Contenu du sommaire : De la punition à la réparation : une approche restaurative des dommages causés par les crimes

Revue Droit et cultures Mir@bel
Numéro no 86, 2024/1
Titre du numéro De la punition à la réparation : une approche restaurative des dommages causés par les crimes
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Éditorial

  • Beyond punishment towards reparation: Explorations of a restorative approach to the harm caused by crimes

    • Researching diverse understandings of justice and the potential of restorative measures for hate crimes - Olga Jubany, Isabelle Carles accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La Justice réparatrice est un paradigme théorique et pratique de la justice qui se concentre sur la résolution de conflits et des besoins des différentes parties plutôt que sur le châtiment des délinquants. En dépit de son rapport avec des perspectives plus étendues des systèmes juridiques, les applications de cette approche varient largement entre les législations et les programmes existants, tout comme l'interprétation de la justice réparatrice en tant qu'alternative valable ou comme complément à la justice traditionnelle punitive. La large gamme de mesures réparatrices et leur traits caractéristiques principaux en opposition aux procès et procédures traditionnels déterminent un contraste fréquemment observé d'opposition binaire. Toutefois, les recherches récentes parmi des experts concernés et dont nous nous servons, mettent en lumière une gamme étendue de mesures de réparation qui étaient déjà présentes dans les systèmes procéduraux de justice pénale ou civile, telles que des stages obligatoires de sensibilité, du travail d'intérêt général ou la réparation du dommage direct. Au-delà de ces mesures, les rencontres réparatrices, la médiation entre victime et agresseur, les conférences et cercles de réparation et le recours aux victimes et agresseurs par procuration constituent des pratiques particulièrement prometteuses en raison de leurs effets potentiels sur toutes les parties : une expérience plus immédiate et satisfaisante de l'expérience judiciaire, le fait de privilégier leur bien-être, une baisse des récidives chez les délinquants et la résolution de conflits sociaux et communautaires, entre autres. De telles conséquences font de la justice réparatrice une réponse particulièrement appropriée aux crimes haineux et aux harcèlements et discriminations suscités par la haine en raison des conséquences profondes tant pour les victimes que pour la société dans son ensemble. Les expériences que constituent les victimes indirectes, l'isolation, les traumatismes émotionnels mais aussi les expériences des victimes individuelles et collectives peuvent trouver une réponse particulièrement bien ciblée du point de vue de la restauration qui s'attache à la réparation et à la résolution de conflits.
      Restorative Justice is a theoretical and practical paradigm on justice that focuses on resolution of conflicts and different parties' needs, rather than on the punishment of offenders. Despite its connection to wider visions of justice systems, the application of this approach varies greatly across existing legislation and programmes, as does the understanding of Restorative Justice as a valid alternative, or a complement to traditional, punitive justice. The wide range of potential restorative measures and their key significant features as opposed to traditional trials and procedures— determine a contrast frequently seen as that of binary opposition. However, recent research among involved professionals, from which we draw upon, sheds light on a wide range of restorative measures that are already found among penal or civil procedural systems, such as, mandatory sensitivity and diversity training, community work, and the reparation of direct damage. Beyond these measures, restorative encounters, victim-offender mediation, restorative conferences and circles, and the use of proxy victims and offenders are particularly promising practices due to the potential effects for all parties: a more direct and satisfactory justice experience for the victims, a focus on their wellbeing, a decrease in offenders' recidivism, and the resolution of social and community conflicts, among others. These potential effects make restorative justice particularly well-suited for hate crimes and hate-motivated harassment and discrimination, due to frequent profound consequences for both the victims and society as a whole. Experiences such as secondary victimisation, isolation, emotional duress, and both individual and collective victim experiences may be particularly well-addressed from a restorative perspective that focuses on reparation and conflict-solving.
