Contenu du sommaire : Lire la pensée écologique

Revue Raisons Politiques Mir@bel
Numéro no 90, mai 2023
Titre du numéro Lire la pensée écologique
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  • Éditorial

  • Dossier

    • Relire et relier le rapport Meadows : une trajectoire subjective (1972-2022) - Luc Semal p. 13-21 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Le rapport Meadows de 1972 est aujourd'hui considéré comme un jalon important dans l'émergence de l'écologie politique. Pourtant, au début des années 2000, il pouvait sembler en passe d'être oublié faute de rééditions françaises et de nouveaux lecteurs. Cet article rend compte d'une expérience de lecture qui a débuté vers 2005 et se poursuit aujourd'hui : lire le rapport a permis d'abord de découvrir son contenu, mais ensuite d'étudier la formulation et la circulation des idées catastrophistes depuis cinq décennies, en suivant le fil des publications, des réceptions, des oublis et des redécouvertes. En étudiant les conditions de la publication française du rapport en 1972 d'une part, et les conditions de sa réception dans la presse écologiste alors naissante d'autre part, cet article retrace aussi l'évolution allant d'une lecture internaliste vers une lecture plus contextualisée. Cette perspective de socio-histoire des idées politiques nourrit une réflexion sur les réceptions, ou les non-réceptions, des alertes écologistes de 1972 à aujourd'hui.
      The 1972 Meadows Report is today considered an important milestone in the emergence of green politics. Nevertheless, in the early 2000s, this report could seem to be on the way to being forgotten for lack of French reissues and new readers. This article reports on a reading experience that began around 2005 and is going on today: reading the report was first an opportunity to discover its content, but then to study the formulation and circulation of “catastrophist” ideas over the past five decades, following the thread of publications, receptions, oversights and rediscoveries. By studying the conditions of the French publication of the report in 1972 on the one hand, and the conditions of its reception in the then nascent green press on the other hand, this paper shows the evolution from an internalist reading towards a more contextualized one. This perspective of socio-history of political ideas feeds a reflection on the receptions, or non-receptions, of environmental alerts from 1972 to today.
    • La fin de l'abondance, encore : Lire aujourd'hui la presse du choc pétrolier de 1973 - Mathilde Szuba p. 23-35 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Le choc pétrolier de 1973 nous est connu aujourd'hui comme l'évènement déclencheur d'une crise économique majeure ayant mis fin aux Trente glorieuses. Comment cette crise est-elle racontée dans les journaux de l'époque ? Une lecture systématique du journal Le Monde d'octobre à décembre 1973, initiée dans le but de documenter les premières manifestations d'inquiétude énergétique et leurs réponses politiques, laisse finalement apparaître des préoccupations bien différentes où l'approvisionnement de la France en pétrole tient une part relativement modeste. Et malgré des manifestations très aigües de la finitude des ressources et de la dépendance énergétique, les analyses écologiques de la situation restent très minoritaires. La lecture des actualités de 1973 offre surtout des résonnances frappantes avec l'Europe de 2022, la guerre russo-ukrainienne et les plans de sobriété énergétique. À près de cinquante ans d'écart, les deux crises énergétiques voient se côtoyer des analyses alarmistes et des discours rassurants, entre « fin de l'abondance » et simple mauvaise conjoncture à passer.
      The oil shock of 1973 is known to us today as the triggering event of a major economic crisis that put an end to the post-war boom. How was this crisis told in the newspapers of the time? A systematic reading of the newspaper Le Monde from October to December 1973, initiated with the aim of documenting the first manifestations of energy alarms and their political responses, finally reveals very different concerns where the supply of oil to France holds a relatively small share. And despite very acute manifestations of the finiteness of resources and energy dependence, ecological analyses of the situation remain a minority. Reading the news of 1973 above all offers striking echoes with 2022 Europe, the Russian-Ukrainian war and energy sufficiency plans. Nearly fifty years apart, the two energy crises see alarmist analyses and reassuring speeches rub shoulders, between “end of abundance” and simple bad times that will soon be over.
