Contenu du sommaire
Revue |
Cahiers d'études africaines ![]() |
---|---|
Numéro | no 255-256, 2024/3-4 |
Texte intégral en ligne | Accès réservé |
- L'histoire au miroir de l'indépendantisme antillais. En mémoire de Jean-Pierre Sainton - Jean-Luc Bonniol p. 499-519 Au fil de souvenirs personnels est retracé l'itinéraire intellectuel de l'historien guadeloupéen Jean-Pierre Sainton, prématurément disparu à l'été 2023, itinéraire marqué par une articulation complexe entre sa militance nationaliste guadeloupéenne et son respect des exigences, tant scientifiques qu'éthiques, du métier d'historien. On remonte pour comprendre l'émergence de sa pensée à l'engagement indépendantiste de son père, l'un des fondateurs du GONG (Groupement des organisations nationalistes de la Guadeloupe), qui fut l'un des principaux accusés lors du procès qui suivit les émeutes de la Guadeloupe en 1967 (Jean-Pierre Sainton est alors âgé de 12 ans), marquées par une féroce répression. On suit ensuite sa formation universitaire, d'abord à Pointe-à-Pitre puis à Paris, et les débuts de sa vie militante. Puis on envisage son éloignement progressif de l'indépendantisme et sa conversion à la rigueur et aux exigences du métier d'historien dans les années 1990, alors qu'il intègre finalement l'Université des Antilles à la fin de la décennie. Son parcours dès lors concilie une fidélité à son identité guadeloupéenne et une approche véritablement historienne, se voulant fondée sur une grande rigueur critique, démarche exemplaire qui lui a permis de développer une histoire qu'il voulait « compréhensive ». Place doit lui être reconnue parmi les plus éminents historiens des Antilles.Through a personal memory, is traced the intellectual journey of the Guadeloupean historian Jean-Pierre Sainton, who died prematurely in the summer of 2023—an itinerary marked by a complex articulation between his Guadeloupean nationalist activism and his respect for the demands, both scientific and ethics, of the profession of historian. To understand the emergence of his thinking, we go back to the independence commitment of his father, one of the founders of the GONG (Group of Nationalist Organizations of Guadeloupe), who was one of the main accused during the trial which followed the riots in Guadeloupe in 1967 (Jean-Pierre Sainton was 12 years old at the time), marked by fierce repression. We then follow his university training, first in Pointe-à-Pitre then in Paris, and the beginnings of his activist life. Then we consider his gradual distancing from independence and his conversion to the rigor and demands of the profession of historian in the 1990s, when he ultimately joined the University of the Antilles at the end of the decade. His career from then on reconciles a loyalty to his Guadeloupean identity and a truly historical approach, intended to be based on great critical rigor, an exemplary approach which allowed him to develop a history that he wanted to be “comprehensive.” His place must be recognized among the most eminent historians of the Antilles.
- Les multiples facettes d'un anthropologue passionné, Emmanuel Terray (1935-2024) - Jean-Paul Colleyn p. 521-526 Emmanuel Terray, né en 1935 et décédé le 26 mars 2024 à l'âge de 89 ans, était à la fois philosophe, anthropologue, écrivain et militant progressiste. Il s'est efforcé d'appliquer un matérialisme historique non dogmatique. Directeur de l'Institut d'ethno-sociologie et professeur à l'Université d'Abidjan, il a mené des enquêtes chez les Dida et les Abron de Côte d'Ivoire. Son livre Une histoire du royaume Abron du Gyaman (1995) est en fait un traité d'économie politique de l'Afrique de l'Ouest. Devenu directeur de recherche à l'EHESS en 1984, il n'a cessé de militer pour le respect des droits humains, allant jusqu'à mener une grève de la faim pour soutenir des sans-papiers en 1998.Emmanuel Terray (1935-2024) was a French anthropologist, a writer and a political activist. He died on 26 March 2024 at the age of 89. Coming from philosophy, he made his a non-dogmatic form of Marxist analysis. He taught in Côte d'Ivoire at the University of Abidjan where he helped found and directed the Institute of ethno-sociology. He is the author of 15 books crossing the lines between philosophy, anthropology, history and literature. His book, Une histoire du royaume Abron du Gyaman [A History of the Abron Kingdom of Gyaman] (1995), in Côte d'Ivoire, is actually a treaty of political economy of West Africa. While research director at EHESS from 1984, Emmanuel Terray was also an engaged human rights activist, working tirelessly in favor of poor workers and immigrants.
