Contenu du sommaire : Mémoires de l'esclavage
Revue | Revue internationale des sciences sociales |
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Numéro | no 188, juin 2006 |
Titre du numéro | Mémoires de l'esclavage |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Résumés - p. 195
Mémoires de l'esclavage
- Du devoir de mémoire au droit à la mémoire - p. 201
- Le projet La route de l'esclave de l'unesco - p. 205
- La Révolution haïtienne et la lutte contre l'esclavage : la connaissance face à l'ignorance et au silence - Rex Nettleford p. 211 Pour vraiment « faire la lumière » sur la traite négrière et l'esclavage, la meilleure méthode consiste à « aborder de front » la réalité de l'histoire par un travail de recherche, d'analyse et d'interprétation portant sur des exemples précis d'administration et de fonctionnement de la traite et sur ses conséquences pour la diaspora africaine. Le présent article fait expressément référence à l'émancipation d'Haïti (Saint-Domingue) et à l'impact de cet événement sur le reste du monde esclavagiste, ainsi qu'aux ondes de choc qu'il a déclenchées et qui se font sentir jusqu'à nos jours. En dépit des progrès considérables de la recherche historique, nous devons tous continuer, et pas seulement les spécialistes, à combattre le silence et l'ignorance pour faire mieux connaître cet épisode de l'histoire contemporaine qui n'a rien perdu de son importance et de son actualité, au moins pour les millions de représentants de la diaspora africaine.
- Esclavage et négationnisme - Anthony Holiday p. 219 Qu'y-a-t-il de rationnel dans l'attitude qui consiste à nier la réalité de l'esclavage et sa place dans l'histoire de l'humanité, dès lors qu'une telle attitude ne relève pas du révisionnisme pur et simple mais implique des réductions ou distorsions flagrantes de la vérité historique ? Telle est la question à laquelle je voudrais essayer de répondre ici. Après avoir évoqué les emplois et les limites de l'utilisation du symbole de la négation en logique formelle, j'examinerai deux cas particulièrement « flagrants » de négationnisme dont l'un porte sur le passé esclavagiste de l'Afrique du Sud et l'autre sur la négation de l'Holocauste par l'auteur David Irving. Ma conclusion est que ces formes de négationnisme sont bel et bien des exemples d'irrationalité, mais non pas de folie au sens clinique contemporain du terme, et que la meilleure réponse à leur opposer est d'exclure ces négationnistes du cercle des adeptes du dialogue rationnel.
- Un réseau thalassique d'échanges : les migrations africaines dans l'océan Indien - Shihan de Silva Jayasuriya p. 231 Les migrations africaines vers l'Orient ont beaucoup moins retenu l'attention des spécialistes que les migrations transatlantiques. Ces dernières s'étendent sur quelques siècles, tandis que celles qui ont eu pour cadre la mer Rouge et l'océan Indien se sont poursuivies durant plus d'un millénaire. Les migrations vers l'Orient ont été aussi bien volontaires que forcées, mais l'esclavage et la traite y ont joué un rôle majeur. Les Africains déplacés se sont retrouvés dans divers contextes culturels et linguistiques, ce qui fait que leur identité ethnique propre n'intéressait pas les marchands d'esclaves. Les esclaves étaient souvent séparés de leurs congénères. Il en est résulté des mutations culturelles, mais, dans ce domaine, les survivances les plus frappantes se situent au niveau de la musique et de la danse. Un phénomène de créolisation s'est parfois produit, mais les communautés afro-asiatiques actuelles sont marginalisées. La présente étude traite du sort des descendants des migrants africains dans une île de l'océan Indien, Sri Lanka.
- L'influence africaine dans la culture et la musique à Dubaï - Aisha Bilkhair Khalifa p. 241 Cet article comporte deux grandes parties. La première offre un aperçu de l'histoire de Dubaï et décrit les dynamiques de pouvoir et les interactions sociales qui se sont instaurées entre la population tribale et les esclaves d'origine africaine. Elle examine et analyse ensuite l'assimilation sociale et culturelle des esclaves africains par la société d'accueil.La seconde partie est consacrée au rôle de la musique et des rituels dans la vie des esclaves. Elle illustre plus particulièrement la fusion qui s'opéra entre la musique et les textes africains et la poésie du Golfe, donnant naissance à une forme hybride appelée al-nahmah (chant de marins). Elle montre aussi comment les différents genres musicaux et rituels africains ont été pour les esclaves un moyen de survie. Enfin, elle rapporte à l'esclavage la possession par les esprits, en tant que forme de résistance et de méthode permettant aux esclaves de supporter leur servitude.Dans la conclusion sont passées en revue un certain nombre de questions relatives aux liens historiques et rapports contemporains entre la société dubaïote et la musique des descendants d'Africains. En dépit du silence qui entoure depuis longtemps la question de l'esclavage et de son héritage dans le Golfe, les esclaves africains de cette région sont parvenus, grâce à la musique et aux rituels, à laisser une marque indélébile qui, en fin de compte, documente, conserve et préserve leur expérience de l'esclavage.
