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Revue Recherches Sociologiques et Anthropologiques Mir@bel
Numéro vol. 54, no2, 2023
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Les Gilets jaunes, entre solidarité mécanique et revendications organiques - Bruno Frère, Daniel Jaster p. 1-28 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Dès le début du mouvement des Gilets jaunes, les chercheuses et chercheurs sont partis dans des interprétations très diverses et parfois contradictoires. Dans cet article, nous proposons une revue de la littérature, aussi exhaustive que possible, des analyses produites sur les rassemblements des Gilets jaunes sur les ronds-points afin de dégager les arrière-plans politiques et les présupposés épistémologiques, qui sont à l'œuvre dans le champ académique à propos des Gilets jaunes. Nous proposons de mobiliser le double concept de solidarité mécanique et de solidarité organique suggéré par Durkheim, afin de montrer comment les principaux travaux publiés sur le mouvement font mon­tre d'une volonté identique : interroger le statut et l'action de l'État, au-delà de la mise en relief d'une solidarité communautaire recréée par les rassemble­ments sur les ronds-points. Nous faisons l'hypothèse que la littérature sur les Gilets jaunes, qu'elle soit ethnographique ou plus détachée du terrain, traduit chez ses auteurs l'adhésion à une requête identique : en redessinant le visage d'une nouvelle classe sociale périurbaine “précaire” ils en appellent à l'ouver­ture d'une plus large période historique au sein de laquelle divers acteurs sociaux viendraient non pas massivement rejeter la puissance publique, mais au contraire, réclamer d'une même voix de sa part la reprise d'un pacte social que les mouvements sociaux d'hier ont mis un siècle à lui arracher.
    From the outset of the Gilets Jaunes movement, scholars have pursued many interpretations, often diverse and occasionally contradictory. This article aims to offer a literature review, as exhaustive as possible, of the scholarly analyses concerning the Gilets Jaunes' demonstrations at traffic roundabouts. The purpose is to uncover the political and epistemological presuppositions that inform the academic discourse on the Gilets Jaunes. By invoking Durkheim's theoretical framework of mechanical and organic solidarity, this review reveals how predominant academic publications on the movement share a common intent: to question the state's status and its actions, beyond recognizing the reconstituted communal solidarity at these roundabout gatherings. The hypothesis presented here is that the spectrum of literature on the Gilets Jaunes, whether ethnographically engaged or more abstracted from empirical investigation, conveys a collective adherence to a singular plea by its authors. By charting the emergence of a new 'precarious' peri-urban social stratum, these authors advocate for the commencement of a wider historical phase wherein diverse social agents would not dismiss the authority of the state en masse. Instead, they would, collectively, urge the state to re-establish a social contract, a goal that social movements of the past have laboured over a century to achieve.
  • Le véganisme à l'épreuve de l'animalisme francophone - Sarah Deligne p. 29-53 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Alors que le mouvement animaliste se politise en Occident, il reste principale­ment compris comme un mouvement de promotion du véganisme. Cette vision s'écarte de la volonté d'émancipation animale dont se revendiquent les militants de la cause animale. C'est pourquoi, grâce à une enquête qualitative de trois années réalisée au sein du mouvement animaliste de France et de Bel­gique francophone, cet article s'est donné pour objectif d'investiguer le “para­doxe animaliste”, c'est-à-dire, le contraste existant entre centralité du véganisme pour le grand public et volonté d'émancipation animale portée par les militants animalistes. À cet égard, l'article présente le mouvement animaliste comme un mouvement social composé de deux cultures militantes au sens de Pleyers (2016), à savoir, la culture véganiste et la culture antispéciste. Il démontre que si la plupart des animalistes sont animés par un désir d'émancipa­tion animale (antispécisme), nombre d'entre eux choisissent de s'inscrire dans une stratégie véganiste. Celle-ci repose sur l'idée que le véganisme est une porte d'entrée pertinente pour mener à une société antispéciste du fait qu'il fait écho à de nombreuses problématiques contemporaines. C'est donc parce que le véganisme représente une alternative solide à différentes crises des sociétés capitalistes modernes qu'il devient l'axe d'action privilégié par les militants de la cause animale. Dès lors, la centralité du véganisme se traduit par une surreprésentativité des véganistes au sein du mouvement animaliste, pourtant porté par des acteurs se revendiquant de l'antispécisme.