Études et essais
- Le marxisme devant les sociétés « primitives » mais à la traîne de l'anthropologie ? - Jean Copans p. 527-557 Emmanuel Terray, qui vient de nous quitter, est l'un des pionniers de l'anthropologie marxiste française. Pourtant son ouvrage, Le marxisme devant les sociétés « primitives », publié en 1969 dans la célèbre collection « Théorie » dirigée par le philosophe Louis Althusser, n'est qu'un ouvrage réflexif qui s'efforce de mesurer l'adéquation des concepts marxistes de base à la nature des formations sociales précapitalistes africaines au travers d'une critique de la démarche de Meillassoux dans son anthropologie des Gouro de 1964. Après avoir présenté le contenu des deux études de l'ouvrage, l'article retrace à grands traits l'atmosphère post-stalinienne de la réinvention des sciences sociales françaises dans les années 1960-1970. Comparant tout aussi rapidement les manières différentes de marxiser l'anthropologie selon C. Meillassoux, M. Godelier et P.-P. Rey, et bien sûr E. Terray, l'auteur confirme l'approche uniquement ethnico-sociétale de tous ces chercheurs. La dimension consubstantiellement politique de l'analyse marxiste n'a évidemment pas échappé à Terray qui préfère pourtant distinguer nettement l'enquête empirique de certaines pratiques du militantisme. L'auteur regrette d'ailleurs en conclusion que la distanciation progressive de l'anthropologie par Terray l'ait peu conduit à utiliser sa discipline comme source d'information et d'analyse pour les engagements moraux et politiques dont il se réclamait (notamment la lutte pour la défense des sans-papiers). Sa perspective largement franco-centrée de la discipline et sa non-participation aux grands débats anthropologiques des années 1990-2010 confirment sa relecture purement philosophique des concepts marxistes et confirme la place plus symbolique qu'épistémologique de son programme théorique disciplinaire initial, ce qui semble contraire à l'esprit du marxisme lui-même.Emmanuel Terray, who passed away this year, was one of the pioneers of French Marxist anthropology. His book, Marxism and “Primitive” Societies: Two Studies (1972, trad. Mary Klopper) was published in French in 1969 as Le marxisme devant les sociétés « primitives » in the famous “Theory” series edited by Louis Althusser. In fact, it is a reflexive work which tries to demonstrate the accuracy of Marxist concepts applied to the analysis of precapitalist African social formations. This project is elaborated through a critical reading of the Gouro anthropology thesis published by Claude Meillassoux in 1964. The paper presents the content of the book then portrays the French post-Stalinist period of the 1960-1970's which witnessed the reinvention of French social sciences. It then compares quickly the various Marxist approaches of C. Meillassoux, M. Godelier and P.-P. Rey (and of course Terray) and defines them as a strictly ethnico-social approach. Of course, Terray puts clearly on the forefront the political dimensions of Marxist analysis but he distinguishes quite strongly empirical fieldwork and practical activism. In conclusion, the author of this paper regrets that Terray progressively distanced himself from the discipline of anthropology by stating that anthropology is finally of no great help for the elaboration of his political commitment and his very strong activism for the defense of illegal immigrants. His very French centered view of anthropology and his little involvement in the debates of the 1990-2000's confirm his purely philosophical rereading of Marxist theory and the symbolical and not at all epistemological conception of his initial analytical program — which contradicts the very spirit of Marxism.