    • Resolving identity-based violence: Lessons for restorative justice in the hate crime context - Malini Laxminarayan, Lisanne Veldt accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La justice restaurative a étendu son application à divers types de crimes, y compris des violences telles que la violence sexuelle, la violence domestique et, plus récemment, la violence extrémiste pour n'en nommer que quelques-unes. La gravité de ces crimes combinée au fait que la justice restaurative a été appliquée avec succès à ces infractions complexes permet de comprendre que les crimes de haine ne devraient pas être écartés des affaires potentielles. Il demeure cependant un défaut de meilleure compréhension de ce constitue le caractère unique de ces crimes et la manière dont la justice restaurative peut ou non jouer un rôle en répondant aux torts causés par les attaques haineuses et fondées sur l'identité. En étudiant les témoignages et la théorie d'autres domaines, notamment ici sur la réconciliation, en plus de l'interprétation de la haine et plus généralement des préjugés, cet article entend développer un cadre théorique pour une meilleure compréhension de la justice restaurative dans les cas de crime de haine anti-LGBT et s'intéresse succinctement à ce qu'un tel cadre pourrait impliquer pour la pratique.¨Mon point de départ est que les gens sont bons, la plupart n'a pas l'intention de faire du mal. Il existe, bien entendu, un groupe irréductible où règne vraiment la haine à un niveau idéologique, et les personnes demandent (à juste titre), pouvez-vous les changer ? Mais il existe un groupe encore plus grand qui a besoin de cette réunion [JR], pour apprendre à connaître l'autre personne et pour changer grâce à ça » Médiateur, Belgique, LetsGoByTalking project
      Restorative justice has expanded its application of different types of crimes; including, but not limited to, violations such as sexual violence, domestic violence and more recently violent extremism, to name a few. The severity of these crimes, combined with the fact that restorative justice has been applied successfully to these complex offences, suggests that hate crimes should not be ruled out as potential cases. What is missing, however, is a better understanding of what makes these crimes unique, and how restorative justice can or cannot play a role in responding to the harm caused because of hate and identity-based attacks. By looking at evidence and theory from other fields, namely peacebuilding in this analysis— in addition to understanding hate and bias more generally, this article attempts to develop a theoretical framework for better understanding restorative justice in cases of anti-LGBT hate crime and briefly considers what such a framework may entail for practice. My starting point is that people are good, most do not mean to cause harm. There of course is a hardcore group where it truly is hate on an ideological level, and people [rightly] ask, can you change them? But there is a bigger group that needs that [RJ] meeting, to get to know the other person, and to change as a result of it. ¨ Mediator, Belgium, LetsGoByTalking project
    • Restorative Justice and Anti-LGBT Hate Crimes: Experiences and Disparities from the Ground - Ignacio Elpidio Domínguez Ruiz, Malin Roiha accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La justice restaurative est un paradigme complexe et controversé, souvent défini comme une approche de la justice sociale qui donne la priorité à la restauration. Elle est particulièrement pertinente pour lutter contre les crimes de haine et la discrimination anti-LGBT en raison de son potentiel à réduire la victimisation secondaire, à améliorer le bien-être des victimes et à générer des transformations sociales. À partir d'entretiens qualitatifs avec des associations LGBT et des professionnels de la justice de six États membres de l'Union européenne, nous analysons leur expérience de la justice restaurative dans les cas de crimes de haine contre les personnes LGBT afin de définir ses paramètres pratiques, ainsi que ses potentialités et ses limites, et nous identifions les dissonances et les lacunes conceptuelles et expérientielles significatives. Nous soutenons que les processus de justice restaurative peuvent être conçus et adaptés de manière productive, mais que les pratiques existantes et les attentes des participants à notre recherche ne sont pas toujours conformes aux paradigmes réparateurs qui permettent d'atteindre ces objectifs, ce qui souligne la nécessité d'un changement dans la culture de la justice et d'une formation à la mise en œuvre de pratiques réparatrices. 
      Restorative justice is a complex, debated paradigm often defined as an approach to social justice that prioritizes restoration. It is particularly relevant for addressing anti-LGBT hate crimes and discrimination due to its potential to reduce secondary victimization, improve victim wellbeing, and generate social transformations. Drawing from qualitative interviews with LGBT NGO and justice professionals from six European Union member states, we analyze their experiences with restorative justice in cases of LGBT hate crimes to delineate its practical parameters, as well as its potentialities and limitations, and we identify significant conceptual and experiential dissonances and gaps. We argue that restorative justice processes can be productively designed and adapted, but the existing practices and expectations of our research participants do not always conform to restorative paradigms that achieve these goals, which points to the need for a shift in justice culture and training to implement restorative practices.
