Contenu du sommaire : Militantisme institutionnels
Revue | Politix |
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Numéro | vol. 18, no 70, juin 2005 |
Titre du numéro | Militantisme institutionnels |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Militantisme institutionnels
- Coordonné par Yannick Barthe et Cécile Robert- "Entrer dans l'action publique en la contestant. Quand la cause des usagers de drogues devient soluble dans la politique marseillaise de lutte contre le sida et la toxicomanie" - Gwenola Le Naour p. 9 À partir de l'étude de la constitution de trois associations composées d'usagers de drogues, de prostituées, et de séropositifs, cet article analyse les processus qui amènent ces acteurs à participer à une politique locale. Nées d'une opposition aux politiques de lutte contre la toxicomanie, ces trois associations parviennent à devenir membres à part entière de l'action publique locale. Cette participation modifie les activités des membres actifs de ces associations qui deviennent des experts de l'intervention de proximité auprès des usagers de drogues, au détriment d'un de leurs objectifs initiaux qui visait à développer l'entraide entre pairs. Échec apparent d'une action collective visant à faire des « usagers de drogues des citoyens comme les autres », l'auteur démontre que la participation de ces associations contribue à modifier substantiellement l'action publique locale.
- "Militer pour le statu quo. Le Comité permanent amiante ou l'imposition réussie d'un consensus" - Emmanuel Henry p. 29 Cet article analyse les logiques selon lesquelles des organisations arrivent à rassembler des acteurs aux intérêts et aux objectifs différents dans le but de concourir à renforcer des équilibres dont plusieurs vont à l'encontre des intérêts de certains de leurs membres. L'étude du Comité permanent amiante (CPA), un groupe créé par les industriels pour promouvoir l'« usage contrôlé de l'amiante », permet de mettre en évidence certains de ces mécanismes et leurs effets. L'enrôlement d'acteurs, tels que les organisations syndicales, s'explique principalement par la multiplicité des buts défendus par l'institution et par les hiérarchisations différentes de ces objectifs au sein des multiples arènes qui la composent. Pour autant, ces mécanismes ne fonctionnent que dans la mesure où ils interviennent en renfort de logiques sociales qui dépassent largement cette organisation et renvoient à la place des industriels dans les dispositifs de gestion du risque professionnel.
- "La parabole de l'Observatoire ou les limites à l'institutionnalisation d'un "partenariat cognitif" avec les associations" - Yves Lochard, Maud Simonet-Cusset p. 51 Les associations de solidarité, qui avaient fait de leur participation à l'observation sociale une revendication majeure, sont présentes désormais à l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale. Mais le dispositif institutionnel tend à réduire la portée de cette « conquête ». Le statut sous lequel elles siègent (« personnalités qualifiées ») ainsi que les procédures de recrutement tendent à sérialiser le groupe associatif, à saper la représentativité de ses membres. D'autres phénomènes comme le lieu et le rythme des réunions accentuent l'asymétrie entre ce qui peine à être un « collège » associatif et les représentants des grands organismes de la statistique d'État. De fait, c'est un loyalisme critique qui domine chez les membres associatifs qui n'ont pas fait défection. La critique de l'institution et des savoirs qu'elle produit est le fait de groupes extérieurs. Si bien qu'on peut se demander si la participation à l'Observatoire ne produit pas une conversion institutionnelle de la contestation associative et ne développe pas une forme d'assentiment à la science institutionnelle.
- "Reconversions dans la politique de la ville : l'engagement pour les "quartiers" - Sylvie Tissot p. 71 De nombreux animateurs de la politique de la ville ont trouvé, dans cette politique publique, un espace de reclassement professionnel et de reconversions militantes. Dans la lutte contre l'« exclusion » dans les « quartiers » et dans la promotion de la « participation des habitants », sont en effet réinvesties des dispositions militantes inemployées suite à l'effondrement des organisations nées dans le sillage de mai 1968. Ces reconversions ont impliqué la mobilisation de ressources particulières, accumulées dans le passé, et notamment la légitimation par une connaissance particulière du « terrain ». Mais les déplacements dans l'espace social et les recompositions identitaires induites par les reconversions n'allaient pas de soi. Ils ont été rendus possibles par la constitution d'une doctrine professionnelle particulière : mêlant registres militant et managérial, elle permet aux anciens militants de vivre comme un engagement une activité professionnelle qui se veut avant tout « moderne » et « efficace », non idéologique, et dans laquelle l'appréhension conflictuelle des rapports sociaux a largement disparu.
