Contenu du sommaire : L'insécurité comme condition de travail
Revue | Actes de la recherche en sciences sociales |
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Numéro | no 175, décembre 2008 |
Titre du numéro | L'insécurité comme condition de travail |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Le monde précaire et illégitime des agents de sécurité - Péroumal Frédéric p. 4-17 Depuis les années 1980, des services annexes à l'activité principale des structures économiques dominantes ont été progressivement confiés à des prestataires extérieurs. Pour maintenir leur position dans le champ économique ou conquérir de nouveaux marchés, ces prestataires développent des stratégies basées sur l'abaissement des normes salariales. C'est dans ce contexte de bouleversement économique que se consolide le marché du gardiennage. En lutte pour s'étendre, les entreprises de sécurité profitent d'une main-d'œuvre aux origines professionnelles diverses se caractérisant par un déclassement social et professionnel que l'accès au marché du gardiennage ne préserve pas de l'insécurité. De fait, cette main-d'œuvre, fractionnée sur plusieurs sites, rencontre couramment les déboires du travail déqualifié. Dans un tel contexte, l'action collective, qui serait nécessaire à la (re)définition d'un statut et à l'amélioration des conditions de travail, est improbable.Since the 1980s, a number of services not directly related to the main activities of dominant economic structures have been gradually outsourced to external providers. In order to maintain their position within the economic field or conquer new markets, these provides develop strategies based on the compression of wages. This economic upheaval provided the context in which the market for private security has been consolidated. Competing to expand, security firms take advantage of a workforce characterized by a diversified previous work experience and a social and professional downward mobility, that is not protected from job insecurity by entering the market for private security. In fact, this workforce is dispersed over several sites and frequently experiences the difficulties of unqualified work. In such a context, the type of collective action that would be needed in order to (re)define a status and improve the work conditions is not very likely.
- L'accompagnement à la création d'entreprise. Auto-emploi et recomposition de la condition salariale - Darbus Fanny p. 18-33 Avec la montée du chômage, les créations d'entreprises individuelles ne cessent de se multiplier. Porté par l'État et relayé par des praticiens de terrain dès le début des années 1980, l'auto-emploi fait l'objet de divers dispositifs qui aboutissent à la construction d'un secteur d'aide et d'accompagnement à la création d'entreprise. Bien que concernant peu de bénéficiaires, les dispositifs et les organismes qui émergent de ce secteur préfigurent les nouvelles politiques d'emploi. Cet article entend montrer comment les récentes technologies sociales et juridiques qui en sont issues permettent aux aspirants entrepreneurs de voir leurs conditions d'emploi se sécuriser en se rapprochant de la condition salariale, alors que, par ailleurs, les protections associées à cette dernière ne cessent de s'effriter. Ainsi, les cadres proposés pour entreprendre se multiplient et se complexifient pendant que les profils de ceux qui sont conduits à les rejoindre se « normalisent ».In a context of growing unemployment, the creation of individual enterprises is thriving. Advocated by the state and relayed by practitioners since the beginning of the 1980s, self-employment is promoted through different formalized strategies that converge into the construction of a sector dedicated to the assistance to and the accompaniment of enterprise creation. Although of little interest to the beneficiaries, these strategies as well as the organizations that emerge in this sector foreshadow the new job creation policies. This article shows how these new social and legal technologies allow the entrepreneurs-to-be to see their work conditions become more secure and increasingly similar to the condition of waged labor, while the guarantees associated with this condition continue to unravel. As a result, the new frameworks offered for assisting entrepreneurship multiply and become increasingly complex, while the profile of those who adopt them become increasingly “normal”.