    • Marx et Muir, lecture d'une rencontre fictive - Rémi Beau p. 37-48 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      En 1987, l'écrivaine et militante Frances Moore Lappé et le philosophe John Baird Callicott publiaient un court texte intitulé « Marx meets Muir. Toward a Synthesis of the Progressive Political and Ecological Visions ». Penser cette rencontre fictive était pour eux l'occasion de décrire quelques pistes permettant de réduire la distance qui leur semblait alors séparer certains penseurs de l'environnementalisme états-unien et les théoriciens de la critique sociale. Réflexion de lecteur, cet article retrace la façon dont la conversation entre Marx et Muir, imaginée par Moore Lappé et Callicott, éclaire trois moments décisifs dans l'histoire de l'écologie politique.
      In 1987, writer and activist Frances Moore Lappé and philosopher John Baird Callicott published a short text entitled “Marx meets Muir. Toward a Synthesis of the Progressive Political and Ecological Visions”. Thinking about this fictional encounter was an opportunity for them to describe a few ways of reducing the distance that seemed at the time to separate certain thinkers of American environmentalism and social theorists. A reader's reflection, this article traces how the conversation between Marx and Muir, imagined by Moore Lappé and Callicott, sheds light on three decisive moments in the history of political ecology.
    • Écologies de l'impérialité : Itinéraires d'une recherche - Mohamed Amer Meziane p. 49-59 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Ce court essai présente d'abord l'itinéraire d'une recherche qui, d'une histoire des dimensions coloniales de la sécularisation, est devenue un examen de ses conséquences environnementales. Comment réécrire l'histoire de l'anthropocène en tant qu'effet de la sécularisation ? Tout en exhibant une théorie alternative de la modernité, ce texte déploie certaines des implications de cette théorie dans le débat contemporain. Deux auteurs centraux de la pensée écologique contemporaine sont ainsi discutés de manière critique : Andreas Malm puis Philippe Descola.
      This short essay first presents the itinerary of a research project that has gone from a history of the colonial dimensions of secularization to an examination of its environmental consequences. How can we rewrite the history of the Anthropocene as an effect of secularization? While exhibiting an alternative theory of modernity, this text deploys some of the implications of this theory in contemporary debate. Two central authors of contemporary ecological thought are critically discussed: Andreas Malm and Philippe Descola.
    • Politiser nos dépendances à la nature : Conversation avec Virginie Maris - Virginie Maris, Margaux Le Donné p. 61-72 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Virginie Maris, philosophe de l'environnement, revient dans cet entretien sur sa rencontre, pendant son doctorat, avec un texte majeur de l'écoféminisme et explique la façon dont cette lecture a transformé son travail depuis lors. Partant de la philosophie analytique pour venir à la technicité de la notion de biodiversité et aux enjeux politiques des sciences de la conservation, son parcours de recherche s'inscrit dans les débats vifs autour de la notion d'anthropocène. Cette conversation retrace notamment l'importance de la théorisation par Val Plumwood de la logique du dualisme et du « modèle du maître » dans la lutte contre la destruction du monde vivant. Virginie Maris souligne la portée philosophique de la distinction entre dualisme et différenciation et la façon dont cela a joué un rôle dans l'élaboration de son ouvrage défendant « la part sauvage du monde » comme altérité radicale du milieu naturel.
      In this interview, environmental philosopher Virginie Maris looks back on her encounter with a major ecofeminist text during her PhD, and explains how this reading has transformed her work ever since. From analytical philosophy to the technicality of the notion of biodiversity and the political issues at stake in conservation science, her research path is part of the lively debates surrounding the notion of the Anthropocene. This conversation traces the importance of Val Plumwood's theorisation of the logic of dualism and the “master model” in the fight against the destruction of the living world. Virginie Maris highlights the philosophical significance of the distinction between dualism and differentiation, and how this played a role in the development of her work defending “the wild part of the world” as the radical otherness of the natural environment.
