Contenu du sommaire : Pour une sociologie politique du droit (1)
Revue | L'Année sociologique |
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Numéro | vol. 59, no 1, 2009 |
Titre du numéro | Pour une sociologie politique du droit (1) |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Pour une sociologie politique du droit : présentation - Commaille Jacques, Duran Patrice p. 11-28
- Champ juridique et sciences sociales en France et aux Etats-Unis - Garcia Villegas Mauricio p. 29-62 Cet article repose sur l'idée selon laquelle le rapport entre le droit et les sciences sociales change selon les pays et les traditions juridiques. Pour comprendre ces différences, il faut prendre en compte certaines prémisses liées au contexte social et culturel dans lequel ces différences se déploient. Deux de ces prémisses sont ici analysées. La première porte sur la manière dont les champs juridiques se sont restructurés à travers le XXe siècle. La seconde concerne le rapport entre la théorie du droit et l'État. Pour rendre plus explicite cette perspective d'analyse, le champ juridique français et le champ juridique américain sont ici analysés et comparés.This article is based on the idea that the relationship between law and the social sciences changes according to national seetings and legal traditions. In order to understand these differences, certain premises related to the social context in which these differences take place, must be taken into consideration. This article analyzes two of these premises. The first one concerns the restructuring process of legal fields during the twentieth century. The second involves the relationship between legal theory and the state. To clarify this analytical perspective, the French and American legal fields are analyzed and compared.
- Heurs et malheurs de la légalité dans les sociétés contemporaines. Une sociologie politique de la « judiciarisation » - Commaille Jacques, Dumoulin Laurence p. 63-107 Un travail d'inventaire, loin d'être exhaustif, entrepris sur la littérature internationale portant sur la « judiciarisation » constitue le support de la présente analyse. Après avoir rappelé les différentes définitions données de la « judiciarisation » et tenté de mieux cerner ce qui relève d'une réalité ou de représentations construites d'un accroissement du rôle de la justice par rapport au politique, des illustrations sont fournies dans le domaine des politiques publiques et, plus généralement, dans celui du fonctionnement démocratique. Il apparaît finalement que ce qui semble être le véritable enjeu d'une exceptionnelle mobilisation de la connaissance sur cet objet : c'est un changement de régime de légalité, d'une légalité qui ne serait plus seulement fondement du pouvoir mais instrument de pouvoir. Ce changement est associé et participe des transformations du politique pour signifier notamment l'avènement d'un modèle de domination légitime dont la « judiciarisation », réalisée ou représentée, deviendrait alors un des attributs.This article takes stock of the international literature on « judicialization », although it is hardly exhaustive. After recalling the different definitions of « judicialization » and attempting to better distinguish between what is reality and what are representations constructed by the increased role of justice, compared with politics, illustrations are provided in the domain of public policy and, more generally, in the domain of democratic functioning. It appears that what seems to be the true issue of an exceptional mobilization of knowledge on this object is a regime change of legality, a legality that would no longer be the foundation of power, but an instrument of power. This change is associated with and draws on policy transformations to signify in particular the accession of a model of legitimate domination of which the « judicialization », realized or represented, would then become one of its attributes.
- Les formes de jugement du politique. Principes moraux, principes d'action et registre légal - Lascoumes Pierre, Bezes Philippe p. 109-147 La dénonciation des « affaires » et la mise en cause de la « corruption » font partie des critiques les plus souvent adressées aux élus et aux autorités gouvernementales. Des auteurs y ont vu une manifestation typique de la défiance majeure d'une grande partie des citoyens à l'égard de leurs responsables. Nous présentons ici une hypothèse différente en considérant que les citoyens ordinaires entretiennent des rapports complexes au politique dans lesquels les enjeux de probité publique sont diversement pondérés. Plusieurs éléments concurrents entrent en jeu dans l'économie du jugement politique des individus : des principes moraux témoignant des attentes normatives à l'égard des comportements des élus ; des principes valorisant l'activité des gouvernants et leur capacité à répondre aux demandes des citoyens et à atteindre des résultats ; des références juridiques mobilisées pour accentuer un jugement. À partir d'entretiens collectifs (focus group) organisant la discussion d'une série de scénarios présentant des formes contrastées d'atteintes à la probité publique, nous dégageons quatre répertoires normatifs : légaliste, contractualiste, pragmatique, réaliste. Ils illustrent des rapports différents à la politique et des conceptions différenciées des normes censées la régir.Accusations of corruption and scandals are regular grievances against politicians and governments at large. For some, these accusations are one indicator of individuals' distrust towards their political elite. This article develops an alternative argument by stressing that individuals develop a complex relationship towards politics in which issues such as morality and ethics are weighted according to different normative repertoires. Individuals' political judgments are formed by diverse criteria, such as moral principles that underpin expectations regarding politicians'behaviours ; norms of action related to the effectiveness and efficiency of the provision of public services i.e. expectations regarding the capability of politicians to respond to citizens' needs and to achieve results ; legal references mobilised to accentuate a judgment. This article develops this argument by presenting evidence gathered through focus groups. The research identifies four normative repertoires : legalism, contractualism, pragmatism, and realism. These normative repertoires illustrate different relational understandings of politics and different conceptions of the norms that are supposed to underpin it.
