a avorté face aux résistances dans la fonction publique et la classe politique.In contrast to the theory of an “untraceable” public service, the graduates of the Malian ENA (École Nationale d'Administration) reveal an institution with an “interest in disinterest”. The establishment of the ENA was the result of a coalition between senior civil servants and certain politicians in the face of the collapse of institutions. A meritocratic selection process, intense schooling, and an attractive status favoured students with middle- and lower-class backgrounds, who rose rapidly in the administration. However, this bureaucratic revolution failed in the face of resistance from within the civil service and the political class.
- Transition sécuritaire et production « bric-à-brac » de l'ordre post-guerre en Côte d'Ivoire - Ousmane Zina p. 97-117 En 2017, une vague de mutineries secouait la Côte d'Ivoire, interrogeant la capacité du pays à reconstruire une armée divisée après le conflit armé post-électoral de 2010-2011. Ces événements ont laissé entrevoir une confrontation d'intérêts divergents et un entrecroisement de réseaux d'acteurs à la fois formels et informels dans le champ de cette reconstruction du dispositif sécuritaire ivoirien. C'est en partant de ce constat que l'article défend le postulat selon lequel une politique de reconstruction sécuritaire « bric-à-brac » aurait été mise en œuvre depuis la fin de la crise post-électorale. Il en analyse la signification, la portée et les limites. Le texte s'appuie sur le cadre théorique de la sociologie de l'action publique en contextes africains, et saisit dans le temps long les relations de pouvoir, les registres de domination, les ruptures et les continuités pour expliquer ce moment de fabrique d'un nouvel ordre sécuritaire post-guerre en Côte d'Ivoire.In 2017, a wave of mutinies shook Côte d'Ivoire, calling into question the country's ability to rebuild a divided army after the post-electoral crisis of 2010 and 2011. These events showed a confrontation of divergent interests and interactions between formal and informal actors in the Ivorian security apparatus. In our view, this situation reveals a “bric-à-brac” policy of the security sector in Côte d'Ivoire. The article analyses the meanings and limitations of this policy and use the political sociology of public policies in African contexts to discuss our opinion.
- Industries minières et violences au Burkina Faso. Comment le développement minier a-t-il contribué à l'expansion des groupes armés ? - Nicolas Hubert p. 119-140 Dans cet article, nous nous interrogeons sur la manière dont le développement de l'industrie extractive a contribué à la propagation des violences et des dynamiques conflictuelles au Burkina Faso. Pour mieux saisir ces dynamiques, nous nous intéressons à la manière dont les groupes armés transnationaux actifs au Sahel, concurrençant l'autorité centrale des États, s'appuient sur les griefs des populations pour élargir leurs bassins de recrutement et favoriser leur intégration sociale et territoriale. Nous analysons également les liens entre ressources naturelles et conflits armés, puis le processus de rupture avec l'autorité centrale, avant d'appréhender directement l'élargissement des bassins de recrutement des groupes armés dans la région burkinabè du Sahel.This paper examines how the development of extractive industries has contributed to the spread of violence and conflict dynamics in Burkina Faso. In order to gain a better understanding of these dynamics, our research looks at the way in which transnational armed groups in the Sahel, in competition with the central state authorities, mobilise the grievances of the populations to increase their recruitment pools and promote their social and territorial anchoring. We also examine the links between natural resources and armed conflicts, and then look at the process of breaking away from central authority, before directly studying the expansion of the recruitment pools for armed groups in the Burkinabe region of the Sahel.
- Le thanatopouvoir des passeurs djiboutiens - Alexandre Lauret p. 5-28
Chronique d'exposition
- Fable primitiviste. À propos de l'exposition « Sur la route des chefferies » - Franck Beuvier p. 141-158 Cette chronique de l'exposition « Sur la route des chefferies du Cameroun » présentée en 2022 au musée du quai Branly-Jacques Chirac, pointe les dérives d'un récit identitaire. À la manière d'un voyage d'immersion, les promoteurs de l'événement proposent une visite initiatique de la chefferie bamiléké, où le public découvre tour à tour un large éventail de croyances totémiques au fondement de la vie religieuse et morale, une théosophie de la nature confondue avec la mythologie bamiléké, un régime politique équilibrant monarchie et démocratie, et une organisation sociale conforme au principe d'égalité entre hommes et femmes. Composé de vrais-faux coutumiers convertis en totems et en fétiches, l'héritage donné à voir au fil du parcours est justifié au nom d'une tradition séculaire, combinant habilement caractères primitivistes et tendances de notre temps. Les concepteurs camerounais ont ainsi misé sur l'animisme écologique pour séduire bailleurs de fonds et visiteurs, aux dépens de l'histoire et de l'élan décolonial.This piece on the “On the Road to Chiefdoms of Cameroon” exhibition at the Musée du Quai Branly-Jacques Chirac in 2022 highlights the excesses of an identity story. The curators of the exhibition offer an initiation into the Bamileke chiefdom in the form of an immersive journey, during which the public discovers in turn a wide range of totemic belief systems underpinning the moral and religious lives, a theosophical of nature combined with Bamileke mythology, a political regime that balances monarchy and democracy and a form of social organization that respects the principle of equality between men and women. The heritage of true and false customs converted into totems and fetishes revealed during the journey through the exhibition is justified in the name of a centuries-old tradition that skilfully combines primitivist characters and trends of our time. The Cameroonian curators have therefore relied on ecological animism in order to attract donors and visitors, at the expense of history and the decolonial impulse.
- Fable primitiviste. À propos de l'exposition « Sur la route des chefferies » - Franck Beuvier p. 141-158
Lectures
- Revue des livres - p. 159-169