Contenu du sommaire : Écologie et dominations (1)

Revue Actes de la recherche en sciences sociales Mir@bel
Numéro no 255, décembre 2024
Titre du numéro Écologie et dominations (1)
Texte intégral en ligne Accès réservé
  • Pages de début - p. 1-3 accès libre
  • La condition écologique des classes sociales : L'injustice environnementale à l'intersection des rapports de domination - p. 4-27 accès réservé
  • Des déchets au pied de chez soi : Domination matérielle et symbolique dans la légitimation des injustices environnementales en résidences HLM - Hadrien Malier p. 28-43 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Cet article s'intéresse aux logiques de la domination sociale qui (re)produisent l'inégale exposition des groupes sociaux aux préjudices environnementaux, à partir d'une enquête ethnographique sur le problème posé par l'accumulation de déchets aux abords de trois résidences HLM de banlieue parisienne. Alors que cette situation matérielle constitue une nuisance dont se plaignent souvent les locataires, les politiques locales de sensibilisation écologique contre le « jet d'ordures par les fenêtres » légitiment l'injustice environnementale en accusant les ménages d'en être les principaux responsables. Les injonctions genrées à la réforme écologique de soi par les bailleurs sociaux et les municipalités s'apparentent à une forme de contrôle social écologisé qui institutionnalise et diffuse des représentations disqualifiantes des styles de vie populaires. Ce contrôle a pour effet de réduire au silence les souffrances environnementales liées à cette dégradation du milieu de vie, d'en invisibiliser les causes structurelles et de nourrir des conflits internes au voisinage fondés sur des catégorisations racialisées. Au lieu d'être construite comme un problème environnemental affectant collectivement la qualité de vie des habitant·es, la présence de déchets dans les résidences sert de support à des dynamiques d'encadrement et de stigmatisation. À travers celles-ci, la domination symbolique participe à perpétuer la domination matérielle.
    This article examines the logics of social domination that (re)produce the unequal exposure of social groups to environmental damage, based on an ethnographic study of the problem posed by the accumulation of rubbish on the outskirts of three low-income housing estates in the suburbs of Paris. While this material situation is a nuisance often complained of by tenants, local policies to raise environmental awareness against “throwing garbage out of windows” legitimize environmental injustice by accusing households of being primarily responsible for it. Gendered injunctions to ecological self-reform by social landlords and city councils amount to a form of ecologized social control that institutionalizes and disseminates disqualifying representations of popular lifestyles. This control has the effect of silencing the environmental suffering associated with this degradation of the living environment, making its structural causes invisible and fuelling internal neighborhood conflicts based on racialized categorizations. Rather than being constructed as an environmental problem that collectively affects the quality of life of residents, the presence of rubbish in the residences supports the dynamics of framing and stigmatization. In this way, symbolic domination helps to perpetuate material domination.
  • Un entrepreneuriat écologique inégalitaire : Cadres-dirigeant·es et opérateurs de collecte face au verdissement du travail des déchets - Maud Hetzel p. 44-57 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Alors même que de nombreuses recherches ont mis en lumière les contributions inégales des individus à la crise climatique, la question des inégalités écologiques dans la sphère professionnelle reste un angle mort de la sociologie contemporaine. À partir d'une enquête ethnographique au sein d'une entreprise de collecte et de compostage des déchets alimentaires, cet article propose une analyse de la condition écologique des différentes catégories professionnelles en jeu – cadres et dirigeant·es d'une part, opérateurs de collecte d'autre part. Les résultats présentés permettent d'affirmer que le verdissement des activités productives reproduit et redouble, plus qu'il ne remet en cause, les inégalités écologiques. Tandis que les cadres et dirigeant·es tirent des profits symboliques de leurs reconversions professionnelles menées au nom de l'écologie, les opérateurs restent dans une position subalterne, qui les expose directement aux contradictions de l'entreprise en matière d'écologie.
    While numerous studies have highlighted the unequal contributions of individuals to the climate crisis, the question of ecological inequalities in the professional sphere remains a blind spot in contemporary sociology. Based on an ethnographic study of a food waste collection and composting company, this article analyses the ‘ecological condition' of the different professional categories involved – managers and executives on the one hand, and operators on the other. The results show that the greening of production activities reproduces and reinforces rather than challenges ecological inequalities. While managers and executives derive symbolic benefits from their professional reconversion in the name of ecology, operators remain in a subordinate position, directly exposed to the ecological contradictions of the company.