    While the animal rights movement is becoming more politicized in the West, it is primarily understood as a movement promoting veganism. This perception diverges from the aim of animal emancipation espoused by animal rights activists. Consequently, this article, grounded in a three-year qualitative investigation within the animal rights movement of France and French-speaking Belgium, probes the "animalist paradox." This term encapsulates the discrepancy between the public's focus on veganism and the acti­vists' commitment to animal emancipation. The study characterizes the animal rights movement as embodying two distinct activist cultures, as conceptualized by Pleyers (2016): those of veganism and anti-speciesism. It elucidates that while a majority of activists are propelled by the goal of animal emancipation (anti-speciesism), a substantial number adopt a veganist approach. This approach posits that veganism serves as an effective conduit to an anti-speciesist society, reflecting its relevance to a multitude of current societal challenges. Veganism, posited as a formidable alternative to the crises plaguing contemporary capitalist societies, emerges as the strategic focal point for animal rights activists. This emphasis on veganism has led to its overrepresentation within the animal rights movement, despite the underlying anti-speciesist convictions of its proponents.
  • Le “traitement” des personnes malades mentales à l'heure de la désinstitutionnalisation - Antoine Printz p. 55-79 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article entend explorer les ressorts de la participation familiale au fonctionnement de l'institution psychiatrique, pensée essentiellement comme manière de configurer les relations en vue de “traiter” les personnes malades. Le travail effectué par les proches dans la sphère familiale est considéré, en tant qu'il s'aligne sur les moyens et les fins de l'institution, comme partie intégrante du traitement. À partir d'un matériau empirique qualitatif composite, nous montrons l' “idéologie de la famille” observée sur le terrain, qui induit et organise la prise en charge d'une partie non négligeable du travail socialement nécessaire de traitement. Les dimensions émotionnelles d'inquiétude et de culpabilité qui colorent l'expérience des proches sont ensuite explorées et mises en lien avec cette participation des proches au traitement.
    This article seeks to examine the role of family involvement in the functioning of psychiatric institutions, which is fundamentally viewed as a strategy for structuring relationships to facilitate the "treatment" of individuals with mental illness. The efforts made by family members within the home are regarded as a crucial component of treatment when they correspond with the institution's methodologies and goals. Drawing on a range of qualitative empirical data, the study highlights the "ideology of the family" as observed in practice, which prompts and organizes the family's engagement in a substantial portion of the treatment's socially necessary work. It then delves into the emotional aspects of anxiety and guilt that affect the experiences of relatives, connecting these emotions to their participation in the treatment process.
  • Sociological Responsibility: A Re-examination of Pierre Bourdieu's Critical Undertaking - Mathieu Hilgers p. 81-100 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article vise à reconstruire la contribution de Pierre Bourdieu à l'analyse du rôle du sociologue dans la cité en partant de deux niveaux de responsabilité qui traversent son œuvre. Le premier est lié à la qualité scientifique. Selon Bour­dieu, la sociologie peut contribuer à rendre le monde plus supportable en mettant en lumière les lois qui régissent le fonctionnement du social. L'étude scientifique des pratiques sociales présuppose l'objectivation des mécanismes qui gouvernent la production scientifique puisque celle-ci est une pratique an­crée dans le monde et soumise à des rapports de force et de sens. Cette objec­tivation permet de neutraliser certains biais sociaux et élève la rigueur épisté­mologique. Elle contribue à la pratique d'une science plus vertueuse, c'est-à-dire produite dans une autonomie plus forte et donc susceptible de fournir des résultats plus probants. Bourdieu estime que la prise de conscience des lois so­ciales participe à l'extension de la liberté des agents sociaux. Ainsi, la con­naissance sociologique engage une seconde responsabilité : elle vise à étendre le champ de la conscience sociale afin de pallier les inégalités produites par les structures objectives et de dynamiser la capacité de changement que recèle en lui chaque agent.
    This article aims to reconstruct Pierre Bourdieu's contribution to the analysis of the sociologist's role in society, starting from two levels of responsibility that run through his work. The first is related to scientific quality. According to Bourdieu, sociology can contribute to making the world more bearable by shedding light on the laws that govern the functioning of the social. The scientific study of social practices presupposes the objectification of the mechanisms that govern scienti­fic production, as this practice is deeply rooted in the world and subject to power relations and meaning. This objectification helps neutralize certain social biases and enhances epistemological rigor. It contributes to the practice of a more vir­tuous science, one produced with greater autonomy and therefore capable of pro­viding more convincing results. Bourdieu believes that the awareness of social laws contributes to the extension of the freedom of social agents. Thus, sociolo­gical knowledge entails a second responsibility: it aims to expand the field of social consciousness to address the inequalities produced by objective structures and energize the capacity for change that each agent inherently possesses.
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