- Résister par le droit ? Avocats et magistrats dans la résistance (1940-1944) - Israël Liora p. 149-175 Cet article propose de mettre en évidence trois formes de résistance fondées sur le droit, à partir d'une analyse sociohistorique de l'engagement dans la Résistance d'avocats et de magistrats pendant la Seconde Guerre mondiale en France. La première, « résister malgré le droit », renvoie à l'antagonisme entre le légalisme et l'entrée en résistance, qui constituait tout spécialement pour des juristes un obstacle à l'engagement. La seconde forme, « à l'ombre du droit », désigne la manière dont progressivement vont être découvertes et utilisées les possibilités d'action subversives offertes par ces professions, à condition de jouer un double jeu. Enfin, la résistance « au nom du droit » renvoie à l'élaboration d'argumentaires juridiques justifiant la Résistance intérieure et extérieure et apportant à ce combat la légitimité du droit. Cette tripartition, à la fois analytique et chronologique, invite ainsi à complexifier l'analyse des relations entre droit et politique.Three forms of legal resistance are identified in this paper, on the basis of a sociohistorical analysis of the participation of lawyers and magistrates to the resistance movement in France during World War Two. First, « resistance despite the law » describes the antagonism between legalism and resistance that should have prevented lawyers from being committed to the resistance movement. Second, « resistance in the shadow of the law » depicts how, progressively, the subversive potentialities of judicial professions were discovered and used. Third, « resistance in the name of the law » shows how the legitimacy of law was used to justify opposition to the Vichy regime and its allies. This threefold conception, analytical as well as chronological, is an invitation to a more complex analysis of the relationships between law and politics.
- De la gestion des espaces au projet de territoire : les enjeux politiques d'un changement de paradigme juridique - Melot Romain p. 177-199 Les changements du droit de l'aménagement intervenus depuis une trentaine d'années ont profondément remodelé les instruments de gestion des espaces que sont les documents d'urbanisme en intégrant des dispositions relatives à des domaines de plus en plus diversifiés comme le logement, la cohésion sociale, la préservation de l'environnement, ou le soutien à l'activité économique. Ces changements ont fait profondément évoluer la responsabilité politique des élus locaux face au travail de définition d'un projet de territoire, enjeux dont on essaiera ici de rendre compte à partir d'une lecture des transformations du droit en la matière et du recours à deux matériaux d'observation : les processus d'élaboration des documents d'urbanisme communaux associant une configuration complexe d'acteurs publics d'une part, et les usages de la justice administrative visant à remettre en cause les projets conçus par les municipalités.Changes in planning law in the past three decades have deeply reorganized legal instruments in land management such as land use plans : increasingly diverse policy matters including housing, social cohesion, environmental care, or support of economic activity have had to be taken into account by local governments. These changes have had a great impact on the nature of political responsibility at the local level regarding land management as a territorial project. The research deals with legal change in land management through two observation material : the elaboration process of land use plans as a clustering of different institutional actors on the one hand ; and the analysis of appeal procedures to administrative courts when local plans are disputed on the other hand.
