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Revue | Actes de la recherche en sciences sociales |
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Numéro | vol. 56, no. 1, 1985 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
L'antisémitisme
- Les juifs de Hongrie sous les lois antisémites - Victor Karady p. 3-30 Les juifs de Hongrie sous les lois antisémites. Après un survol des étapes historiques de l'antisémitisme institutionnel qui a conduit au génocide en 1944, l'article analyse la conjoncture socio-politique entre le vote de la première des lois antijuives (1938) et l'occupation du pays par les Allemands (mars 1944). L'étude des conditions de mise en place et de la portée de la législation répressive conduit à interroger les indicateurs sociaux objectifs pour rendre compte de la réaction collective des victimes. Ces dernières constituent un agrégat très complexe et fortement stratifié par leur statut économique, leur degré d'assimilation, leur adhésion à la communauté juive, etc. Globalement leurs réactions restent faibles et marquées par la confiance dans les institutions qui les oppriment aussi bien qu'elles les protègent contre les extrémistes et contre les demandes allemandes. Si les stratégies pour échapper à l'adversité se multiplient (émigration), souvent sur le mode illusoire (conversions), elles ne concernent qu'une minorité. Plus importante est l'incidence des tactiques liées au désinvestissement économique forcé ou à la diminution des coûts collectifs de la survie (dénatalité, baisse de la nuptialité). Mais on ne décèle encore aucun changement particulier dans les indices de la déviance (suicide, criminalité) ou dans la mortalité. Grâce à la stabilité relative de l'État hongrois et l'illusion de l'assimilation, cette période qui précède le génocide pouvait apparaître comme un état d'exception sans véritable solution de continuité par rapport à l'état normal.Hungarian Jewry under the Anti-Jewish Laws. After giving an overview of the historical stages of the institutional anti-semitism which led to the genocide of 1944, this article analyses the socio-political conjuncture between the first anti-Jewish legislation (1938) and the German occupation of the country (1944). A study of the conditions of the setting-up and the scope of the repressive legislation leads the author to examine the objective social indicators so as to give an account of the collective reaction of the victims. The latter constitute a very complex aggregate, strongly stratified by their economic status, their degree of assimilation, their attachment to the Jewish community, etc. Overall, their reactions remained weak and marked by confidence in the institutions which oppressed them as well as protecting them against German demands. Those who resorted, in increasing numbers, to strategies aimed at avoiding adversity (emigration), often illusory ones (conversion), remained a minority. More significant is the growth of tactics linked to forced economic disinvestment or to the reduction of the collective costs of survival (low birth rate, low marriage rate). But we do not find any particular change in the indices of deviance (suicide, crime rate) or in the death rate. Thanks to the relative stability of the Hungarian State, this period which precedes genocide could appear as a state of exception not really distinct from the normal state of affairs.
- Luttes professionnelles et antisémitisme - Maria M. Kovács p. 31-44 Luttes professionnelles et antisémitisme. La montée de l'antisémitisme dans les années 1930 en Hongrie s'est doublée dans les milieux médicaux d'un renforcement de la compétition entre médecins juifs et non juifs pour les marchés sanitaires les plus lucratifs et d'un interventionnisme de plus en plus résolu de l'État pour réglementer ce marché (notamment par le développement des assurances-maladie). Les chambres de médecins, de type corporatiste, créées par l'État en 1936 pour contrebalancer l'influence croissante de l'association des médecins de droite, MONE, seront les lieux d'affrontement entre fractions fascisantes et libérales du corps médical. Même après les lois antijuives de 1938 et de 1939 (qui restreignent la proportion des médecins juifs admis à faire partie des chambres à 20 %, puis à 6 %), le gouvernement continue à combattre l'extrémisme antisémite et applique de manière libérale les lois répressives (jusqu'à en refuser l'exécution dans les territoires récupérés) afin d'empêcher la désorganisation du service de la santé publique. L'invasion allemande de mars 1944 balaie cette politique en y substituant, pour les médecins juifs hongrois également, la «solution finale».Occupational Struggles and Anti-Semitism. The rise of anti-semitism in the 1930s in Hungary was accompanied in medical circles by intensified competition between Jewish and non-Jewish doctors for the most lucrative parts of the health market and by increasingly firm State intervention to regulate this market (particularly by developing health insurance schemes). The corporatist-style doctors' federations, set up by the State in 1936 to counterbalance the growing influence of the right-wing doctors, MONE, were sites of confrontation between the pro-fascist and liberal sections of the medical corps. Even after the anti-Jewish legislation of 1938 and 1939 (which limited the proportion of Jewish doctors in the federations to first 20 and then 6 per cent), the Government continued to resist anti-semitic extremism and applied the repressive laws in a liberal way (even refusing to apply them in the recovered territories), so as to prevent disorganization of the public health service. The German invasion in March 1944 brought this policy to an end and put in its place, for the Hungarian Jewish doctors too, the «final solution».
