Contenu du sommaire : Inertie des politiques écologiques

Revue Politix Mir@bel
Numéro vol. 36, no 144, 2023
Titre du numéro Inertie des politiques écologiques
Texte intégral en ligne Accès réservé
  • Éditorial - p. 3-5 accès libre
  • Dossier. Inertie des politiques écologiques

    • La transition écologique à l'épreuve des sciences sociales du politique - Frédéric Nicolas, Gabriel Montrieux, Aïcha Bourad p. 9-35 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Face à la crise climatique, l'injonction à agir urgemment n'a jamais été aussi présente, mais contraste avec la forte inertie des politiques écologiques. Ce numéro de Politix prend le parti d'adopter une approche de sociologie générale et de sciences sociales du politique qui consiste à reconnaître la dimension particulièrement agonistique de la fabrique des politiques écologiques, tant dans l'espace social en général que dans les champs politique, bureaucratique et économique ou dans l'espace des mouvements sociaux et environnementaux. L'inertie des politiques écologiques est dès lors appréhendée à la fois comme le produit de structures sociales de domination et comme le vecteur de leur reproduction. Les groupes et acteurs sociaux qui occupent au sein de ces structures des positions dominantes sont parvenus non pas à rejeter les injonctions environnementales, mais à les rendre compatibles avec la préservation de leurs positions dominantes. Participant de différentes manières à la (re)définition et à la mise en œuvre de politiques écologiques, ces acteurs participent à dessiner les contours d'une question environnementale qui s'impose sans modifier en profondeur l'état des rapports sociaux.
      In the face of the climate crisis, the call to act urgently has never been stronger, but this contrasts with the inertia of ecological policies. This issue of Politix adopts an approach based on general sociology and on social and political sciences, which consists in recognizing the particularly agonistic dimension of the making of ecological policies both in the social arena in general and in the political, bureaucratic and economic fields, as well as in the arena of social and environmental movements. The inertia of ecological policies is thus seen both as the product of social structures of domination and as the vector of their reproduction. The groups and social actors who occupy dominant positions within these structures have managed not to reject environmental injunctions, but to make them compatible with the safeguarding of their dominant positions. Participating in various ways in the (re)definition and implementation of ecological policies, these actors are helping to outline an environmental issue which is establishing itself without fundamentally altering the state of social relations.
    • Dégoût de l'excessif et production de l'écologie dominante - Jean-Baptiste Comby p. 37-66 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Si l'écologisation des expériences bourgeoises du monde prend des tournures différentes en haut à gauche et en haut à droite de l'espace social, elle se heurte de part et d'autre à l'inertie des styles de vie et se révèle fuyante. Les membres de la bourgeoisie culturelle regrettent ce désajustement entre leur volontarisme écologique et sa traduction pratique, quand celles et ceux du pôle économique l'assument comme une expression de leur pragmatisme. Dans les deux cas, ces écologisations jugées imparfaites favorisent la formation, l'activation et l'actualisation d'une disposition réformatrice qui atteste la proximité idéologique de ces deux fractions de classe par-delà leurs styles de vie contrastés. Fondé sur une analyse couplant quarante-quatre entretiens approfondis et 1984 questionnaires, cet article cherche donc à comprendre comment l'intégration morale de la bourgeoisie résiste à la dispersion des idées et pratiques écologiques de ses membres. Il montre qu'au sein des classes dominantes, les conditions sociales ne sont pas réunies pour faire de la question environnementale un marqueur statutaire à même de convertir ces différences d'attitude en concurrence entre leurs fractions. Ces conditions apparaissent en revanche aux marges de la petite bourgeoisie où la disposition réformatrice devient moins centrale dès lors que les formes de sociabilité et de politisation portent plus souvent à faire de l'écologie un enjeu de placement et de classement social.
      While the ecologisation of bourgeois experiences of the world takes different forms in the upper left and upper right of social space, it comes up against the inertia of lifestyles on both sides. The members of the cultural bourgeoisie regret this misalignment between their ecological voluntarism and its practical translation, while those in the economic pole accept it as proof of their pragmatism. In both cases, these ecologisations, deemed imperfect, favour the formation, activation and updating of a reforming disposition that also attests to the moral and ideological proximity of these two class fractions over and above their contrasting lifestyles. Based on an analysis combining forty-four in-depth interviews and 1,984 questionnaires, this article seeks to understand how the moral integration of the bourgeoisie resists the dispersal of its members' ecological ideas and practices. It shows that within the dominant classes, the social conditions do not exist to make the environmental issue a status marker capable of converting these differences in attitude into competition between their fractions. On the other hand, these conditions are apparent on the fringes of the petty bourgeoisie, where the reformist tendency becomes less central as the forms of sociability and politicisation more often lead to make ecology an issue of placement and social ranking.
