Contenu du sommaire : La Russie de Poutine
Revue | Pouvoirs |
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Numéro | no 112, 2005/1 |
Titre du numéro | La Russie de Poutine |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Les institutions politiques en danger - Mendras Marie p. 9-22 Le recul des libertés et du suffrage universel direct, le contrôle de l'information et des médias, la régression dans le fonctionnement de toutes les institutions publiques, l'exacerbation de la violence sont des réalités trop évidentes et préoccupantes pour continuer à décliner les paradigmes de la transition à la russe. Le Kremlin concentre peu à peu l'essentiel du pouvoir dans l'exécutif, joue, dangereusement, du terrorisme international pour prendre des mesures sécuritaires et autoritaires, reprend le contrôle des richesses pétrolières, rejette le fédéralisme, mais se désintéresse de l'organisation de l'État et de ses structures. Vladimir Poutine s'isole dans un régime hyper-présidentialiste ; sur le plus long terme, la faiblesse de sa stratégie est qu'elle est pensée comme une contre-attaque et une prise accrue de contrôle, et non comme une restructuration de l'État et des modes de gouvernement.The limits imposed to civil liberties and universal suffrage, the control of information and the media, the poor performance of public institutions, the increase of violence are such evident and preoccupying realities that they make it difficult to continue discussing the paradigms of a transition à la russe. The Kremlin has been gradually concentrating power in the executive, it has dangerously used the issue of international terrorism to introduce authoritarian security measures, it has taken back the control of oil revenue, rejected federalism and shown no interest in the organization of the State and its structures. Vladimir Putin has been isolating himself in a presidential regime but, in the long run, the weakness of his strategy comes from the fact that it is conceived as a counter-attack and a concentration of power rather than as a process of restructuring of the state and its modes of governance.
- Les grandes transformations de la société russe - Rousselet Kathy p. 23-34 La Russie a connu au cours des quinze dernières années d'importantes transformations sociales. À côté de catégories sociales appauvries, cherchant avant tout à s'adapter à une réalité marquée par l'incertitude de l'avenir, émergent des groupes sociaux porteurs de nouvelles valeurs. Oscillant entre innovations et pratiques de repli, la société russe évolue au gré des transformations institutionnelles et des nouvelles règles du jeu. Les changements sociaux expliquent en grande partie l'aspiration générale de la population à une situation économique et sociale stable ainsi qu'à un État fort.In the last fifteen years Russia has experienced major social transformations. Alongside impoverished groups, who seek essentially to adapt to a new reality characterized by the uncertainty of the future, social groups bearing new values have emerged. Hesitating between innovation and withdrawal, Russian society has been evolving according to institutional changes and the new rules of the game. To a large extent, social changes explain the general aspiration of the people to a stable social and economic situation together with a strong state.
- Les oligarques et le pouvoir : la redistribution des cartes - Nougayrède Natalie p. 35-48 En arrivant au pouvoir, Vladimir Poutine a promis d'« éliminer les oligarques en tant que classe ». Tandis que certains magnats, jugés hostiles au nouveau pouvoir, ont dû quitter la Russie sous des pressions judiciaires, le poids d'une vingtaine de grands groupes financiers et industriels n'a cessé de croître, selon la Banque mondiale. Le pays avait, début juillet, l'œil rivé sur le sort de l'homme le plus riche du pays, Mikhaïl Khodorkovski, l'ancien patron de la société pétrolière Ioukos, menacée de faillite par des demandes répétées du fisc russe. L'affaire Ioukos est devenue le symbole de la « bataille » menée par M. Poutine pour soumettre les magnats de l'économie à ses volontés. Mais le maître du Kremlin, en agissant de façon arbitraire, pourrait aussi s'attirer un retour de bâton à la veille des échéances électorales de 2007 et 2008, et détruire les chances d'établir un climat favorable aux investissements en Russie.When he came to power Vladimir Putin promised to « eliminate the oligarchs as a class ». While a number of magnates, considered as hostile to the new power, have been forced to leave Russia under judicial pressure, the weight of about twenty financial and industrial groups has kept increasing, according to the World Bank. Last July, the country's attention was focused on the fate of the richest man in Russia, Mikhaïl Khodorkovski, the former boss of Yukos, an oil company under threat of bankruptcy due to the insisting demands of the Russian revenue service. The Yukos case has become a symbol of Putin's « battle » to impose his authority to the magnates of the economy. But by acting in an arbitrary manner, the master of the Kremlin could provoke a backlash on the eve of the elections of 2007 and 2008, and destroy the chances of establishing a climate favorable to investments in Russia.
