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Revue | Revue historique |
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Numéro | no 648, octobre 2008 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Un aspect des largesses impériales : les sparsiones de missilia à Rome (Ier siècle avant J.-C. - IIIe siècle après J.-C.) - Simon Isabelle p. 763-788 Parmi les vertus dont un empereur romain se devait de faire preuve figurait la liberalitas. Aux trois premiers siècles du Principat, celle-ci pouvait prendre des formes variées. Nous avons décidé de nous intéresser à un type de largesses bien particulier : les grandes distributions exceptionnelles d'argent, de nourriture, de vêtements et d'objets divers appelées sparsiones de missilia. Le but de cet article est de mettre en évidence la façon dont ces bienfaits étaient accordés et ce qu'ils symbolisaient. Répondre à cette question met en évidence le rôle de Fortuna dans la répartition des lots. C'est ce qui fait en partie la singularité de ces types de dons grâce auxquels le prince apparaissait comme un bienfaiteur tout-puissant.The Roman emperor was expected to practise liberalitas, one of the imperial virtues. During the first three centuries of the Principate, imperial liberalitas included different types of bounties. We decided to focus on the public distributions of money, food, clothes and various objects called sparsiones of missilia. This article aims at explaining the way these benefactions were conferred and what they symbolized. It makes obvious the rôle played by Fortuna in the sharing out of the different kinds of goods. The originality of these gifts partly consists in their hazardous repartition. Thanks to them, the Prince also appeared as an omnipotent benefactor.
- Les hiérarchies de l'honneur. Avatars d'une grille conceptuelle à la fin du Moyen Âge : Mézières et le Pseudo-Denys - Blanchard Joël p. 789-817 Les mots vivent et meurent : il en est ainsi de « hiérarchie » rejeté aujourd'hui par les sciences sociales au profit de termes plus techniques ; le mot connaît pourtant un grand succès au Moyen Âge dès le VIIIe siècle, grâce au Pseudo-Denys, et il est encore utilisé au XIVe siècle par l'auteur du Songe du Viel Pelerin, Philippe de Mézières. L'adoption de la grille d'analyse dionysienne sert plus que jamais à donner de la société une conception psychologique globale. Reducere per media ad unum, tel est postulat du Pseudo-Denys. Cette grille nouvelle sert opportunément à la fin du Moyen Âge dans un contexte de réforme et de croisade. Certes, les trois hiérarchies y sont quelque peu bousculées : on passe de trois à quatre hiérarchies, mais ce changement est voulu. La hiérarchie supplémentaire, dédoublement du studium ou ajout à celui-ci, est amenée par le rôle grandissant de l'institution judiciaire. Le but du retour ultérieur à l'Un est, grâce au Pseudo-Denys et à l'alchimie morale, la découverte de l'« élixir », de la « pierre philosophale », objets d'une quête résumés en une formule, l'« honneur du Christ », devenu l'honneur de l'humanité entière rassemblée en un unique destin. Voilà comment, à travers un songe, l'utilisation du Pseudo-Denys, inspirée par le nominalisme du temps et par un pragmatisme mystique, permet de porter un regard aigu sur les transformations de la rationalité médiévale.Words live and die : such was the case for the word « hierarchy » to which the social sciences now prefer more technical terms, whereas it was in very common use in the Middle Ages, from the VIIIth century onward thanks to the Pseudo-Denys. It was still very frequent in the XIVth century in the Songe du Viel Pelerin by Philippe de Mézières. Using a pattern of analysis inspired by the Pseudo-Denys is more useful than ever to elaborate a global conception of Society. Reducere per media ad unum was the Pseudo-Denys' postulate. This new pattern was particularly useful in the late Middle Ages in a context of reformation and crusade. Indeed, the three hierarchies were somewhat disrupted : in fact the three hierarchies became four. This change was perfectly intentional. The additional hierarchy resulting from the splitting of the studium or from an addition to it was brought about by the increasing part played by judicial institutions. The ultimate aim was the return to unity, thanks to the Pseudo-Denys and to moral alchemy ; the quest for the elixir and the philosopher's stone can be epitomized in one phrase : « Christ's honour » which has become the honour of all mankind subjected to one common destiny. So, through a dream, the reference to the Pseudo-Denys, inspired by the prevailing nominalism and by mystical pragmatism allows us to consider the transformations of medioaeval rationality with some acuteness.
