Contenu du sommaire : Numérique au travail, un moment politique ?

Prenant appui sur les plateformes de mobilité (type Uber), l'article analyse l'impact des conditions particulières d'organisation et de fonctionnement des plateformes de travail sur le métier de chauffeur VTC (véhicule de transport avec chauffeur). Une attention toute particulière est accordée aux phénomènes de triangulation et d'asymétrie informationnelle pour comprendre la place et le rôle du travail digital dans la relation de dépendance des chauffeurs à l'égard de la plateforme. Au cœur de ce dispositif, le travail digital est le vecteur d'un processus informationnel géré par la plateforme qui permet une mise en relation des chauffeurs avec un client mais se révèle aussi la source d'un pouvoir de marchandage qui les oblige à une forme de disponibilité permanente pour obtenir des commandes. Il en résulte une forme particulière de subordination à la plateforme qui altère fortement leur statut de travailleur indépendant.

Les travaux présentés dans cet article sont issus d'une thèse conduite entre 2019 et 2022. Cette recherche pluridisciplinaire porte sur les effets de l'usage de dispositifs numériques sur l'archéologie comme discipline et sur les archéologues dans leurs pratiques et leurs identités professionnelles. Elle a mobilisé et étudié de nombreuses sources documentaires inédites sur les cinq dernières décennies et a produit plus d'une centaine d'entretiens avec des professionnels de l'archéologie. Cet article propose d'abord de replacer les étapes et les modalités du déploiement des dispositifs et des pratiques numériques en archéologie dans l'histoire des méthodes et techniques de la discipline au xxe siècle. Il présente ensuite certains effets de ces pratiques, d'une part sur les conditions de possibilité des nouveaux savoirs archéologique et sur l'expérience sensible, d'autre part sur les identités professionnelles et les régimes de scientificité.

Sur la base de l'analyse de l'activité des agents d'une salle d'exploitation d'un opérateur de transport de marchandises, quotidiennement exposée aux aléas, cet article propose d'aborder des situations de travail au cours desquelles les agents agissent en marge ou hors du système d'information numérique (SIN), lorsque ce dernier s'avère inadapté aux contingences de la situation du fait de l'insuffisance ou de l'inadaptation de ses informations. Dans les situations les plus dégradées, les agents doivent pallier les dysfonctionnements du SIN. Chacune de ces situations souligne la nécessité pour eux de construire, développer et entretenir des ressources extérieures indépendamment du SIN.

L'article s'appuie sur une analyse qualitative des usages professionnels de l'application Microsoft Teams et interroge sa capacité à soutenir un travail dit « collaboratif ». L'analyse montre que l'ambivalence des usages est finalement révélatrice de l'ambiguïté même de la notion de collaboration, pourtant au cœur des discours sur les nouvelles formes organisationnelles. En effet l'analyse démontre que les usages collectifs, souvent impulsés par les managers hiérarchiques ou de projets, ne favorisent pas ou peu les dynamiques participatives et délibératives. En revanche, les cadres interrogés développent d'autres forme d'appropriations individuelles, et utilisent l'outil afin de mieux gérer leur multi-activité et leur engagement dans des collectifs nombreux. Ces constats permettent de montrer que Teams, loin de participer à l'émergence d'innovations organisationnelles et de management, révèle et renforce le risque de délitement des collectifs, d'éparpillement dans l'activité et de formes organisationnelles éclatées.

— Quel est le numéro pour contacter un conseiller RH ? demande Paul au robot. — Je ne comprends pas votre question, répond le chatbot en souriant béatement. Cet aveu illustre la difficulté des dispositifs techniques « intelligents » à aider les salarié·es et à appréhender plus largement ce qui caractérise les situations de vie humaine. Mais alors, en quoi ces chatbots, développés en masse dans les entreprises, constituent-ils de nouvelles ressources pour les activités ? Comment transforment-ils le travail ? Pour y répondre, cet article propose un regard holistique sur le déploiement de chatbots dans un grand groupe français – l'Entreprise. L'enquête explore d'abord le contexte qui pousse aujourd'hui les industriels à innover à tout prix. Elle montre, dans un second temps, comment les salarié·es du groupe parviennent à s'approprier ces dispositifs techniques, d'une manière différente de celle prévue par les dirigeant.e.s et les concepteur·trices.