- "Professionnels de la participation : savoir gérer son image militante" - Magali Nonjon p. 89 Depuis ces dernières années, les dispositifs de concertation – atelier de travaux urbains, budget participatif, évaluation participative, débat public, conférence de consensus, sondage délibératif, etc. – se sont multipliés en France. D'abord principalement portés et animés par des acteurs au profil militant – ceux des premiers chefs de projet politique de la ville, des travailleurs sociaux, des mouvements d'éducation populaire –, ces dispositifs attirent aujourd'hui des professionnels issus d'autres univers comme ceux de l'architecture, de l'urbanisme, du consulting, du marketing et de la communication. Face à cette ouverture progressive du milieu de la participation, les militants d'origine ont été poussés à reconvertir leurs ressources militantes en véritable savoir-faire professionnel, notamment par la valorisation d'un militantisme d'expertise. Cependant cette reconversion, loin de leur assurer le monopole, semble au contraire avoir accéléré et facilité la captation de ce marché par les nouveaux entrants. Dans un contexte de concurrence accrue, tout se passe comme si la question de « l'authenticité » des origines – et donc du rapport au militantisme – re-surgissait chez les militants et devenait une stratégie de démarcation.
- "Se découvrir militant. Le cabinet Cot à l'épreuve de la Coopération (1981-1983) - Julien Meimon p. 113 En 1981, l'équipe du nouveau ministre de la Coopération et du développement, Jean-Pierre Cot, se trouve placée à la tête d'un ministère diabolisé par le Parti socialiste dans les années 1970. Leur tentative visant à réformer cette institution pour « assainir les relations franco-africaines » rencontre le veto de l'Élysée et l'équipe est remerciée 18 mois après son entrée en fonction. On peut, à la lecture de la socialisation de ces acteurs, comprendre pourquoi ils investissent leur fonction d'une dimension militante, et plus précisément « tiers-mondiste ». L'analyse des multiples rapports de force propres à cette configuration d'alternance (entre ministères, entre courants du parti, entre parti et gouvernants) permet de comprendre comment la référence militante au tiers-mondisme est dans un premier temps pour eux une ressource, progressivement transformée en un handicap jusqu'à pousser l'équipe à la défection.
Varia
- "Modes de sociabilité et entretien de l'habitus militant. Militer en bandes à l'AJS-OCi dans les années 1970" - Karel Yon p. 137 Cet article vise à restituer les conditions du développement de l'institution « lambertiste » dans la jeunesse scolarisée pendant les années 1970. Assimilant à leur manière l'ouvriérisme de l'institution et soumis à une forte contrainte de justification idéologique, les jeunes lambertistes produisent un « style de militantisme » qui les distingue dans le milieu de l'extrême gauche étudiante et lycéenne. Ce style particulier, résultat de leur inscription dans des univers sociaux a priori antagoniques, met en lumière les homologies entre les pratiques militantes lambertistes et celles du PS et du PCF. On espère ainsi montrer l'intérêt d'une étude des organisations à partir des agents sociaux qui les incarnent. Cette approche, tout en relativisant, par l'étude des fréquentations militantes, les frontières organisationnelles, invite à aller au-delà d'une approche des organisations comme « réseaux de réseaux » en considérant les habitus militants qui les structurent.
- "Le risque invisible. La non-émergence d'un problème public" - Jeanne Chabbal p. 169 Partant de l'étude de cas de la construction du problème des risques industriels autour d'une usine chimique classée Seveso, l'article s'attache à montrer comment une question, pourtant investie par des acteurs locaux, reste confinée et n'accède pas au statut de problème public. La non-émergence d'un problème peut résulter de l'échec de tentatives de mobilisations, destinées à le porter, ou du succès de contre-mobilisations, visant à l'enfouir. Elle peut aussi être le produit de la rencontre entre les différents intérêts de multiples acteurs qui élaborent des visions plurielles de ce problème dans des univers sociaux clos et peu visibles.
- "Modes de sociabilité et entretien de l'habitus militant. Militer en bandes à l'AJS-OCi dans les années 1970" - Karel Yon p. 137
Lectures
- Fournier P., Mazzella S., dir., Marseille, entre ville et ports. Les destins de la rue de la République - Susanna Magri p. 197
- Ingold A., Négocier la ville. Projet urbain, société et fascisme à Milan - Susanna Magri p. 201
- Vauchez A. L'institution judiciaire remotivée. Le processus d'institutionnalisation d'une "nouvelle justice" en Italie (1960-2000) - Christophe Bouillaud p. 205
- "Entrer dans l'action publique en la contestant. Quand la cause des usagers de drogues devient soluble dans la politique marseillaise de lutte contre le sida et la toxicomanie" - Gwenola Le Naour p. 9