    • Victim Recovery and Offender Desistance in Hate Crimes: Could Restorative Justice be of Help? - Chiara Perini accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article vise à démontrer comment l'utilisation de pratiques de justice restaurative peut aider à atteindre l'objectif de prévention et de lutte contre les crimes de haine, qui est expressément mentionné dans la stratégie de l'UE sur les droits des victimes (2020-2025). Il montre comment la justice restaurative semble fonctionnellement cohérente pour concourir à la fois à la désistance du délinquant et au rétablissement de la victime et produit des effets positifs au niveau de la cohésion sociale, contrebalançant ainsi la fragmentation et la désintégration des communautés provoquées par les crimes de haine eux-mêmes. Toutefois, pour intervenir dans ce domaine, la justice restaurative doit adapter ses formes et évaluer soigneusement si le cas individuel se prête à un traitement concret. Il est donc nécessaire de former les facilitateurs et les médiateurs de la justice réparatrice à l'approche des crimes de haine. 
      The essay intends to contribute to demonstrate how the use of restorative justice practices can help to achieve the objective of preventing and combating hate crimes, which is expressly mentioned in the EU Strategy on Victims' Rights (2020-2025). It shows how restorative justice appears functionally coherent to concur to both Offender Desistance and Victim Recovery and produces positive effects at the level of social cohesion, thus counterbalancing the fragmentation and disintegration of communities brought about by hate crimes themselves. However, in order to intervene in this area, restorative justice has to adapt its forms and carefully assess whether the individual case is suitable to be dealt with concretely. This makes necessary to train restorative justice facilitators and mediators specifically to approach hate crimes.
    • From the regulatory aspects to existing practices of restorative justice: the experience in Switzerland - Annamaria Astrologo accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'objectif de cet article est de reconstruire le contexte réglementaire suisse dans lequel l'introduction d'une discipline ad hoc pour la justice réparatrice est prévue. À ce jour, en effet, il existe encore peu de règles qui, de manière fragmentaire et parfois peu cohérente avec la logique de la justice réparatrice, peuvent sembler être des maillons plutôt faibles de cette approche. Néanmoins, dans la pratique, les expérimentations des pratiques de justice réparatrice gagnent en importance, même en l'absence d'un périmètre réglementaire défini, soutenant les personnes impliquées dans une infraction pénale vers une recomposition avec elles-mêmes et les autres personnes.
      The aim of this paper is to reconstruct the Swiss regulatory context in which the introduction of an ad hoc discipline for restorative justice is planned. To date, in fact, there are still few rules which, in a manner that is fragmentary and not always consistent with the rationale of restorative justice, may appear to be rather weak links to this approach. Nonetheless, in practice, experiments of restorative justice practices are gaining a space for themselves which, even in the absence of a defined regulatory perimeter, support the people involved in a criminal offence towards a recomposition with themselves and the other people.
    • Women's Responses to Harm and Transformative Justice: the Case of the Circles of Women in Poland - Lidia M. Rodak accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article s'appuie sur la recherche ethnographique à propos des cercles de femmes (CF), c'est à dire des groupes de femmes auto-organisées qui interagissent régulièrement (Rodak, 2020) et qui peuvent être interprétées comme des pratiques de justice transformative. Dans cette étude qui s'intéresse aux cercles de femmes en Pologne, on a pu observer que les femmes dans ces cercles ne se contentent pas d'exprimer les torts qu'elles ont subi mais qu'elles participent également à des pratiques réparatrices. Les femmes de ces cercles cherchent à reconstruire le sens de justice, d'action et de subjectivité pour lesquels elles n'ont trouvé aucun soutien de la part des autres pratiques sociales ou traditionnelles, pas plus que dans le système judiciaire. La thèse soutenue dans cet article est les méthodes alternatives de réparation des torts fondées sur l'autonomie et la reconnaissance par une communauté de femme permettent de réparer tant la justice individuelle que collective.
      This article draws on ethnographic research on the Circles of Women (CW), i.e. self-organized groups of women interacting on a regular basis (Rodak, 2020), which can be considered instances of practices of transformative justice. In the study, focusing on CW in Poland, it was observed that women in the circles not only need to express the harm they experienced, but also to participate in reparation practices. Women in the CW aim at r ebuilding the sense of justice, agency, subjectivity for which they did not find any support in other social or traditional practices, or in the legal system. The thesis maintained in this article is that the CW alternative methods of harm reparation based on self-care and recognition by a community of women restore both individual and collective justice.