- Agent RATP plutôt qu'ouvrier, la sécurité ? - Thibault Martin p. 34-39 Si l'on devient aujourd'hui souvent ouvrier « faute de mieux », il est néanmoins notoire que les ouvriers de la maintenance des trains à la RATP s'estiment plutôt bien lotis au moment d'entrer à la Régie. Ayant réussi à fuir la figure repoussoir du monde ouvrier de l'usine, ces jeunes entrent positivement dans une condition ouvrière particulière, au point même de se sentir davantage agent RATP qu'ouvrier. Cependant, ces représentations construites dans les longs mois qui précèdent l'entrée se trouvent nuancées par la réalité de l'atelier. Ainsi, même si le statut permet d'accéder à une certaine stabilité, l'évolution des conditions de travail, les rapports parfois conflictuels avec la hiérarchie et les minces possibilités d'évolution sont sources de désillusions. Et si on entrait à la Régie en se pensant davantage agent RATP qu'ouvrier, tout pousse à laisser penser que l'on est finalement bien plus ouvrier qu'agent RATP.If people today become workers “for want of a better opportunity”, it is well known that the workers in charge of train maintenance at the RATP see themselves as better off when they join the Régie. Because they have managed to escape the unattractive condition of factory work, these young recruits relate positively to a specific manual labor condition, to the extent that they consider themselves RATP operators rather than workers. However, such representations, developed during the long months that precede the beginning of work, are nuanced by the actual experience of the workshop. Thus, even if the status makes it possible to enjoy some degree of stability, the evolution of the working conditions, relationships with the hierarchy that may be occasionally conflictual, and the slim opportunities for evolution are a source of delusion. If one joins the Régie convinced of being an RATP agent rather than a worker, everything tends to suggest that one actually is a worker rather than a RATP agent.
- Les conditions sociales de l'insertion professionnelle. Destins croisés de deux populations étudiantes d'IUT - Lafarge Géraud p. 40-53 Avec les réformes de l'enseignement supérieur menées au nom de la « professionnalisation », le taux d'emploi des diplômés devient un enjeu stratégique dans les formations dispensées, mais on s'interroge habituellement très peu sur les mécanismes auxquels obéit l'insertion professionnelle des étudiants. En proposant l'étude comparative de deux options d'un même département, cet article montre le poids, d'une part, des propriétés sociales et scolaires des étudiants et, d'autre part, du caractère plus ou moins établi de la profession à laquelle ceux-ci sont formés. Les inégalités d'accès à l'emploi apparaissent comme le produit des différences cumulées avant, pendant et après l'école, beaucoup plus que comme le résultat de la formation dispensée.In the context of higher education reforms implemented in the name of “professionalization”, the employment rate of graduates becomes a crucial dimension of curricula. However, little attention is paid to the mechanisms that determine the entrance of students on the job market. By conducting a comparative analysis of two curricula within a same department, this article shows the weight of the social and educational properties of students on the one hand, and of the degree of institutionalization of the profession for which they are trained. The inequalities in terms of access to the job market thus seem to be the result of differences that are accumulated before, during, and after school, more than the result of education itself.
Document
- « Un si beau métier... » Précaire de l'enseignement - Delhestre Marie p. 54-61
- L'enquête des Gaston ou les sociologues au travail - Gwenaële Rot, François Vatin p. 62-81 En 1954 Bernard Mottez et Jacques Dofny, alors apprentis sociologues, partaient, supervisés par Alain Touraine et Jean-Daniel Reynaud, arpenter les laminoirs de Mont-Saint-Martin pour enquêter sur la perception du changement technique par les ouvriers. Cette enquête phare de la sociologie du travail française d'après-guerre, dont c'était là la première phase, ne sera finalement publiée sous forme d'ouvrage qu'en 1966. Cet article vise à dégager, si ce n'est tous, du moins certains des différents « états » (comme on dit d'une peinture), cachés derrière la seule façade visible de l'ouvrage de 1966. Son matériau est constitué, outre des différents rapports intermédiaires, du carnet d'enquête tenu par les deux jeunes chercheurs, qui s'appelaient eux-mêmes les Gaston. Ce précieux document permet d'étudier la sociologie « en train de se faire » et de montrer comment l'ouvrage final traduit l'enquête selon les normes d'écriture de l'exposé sociologique de cette période.In 1954 two aspiring sociologists, Bernard Mottez and Jacques Dofny, went to visit the laminators of Mont-Saint-Martin in order to study the perception of technical change among workers, under the supervision of Alain Touraine and Jean-Daniel Reynaud. This landmark survey of postwar French sociology, then in its first stage, was finally published as a book in 1966 only. This article aims at making visible if not all, at least some different “stages” (as one says of a painting), hidden behind the façade of the 1966 publication. The materials upon which it builds are not only various intermediary reports, but also the survey diary of the two young researchers, who called themselves the “Gastons”. This precious document makes it possible to study sociology “in the making” and to show how the final product translates the fieldwork to fit the standards of sociological writing of its time.