    • « Nous à la campagne, l'écologie, on la connaît ». Contestations et appropriations des injonctions environnementales par des Gilets jaunes ruraux - Aldo Rubert p. 67-97 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Le texte explore la stigmatisation des modes de vie ruraux comme « antiécologiques », notamment à travers la mobilisation des Gilets jaunes. Bien qu'initialement critiqués pour leur opposition à la taxe carbone, les Gilets jaunes expriment un sentiment d'injustice plus large envers une fiscalité écologique perçue comme inéquitable. Ils partagent des attitudes favorables à la protection de l'environnement, tout en se méfiant des discours moralisateurs de l'écologie dominante et ses injonctions.Un réseau de distribution de fruits et légumes créé par un collectif de Gilets jaunes apparaît comme un lieu d'observation des sensibilités variées envers l'écologie. L'article met en lumière la diversité des modes de contestation de l'écologie institutionnelle, l'appropriation différenciée de l'enjeu écologique et la responsabilisation d'autres acteurs dans les dégradations environnementales. Face à une image statique des frontières de classe, les Gilets jaunes proches du pôle diplômé des classes moyennes adoptent le « vivre avec moins » et expérimentent des conversions écologiques relativement radicales. Les Gilets jaunes appartenant aux classes populaires relisent par ailleurs leur style de vie sobre comme écologique et peuvent s'aligner à des pratiques de consommation engagée.
      This paper explores the stigmatisation of rural lifestyles as “anti-ecological”, particularly through the mobilisation of the yellow vests. Although initially criticised for their opposition to the carbon tax, the yellow vests express a wider sense of injustice towards an ecological tax perceived as unfair. They share attitudes in favour of environmental protection, but are wary of the moralising rhetoric of mainstream ecology and its injunctions.A fruit and vegetable distribution network created by a group of yellow vests appears to be a place where a variety of ecological sensitivities can be observed. The article sheds light on the diversity of ways in which institutional ecology is contested, on a differentiated appropriation of ecological challenge and on the denunciation of other actors in environmental degradation. Faced with a static image of class boundaries, the yellow vests who are close to the middle classes with cultural capital adopt the “live with less” approach and experiment with relatively radical ecological conversions. The working-class yellow vests, on the other hand, see their sober lifestyles as ecological and may align themselves with committed consumer practices.
    • Les inerties de la transition : la reproduction des paysages capitalistes en Europe, des mines de cuivre aux éoliennes - Doris Buu-Sao, Leny Patinaux p. 99-123 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article analyse la place des inerties sociales, économiques et environnementales dans le renouveau industriel induit par la « transition énergétique » contemporaine. Pour cela, il s'appuie sur la comparaison de deux terrains : la réouverture d'une mine de cuivre en Andalousie et l'implantation massive d'éoliennes dans le nord de la France. L'analyse localisée des trajectoires industrielles dans ces deux régions montre d'une part comment se construisent sur le temps long des zones de sacrifice propices au renouveau industriel dans lesquelles les nouvelles dégradations environnementales s'intègrent parmi les dégâts du passé. D'autre part, l'article décrit comment l'extraction de nouvelles ressources minières ou renouvelables se spatialise différemment dans ces territoires dédiés à l'industrie. Il montre enfin la centralité du travail dans l'adhésion ou le rejet de ces nouvelles activités industrielles de « transition ».
      – This article analyzes the role of social, economic, and environmental inertia in the industrial renewal resulting from the contemporary “energy transition". To do so, it draws on a comparison of two case studies: the reopening of a copper mine in Andalusia and the massive installation of wind turbines in northern France. A localized analysis of industrial trajectories in these two regions shows, on the one hand, how zones of sacrifice propitious to industrial renewal are constructed over the long term, in which the production of new environmental degradations takes its place among the past damage. On the second hand, the article describes how the extraction of new mining or renewable resources is spatialized differently in these territories dedicated to industry. Finally, it shows the centrality of work in the acceptance or rejection of these new industrial activities of “transition”.
    • Les agriculteurs et la légitimation des politiques de transition : une approche par les discours sur la paperasse - Blandine Mesnel p. 125-149 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article interroge la signification politique des discours contre la complexité des normes environnementales en agriculture : quel rapport esquissent-ils à l'objectif de transition ? Il mobilise pour cela la sociologie du travail administratif, des réceptions et des policy feedback de l'action publique. Analysant le cas de la Politique agricole commune, il montre que les discours sur la paperasse correspondent à un rapport ambigu, nuancé et collectivement structuré des agriculteurs à l'action publique environnementale. Les critiques de la bureaucratisation reposent plus précisément sur deux principes moraux structurants : la responsabilité et le réalisme. Dans les deux cas, les discours et les croyances qui les sous-tendent n'aboutissent pas systématiquement à une inertie environnementale ou à une délégitimation complète des programmes publics : ils peuvent aussi signifier une reconnaissance, voire un attachement aux objectifs affichés. Le cas des agriculteurs permet ainsi de discuter certains résultats des travaux sur la place du travail administratif dans les mécanismes de légitimation de l'action publique.