- La salafisation de la société nigérienne face à l'État - Jean-Pierre Olivier de Sardan p. 559-582 Depuis le coup d'État de juillet 2023 au Niger, deux groupes d'acteurs occupent le devant de la scène politique au Niger : les militaires et les jihadistes. Mais il ne faut pas oublier un troisième pôle, les salafistes, moins visibles de l'extérieur, mais qui ont une réelle base populaire et qui, comme les deux premiers, sont eux aussi hostiles à fois au système démocratique et à la suprématie occidentale. L'idéologie salafiste, qui prêche l'intolérance, est devenue peu à peu incontournable au Niger, et voudrait substituer un État islamique à l'État laïc. Cet article, après avoir rappelé l'évolution des rapports entre l'islam et l'État au Niger, décrit le processus de salafisation de la vie quotidienne au Niger, tant dans la sphère sociale que dans la sphère publique. Mais, à ce jour, le salafisme n'a pas pénétré directement l'arène politique.Since the coup in Niger in July 2023, two groups have come to the forefront of Niger's political scene: the military and the jihadists. But we should not forget a third group, the Salafists, who are less visible from outside, but who have a real popular base and, like the first two, are also hostile to both the democratic system and Western supremacy. The Salafist ideology, which preaches intolerance, has gradually become unescapable in Niger, and aims to replace the secular State with an Islamic one. After recalling the evolution of relations between Islam and the State in Niger, this article describes the process of Salafization of everyday life in Niger, in both the social and public spheres. To date, however, Salafism has not directly penetrated the political arena.
- Making the Vodun: The Concept of Assemblage, Beyond the Fetish and the God-Object - Alessandra Brivio p. 583-605 Par l'analyse de deux cas ethnographiques, cet article interroge le rôle de la matière dans les pratiques vodun en Afrique de l'Ouest. Il s'intéresse en particulier à la fabrication du vodun qui passe par la manipulation et l'assemblage de matières. Prenant au sérieux les paroles des personnes impliquées dans ces pratiques, l'article propose de défaire les dichotomies entre matériel et spirituel, visible et invisible, humain et non humain, en recourant à la notion d'assemblage. L'assemblage désigne une formation hybride qui mêle humains et non-humains ; l'ethnographie semble confirmer cette relation dialogique au sein de laquelle les premiers reconnaissent le pouvoir inhérent à la matière elle-même. Ainsi, les humains perdent une partie de leur centralité, tandis que le vodun gagne en autonomie, et la conceptualisation de ce qu'est un phénomène religieux se rapproche du point de vue des pratiquants. La notion d'assemblage permet de dépasser en partie les problèmes que la catégorie du fétichisme avait historiquement produits et de développer le concept de dieu-objet dans le sens d'une plus grande symétrie entre les agents impliqués.Through the analysis of two ethnographic cases, the aim of this article is to discuss the role of matter in vodun practices in West Africa. The focus is on the making of vodun through the manipulation and assembly of matter. Taking seriously the words of people involved in these practices, the article proposes to dissolve the dichotomies between material and spiritual, visible and invisible, human and non-human, bringing forward the notion of assemblage. Assemblage indicates a hybrid formation that mixes humans and non-humans, and ethnography seems to confirm the dialogic relationship between humans and non-humans, where the former recognizes the power inherent in the matter itself. In this way, humans lose some of their centrality, whilevodun gain more autonomy, and the conceptualization of what a religious phenomenon is comes closer to the practitioners' point of view. The notion of assemblage partly overcomes the problems that the category of fetishism had historically produced and expands the idea of the god-object (dieu-objet) in the direction of greater symmetry between the agents involved.