- The ?sociological citizen? relational interdependence in law and organizations - Silbey Susan, Huising Ruthanne, Coslovsky Salo Vinocur p. 201-229 Dans cet article, nous développons trois exemples de ce que nous appelons des “Citoyens sociologues” (des employés chargés de vérifier le respect des normes de sécurité et de l'environnement, des procureurs et des cadres d'entreprise), qui considèrent leur travail et se considèrent eux-mêmes comme faisant partie d'un réseau complexe d'interactions et de processus, et non comme occupant un poste avec des intérêts et des responsabilités limités. Au lieu de se spécialiser étroitement, et de ne prendre en considération que de façon épisodique les connections plus larges et les répercussions de leurs actions, ces acteurs considèrent leur organisation ou leur état comme le résultat de décisions, d'indécisions, de processus d'essais et d'erreurs, et non comme le résultat d'une action rationnellement organisée. Dans cette entité dynamique, ils conçoivent leur propre rôle comme insignifiant en soi mais essentiel à l'ensemble. Nous situons d'abord cette observation dans la notion de fait social de Durkheim, puis nous faisons l'hypothèse que les sciences sociales du XXe siècle ont produit une conception réifiée des relations sociales qui masque inutilement ce travail quotidien de construction sociale dans la pratique. À l'inverse, une analyse partant de l'hypothèse d'un “Citoyen sociologue” permet d'explorer plus systématiquement les variations de performance des organisations. Nous suggérons, premièrement, que la perception de la structure de l'action sociale et des interdépendances relationnelles par les acteurs peut varier de manière prévisible. Deuxièmement, nous estimons que cette perception des interdépendances relationnelles peut affecter, à son tour, la performance des différents rôles.In this paper we describe three examples of what we call “the sociological citizen”, environmental health and safety workers, law enforcement officers, and firm managers who see their work and themselves as links in a complex web of interactions and processes rather than as offices of delimited responsibilities and interests. Instead of focusing closely and only sporadically taking account of the larger connections and reverberations of their actions, these actors view their organizations or states as the outcome of human decisions, indecisions, trial and error, rather than rationally organized action. In this dynamic entity, they reconceive their own role as insignificant by itself yet essential to the whole. We locate this observation first within Durkheim's notion of social facts and later hypothesize that twentieth century social science may have contributed to reified conceptions of social relations unnecessarily obscuring this ground level everyday work of social construction. We offer this conception of the sociological citizen as a hypothesis with which to explore more systematically variations in organizational performances and outcomes. We suggest, first, that actors'perceptions of the structure of social action and relational interdependence will vary in perhaps predictable ways. Second, apprehension of relational interdependence will, in turn, affect role performances.
- Pour une politique des droits subjectifs : la lutte pour les droits comme lutte politique - Colliot-ThÉlÈne Catherine p. 231-258 Héritiers d'une pensée politique qui s'est constituée autour de l'État, les philosophes contemporains tardent à réfléchir les implications de l'érosion de la souveraineté étatique, constatée par les politistes, les sociologues et les juristes. Les grandes œuvres de la philosophie politique moderne, de Hobbes à Hegel, fournissent pourtant les moyens de concevoir la constitution du sujet politique comme sujet de droits, sur le fond de la disparition des appartenances statutaires. Déterminée nationalement, la citoyenneté est la dernière appartenance statutaire. Elle est aujourd'hui fragilisée par la pluralisation non hiérarchisée des instances de pouvoir, politiques, juridiques et économiques. Il est urgent de repenser la notion de démocratie en liaison avec cette nouvelle configuration des pouvoirs susceptibles de garantir des droits. Cette démarche passe par une réappréciation des objections que certains juristes ont opposées à la notion de droits subjectifs. Sous réserve de déconnecter celle-ci de la représentation de droits que l'individu posséderait par nature, il est possible d'en faire le point de départ d'une collaboration féconde entre les philosophes, juristes, politistes et sociologues qui s'attachent à comprendre les évolutions du monde contemporain.Heirs to a body of political thought which grew up in reference to the State, contemporary philosophers have been slower than political scientists, sociologists and jurists in considering the implications of the erosion of state sovereignty. The major works of modern political philosophy from Hobbes to Hegel give the tools for conceiving the constitution of the political subject as a subject of rights, insofar as statutory membership progressively disappears. Determined nationally, citizenship is the last statutory membership. But citizenship is today weakened by the non-hierarchical pluralization of political, judicial and economic powers. It is urgent to reconsider the concept of democracy in relation to this new constellation of the powers, which may guarantee rights. It is above all important to re-evaluate the objections of certain jurists to the idea of subjective rights. Provided that we disconnect this idea from the representation of rights that the individual has by nature, it is possible to make subjective rights the point of departure for a fertile collaboration among philosophers, jurists, political scientists and sociologists who set out to understand the evolution of the contemporary world.