      This article examines the political meaning of farmers' discourse against the red tape associated with environmental standards: how do they relate to transition objectives? Studying the case of the Common Agricultural Policy, this paper relies on the sociology of red tape and policy feedback. We show that discourses on paperwork highlight an ambiguous, nuanced and collectively structured relationship to the greening of the CAP. We focus on the arguments developed by the actors and their underlying beliefs. We thus identify two structuring moral principles: responsibility and reality. In both cases, criticism of bureaucratization does not systematically lead to environmental inertia or a complete delegitimization of public programs: on the contrary, they may signify recognition or even an attachment to policy objectives. The case provides an opportunity to discuss the role of bureaucratization in the legitimization of public policies.
    • De nouveaux « passe-droits » aux réglementations environnementales : outils numériques et transition écologique des pratiques agricoles - Jeanne Oui p. 151-175 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      En réponse aux controverses et politiques publiques visant à réguler les pollutions environnementales provoquées par les pratiques agricoles de fertilisation sur les milieux aquatiques, différentes voies d'accompagnement à l'écologisation sont proposées par les scientifiques et les organismes de conseil aux agriculteurs et agricultrices. L'une d'entre elles est numérique : des logiciels de gestion et des outils d'aide à la décision (des services de conseil numériques) sont promus comme des intermédiaires sociotechniques de la mise en œuvre de la directive européenne sur les nitrates au niveau des exploitations. Par une enquête qualitative parmi les scientifiques, les entreprises concevant les outils et des agriculteurs céréaliers utilisant ces technologies, cet article revient sur la trajectoire technique et politique par laquelle ces outils deviennent des « objets-intermédiaires » de l'écologisation et les effets de ces technologies sur la mise en place effective de la réglementation environnementale au niveau des fermes. Au prisme de la sociologie des mondes agricoles, de la sociologie des politiques publiques environnementales et des Science and Technology Studies (STS), l'article montre que ces outils participent de processus d'inertie écologique (au niveau de leur conception technique, leurs usages et leurs futurs) et ouvrent des « passe-droits » numériques dans la réglementation environnementale, inégalement appropriés au sein des mondes agricoles.
      Since 1991, the European Nitrate directive aims at regulating farming practices to improve water quality. Fertilization use is especially targeted by public policies. At the national level, French public authorities chose to limit the amount of nitrogen fertilizer applied to fields and require a traceability of farming practices. These regulatory obligations led to the commercial launch of two digital tools, promoted by public policies and advisory companies as facilitating the implementation of the directive at the farm level: management software and decision support tools (digital advisory services). Through a qualitative survey among scientists, companies designing the tools, and crop farmers using these technologies, this article examines the technical and political trajectory by which these tools become sociotechnical intermediaries of environmental policies and its impact on the implementation of environmental regulation at the farm level. At the crossroads of sociology of agriculture, sociology of environment and Science and Technology Studies (STS), the article shows that these tools contribute to the production of ecological inertia (through their technical design, their uses and their futures) at the French level. These technologies open up unequally-appropriated digital by-passes in the environmental regulation
    • L'agroécologie en projets. Comment s'institutionnalise la marginalisation de la « transition agricole » en France, au Brésil et à Cuba - Marie Aureille, Jeanne Pahun, Sébastien Carcelle p. 177-199 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      En France, au Brésil ou à Cuba, la mise à l'agenda de la promesse de la « transition agroécologique » a suivi des trajectoires différentes. Son opérationnalisation épouse toutefois une forme commune, celles des projets (appels à projets, projets de développement, projets de recherche). Alors que les politiques agricoles productivistes continuent de drainer la grande majorité des ressources financières et institutionnelles, ce recours aux projets permet la mise en scène du volontarisme des États en matière de verdissement de leur secteur agricole et entretient le récit d'une « transition agroécologique » en train d'advenir. Le choix privilégié de cet instrument d'action publique ne conduit pas à sortir l'agroécologie de sa marginalité par son inscription au sein de politiques de transition agricole, mais il tend plutôt à institutionnaliser sa marginalisation. Bénéficiant avant tout à des acteurs intermédiaires chargés de faire le lien entre financeurs et mondes agricoles, sélectionnant un nombre réduit d'agriculteurs ou d'agricultrices exemplaires ; les projets agroécologiques financent davantage des mises en réseaux que des changements de pratiques dans les exploitations.
      In France, Brazil, or Cuba, the promise of an ecological transition has been set on the agenda following different paths. Its implementation, however, has taken place through a common policy instrument, that of projects (calls for proposals, development projects, research projects). While agricultural productivism continues to drain most financial and institutional resources, financing projects allows the governments to showcase their willingness to green the agricultural sector. It also maintains the narrative of an ongoing “agroecological transition”. The preferential choice of this policy instrument does not lead to mainstreaming agroecology by integrating it into agricultural transition policies, but rather tends to institutionalize its marginalization. It benefits primarily intermediate actors responsible for bridging the gap between funders and farmers and selects a limited number of exemplary farmers. Agroecological projects thus finance networking rather than changes in farming practices.
  • Notes de lecture