- Les tirailleurs du Cameroun face à la politisation de l'espace colonial et à l'émergence du mouvement nationaliste (UPC), (1944-1960) - Léonel Noubou Noumowe p. 607-633 Au moment où se mettent en place les vagues de démobilisation de tirailleurs partout dans l'Empire colonial, certains territoires connaissent de profondes mutations sociales et politiques. Au Cameroun, territoire soumis à l'effort de guerre depuis l'avènement de la France libre en 1940, des émeutes urbaines éclatent dès 1945, singulièrement dans la cité portuaire de Douala où, en plus des revendications syndicales, des tirailleurs français et britanniques sont démobilisés et stationnés. Confrontées à la crise des moyens de transport et d'acheminement de tirailleurs dans leurs colonies d'origine, les autorités coloniales sont sous la pression de revendications de ces soldats, issus de deux armées coloniales et aux conditions matérielles de démobilisation différente. Outre cette double contrainte, la pression des mouvements syndicaux, qui voient le jour avec la conférence de Brazzaville, aboutit à la structuration de l'Union des populations du Cameroun (UPC) en 1948 : en ambitionnant de renverser l'ordre colonial, ce mouvement nationaliste entend fédérer la colère des tirailleurs démobilisés contre le pouvoir colonial qui, en retour, use de tous les moyens pour fidéliser et tenir ces soldats à l'écart des revendications nationalistes. Entre projet nationaliste et promesses du pouvoir colonial, les tirailleurs du Cameroun adoptent un positionnement pluriel, à mi-chemin entre leurs intérêts propres et leurs opinions politiques, sous les regards d'une opinion publique coloniale de plus en plus politisée.At the same time as waves of demobilisation of riflemen (“tirailleurs”) were taking place throughout the colonial empire, certain territories were experiencing profound social and political changes. In Cameroon, a territory subjected to the war effort since the advent of Free France in 1940, urban riots broke out in 1945, particularly in the port city of Douala where, in addition to trade union demands, French and British riflemen were demobilised and stationed. Faced with a crisis in the means of transport and the transportation of riflemen to their colonies of origin, the colonial authorities were under pressure from the demands of these soldiers, who came from two colonial armies and whose material conditions for demobilisation were different. In addition to this double constraint, the pressure of trade union movements, which emerged with the Brazzaville conference, led to the structuring of the Union des Populations du Cameroun (UPC) in 1948: by aiming to overthrow the colonial order, this nationalist movement intended to federate the anger of demobilised infantrymen against the colonial authorities, who in return used all means to keep these soldiers loyal to the nationalist demands. Between the nationalist project and the promises of the colonial power, the “tirailleurs” of Cameroon adopted a plural positioning, halfway between their own interests and their political opinions, under the gaze of an increasingly politicised colonial public opinion.
- Enfance et adolescence sénégalaises transnationales : enchevêtrements moraux au fil d'une double socialisation entre pays d'accueil et Sénégal - Nicolas Mabillard p. 635-662 Cet article traite des pratiques de confiage d'enfants et d'adolescents vivant dans des familles transnationales dont les membres résident au Sénégal et en Autriche. L'analyse se fonde sur des récits biographiques, des entretiens et des phases d'observation directe portant sur un cas contextualisé. Elle explore les points de tension et les enjeux de la double socialisation de ces jeunes en se focalisant sur leurs vécus et leurs points de vue, particulièrement leur apprentissage et leur usage de valeurs sénégalaises, à savoir la retenue (kersa), la discrétion (sutura) et l'embellissement (rafetal). Ces jeunes sont discriminés tant en Autriche qu'au Sénégal. L'appel à une réciprocité future qu'instiguent les dons de membres de leur famille provoque des tensions. Les efforts consentis à la socialisation transnationale des premiers-nés portent aussi l'enjeu de leur exercice futur du rôle de chef de maison.This article focuses on child and adolescent fostering within transnational families whose members reside in Senegal and Austria. The analysis is based on biographical accounts, interviews and direct observation of a contextualized case. It explores the points of tension and the issues at stake in the dual socialization of these young people, concentrating on their experiences and points of view, especially the ways in which they learn and use Senegalese values such as restraint (kersa), discretion (sutura) and embellishment (rafetal). These young people are discriminated against in both Austria and Senegal. The call for future reciprocity instigated by gifts from family members causes occasional tensions. The considerable efforts put in to socialize a first-born in a transnational setting point also to their future role as head of household.