- Mémoire et esclavage : les enjeux de l'historiographie - Salah Trabelsi p. 251 Sur l'ensemble des recherches historiques consacrées au monde arabo-musulman, l'étude de l'esclavage constitue, encore, un thème peu exploré. Ni la violence de la traite, ni le rôle imparti aux multiples couches serviles ne semblent avoir réellement avivé l'intérêt des historiens arabes. De fait, même si le recueil des données s'attache à la reconstruction d'un objet advenu dans le passé, il s'avère qu'il s'agit d'un phénomène ni tout à fait lointain, ni tout à fait révolu ; de par ses réminiscences actuelles, la distinction entre les niveaux d'intelligibilité des discours reste difficilement saisissable. De surcroît, les représentations dominantes s'érigent en obstacle pour une mise à distance propice à la transformation du phénomène en objet de savoir. L'indigence des sources renforce les équivoques et les incohérences. Elle obscurcit les perspectives de connaissance et d'explication des formes revêtues par l'esclavage tout au long des époques historiques. Les sources arabes répugnent, généralement, à évoquer la vie terne des masses serviles amorphes et résignées. Mais il arrive, toutefois, que des chroniqueurs prêtent attention à la vie méprisable de la plèbe, surtout lorsqu'elle s'annonce à grand fracas d'émeutes et de révoltes. Ainsi, cette histoire évincée émerge de l'oubli pour prendre sens dans la mémoire collective.
- Silence et réparations - Jean-Michel Deveau p. 259 L'histoire de la traite a longtemps été occultée pour des raisons de culpabilités mal comprises. Il en résulte une méconnaissance préjudiciable pour les jeunes générations alors que si l'on veut former les esprits à œuvrer pour un monde meilleur et plus pacifique, une connaissance mutuelle du passé se révèle indispensable. Depuis plusieurs années, l'unesco travaille dans ce sens à travers le Comité scientifique « La route de l'esclave » et le réseau des « Écoles associées. »
Les communes microbiologiques
- Comment la bio-informatique et les droits de propriété intellectuelle contribuent au partage de l'information biologique - Peter Dawyndt, Tom Dedeurwaerdere, Jean Swings p. 263
- La contribution des bases de données et du droit coutumier à la protection des savoirs traditionnels - Nicolas Brahy p. 273 La situation actuelle des savoirs traditionnels est quelque peu paradoxale. Ces savoirs sont à la fois sujets à une certaine érosion et l'objet d'un intérêt croissant de la part des scientifiques. Dans ce contexte, les détenteurs de savoirs traditionnels se plaignent d'une appropriation illicite de leurs savoirs et formulent deux séries de revendications. Tout d'abord, ils demandent une protection de leur propriété intellectuelle. En second lieu, ils demandent le respect de leurs droits coutumiers en faisant valoir qu'ils ne demandent pas de se voir accorder de nouveaux droits, mais que l'on respecte leurs droits existants. Pour ce qui est de la première revendication, peu de progrès ont été réalisés, au terme de nombreuses années de débats, du fait probablement que les participants s'appuient sur des justifications fondées sur les droits, peu utiles pour guider la conception de droits de propriété efficaces et transférables. Nous suggérons d'adopter une double approche : tout d'abord, observer les pratiques des détenteurs de savoirs traditionnels, puis recourir à une justification utilitariste, qui éclaire la conception de droits de propriété efficaces. Nous concluons qu'il existe des arguments forts en faveur de la création de bases de données de savoirs traditionnels. Sur la seconde revendication, aucun progrès n'a été réalisé, car celle-ci est perçue comme une exigence politique d'autodétermination. Nous suggérons, là encore, d'adopter une approche utilitariste qui nous fasse considérer cette revendication comme une demande d'articulation entre des systèmes d'innovation coutumiers ou fondés sur des normes et le système juridique du droit de la propriété intellectuelle. Nous pourrons ainsi examiner des solutions déjà expérimentées pour d'autres systèmes d'innovation fondés sur des normes qui ont dû eux aussi organiser leur insertion dans le système juridique de la propriété intellectuelle.