    • Problem solving justice as an expression of the right to the city - Janina Radziszewska accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article s'appuie sur une recherche ethnographique à propos des cercles de femmes (CF), c'est à dire des groupes de femmes auto-organisées qui interagissent régulièrement (Rodak, 2020) et qui peuvent être interprétées comme des pratiques de justice transformative. Dans cette étude qui s'intéresse aux cercles de femmes en Pologne, on a pu observer que les femmes dans ces cercles ne se contentent pas d'exprimer les torts qu'elles ont subi mais qu'elles participent également à des pratiques réparatrices. Les femmes de ces cercles cherchent à reconstruire le sens de justice, d'action et de subjectivité pour lesquels elles n'ont trouvé aucun soutien de la part des autres pratiques sociales ou traditionnelles, pas plus que dans le système judiciaire. La thèse soutenue dans cet article est que les méthodes alternatives de réparation des torts fondées sur l'autonomie et la reconnaissance par une communauté de femme permettent de réparer tant la justice individuelle que collective.
      This article is based on in-depth ethnographic research primarily focused on the existing legal framework for hate crimes and discrimination against the LGBT community. The conducted interviews yielded insightful findings related to both the anthropology of law and urban anthropology. The text will highlight local grassroots efforts to reshape social constructs of conflict and methods of resolution. It will specifically focus on the process of shaping civic attitudes related to combating hate speech, using practices in the field of problem-solving justice in Wrocław, Poland as an example. The underlying concept, which centers on social change, emerged as a response to the perceived shortcomings of the retributive justice system. This approach empowers communities to articulate the nature of the harm caused and to oversee the process of reparation. In this case, the harm in question is hate speech, and its victims are considered not only on an individual but also on a collective level.
  • Point de vue

    • De la haine au crime - Charles de Lespinay, Frank Alvarez Pereyre accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'article « De la haine au crime » fait référence à ce que l'on appelle les « crimes de haine », expression qui va des actes criminels individuels contre toute personne jugée différente jusqu'à des crimes massifs et collectifs que l'on a appelé « génocides », « crimes contre l'humanité », « crimes de guerre ». De nombreuses questions sont posées, et en premier lieu : qu'est-ce que la haine ? qu'est-ce qu'un crime ? La loi du talion, précepte juridique, s'oppose à la vengeance. La lutte contre les crimes pour raison de « différence » nécessite de lutter aussi contre les stéréotypes et les préjugés. La justice restaurative et la justice distributive mettent en miroir à la fois les victimes, membres ou non d'un groupe supposé ou réel, le ou les « perpétrateur(s) » et leur prise en compte par la justice et par la société. Une telle réflexion ne peut échapper à l'anthropologie et au droit, à l'interrogation sur « la différence », la problématique de l'Autre et de l'Humanité. Pour le juriste, confronté à des réalités idéologiques et ethnographiques souvent ignorées du droit, un questionnement sans fin interroge les notions de crime et de haine pour remettre au centre l'Humain attaqué et victime.
      How does one turn a criminal on the basis of hatred? How such an offense is to be dealt with, beyond punishment? With a genuine consideration for a restorative approach, how should we consider prejudices and hatred in the framework of the formal performance of law? And to what extent any offense of that kind can be atoned? Offenses based upon hatred might refer to criminal actions performed by an individual against another person that is felt to be different, and also to mass actions for which such terms as “genocide”, “crimes against humanity”, and “war crimes” have been coined. Actually one has to clarify both hatred as a behavior - its roots and justifications -, and the very notions of offense and crime. As a legal concept Lex talionis does not call for revenge. By the moment the very notion of difference gives ground to criminal acts, one has to better understand what is actually called stereotypes and prejudices, and how law should find its way when facing such developments. Restorative justice and distributive justice confront the victims - these persons belonging to a group which does exist as such or that is only said to exist -, the “perpetrators” and the ways law and society do handle these protagonists. All these issues are of a great concern for the anthropologists and for those dealing with law, as well. Such issues call for a genuine consideration for the notion of “difference”, for the complex question of the Other and for the one pertaining to Humanity. As for the jurist, he is often facing quite unusual situations where ideology and ethnography have their say. He is then bound to an unending movement, through which he is led to inquire again and again about the notions of crime and hatred. So as to garantee and preserve the central place which is deemed to the Human value of Mankind, whenever a person is attacked and turns to be a victim.