  • Une lutte de confort ? : Proximités et distances de classe dans la grève des factures énergétiques au Royaume-Uni - Garance Clément p. 58-79 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Parce qu'elles entrent en contradiction avec les politiques de transition énergétique et la montée en puissance d'une norme « éco-citoyenne », les aspirations au confort domestique restent peu indexées sur les sensibilités environnementales. Si on peut expliquer cette tension par l'inertie des styles de vie, l'article montre que l'expression de besoins en termes de confort découle aussi d'une remise en cause, par les politiques d'austérité, du caractère protecteur de la vie domestique vis-à-vis des mécanismes marchands. Il s'appuie sur le cas de la « grève des factures énergétiques » organisée entre 2022 et 2023 par le collectif britannique « Don't Pay UK ! ». Alors que les fractions cultivées et désargentées des classes moyennes apparaissent comme les plus susceptibles de réformer leurs pratiques ordinaires en faveur de la sobriété, cet épisode a au contraire vu des militant·es jeunes, urbains, diplômé·es, en affinité avec la gauche anticapitaliste, se détourner de l'écologie pour réclamer une baisse des tarifs du gaz et de l'électricité. À rebours de la recherche des profits distinctifs offerts par l'adhésion à la morale écologique, cette requalification des enjeux énergétiques tournée vers un droit à la consommation permet d'interroger la manifestation des besoins en confort là où ils sont d'ordinaire les plus euphémisés. Après avoir présenté les contours sociaux de la mobilisation, l'article étudie d'abord les stratégies de cadrage et d'alliance mises en œuvre par les militant·es, avant de s'interroger sur l'inscription de cette « lutte énergétique » dans leurs mondes privés. Il expose comment le collectif organisateur de la grève a cherché à opérer un rapprochement entre classes moyennes et classes populaires, dans l'optique de construire un mouvement de masse. Cette stratégie a néanmoins débouché sur des tentatives d'encadrement de la consommation d'énergie réaffirmant les frontières sociales. En dernière instance, la mobilisation a buté sur une inégale exposition de la sphère domestique aux conséquences de la hausse des prix – la perspective d'un retour au confort offrant aux militant·es les plus doté·es en capital économique une forme de réassurance sociale.
    Because they are at odds with energy transition policies and the rise of the “eco-citizen” norm, aspirations for domestic comfort remain little indexed to environmental sensitivities. While this tension can be explained by the inertia of lifestyles, the article shows that the expression of comfort needs also stems from a questioning, by austerity policies, of the protective character of domestic life vis-à-vis market mechanisms. It draws on the case of the “energy bill strike” organized between 2022 and 2023 by the British collective “Don't Pay UK!”. While the cultured and penniless fractions of the middle classes appear the most likely to reform their usual practices in favor of sobriety, this episode, on the contrary, saw young, urban, university-educated activists, with an affinity for the anti-capitalist left, turn away from ecology to demand lower gas and electricity tariffs. In the opposite direction to the search for the distinctive profits offered by adherence to an ecological morality, this recharacterization of energy issues as a right to consum allows us to question the manifestation of comfort needs where they are usually the most euphemized. After presenting the social contours of the mobilization, the article first examines the framing and alliance strategies employed by the activists, before looking at how this “energy struggle” was inscribed in their private worlds. It explains how the collective organization of the strike sought to bring together the middle and working classes, in order to build a mass movement. However, this strategy led to attempts to regulate energy consumption, thus reaffirming social boundaries. Ultimately, mobilization was hampered by the unequal exposure of the domestic sphere to the consequences of rising prices – the prospect of a return to comfort offered a form of social reassurance to those with the most economic capital.
  • Faire attention : Classes sociales et « maîtrise » de l'énergie - Rémy Caveng, Sylvain Thine p. 80-103 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    La consommation d'énergie se déploie dans l'ensemble des activités quotidiennes et résulte de déterminants multiples et entremêlés. Cette dépendance s'accompagne d'un discours et de dispositifs encourageant la sobriété et faisant appel à la responsabilité individuelle. Interroger ces prescriptions permet de les confronter aux systèmes de préférences, de besoins et de positionnement éthique en matière de confort et de propreté, liés aux propriétés sociales des individus ainsi qu'à leur distance à la nécessité. Cet article se penche sur les habitudes les plus banales, sur ces gestes accomplis sans y penser réellement – s'éclairer, se chauffer, se laver, repasser son linge, etc. – pour rendre compte des principes à l'origine des normes et des habitudes de vie en matière de consommation d'énergie. Pour cela, nous examinons les conditions sociales de possibilité de l'acquisition de dispositions portant à construire des habitudes d'attention aux consommations énergétiques et à leurs conséquences. Dans une première partie, nous montrons que les pratiques de consommation d'énergie s'ancrent dans des contextes socioéconomiques déterminés. Dans une seconde partie, par la construction d'un espace social des pratiques de consommation, nous caractérisons les différentes classes ou fractions de classes par leurs usages de l'énergie et les conditions dans lesquelles ils ont été générés. Se dessine ainsi une double opposition entre, d'une part, faire attention ou non et, d'autre part, entre apprentissage par cœur et apprentissage par corps des usages de l'énergie.
    Energy consumption permeates all daily activities and is the result of a complex of multiple determinants. This dependence is accompanied by a discourse and devices that encourage sobriety and appeal to individual responsibility. Questioning these prescriptions allows us to confront them with systems of preferences, needs and ethical positioning in terms of comfort and cleanliness, linked to the social properties of individuals as well as their distance from necessity. This article looks at the most banal habits, those gestures we perform without really thinking about them – lighting, heating, washing, ironing clothes, etc. – in order to understand the principles behind energy consumption norms and habits. To do this, we examine the social conditions that make it possible to acquire, or not, the dispositions that lead to the construction of habits of attention to energy consumption and its consequences. In the first part, we show that energy consumption practices are rooted in specific socio-economic contexts. In the second part, through the construction of a social space of consumption practices, we characterize the different classes or fractions of classes by their uses of energy and the conditions in which they were generated. This creates a double opposition between paying attention and not paying attention, on the one hand, and learning by heart and learning how to use energy by body, on the other.
  • Pages de fin - p. 108-110 accès libre