- La conversion des musulmans de Valence (1521-1525) et la doctrine de l'Église sur les baptêmes forcés - Poutrin Isabelle p. 819-855 À l'été 1521, dans le royaume de Valence, durant la révolte des Germanias, de nombreux musulmans sont conduits à recevoir le baptême. En 1525, Charles Quint, conseillé par une assemblée de juristes et de théologiens, décrète que ces baptêmes sont valides et que les convertis doivent être soumis à la foi catholique. La même année, Fernando de Loazes (1497-1568), juriste et procureur de l'inquisition de Valence, publie le Tractatus super nova paganorum conversione, traité juridique destiné à faire taire toute contestation sur la validité des baptêmes. L'article analyse l'argumentation développée dans cet ouvrage. Procédant selon la méthode scolastique, Loazes montre d'abord que les baptêmes sont invalides : la loi royale, la tolérance pontificale et le défaut de consentement des musulmans sont ses principaux arguments. Mais, dans les 2e et 3e parties du traité, il montre au contraire que les baptêmes de 1521 sont valides au regard du droit canonique, et qu'ils correspondent aux desseins de la Providence. L'argumentation est solidement fondée sur la doctrine élaborée par les canonistes et théologiens sur les baptêmes forcés, à l'occasion des conversions des juifs depuis le VIIe siècle. Au terme de cette analyse surgit une dernière question : le droit canonique devait-il dicter à Charles Quint une décision relevant du politique ?In the summer of 1521, in the kingdom of Valencia, during the revolt of the Germanias, many Muslims are led to baptism. In 1525, Emperor Charles V, advised by an assembly of jurists and theologians, decrees that these baptisms are valid and that the converts have to submit to the Catholic faith. The same year, Fernando de Loazes (1497-1568), a jurist and a prosecutor of the inquisition of Valencia, publishes the Tractatus super nova paganorum conversione, a legal treaty intended to silence any objection to the validity of baptisms. The article analyzes the argumentation developed in this book. Proceeding according to the scholastic method, Loazes shows first that the baptisms are invalid : the royal law, the papal tolerance and the lack of consent of the Muslims are his main arguments. But in the 2nd and 3rd parts of the treaty, he shows on the contrary that the baptisms of 1521 are valid according to the canon law, and that they correspond to the designs of Providence. The argumentation is solidly based on the doctrine elaborated by the canonists and theologians about forced baptisms during the conversions of Jews since the 7th century. This analysis leads to a final question : should canon law dictate to Charles V a highly political decision ?