    • Universalisme, écologie et démocratie ou comment penser les Lumières aujourd'hui ? - Corine Pelluchon, David Smadja p. 73-81 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Comment défendre les Lumières dans un contexte marqué par le réveil du nationalisme et les crises environnementales et sanitaires ? Peut-on croire en un progrès par la raison après Auschwitz, Hiroshima et les goulags ? Pour combattre les anti-Lumières qui souhaitent rétablir une société hiérarchique tout en répondant aux accusations des postmodernes qui suspectent tout universalisme d'être hégémonique, Corine Pelluchon propose de nouvelles Lumières qui tiennent compte de notre dépendance à l'égard des autres vivants. Leur objectif est de destituer le schème de la domination qui transforme notre rapport aux autres et à la nature en une forme de guerre.
      How can we defend the Enlightenment today? Does its ideal of emancipation still holds meaning? In a context marked by the awakening of nationalism, environmental and health crises and rising inequality, we cannot be content to invoke an immutable spirit of the Enlightenment. To confront the danger of our civilisation's collapse without abandoning philosophical/scientific rationality, while bearing in mind our dependence on nature and on other living creatures: that is the approach of the book I wish to present. To fight the “Counter-Enlightenment”—those who would prefer to establish a hierarchical or theocratic society—and respond to post-modern accusations that all universalism has hegemonic aims, we must propose a new Enlightenment. One which requires us to visit anew the history of the Enlightenment, and to resist the amputation of reason, now reduced to an instrument for calculation and exploitation. The objective of the Enlightenment in the age of the living, and of its project for an ecological and democratic society, is to eliminate the schema of domination—over others and nature both interior and exterior to the self—which expresses a contempt for the body and for vulnerability.
  • Varia

    • Ambivalence d'une « alternative radicale » : Le revenu de base inconditionnel entre démarchandisation et (re)marchandisation du travail - Marc-Antoine Sabaté p. 83-103 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Dans leur dernier ouvrage, Philippe Van Parijs et Yannick Vanderborght présentent le revenu de base inconditionnel comme une « alternative radicale » non seulement au « néolibéralisme », mais aussi à ce qu'ils nomment le « paléo-socialisme ». L'article propose d'élucider cette justification en montrant pourquoi l'alternative envisagée repose à bien y regarder sur une certaine interprétation de la démarchandisation comme visée politique de l'État social. Le revenu de base est en effet présenté comme une forme radicale de démarchandisation des supports d'existence, mais aussi comme un moyen non-coercitif d'inciter les chômeurs à accepter un emploi, et par conséquent comme un outil au service d'une certaine marchandisation du travail. L'alternative offerte par le revenu de base fait ainsi apparaître une ambivalence : il s'agirait à la fois de démarchandiser le travail des actifs, contre une marchandisation « néolibérale », mais aussi de remarchandiser le travail des inactifs, contre une démarchandisation « paléosocialiste ». L'article met ensuite en perspective les limites de cette défense du revenu de base à l'aune d'une conception plus étendue et plus exigeante du concept de démarchandisation : la liberté de choisir son travail qu'offrirait le revenu de base ne garantit pas en tant que telle l'occupation d'une place dans la société, et elle ne suppose pas une organisation démocratique et démarchandisée de la production, mais repose in fine sur l'expression de préférences individuelles sur le marché.
      In their latest opus, Philippe Van Parijs and Yannick Vanderborght invite us to see basic income as a “radical alternative” to both “neoliberalism” and what they call “old socialism”. The article attempts to put this argument into perspective by showing why the alternative rests on a particular interpretation of decommodification as the main political horizon of the welfare state. Basic income is indeed presented as a radical way of decommodifying the means of life, but also as a non-coercive incentive to work, and therefore as a tool for commodification. The ambivalence of the alternative is thus underlined: a basic income would decommodify labour, going against a “neoliberal” politics of commodification, and, at the same time, recommodify labour, this time going against an “old socialist” politics of decommodification. The article then stresses the limits of basic income with regards to a broader and more demanding understanding of decommodification: the freedom of choice that basic income is supposed to offer would by itself not guarantee any access to a given social position, and it does not rely on a democratic organisation of production and a collective understanding of needs, but rather on the expression of individual preferences through the market.
  • Erratum - p. 104 accès libre