- L'organisation économique de la recherche biomédicale aux États-Unis - Margaret Polski p. 299 Dans le présent article, on analyse l'organisation économique du matériel et de la recherche biologiques aux États-Unis, en mettant plus particulièrement l'accent sur le matériel biologique humain et la recherche biomédicale. La nature économique et les arrangements en matière de droits de propriété qui régissent le matériel biologique et la recherche biomédicale sont assez complexes, ce qui n'est pas sans répercussions importantes du point de vue de l'élaboration d'un système complet de collections et d'échanges pour la recherche. Il n'y a pas de marché unique pour les échanges, ni de « patrimoine commun » (commons) discernable : l'échange biomédical relève de plusieurs types différents de transactions et fait intervenir de nombreux centres de prise des décisions. Selon les théories de la gouvernance efficace, la meilleure forme d'organisation de l'échange biomédical est celle qui allie les principes multipolaires et la diversité des mécanismes contractuels, des droits de propriété et des régimes réglementaires. Les mécanismes contractuels relèvent des lois du marché ou des principes de l'accord trilatéral ou de l'accord relationnel. Les arrangements en matière de droits de propriété intellectuelle concernent l'accès et l'utilisation sans restrictions, la confidentialité et les accords de propriété de l'information, les licences et les brevets. Les solutions réglementaires sont la réglementation limitée, l'autoréglementation et le contrôle par une tierce partie. L'organisation de la recherche biomédicale aux États-Unis fournit une excellente occasion de faire avancer la recherche sur la gouvernance efficace.
- "Biens communs scientifiques" et recherche en sciences de la vie : structure, fonction et valeur de l'accès à la diversité génétique - Robert Cook-Deegan et Tom Dedeurwaerdere p. 317 L'innovation en sciences de la vie dépend de la quantité d'informations produites ainsi que de l'ampleur et de la facilité de leur partage. Les politiques qui régissent les « biens communs scientifiques » (science commons) – ou d'autres espaces d'information plus restreints – déterminent l'étendue et la rapidité de la diffusion de l'information. La présente étude a pour but de faire ressortir les raisons de l'importance des scientific commons et d'en analyser la structure et la fonction. Notre principale conclusion, c'est que les caractéristiques des ressources physiques (depuis les gènes jusqu'aux microbes, plantes et animaux) et les normes et convictions des différentes communautés de la recherche – que l'on songe aux règles des Bermudes concernant le génome humain ou à la Déclaration de Belem sur la prospection biologique – pèsent sur les choix institutionnels qui sont faits lorsqu'il s'agit d'organiser la mise en commun des données scientifiques. Nous montrons également que le « science commons » contribue à résoudre certains dilemmes d'action collective qui se posent à la production de savoir en science et technologie selon la conception du Quadrant de Pasteur, c'est-à-dire lorsque l'information est à la fois scientifiquement importante et susceptible d'applications pratiques. Nous montrons l'importance de deux de ces dilemmes pour les sciences de la vie, que nous appelons respectivement le dilemme diffusion-innovation (avec quelle facilité l'innovation se diffuse-t-elle) et le dilemme exploration-exploitation (quand l'application requiert-elle une action collective).
- La propriété intellectuelle et le domaine commun en biologie : la source libre et au-delà - Krishna Ravi Srinivas p. 339 Pendant de nombreuses années, les semences et les variétés végétales n'ont pas fait l'objet de droits de propriété intellectuelle. Ce n'est que dans les années 1930 que la situation a changé. Jusqu'à la conclusion de l'Accord de l'omc sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (adpic) les États, sauf s'ils étaient membres de l'upov, n'étaient pas obligés de les placer sous le régime de la propriété intellectuelle. Indépendamment des dispositions de l'Accord sur les adpic, les modifications de la législation, les avancées technologiques et la jurisprudence ont conduit au renforcement des droits des détenteurs de brevets et des obtenteurs, tandis que les droits des agriculteurs étaient réduits ou pratiquement vidés de leur substance. Cela a eu d'autres conséquences comme la réduction de la liberté d'invention et d'innovation des chercheurs ainsi que du commerce Nord-Sud des semences et des grains, particulièrement en ce qui concerne les produits agricoles génétiquement modifiés comme le soja. Dans cet article, nous proposons la source libre comme solution et un modèle BioLinux comme alternative. Sans prétendre que la source libre sera une panacée, l'article met en relief quelques-unes des possibilités qui en résultent. Il suggère également qu'elle facilitera beaucoup la recherche d'une solution au problème de l'opposition à la notion de domaine commun (anti-commons) tout en favorisant l'innovation.