- De l'absence de condamnation et de disculpation malgré la profusion de récits alimentant les investigations sorcellaires en pays éwé au Togo - Coline Desq p. 663-683 Décembre 2017. À Hanyigba-Todzi, un village du sud-ouest du Togo en pays éwé, une femme avoue publiquement avoir proféré des malédictions qui auraient causé plusieurs décès. Certains la soupçonnent d'être une sorcière, d'autres la pensent folle et innocente. Les ragots vont bon train mais, malgré la profusion de récits que génère cette affaire, la femme ne sera ni disculpée ni condamnée. Différents facteurs l'expliquent, tels que la pentecôtisation de la société, l'affaiblissement du pouvoir de la chefferie, chargée de juger les personnes accusées de sorcellerie, mais également des stratégies individuelles : certains ont intérêt à l'accuser ou à l'innocenter alors que d'autres préfèrent éviter de se prononcer pour se protéger.December 2017. In Hanyigba-Todzi, a village in Ewe country in southwestern Togo, a woman admitted in public she had uttered curses that might have caused several deaths. Some suspected she was a witch, others thought she was crazy and innocent. Gossiping was rife, but despite the profusion of narratives which this event generated, the woman was neither exonerated nor convicted. Several factors account for this outcome, such as the pentecostalisation of society, the weakening of the power of the chieftaincy, responsible for judging people accused of witchcraft, but also individual strategies: some had an interest in accusing or exonerating her, while others opted out to protect themselves.
- De la boîte de nuit à l'Assemblée nationale : genre, morale et rap au Cameroun - Jean-Marcellin Manga p. 685-711 Ce texte examine la manière dont un titre de rap (« Coller la petite »), voulu au départ pour faire danser, est devenu, par la suite, un objet de controverse publique. Il en recontextualise l'itinéraire tout en faisant ressortir la complexité des enjeux la concernant. L'« affaire Coller la petite » est envisagée ici premièrement comme une porte d'entrée pour analyser ce que le scandale de départ nous apprend sur la façon dont les rappeurs contemporains créent du débat public concernant les problématiques liées au genre. Deuxièmement, l'article montre de quelle façon cette affaire informe sur la politisation de la musique dans la gouvernance politique au Cameroun. Il discute précisément l'instrumentalisation de la question morale par le politique en faisant l'hypothèse que l'État a cherché à tirer avantage de l'« affaire Coller la petite » pour tenir un discours légitimant une morale de l'État dans l'espace public.This paper examines the way in which a rap song (“Coller la petite”), originally intended to get people dancing, subsequently became an issue of public controversy. It recontextualizes the song's trajectory and highlights the complexity of the issues at stake. The “Coller la petite affair” is envisaged as an avenue for analysing what the original scandal tells us about the way in which contemporary rappers create public discussion about gender issues. Secondly, it shows how this case informs the politicisation of music in political governance in Cameroon. Specifically, it discusses how a moral perspective was used by politicians by assuming that the State sought to take advantage of the “Coller la petite affair” with a view to legitimise the State's morality in the public space.
- La parentalité : premiers travaux anthropologiques et africanistes - Yazid Ben Hounet p. 713-730 Entre la fin des années 1920 et les années 1960, on voit se développer quelques travaux autour du concept de parenthood (parentalité), à partir de recherches ethnographiques en Afrique. Cet article éclaire ce développement des recherches dans le domaine des études de la parenté. Il précède et explique en partie l'orientation des travaux majeurs d'Esther N. Goody. Il s'agira ici de sonder les avancées, mais aussi les limites, d'une tradition mineure de l'étude anthropologique de la parenté — formalisée par Bronislaw Malinowski, poursuivie empiriquement par Isaac Schapera et Meyer Fortes — portant sur la procréation, la petite enfance, les tendres soins, la vie familiale et l'éducation ; en somme sur la parentalité, telle que nous l'entendons de nos jours.Between the late 1920s and the 1960s, a number of studies based on ethnographic research in Africa developed around the concept of parenthood. This article examines this development in the field of kinship studies. It precedes and partly explains the orientation of Esther N. Goody's major works. The aim is to explore the advances, but also the limitations, of a minor tradition in the anthropological study of kinship—formalised by Bronislaw Malinowski and continued empirically by Isaac Schapera and Meyer Fortes—which focuses on procreation, infancy, tender care, family life and education; in short, on parenthood as we understand it today.