- La télévision, média du pouvoir - Fossato Floriana p. 49-61 La télévision est devenue la compagne quotidienne de neuf Russes sur dix. Les médias nés de la perestroïka apparaissaient, à l'origine, comme une force de démocratisation et de modernisation. Mais les journalistes, qui n'avaient été unis que par leur opposition au régime communiste, n'ont pas su se donner les moyens de devenir une force indépendante, capable de remplir la fonction de contrepoids du pouvoir. À part quelques exceptions, la profession n'a pu de ce fait résister à la pression des nouvelles autorités. Le président Poutine a imposé sa loi et, depuis 2000, la télévision a clairement contribué à l'effort du régime pour se donner une image de stabilité, d'unité et de patriotisme. Quelques tentatives timides tentent d'introduire l'analyse et la réflexion par le biais du divertissement.Television has become the daily company of nine out of ten Russians. The media that emerged during perestroika first seemed a tool of democratization and modernization. However, journalists who had been united only by their common opposition to the communist regime, have not been able to find the means to become an independent force, in a position to counterbalance the political power. The profession has therefore been unable to resist the pressure from the new authorities. President Putin has imposed his law and, since 2000, television has clearly contributed to the effort of the regime to convey an image of stability, unity and patriotism. A few timid attempts have been trying to introduce some analysis and reflection through entertainment programs. However, the atmosphere is today that of a Potemkin village. The president and his inner circle do not see the problem, quite the contrary.
- Les élites en uniforme - Vernon Barbara p. 63-77 Lorsqu'il s'installe au Kremlin, Poutine, lui-même issu des services de sécurité, veille rapidement à mobiliser la ressource des structures de force. L'influence des siloviki dépasse la sphère des administrations. Elle se mesure dans les secteurs de l'économie, en particulier celui de l'énergie. Par ailleurs, la guerre contre le terrorisme international est devenue un instrument politique servant à justifier les opérations militaires en Tchétchénie notamment, mais le bilan est désastreux. La dégradation de l'armée est toujours profonde. Elle touche à la fois les hommes et leur formation, l'encadrement et les structures de commandement. Mais, depuis l'arrivée de Poutine au Kremlin, le budget de la défense a fortement augmenté.Upon arriving at the Kremlin, Putin, who himself came from the security services, tried very rapidly to mobilize the resources of the military. The influence of the siloviki goes far beyond the administrative sphere and can be felt in the economy, in particular in the energy sector. In addition, the war against international terrorism has become a political tool to justify military operations in Chechnya, but the result is disastrous. The deterioration of the army remains a major problem. It affects the men and their training, supervision and the structures of command. But since Putin's arrival at the Kremlin, the defense budget has sharply increased.
- Les droits de l'homme et la guerre en Tchétchénie - Gerber Theodore P., Mendelson Sarah E. p. 79-92 Non seulement nombre de rapports d'organisations russes et internationales de défense des droits de l'homme nous décrivent une situation catastrophique en Tchétchénie, mais nos études montrent que la guerre fournit au pouvoir un tremplin et un prétexte pour faire reculer les libertés publiques dans le reste de la Russie. L'analyse de l'opinion publique en Russie à propos de la Tchétchénie – sur la base de sondages et de groupes de discussion – et, à travers ce prisme, la perception des droits de l'homme dans la population permettent d'observer comment la guerre alimente l'intolérance et les préjugés ethniques en Russie. L'opinion semble plus sensible aux pertes russes et aux répercussions économiques de la guerre qu'aux atteintes aux droits de l'homme. Cet état des lieux suscite une réflexion sur les stratégies qu'organisations des droits de l'homme et États occidentaux pourraient mettre en œuvre pour accroître la visibilité de cette guerre et inverser ces tendances violentes et dangereuses.Many reports from Russian and international organizations describe the catastrophic human rights situation in Chechnya, but our own survey indicates that the war is used by the authorities as a springboard and a pretext to restrict civil liberties in Russia as a whole. An analysis of Russian public opinion about Chechnya – on the basis of opinion polls and group discussions carried out in Russia –, from the point of view of the perception of human rights by the population, indicates how the war has fuelled intolerance and ethnic prejudices. Russian public opinion seems more concerned with Russian casualties and the economic consequences of the war than with the human rights situation. This leads to discuss the strategy that human rights organizations and Western governments could follow in order to increase the visibility of this war and reverse these violent and dangerous trends.
- Pouvoir religieux et pouvoir politique - Moniak-Azzopardi Agnieszka p. 93-109 Depuis la chute du communisme, les autorités russes ne réussissent pas à élaborer une véritable politique confessionnelle. Prisonnier de l'héritage historique, le monde politique privilégie dans certaines situations la plus grande institution ecclésiale de Russie – l'Église orthodoxe. Il s'agit cependant, la plupart du temps, d'un soutien qui sert des intérêts en retour. Les autres confessions établissent avec le pouvoir politique des relations complexes marquées par les divisions et les conflits. La situation religieuse en Russie aujourd'hui atteste le recul des libertés.Since the fall of communism the Russian authorities have been unable to develop a clear policy regarding religion. Caught in the historical heritage, in certain circumstances the political power has tended to favor the largest religious organization in Russia, i.e. the Orthodox Church. However, most of the time, this support is seen as serving mutual interests. The other religious groups have established complex relationships with political authorities, characterized by divisions and conflicts. The religious situation in Putin's Russia confirms the restriction of liberties.
