Contenu du sommaire : Stratégies anticapitalistes pour le XXIe siècle

À partir d'un retour sur quelques crises politiques du XXe siècle (1934-1938 en France, Chili 1970-1973, Portugal 1974-1975), Ugo Palheta revient sur une question stratégique fondamentale : un dépassement du capitalisme sans rupture est-il possible ? Dialoguant avec Erik Olin Wright, il répond par la négative tout en soulignant combien, si les utopies réelles constituent des éléments de socialisme déjà là, le démantèlement du capitalisme rencontrera des oppositions telles que seul un processus révolutionnaire – supposant une mobilisation populaire de masse – pourra le mettre à bas.

Quel bilan peut-on tirer de l'exercice du pouvoir dans trois pays où les tentatives de rompre avec le néolibéralisme ont été les plus abouties depuis le début du XXIe siècle ? Au regard de l'histoire, le bilan s'avère au final mitigé. Si ces expériences ont permis une certaine redistribution des richesses, elles sont toutes les trois marquées d'un biais extractiviste. Surtout, elles ont été progressivement affectées par des décisions politiques ayant entraîné une bureaucratisation, une coupure croissante avec les mouvements sociaux, voire des tournants autoritaires qui invitent à envisager autrement la question du pouvoir à des fins de changement social.

Alors que l'État est, d'une manière ou d'une autre, situé au cœur de la plupart des perspectives critiques actuelles, tout se passe comme s'il demeurait relégué à l'arrière-plan des débats stratégiques qui traversent les différents mondes de l'anticapitalisme. Cet article explore les raisons de ce paradoxe et esquisse certaines des pistes permettant de réinscrire la question de l'État au sein des mobilisations émancipatoires.

Est-il possible de dépasser l'alternative stratégique entre prendre le pouvoir ou y échapper ? Des positions au sein des institutions publiques peuvent-elles renforcer les institutions populaires qui y sont extérieures ? Cet article analyse les propositions stratégiques d'Erik Olin Wright à l'aune de l'expérience du municipalisme à Barcelone (2015-2023), qui visait à transformer les mairies de l'intérieur en les ouvrant à la participation des mouvements sociaux.

Est-il encore possible de faire de l'exercice du pouvoir local un vecteur de transformation sociale ? À quelles conditions la prise du pouvoir peut-elle freiner les dynamiques de marchandisation, voire constituer un grain de sable anticapitaliste ? Nous avons voulu aborder ces questions avec Éric Piolle, maire de Grenoble depuis dix ans. S'il pointe les transformations induites sous ses mandats successifs, notamment en termes d'accès aux services publics, il souligne à la fois les contraintes financières qui limitent les capacités d'action politiques, mais aussi la fragilité des contre-pouvoirs quand une partie d'entre eux est absorbée par l'institution.

Dans quelle mesure les réponses aux crises climatiques et environnementales doivent-elles adopter une perspective résolument anticapitaliste ? Comment s'articulent d'un point de vue stratégique pensées environnementales et anticapitalisme ? Quelles options stratégiques sont à l'œuvre ? Comment, en particulier, articuler mouvements sociaux ou formes écosyndicales et rôle potentiel de l'État dans la planification écologique ? Nous avons voulu en débattre à l'occasion d'une table ronde lors du colloque « Stratégies anticapitalistes pour le XXIe siècle ». Elle rassemble Hendrik Davi, Claire Lejeune et Adrien Roux. La discussion est animée par Romane Rozencwajg.

Pourquoi une décennie de mobilisations, suivie d'une révolte sociale massive et d'une Convention ayant intégré les revendications des manifestant·es, n'ont-elles pas réussi à changer la Constitution politique héritée de la dictature militaire au Chili ? Cet article décrit les caractéristiques de ces processus, en examinant leurs forces et leurs faiblesses dans l'effort de changement constitutionnel. L'auteur constate ici que l'un des principaux défis à relever concerne l'amélioration de la communication politique.

De l'Argentine à l'Irlande en passant par l'Inde, les États-Unis, l'Iran, le Maroc, l'Espagne ou la France, les mobilisations féministes qui ont essaimé aux quatre coins du monde dans la décennie 2010, avec un coup de projecteur médiatique à partir de l'automne 2017 et de la diffusion mondiale du mouvement #MeToo, ont bouleversé aussi bien les fondements de l'ordre du genre que les revendications et les modes d'action et de fonctionnement des mouvements sociaux. Or cette dynamique féministe, et la manière dont les féministes abordent les questions de travail, de stratégies et d'émancipation collective, sont le fruit d'une longue histoire de luttes. Pour éclairer ces enjeux, Mouvements s'est entretenu avec l'historienne Fanny Gallot et la sociologue Pauline Delage.