- La question juive dans la Hongrie contemporaine - András Kovács p. 45-57 La question juive dans la Hongrie contemporaine. La reprise du débat sur la question juive en Hongrie est liée à la levée d'un tabou et à une certaine persistance du problème. L'analyse socio-historique permet de dégager les conditions dans lesquelles juifs et non-juifs ont continué et continuent plus ou moins à interpréter et à vivre différemment et parfois de façon opposée leurs expériences historiques passées et présentes. Pareille divergence porte d'abord sur l'occupation du pays par l'Armée rouge : défaite militaire pour l'État hongrois mais libération pour les juifs survivants qui contribue à déterminer leurs rapports avec le nouveau régime marqués par leur entrée massive dans l'appareil de l'État et leur adhésion aux idéaux communistes. Ceux-ci semblent garantir une forme neuve et complète d'assimilation et parachever ainsi un mouvement séculaire. Bien que la répression sous le régime stalinien, la révolution de 1956 et la nouvelle répression aient constitué des expériences communes pour la majorité des juifs et des non-juifs, il subsiste des divergences dans les schèmes d'interprétation, les réflexes et les attitudes ; cependant les journées de 1956 ont prouvé qu'aucun renouveau meurtrier d'antisémitisme n'était plus à craindre. Le régime du socialisme normalisé depuis 1956, sans admettre l'antisémitisme politique, a recréé les conditions du séparatisme entre certains milieux juifs et non juifs sous la forme de lobbies professionnels opposés et d'un nationalisme culturel qui s'enracine dans l'évolution historique du pays. Pareil séparatisme, même s'il ne s'exprime pas dans le comportement, n'en reste pas moins inscrit dans les consciences.The Jewish Question in Contemporary Hungary. The recent revival of the debate over the «Jewish question» in Hungary is linked to the lifting of a taboo and to a certain persistence of the problem. A socio-historical analysis brings to light the conditions in which Jews and non-Jews have continued, and still more or less continue, to interpret and experience their past and present in different and often opposing ways. There is a particular divergence of views as regards the occupation of the country by the Red Army. For the Hungarian State it was a military defeat, but for the surviving Jews it meant a liberation, which continues to goyern their relations with the new regime. These were marked by their massive entry into the State apparatus and their adherence to Communist ideals, which seemed to guarantee a new and complete formof assimilation, so completing a centuries-long process. Although repression under the Stalinist regime, the 1956 revolution and the new repression constituted common experiences for the majority of Jews and non-Jews, there remain divergences in patterns of interpretation, reflexes and attitudes ; however the events of 1956 did prove that a murderous recrudescence of anti-semitism need not be feared. The post-1956 regime of «normalized socialism», without allowing political anti-semitism, recreated the conditions for separatism between certain Jewish and non-Jewish milieux in the form of opposing occupational lobbies and a cultural nationalism rooted in the historical tradition of the country. Such separatism, even if not expressed in behaviour, is nonetheless a feature of consciousnesses.
- Les conversions des juifs de Budapest après 1945 - Victor Karady p. 58-62
- «Comment j'en suis arrivé à apprendre que j'étais juif» - Jerenc Erös, András Kovács, Katalin Levai p. 63-68 «Comment j'en suis arrivé à apprendre que j'étais juif ». Ces extraits d'interviews proviennent d'une série d'entretiens en profondeur destinés à explorer le sens de l'identité juive en Hongrie chez les membres de la jeune génération qui n'ont pas vécu le génocide nazi. La judaïté représente, pour la plupart des interviewés, une découverte tardive. Chez les descendants de cadres communistes, elle a fait l'objet d'un camouflage ou d'une ignorance volontaire tels que sa reconnaissance s'est souvent opérée dans des conditions dramatiques. Faute d'une élaboration satisfaisante de l'identité dans la famille même, c'est l'entourage, plus ou moins marqué par l'antisémitisme ambiant, qui la révèle ou la rappelle. Ces textes montrent des aspects peu connus de l'assimilation juive sous un régime socialiste et les traumatismes persistants d'un passé historique mal assumé.«How I learnt I was Jewish». These extracts from interviews corne from a series of in-depth discussions aimed at exploring the meaning of Jewish identity in Hungary among members of the younger generation which did not experience the Nazi genocide. For most of the interviewees, their Jewishness was a belated discovery. For the descendants of Communist cadres, it had been subject to camouflage or deliberate ignorance, so that its eventual recognition occurred in dramatic conditions. In the absence of an adequate construction of identity within the family itself, it is the entourage, more or less marked by the ambient anti-semitism, which reveals or recalls it. These texts show some little-known aspects of Jewish assimilation under a socialist regime and the persistent traumas-of a imperfectly accepted historical past.
- Les juifs de Hongrie sous les lois antisémites - Victor Karady p. 3-30
- Quand les Canaques prennent la parole - Alban Bensa, Pierre Bourdieu p. 69-85
- Résumés - p. 86-88