- Le recul du fédéralisme en Russie : l'exemple du budget - Novikov Alexei V. p. 111-125 Même lorsque le fédéralisme était une priorité politique, au début des années quatre-vingt-dix, la réforme des relations budgétaires entre les trois niveaux de gouvernement (Fédération, province, collectivité locale) passait après les autres. Depuis le début de la libéralisation économique, les réformateurs considèrent la centralisation budgétaire comme un « point d'ancrage » nécessaire dans une situation économique agitée et marquée, sur le plan budgétaire, par la pénurie de liquidités. Très bien pensée dans l'abstrait, la toute récente décentralisation budgétaire inscrite dans le « Programme de développement du fédéralisme budgétaire jusqu'à 2005 » paraît floue et ambiguë en termes concrets : dans la pratique, ce programme ne peut pas servir à décentraliser le système budgétaire. Reste que les grandes réformes structurelles récentes sont mal coordonnées (ou pas du tout) avec la réforme des relations budgétaires entre les trois niveaux : la plus importante et la mieux réussie (une réforme de l'impôt) s'est surtout préoccupée des questions de pression fiscale et n'a guère donné lieu à réflexion sur ses conséquences éventuelles pour le fédéralisme budgétaire et son équilibre.Even when federalism was a political priority in the early 1990s, the reform of the budgetary relations between the three levels of government (Federal, provincial, local) came second. Since the adoption of a liberal economic policy, reformers have tended to consider that the centralization of the budgetary process represents a necessary anchorage in an insecure economic situation characterized by a shortage of liquidities. Well thought-out in the abstract, the recent budgetary decentralization included in the « Program for the development of budgetary federalism until 2005 » looks vague and ambiguous in concrete terms and seems unlikely, in practice, to lead to a decentralization of the budgetary process.
- Clientélisme régional en Russie : les exemples de Briansk, Smolensk et Koursk - Lallemand Jean-Charles p. 127-140 Depuis 1991, les élites régionales ont montré une grande capacité à s'adapter aux transformations institutionnelles et aux aléas économiques. Jusqu'en 2004, sans pour autant contester le régime Poutine, les gouverneurs ont fait des régions des espaces où le Kremlin devait composer avec d'autres pouvoirs. Cependant, si le président Poutine a fait la part belle à la thématique de la lutte contre la corruption dans les régions, pour légitimer sa politique, il s'est paradoxalement employé à anéantir la concurrence électorale et les rares contre-pouvoirs aux pouvoirs exécutifs régionaux. Le tournant autoritaire de septembre 2004 vise à éliminer cette dernière concurrence ouverte au Kremlin. Cette fuite en avant technocratique ne risque guère de dissuader les élites régionales de développer des relations clientélistes, réservées à quelques privilégiés.Since 1991, the regional elites have shown a great capacity of adaptation to the institutional transformations and economic hazards. Until 2004, while not challenging the Putin régime, the governors have transformed their regions into spaces where the Kremlin had to compromise with other power structures. However, while president Putin has extensively used the theme of the fight against corruption in the regions in order to legitimate his policy, he has paradoxically attempted to wipe out the electoral competition and the rare checks that counterbalanced the regional executives. The authoritarian turn of September 2004 intended to suppress the last structures that represented an open competition for the Kremlin. This technocratic leap forward is unlikely to dissuade the regional elites from developing client relationships reserved to a privileged few.
- D'Eltsine à Poutine. Les élections présidentielles en Russie de 1991-2004 - Levada Youri p. 141-152 Quatre élections présidentielles ont eu lieu en Russie – 1991, 1996, 2000 et 2004. Du caractère essentiellement symbolique et démonstratif de la première, au pluralisme de la deuxième avec Boris Eltsine, le processus a évolué vers une dépolitisation de l'espace politique avec Vladimir Poutine. Le mode administratif de gestion répartit ressources matérielles et pouvoirs, mais ne défend aucun programme. Poutine a renforcé ce processus, consolidant son assise, lors de la dernière élection, en mars 2004. Comme le montrent les sondages, le pouvoir actuel est soutenu par la majorité, qui lui fait confiance. Pour autant, le soutien apparent dont bénéficie le président ne lui garantit ni efficacité ni stabilité dans l'avenir.There have been four presidential elections in Russia : 1991, 1996, 2000, and 2004. From the essentially symbolic and demonstrative nature of the first one, to the existence of a possible choice in the second one, with Boris Yeltsin, the electoral process has moved toward a depoliticization of the public sphere under Vladimir Putin. The administrative mode of management distributes resources and power but does not support any clear program. Putin reinforced this process while consolidating his power at the time of the last election in March 2004. As testified by most surveys, the president is supported and trusted by a majority of the people. However, real power does not rest on popularity but on governmental institutions, and the apparent support granted the president offers no garantee of efficiency and stability in the long run.
Chroniques
- Le chancelier Schröder, l'agenda 2010 et la crise du SPD - Kimmel Adolf p. 155-166
- Les élections européennes de 2004 - Perraudeau Éric p. 167-179
- Repères étrangers. (1er juillet - 30 septembre 2004) - Astié Pierre, Breillat Dominique, Hiscock-Lageot Céline p. 181-186
- Chronique constitutionnelle française. (1er juillet - 30 septembre 2004) - Avril Pierre, Gicquel Jean p. 187-214