Hors thème
- Les structures du champ chorégraphique français - Faure Sylvia p. 82-97 Rendant compte des conditions matérielles de production et de diffusion des œuvres chorégraphiques au début des années 2000, l'article propose une analyse des positions esthétiques des créateurs en s'intéressant aux relations entre les politiques culturelles qui soutiennent les logiques de production et de diffusion des spectacles « vivants » et le champ chorégraphique français, mais sans toutefois réduire le champ des possibles des artistes à une « demande » sociale et politique. La recontextualisation socio-historique du champ chorégraphique permet de mieux comprendre les relations complexes entre forme artistique et forme politique, notamment par le biais des processus de rationalisation du ballet et du corps dansant, et par la constitution progressive de corps de professionnels interdépendants, en l'occurrence ceux des danseurs, des chorégraphes, ainsi que des critiques et plus largement des « experts » jugeant les œuvres, octroyant des prix aux chorégraphes lors de concours, donnant leur avis pour l'obtention de subventions accordées aux compagnies et aux projets artistiques.This article describes the material conditions of production and diffusion of choreographic works in the early 2000s. It offers an analysis of the esthetic positions of artists by looking at the relation between the cultural policies that support the production and diffusion of “live” shows and the French field of choreography, without however reducing the universe of artistic possibilities to a mere social and political “demand”. The social and historical contextualization of the field of choreography makes it possible to understand better the complex relationships between artistic and political forms, in particular by looking at the processes that rationalize the ballet and the dancing body, and at the gradual organization of independent professionals, namely dancers, choreographers, critics, and more generally “experts” who judge the works, distribute competitive awards to choreographers, and provide advice for finding subsidies given to companies and artistic projects.
- Transformations bancaires et mobilité des élites. Le cas de la transition libérale soviétique (1986-1991) - Ould-Ahmed Pepita p. 98-115 En dépit des réformes bancaires radicales menées en URSS (1988-1991), le nouveau rapport monétaire escompté ne parvient pas à se mettre en place. Une lecture macroéconomique et institutionnelle se révèle insuffisante pour comprendre un tel décalage entre les réformes et leurs résultats. Cet article propose d'adjoindre à l'analyse un éclairage en termes de socio-économie politique qui s'intéresse à la genèse des nouvelles structures bancaires, aux profils différenciés de ces nouveaux banquiers et à toutes ces données latérales qui vont significativement contribuer à la production ou non de nouveaux comportements. Dans ce contexte d'entre deux systèmes, les réformes bancaires charrient des enjeux très importants. Ces transformations permettent notamment aux élites, soucieuses de préserver leur pouvoir, de se positionner sur la scène économique en cours d'édification. La possibilité pour ces agents de créer leurs propres banques, conjuguée avec d'autres mesures législatives et avantages spéciaux, leur permet d'accumuler capital monétaire et économique et d'accéder aux droits de propriété. Les nouveaux comportements bancaires se déduisent des conditions d'émergence de ces banques et des systèmes d'intérêts imbriqués.In spite of the drastic reform of the banking system carried out in the Soviet Union (1988-1991), the expected structure of economic relationships failed to materialize. An institutional and macroeconomic interpretation cannot account for such a discrepancy between the reforms and their results. This article suggests that this interpretation should be complemented by an analysis of socioeconomic policies that focuses on the genesis of the new banking structures, on the different profiles of the new bankers, and on the range of lateral data that significantly contributes to informing new behaviors. In the interval between two systems, banking reforms carry very high stakes. In particular, these transformations allow elites that are eager to maintain their power to occupy strategic positions on the emerging economic scene. Combined with specific legislative measures and privileges, the possibility to create their own banks allows these actors to accumulate monetary and economic capital, and to secure property rights. The new economic behaviors are the result of the specific conditions in which these banks emerge and of the system of interlocking interests.
- Les structures du champ chorégraphique français - Faure Sylvia p. 82-97