Les systèmes d'information partagés (SIP) labellisés « maisons et centres de santé » constituent des dispositifs d'action publique visant à accompagner les politiques de restructuration de l'offre de soins. Destinés à l'exercice en maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) et pensés pour supporter la multidisciplinarité et le partage de l'information médicale, ils sont présentés comme des supports techniques pertinents pour l'amélioration de la qualité et de la continuité des soins. Pourtant, leur intégration aux pratiques des soignants rend compte des défaillances techniques et des résistances professionnelles qui, se nourrissant mutuellement, complexifient l'émergence d'usages communs des logiciels certifiés. Toutefois, les ajustements organisationnels – permis par les autorités de tutelles – et les redéfinitions successives des visées des SIP – effectuées par les professionnels – permettent la rencontre entre concepteurs-prescripteurs, usagers et dispositifs.

Cet article porte la focale sur l'introduction de logiciels métier dans le monde des archives publiques. L'acceptation inégale de cet outil par les archivistes conduit à une réflexion sur l'implication des utilisateurs dans les processus de conception et d'ajustement du logiciel métier. Réinsérer le projet de logiciel métier et son déploiement dans un système de valeurs et une organisation permet de repérer des éléments d'explicitation à l'intégration globalement inaboutie de l'outil. Si le processus d'introduction du logiciel métier témoigne d'une culture organisationnelle peu participative, la dimension technologique de l'outil – de par les compétences qu'elle requiert – accentue la relégation des agent∙e·s des sphères de définition des procédés de travail. L'exploration tend à montrer une reconfiguration formelle du rôle occupé par chacun dans la définition des dispositifs de travail plutôt qu'une transformation des rapports de force qui serait induite par le logiciel métier.

À partir d'une enquête qualitative reposant sur des entretiens menés auprès de 30 administrateurs et 23 directeurs techniques, cet article vise à saisir les modalités et les effets de la diffusion des systèmes d'information numériques (SIN) au sein des organisations théâtrales subventionnées, marquées par un processus de rationalisation. À cette fin, il s'agit d'interroger les diverses façons dont ces cadres, principaux relais des logiques gestionnaires, mettent en œuvre ces outils de gestion, et les effets de ceux-ci sur les pratiques et les relations de travail. L'analyse montre en quoi de tels outils, dont les progiciels de gestion, sont mobilisés à des fins de planification des ressources et de maîtrise des coûts. Ils occupent ainsi une place centrale dans l'activité des directeurs techniques et des administrateurs en leur permettant de contrôler la chaîne de production et de conforter leur légitimité professionnelle. Enfin cet article permet d'appréhender la manière dont ces dispositifs gestionnaires participent à la reconfiguration des formes d'encadrement comme des rapports de pouvoir entre ces cadres.

L'article examine les formes de représentation de groupes d'usagers qualifiés de minorisés lors de la numérisation de services au sein d'organismes d'intérêt général en Belgique. Il s'appuie sur une approche théorique à la croisée de la sociologie des inégalités sociales numériques et des études féministes en sociologie des sciences et des technologies. Il analyse les modalités de représentation des publics minorisés et leur capacité à rendre la numérisation plus inclusive. Les résultats révèlent l'ambivalence des dispositifs participatifs par rapport à la reconnaissance des perspectives d'usagers minorisés. Leur implication vise non pas à interroger la pertinence et l'utilité du futur service leur étant destiné, mais à améliorer l'efficacité de ses modes opératoires. L'analyse montre en filigrane que ces dispositifs participatifs contribuent surtout à favoriser l'acceptabilité sociale de services numériques auprès de publics qui en sont éloignés dans une logique de gouvernement des conduites.

Les systèmes d'information numériques (SIN) sont omniprésents dans tous les types d'organisations. Ils influencent en profondeur, et à long terme, le fonctionnement des organisations et la vie de leurs membres. Le dialogue autour de ces outils est nécessaire dans l'organisation. Ce texte porte sur un outil d'aide à ce dialogue. Il expose une méthode structurée, ISIDOR, construite par l'atelier de recherche SI2D, pour analyser et évaluer précisément l'impact d'un SIN sur la démocratie dans l'organisation. Une expérimentation de la méthode dans une organisation, réalisée dans le cadre d'un projet soutenu par l'ANACT, est ensuite présentée. Un bilan des points forts et des faiblesses de la méthode est établi.