- Violence et luttes religieuses dans la Confédération polono-lithuanienne (fin XVIe - milieu du XVIIe siècle) : l'exemple de la confrontation entre uniates et orthodoxes - TATARENKO LAURENT p. 857-890 À l'époque des Réformes, la Pologne-Lithuanie fut fréquemment décrite comme le royaume de la « tolérance » – loué ou dénoncé par les contemporains eux-mêmes – sur les marges d'une Europe déchirée par les luttes confessionnelles. Cette image fait oublier que la Confédération ne fut pas totalement exempte de conflits sanglants, avant même les crises des années 1640-1660. Parmi les divers assauts portés contre la pratique de la coexistence religieuse à partir de la fin du XVIe siècle, l'exemple de la communauté ruthène de rite grec permet de saisir certains processus responsables d'une telle transformation. Marqués par l'expérience de l'Union de Brest (1595) – tentative locale de rapprochement institutionnel entre les christianismes grec et latin –, les Ruthènes succombèrent peu à peu aux fissures internes, issues du refus ou de l'acceptation de la communion avec Rome, qui débouchèrent sur des épisodes violents. Hommes d'Église et laïcs s'engagèrent dans un jeu complexe, destiné à défendre la légitimité exclusive de leur choix d'obédience. Toutefois le clergé fut désigné comme le premier responsable de la division et devint la cible privilégiée des tensions. Dans les années 1610, l'évolution du contexte sociopolitique et le rôle pris par les cosaques dans le camp orthodoxe firent basculer les rapports de force et laissèrent davantage de place à l'affrontement direct. Les atteintes à la vie des clercs révélaient ainsi la construction progressive d'un imaginaire de l'ennemi et du « traître » dans la foi, devenu le miroir des craintes eschatologiques des fidèles. Cette intrusion de la violence dans le débat religieux sut produire un langage symbolique, exprimé dans les actions spontanées des assaillants et évoqué à plusieurs reprises dans les écrits des protagonistes du conflit. Elle servit également à faire apparaître et à creuser davantage le fossé confessionnel entre uniates et orthodoxes, là où les pratiques cultuelles préservaient encore l'illusion d'unité.At the age of religious Reformations, Polish-Lithuanian space was frequently described as kingdom of « tolerance » – praised or condemned by contemporaries themselves – on borders of Europe tormented by confessional struggles. Such picture misses the idea that the Commonwealth was not absolutely free from bloody conflicts, even before crises of 1640-1660 decades. Among various assaults against the experience of religious coexistence since the end of the 16th Century, the example of Greek rite Ruthenian communities allows to overtake some processes responsible for such transformation. Affected by the Union of Brest (1595) – a local attempt of institutional rapprochement between Greek and Latin christianities – Ruthenians acceded to some internal cracks, generated by refusal or reception of the communion with Rome, which led to various cruel incidents. Ecclesiastics and laymen entered a complex game to defend exclusive legitimacy of their choice of obedience. Nevertheless, the clergy was appointed as the first responsible for division and became the main target of troubles. From the 1610th, evolutions of sociopolitical context and the role taken by cossacks in orthodox camp changed the force ratio and gave more places to direct collisions. Thus, attempts on clergymen lives revealed gradual construction of a shaped consciousness of the enemy and « traitor » in faith, serving as a mirror of eschatological fears of believers. This intrusion of violence into religious disputes managed to use a symbolical language, apparently expressed in spontaneous actions of assailants and repeatedly mentioned in various writings of conflict protagonists. It also promoted showing up and deepening of a religious ditch, between Uniates and Orthodox Churches, where cult practice was still insuring an illusion of unity.
- Gambetta et Ferry, amis et rivaux - Barral Pierre p. 891-919 Gambetta et Ferry ont joué tous deux un rôle décisif dans la fondation de la IIIe République. L'examen de leurs correspondances permet de suivre l'évolution subtile de leur relation personnelle. Dans leur combat commun, le Lorrain réservé a subi l'ascendant du Méridional éloquent et il s'est vite tissé entre eux une chaleureuse amitié. Peu à peu, celle-ci s'est distendue et, après la conquête du pouvoir par les républicains, les ambitions se sont durement affrontées. Aujourd'hui, Ferry, loué pour son œuvre scolaire, désavoué pour son œuvre coloniale, demeure plus présent que son ami et rival dans la mémoire collective des Français.Gambetta and Ferry have both played a determinant part in the IIIrd Republic foundation. The study of their letters allows to observe the subtle evolution of their personal intercourse. In their common fight, the reserved Lorrain has been subjected to the influence of the eloquent Meridional and they stroke up a hearty friendship. This relationship insensibly slackened and, after the republican victory, their ambitions roughly attacked each other. To day, Ferry, praised for his school reforms, disapproved for his colonial part, remains more alive than his friend and rival in the collective remebrance of French people.
- Comptes rendus - p. 921-995