Contenu du sommaire : La Commission européenne. Cultures, politiques, paradigmes

Alors que la Commission européenne a été conçue comme l'institution la plus originale du système politique de l'Union européenne, c'est paradoxalement l'une de celles qui ont été le moins étudiées par la science politique. Le peu de travaux consacrés au fonctionnement interne de la Commission s'explique par le fait que bon nombre de politistes ont choisi d'éclairer en priorité la dimension inter-étatique du processus d'intégration européenne. Elle s'explique aussi par le fait que la Commission est une organisation qui défie généralement les modèles qu'ont élaborés les politistes pour analyser les relations entre le «politique» et l'« administratif » dans les systèmes politiques nationaux. L'article commence par recenser différents travaux de sciences sociales qui ont été consacrés à la Commission depuis sa création. Considérant la Commission comme une organisation complexe, il analyse ensuite les ressources qui permettent à ses différentes composantes de se comporter comme des entrepreneurs de politiques publiques (policy entrepreneurs) dotés d'une marge d'autonomie par rapport aux gouvernements et aux groupes d'intérêts dans le système politique de l'Union européenne. Il tend enfin à montrer que ce policy entrepreneur ship est soumis aux limites de contraintes endogènes et exogènes. La conclusion est que l'étude du fonctionnement interne de la Commission ? comme de toutes les institutions communautaires ? est indispensable pour tenter de mieux cerner les caractéristiques d'un système politique européen qui est un «balancing act» entre une logique d'autonomisation et une logique de dépendance des acteurs nationaux.

mobiliser des coalitions de groupes transnationales favorables aux changements de politique. Les intérêts concernés agissent auprès de la Commission pour obtenir que la politique formulée leur soit favorable. Le lobbying européen a pris une ampleur telle qu'il est aujourd'hui considéré comme un problème par les fonctionnaires de la Commission, qui cherchent de plus en plus des moyens ad hoc pour rationaliser le processus de consultation des groupes. L'influence considérable exercée par certains groupes au sein de la Commission intensifie les inquiétudes relatives au «déficit démocratique» de l'UE. Face à cette situation, la Commission européenne introduit de nouvelles mesures destinées à accroître la transparence des rapports entre la Commission et les groupes.

La mise en place des politiques communautaires implique un véritable changement d'échelle par rapport aux pratiques traditionnelles de l'État-nation, et le travail des agents de la Commission s'inscrit dans un processus de négociation permanente. Sous une apparente homogénéité, cette institution se distingue par sa composition multiculturelle. Il se fabrique dans l'espace qu'elle dessine un «compromis culturel » par lequel se combinent des pratiques et se recomposent des appartenances et des identités très diverses au nom d'un projet commun. Cela engendre dans le champ d'action de la Commission une «culture politique du compromis» marquée par des orientations et des concepts qui conjuguent des traditions parfois très différentes.

Comme institution souvent mal comprise et relativement peu analysée, la Commission européenne a néanmoins provoqué une littérature substantielle, notamment sur l'administration et l'exécution des politiques publiques au niveau européen. Il existe cependant un hiatus entre les recherches sur les politiques et les recherches sur l'institution elle-même. L'importance des facteurs institutionnels et intra-institutionnels n'est pas toujours prise en considération. En recourant à la notion de culture administrative, cet article met en parallèle deux études de cas ? la politique de la concurrence de la DG IV et la politique de l'environnement de la DG XI ? pour essayer de mieux comprendre les rapports qui s'établissent au sein de la Commission entre la culture, l'institution et les politiques publiques.

L'article aborde l'évolution de la Commission à travers l'analyse longitudinale des politiques publiques destinées à améliorer la cohésion économique et sociale en Europe : les fonds structurels. En engendrant l'établissement et l'entretien de configurations différenciées d'acteurs communautaires, nationaux et locaux, la traduction de ces fonds en actes implique une activité intense de la part de la Commission. Son intervention dans ce domaine est ici synthétisée en termes de modèles, l'article étant construit autour de l'hypothèse qu'un premier modèle d'insti­tutionnalisation délibérée a émergé progressivement au cours des années 1970 et 1980. Depuis le début des années 1990, toutefois, les modes d'intervention de la Commission ont connu une mutation si importante qu'elle semble représenter un véritable changement de modèle.

La Commission européenne a été amenée à jouer un rôle moteur dans le développement récent d'une politique de recherche à l'échelon communautaire; elle a su en effet s'affirmer dans le domaine scientifique et technologique comme un pôle d'expertise et de négociation, tout en contribuant à construire un nouveau cadre intellectuel et normatif. Mais en dépit des capacités d'innovation et d'adaptation qui le caractérisent, le système mis en place trouve ses limites : la multiplication des services spécialisés, le recours au compromis permanent et les efforts déployés pour conserver le soutien des principaux acteurs ou clients européens impliquent une dilution du «projet» initial.

Alors que la Commission européenne a été conçue comme l'institution la plus originale du système politique de l'Union européenne, c'est paradoxalement l'une de celles qui ont été le moins étudiées par la science politique. Le peu de travaux consacrés au fonctionnement interne de la Commission s'explique par le fait que bon nombre de politistes ont choisi d'éclairer en priorité la dimension inter-étatique du processus d'intégration européenne. Elle s'explique aussi par le fait que la Commission est une organisation qui défie généralement les modèles qu'ont élaborés les politistes pour analyser les relations entre le «politique» et l'« administratif » dans les systèmes politiques nationaux. L'article commence par recenser différents travaux de sciences sociales qui ont été consacrés à la Commission depuis sa création. Considérant la Commission comme une organisation complexe, il analyse ensuite les ressources qui permettent à ses différentes composantes de se comporter comme des entrepreneurs de politiques publiques (policy entrepreneurs) dotés d'une marge d'autonomie par rapport aux gouvernements et aux groupes d'intérêts dans le système politique de l'Union européenne. Il tend enfin à montrer que ce policy entrepreneur ship est soumis aux limites de contraintes endogènes et exogènes. La conclusion est que l'étude du fonctionnement interne de la Commission ? comme de toutes les institutions communautaires ? est indispensable pour tenter de mieux cerner les caractéristiques d'un système politique européen qui est un «balancing act» entre une logique d'autonomisation et une logique de dépendance des acteurs nationaux.