- Diviser et régner. Géopolitique des limites des unités administratives et construction de l'État au Cameroun (région de l'Ouest) - Gaëtan Omgba Mimboe p. 731-765 Cette étude examine la construction de l'État à travers l'organisation du territoire. Elle cherche à comprendre comment l'État se déploie en créant des unités administratives par le biais du découpage territorial. En procédant ainsi, l'État marque sa présence sur son territoire. La fabrique du territoire s'opère également par l'établissement des structures disciplinaires qui assurent la sécurité et la régulation du flux populationnel d'une circonscription administrative à une autre. Ce maillage territorial n'est pas homogène en raison du chevauchement entre les limites des circonscriptions administratives et celles des unités de commandement traditionnel. Aussi, il appert que cette volonté de maîtriser le territoire est influencée par des dynamiques sociales et des contraintes culturelles.This study examines the construction of the State through territorial organization. It seeks to understand how the State in Cameroon deploys itself by creating administrative units through territorial division. In so doing, the State does not only divide, but also marks its presence on its territory. It also establishes disciplinary structures that ensure the security and regulation of the flow of people from one administrative district to another. We need to understand that this territorial mesh is not absolute, however, as the boundaries of administrative districts and traditional command units continually overlap. It also appears that the desire to control the territory is influenced by social dynamics and cultural constraints.
- Le marxisme devant les sociétés « primitives » mais à la traîne de l'anthropologie ? - Jean Copans p. 527-557
Notes et documents
- Visibilité et invisibilité dans l'espace public algérien : les stratégies des femmes mozabites pour se voiler au M'Zab et à El-Eulma - Nora Gueliane, Kaouther Abderrezek p. 767-793 Cet article, centré sur l'usage du corps et le style vestimentaire, interroge ce que ceux-ci nous disent du respect des normes de genre et de la capacité, ou de la volonté, de transiger avec celles-ci ou de se les réapproprier à son avantage. Il se fonde sur une étude portant sur des femmes mozabites vivant dans leur territoire d'origine (le M'Zab), et dans un territoire d'accueil, la ville d'El-Eulma (Setif). La comparaison entre ces deux espaces permet d'éclairer et de mesurer le décalage entre les usages du corps et du vêtement selon le poids démographique et la force des liens de sociabilité. Le port du voile aḥouli, accessoire qui, au M'Zab, sert à l'invisibilité des femmes mozabites, se révèle accroître leur visibilité ailleurs, de sorte que celles-ci peuvent vouloir l'ôter pour gagner en invisibilité.This paper focuses on body use and clothing style, and what they tell us about respect for gender norms and the ability, or willingness, to compromise with these norms or to reappropriate them to one's own advantage. It is grounded upon the study of Mozabite women living in their native territory (the M'Zab) or in a host area, El-Eulma town (Setif). A comparative study between these places sheds light on the difference between the use of body and clothing according to demographic weight and the strength of social relations. Wearing the aḥouli veil, a tool of invisibility for Mozabite woman in M'Zab, turns out to increase their visibility elsewhere, which explains why, in search of greater invisibility, they may opt for removing it.