Lutter contre l'exploitation du travail implique de lutter contre le racisme et le sexisme. En décortiquant les mécanismes du travail migrant, Daniel Veron montre en quoi sa fonctionnalité spécifique dans le capitalisme tient au fait qu'il combine les différences associées à la citoyenneté, au genre et à la race pour délimiter des segments du marché du travail assignés aux emplois les plus pénibles et les moins rémunérés. L'égalité des droits apparaît alors comme le seul horizon capable de remettre en cause ce système d'exploitation différenciée.

L'étude des squats indique combien les prises de position stratégiques sont relationnelles. Alors que certaines expériences cherchent à nouer des relations avec l'État et le marché, d'autres radicalisent en réaction leurs pratiques, pour marquer leur rupture avec l'ordre capitaliste. Cette position contribue à entretenir et à renouveler la critique anticapitaliste. Mais face à l'ampleur de la tâche, exclure l'une ou l'autre de ces options stratégiques apparaît comme un luxe au prix trop élevé, pour les squats comme pour les autres formes d'engagement.

La stratégie communaliste vise à remplacer les institutions de l'État et du capitalisme par une confédération de communes autogouvernées. Afin de construire ces communes libres, il s'agit de reprendre les municipalités en faisant élire des candidat·es qui lieraient leurs mandats municipaux aux décisions d'assemblées populaires extra-institutionnelles. À partir de l'étude du mouvement des assemblées des Gilets jaunes de Commercy et de la liste présentée aux élections municipales de 2020, cet article revient sur les difficultés que ce mouvement a rencontrées en tentant de subvertir le jeu politique de l'intérieur sans être pris par lui.

Quels sont les défis inhérents à la construction des utopies réelles au XXIe siècle ? Dans quelle mesure l'infiltration de logiques capitalistes et étatiques menace-t-elle les principes fondateurs de l'utopie et sa viabilité à long terme ? Comment concilier les aspirations utopiques avec les réalités subalternes ? Ces questions sont cruciales pour comprendre les dynamiques au cœur d'Auroville, un projet qui, depuis sa création en 1968, cherche à mettre à l'échelle son geste utopique inscrit dans un contexte à la fois local et global.

Les coopératives figurent en bonne place parmi les alternatives concrètes au capitalisme. En ouvrant la boîte noire d'une relance d'entreprise pilotée par des syndicalistes, Willy Gibard montre toutefois que l'expérience coopérative n'est pas toujours synonyme d'émancipation. La relance en coopérative a certes renforcé les espaces de participation au travail, mais en redéfinissant tant le rôle du syndicat que la nature des rapports entre cadres et ouvrier·es, elle déstabilise les repères qui permettaient aux ouvrier·es de développer un rapport mobilisé à leur travail.

Nous sommes au début des années 2020, quelque part dans une ville d'Europe, une flotte de livreurs sillonne les routes ou attend que le téléphone sonne. Tous sont des travailleurs1 ubérisés… Tous ? Non ! Une poignée de riders2 résiste encore et toujours au capitalisme de plateforme : ils multiplient les « grèves-déconnexion », les manifestations publiques et les actions en justice. Face aux géants de la gig economy (« économie des petits boulots »), une fraction de ces « nouveaux prolétaires » s'est même lancée sur le sentier escarpé de l'autogestion.

La théorie des communs explique comment des « commoneur·es » s'auto-organisent pour gérer durablement des ressources partagées, en dehors des cadres institutionnels du marché et de l'État. Toutefois, cette théorie n'intègre pas suffisamment les stratégies déployées pour se prémunir contre les menaces du capitalisme et de l'État et pour se développer en transformant ce dernier à leur avantage. En s'appuyant sur les travaux du sociologue Erik Olin Wright, cet article défend l'hypothèse selon laquelle ces stratégies politiques sont cruciales pour expliquer la soutenabilité des communs dans le temps. Leur intégration dans la théorie des communs enrichirait non seulement la compréhension des facteurs assurant leur pérennité, mais fournirait également des outils tactiques essentiels pour les acteurs du mouvement des communs qui cherchent à les instituer comme un modèle structurant de notre société.

Dans cet entretien, Sophie Binet revient sur sa trajectoire personnelle, professionnelle et militante, depuis ses premiers engagements à la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) et dans les mouvements lycéens et étudiants, jusqu'à son accession au secrétariat général de la Confédération générale du travail (CGT), en mars 2023. De la remise en cause du management néolibéral au combat contre l'extrême droite, en passant par les relations entre syndicats et partis politiques et les conditions de possibilité de mouvements de masse, elle nous livre sa vision du rôle des syndicats dans la lutte contre le capitalisme. L'entretien a été mené avant la dissolution de l'Assemblée nationale. Les propos de Sophie Binet permettent toutefois de comprendre le rôle qu'a su jouer la CGT dans la dynamique du « nouveau front populaire ».