- Cadre d'analyse du bien commun microbiologique - Charlotte Hess et Elinor Ostrom p. 357 Dans une communication antérieure intitulée « Ideas, Artifacts and Facilities as a Common-Pool Resource » nous avons examiné le rôle de l'action collective pour établir un solide bien commun du savoir (knowledge commons) et neutraliser les tendances à enclore et privatiser le domaine public intellectuel. Notre analyse montrait que l'action collective et un nouveau modèle institutionnel contribuent aussi largement à déterminer la collecte, la diffusion et la préservation de l'information résultant de la recherche que les restrictions légales et les forces du marché.Le bien commun microbiologique est loin de se limiter à l'impression de documents électroniques et aux autres documents de recherche en version intégrale qui sont au cœur du mouvement pour l'accès libre. Il englobe le contenu des bases de données scientifiques, des archives de recherche et des publications multimédias qui doivent toutes être intégrées en douceur. De plus, le bien commun biologique mondial comprend également des ressources et des réseaux sociaux. Le succès du libre partage des données microbiologiques passe par un mélange complexe de technologie, de contenu scientifique, de normes applicables aux métadonnées, de progiciels source libre, de négociation et respect d'accords sur les droits de propriété intellectuelle, de mécanismes propres à assurer la durabilité et la préservation, de règles et institutions évolutives, et enfin, des engagements fermes des fournisseurs et des utilisateurs à œuvrer pour le bien de tous.
- L'économie institutionnelle du partage de l'information biologique - Tom Dedeurwaerdere p. 373 Dans le domaine de la gouvernance de la biodiversité, des initiatives de partage des connaissances par la mise en réseau de bases de données ont été prises, tant au niveau mondial (comme en témoigne la création du Centre mondial d'information sur la biodiversité (gbif), qui relie les ressources sur la biodiversité du monde entier dans un portail de base de données) que dans le cadre de réseaux plus spécialisés (comme la Banque européenne de tissus tumoraux humains congelés (TuBaFrost)). J'analyserai ici les conditions institutionnelles favorables au développement de ces initiatives dans le cas particulier des ressources microbiologiques. Les deux principales conclusions de cette analyse sont les suivantes : tout d'abord, l'information microbiologique doit être considérée comme un bien complexe qui, par certains aspects, est un bien public, et par d'autres une ressource mise en commun. Ensuite, pour résoudre les problèmes d'incitation que pose ce bien complexe, il nous faut dépasser une conception statique de l'efficience (qui favorise les incitations économiques sous la forme de l'octroi de droits de propriété intellectuelle) pour adopter un cadre dynamique (orienté vers l'application de normes de coopération dans des conditions d'évolution des préférences sociales et des processus d'acquisition des connaissances tout au long de la chaîne de l'innovation). M'appuyant sur les méthodologies des programmes de recherche sur l'efficience dynamique qui ont donné de bons résultats dans d'autres domaines de la nouvelle économie institutionnelle, j'envisage un cadre qui permettrait de définir un ensemble solide de règles de conception pour la gouvernance des ressources microbiologiques mises en commun.
- L'intégration de différentes manières d'appréhender la réalité : un défi socio-économique et institutionnel pour les collections de cultures microbiennes - Heide-Marie Daniel, Uwe Himmelreich, Tom Dedeurwaerdere p. 393 L'étude systématique des micro-organismes et de leurs applications dans les domaines de la médecine, de l'agronomie, de l'industrie, des sciences fondamentales et appliquées, et de l'environnement nécessite beaucoup de moyens. Parce qu'elle fait appel à des méthodes hautement perfectionnées pour aboutir à une énorme masse de données, il est indispensable que des spécialistes de différents domaines travaillent en étroite collaboration pour assurer à leurs travaux le maximum de retombées sociales. Les perspectives d'applications commerciales sont un des moteurs de la recherche, mais elles risquent en même temps d'être source de conflit entre, d'une part, le respect de la propriété intellectuelle, et d'autre part, la nécessité de partager les bases de données et d'en faciliter l'accès. Les collections de cultures de micro-organismes pourraient jouer à cet égard un rôle de médiateurs, en incitant à définir les modalités d'accès aux données et aux matériels. Nous nous proposons d'examiner les problèmes que soulève et les possibilités qu'offre le partage des données relatives aux micro-organismes dans la perspective de l'organisation d'un accès élargi aux divers types d'informations. Notre propos est essentiellement de montrer que centrer exclusivement l'attention sur l'information génétique, sans tenir compte de la nécessité de combiner et de partager les données relatives au comportement et à l'environnement des organismes vivants, c'est se priver d'une expertise, d'un savoir et de possibilités d'applications sociales qui intéressent à la fois les pays développés et les pays en développement, lesquels constituent le principal réservoir de la biodiversité qui subsiste sur Terre.
- Les numéros parus - p. 407