- Écrits épiques royaux et identité politique guerrière au royaume bamoun (Cameroun) - Aïcha Pemboura p. 795-816 Cet article démontre comment Histoire et coutumes des Bamum, un ouvrage de l'emblématique souverain bamoun Ibrahim Njoya, a contribué à construire et à diffuser, dans la mémoire culturelle de la communauté bamoun, une culture stratégique de la guerre fondée essentiellement sur le souvenir des glorieux souverains guerriers bamoun et des stratégies belliqueuses dont ceux-ci usaient. La grandeur perçue et perpétuée du royaume bamoun dans le Cameroun aujourd'hui tient à la diffusion d'une histoire épique des traditions martiales et de la résistance aux conquêtes extérieures. C'est par la transmission d'écrits vernaculaires mais aussi par l'oralisation de ces textes — en particulier par les héritiers d'une notabilité palatine bamoun devenus les dépositaires des traditions du royaume — qu'est reconduite cette épopée guerrière, mythe fondateur d'une identité politique bamoun constamment ravivée.This article demonstrates how History and Customs of the Bamum, a book by the emblematic Bamun sovereign Ibrahim Njoya, contributed to building and disseminating, in the cultural memory of the Bamum community, a strategic culture of war that relies essentially on the remembering of the Bamum glorious war sovereigns and their warlike strategies. The perceived and perpetuated greatness of the Bamun Kingdom in Cameroon today is due to the dissemination of an epic story of martial traditions and resistance to external conquests. It is through the transmission of vernacular writings but also through the oralization of these texts—in particular by the heirs of a Bamun palatine notability that became the custodians of the traditions of the kingdom—that this war epic account is passed on, becoming the founding myth of a constantly revived Bamun political identity.
- Visibilité et invisibilité dans l'espace public algérien : les stratégies des femmes mozabites pour se voiler au M'Zab et à El-Eulma - Nora Gueliane, Kaouther Abderrezek p. 767-793
Chronique bibliographique
- L'œuvre de l'historien américain Richard Roberts sur le Soudan français - Jean-Paul Colleyn p. 817-828 L'auteur revient sur l'œuvre de l'historien américain Richard Roberts consacrée au Soudan français, ancienne colonie française correspondant à l'actuel Mali. Il se concentre notamment sur son dernier livre, Mademba Seye, Fama de Sansanding. Conflits coloniaux, État de droit et collaboration négociée.The author analyses the eminent contribution of Richard Roberts to the history and anthropology of French colonization in French Sudan (Mali). He focuses on Robert's latest book titled Mademba Seye, Fama de Sansanding. Conflits coloniaux, État de droit et collaboration négociée .
- Amselle Jean-Loup, Critique de la raison animiste - Amélie Aristelle Ekassi p. 829-833
- Cissokho Sidy, Le transport a le dos large. Les gares routières, les chauffeurs et l'État au Sénégal (1968-2014) - Sylvie Ayimpam p. 833-837
- Fontrier Marc, Atlas généalogique du peuple somali - Alain Gascon p. 838-840
- Härnä Joanna, Low-Fee Private Schooling and Poverty in Developing Countries - Nathalie Bonini p. 840-843
- Jacob Jean-Pierre, Les Winye du centre-ouest Burkina Faso. Mort, mariage et naissance dans une société de la frontière - Anne Fournier p. 843-846
- Lebhour Karim, Defait Vincent (scénario), Trinidad Léo (dessin), Une saison en Éthiopie. Chinafrique, état d'urgence et macchiato - Alain Gascon p. 846-849
- Samson Abebe Bezabeh, Djibouti. A Political History - Simon Imbert-Vier p. 849-851
- Tallier Pierre-Alain, Van Eeckenrode Marie & Van Schuylenbergh Patricia (dir.), Belgique, Congo, Rwanda et Burundi. Guide des sources de l'histoire de la colonisation - Léon Saur p. 852-857
- Vidal Laurent, Si belle en son miroir. Singularités et marginalisations de l'anthropologie - Amalia Dragani p. 858-860
- L'œuvre de l'historien américain Richard Roberts sur le Soudan français - Jean-Paul Colleyn p. 817-828