Contenu du sommaire : Cinéma et intellectuels

Revue Actes de la recherche en sciences sociales Mir@bel
Numéro no 161-162, mars 2006
Titre du numéro Cinéma et intellectuels
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Cinéma et intellectuels

    • Retour sur un investissement intellectuel - Julien Duval et Philippe Mary p. 4 accès libre
    • Lumière d'ambiance sur les années 1930 - Un après-midi avec Henri Storck - Yvette Delsaut p. 10 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Une rétrospective de films documentaires autour de l'œuvre du cinéaste Henri Storck, dans ses aspects militants, a donné l'occasion d'analyser celle-ci dans son contexte des années 1930. Le plus connu d'entre ces courts métrages, Misère au Borinage, est resté une référence dans le domaine du film documentaire engagé. Tourné en 1933 en collaboration avec Joris Ivens, ce film (muet, sonorisé plus tard) dévoile la misère dans laquelle vivaient les mineurs de la région wallonne, du fait d'une dégradation économique tragique et de l'oppression sauvage exercée par un patronat impitoyable, en réponse aux mouvements de protestation ouvriers. Outre son intérêt historique, sa puissance émotionnelle ou ses qualités esthétiques, ce film pose la question des rapports entre réalité et fiction dans le cinéma documentaire: si le décor est réel, si les personnages sont vrais, si les miséreux qui paraissent à l'écran sont bien ceux qui vivaient dans les conditions inhumaines qui nous sont montrées, c'est en fait un documentaire « organisé » que nous proposent les cinéastes. Sans doute imposé à l'époque par la lourdeur du matériel cinématographique, le procédé qui consiste à organiser les scènes filmées est resté l'une des bases de la rhétorique documentaire, qui s'est affinée non pas en se débarrassant de ces artifices mais en les assumant. L'analyse de l'ensemble des films militants de Henri Storck a donné aussi l'occasion d'aborder, d'une part, la question de l'efficacité politique des films engagés et, d'autre part, celle des risques d'une lecture anachronique d'images datées et qu'il faut replacer dans leur signification propre.
      A retrospective of documentaries about the work of the director Henri Storck focusing on its militant dimension provides the opportunity to replace this work in the context of the 1930s. The most famous of his short films, Misère au Borinage, has since remained a reference in the field of socially committed documentaries. Shot in 1933 with the collaboration of Joris Ivens, this silent movie (later to become a talkie) reveals the misery in which lived the minors of the Wallon region; a misery caused by the dramatic worsening of the economic situation and the ruthless repression exercised by the employers following workers protest movements. Besides its aesthetic qualities, its emotional power or its role as a historical document, it raises the issue of the relation between fiction and reality in documentary movies. The setting is real, the characters are real, and the poor that appear on the screen are those who lived in the terrible conditions that Storck is documenting, and yet this is an “organized” documentary. Although it was certainly imposed by the cumbersome cinematographic machinery, the principle consisting in organizing the takes has remained one of the pillars of the documentary rhetoric, which has since been refined not by abandoning this principle, but by reclaiming it. The study of Henri Storck's documentaries also raises the question of the political impact of socially committed movies, and points at the risks of an anachronistic interpretation of images that need to be replaced in their historical context.
    • La conversion de Pirandello au cinéma - Fabio Andreazza p. 32 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      En 1915 Pirandello publie On tourne, un roman dont le protagoniste / narrateur est un opérateur de cinéma. Ce texte témoigne de son intérêt pour le nouvel art, mais aussi du peu de considération qu'il lui accorde. La méfiance de Pirandello semble liée à ses dispositions de provincial et à l'antagonisme structural qui l'oppose, comme écrivain attaché à une conception exigeante de l'art et encore peu connu, à D'Annunzio et aux futuristes qui, déjà célèbres, sont les rares écrivains italiens de l'époque à défendre le cinéma. La position de Pirandello change considérablement au début des années 1920. La carrière internationale que lui ouvre le succès de Six personnages en quête d'auteur, lui donne l'occasion de mesurer que l'espace cinématographique est plus vaste et plus différencié qu'il ne le pensait dans l'Italie des années 1910. Certains metteurs en scène lui paraissent témoigner de la possibilité de produire des films conformes à sa poétique. Il conçoit alors le projet d'un film tiré de sa pièce la plus célèbre et affiche même l'ambition de réaliser dans le cinéma une révolution analogue à celle qu'il avait opérée dans le théâtre.
      In 1915, Pirandello publishes Si gira (Shoot!), a novel whose main protagonist/ narrator is a movie operator. This work bears witness both to his interest in the new art, and to the low esteem in which he held it. Pirandello's distrust seems to be related to his specific social dispositions as a provincial and to the structural antagonism that opposed him, a yet little known writer defending a very demanding conception of art, to D'Annunzio and the Futurists, who were already famous and were then the only Italian writers defending cinema. Pirandello's position changes considerably in the early 1920s. The success of Six Characters in Search of An Author launches his international career and makes him aware that the cinematographic field is much wider and more differentiated than what he had initially thought in the 1910s. The work of some directors seemed to confirm that transposing his own poetics into film was possible. He then conceived the project of a movie adapted from his most famous theater play and even entertained the notion of triggering a cinematographic revolution as important as the one he had accomplished for theater.
    • Le cinéma de Jacques Tati et la "politique des auteurs" - Philippe Mary p. 42 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Tout en connaissant un très grand succès public, les films réalisés par Jacques Tati dans les années 1950 font l'objet d'un fort investissement cinéphilique de la part des jeunes critiques qui promeuvent alors, dans des publications spécialisées, la « politique des auteurs ». L'accueil qu'ils réservent à Jacques Tati toutefois est ambivalent. Celui-ci inverse en effet les valeurs du cinéma de « prestige » et prend ses distances par rapport au cinéma des techniciens, des vedettes et des scénaristes. Mais, simultanément, son populisme très marqué l'éloigne de l'élitisme artistique caractéristique de la « politique des auteurs ». Une socio-analyse des films de Tati confirme cette contradiction : tout en adoptant, du point de vue technique et économique, une posture qui est moins celle de l'artiste que de l'ingénieur, ils s'emploient à mettre en scène les dangers du modernisme (industriel, domestique, artistique) et la vanité des prétentions bourgeoises.
      While they enjoyed a widely popular success, Jacques Tati's movies in the 1950s were also favorably regarded by young film critics who were promoting, in specialized publications, a “politique des auteurs”. However, they held somewhat ambivalent views about his films. For sure, Tati turned upside down the values characteristic of cinematographic prestige, and dissociated himself from the kind of cinema of technicians, stars and scriptwriters. Yet, his strong populism placed him very far from the artistic elitism characteristic of the “politique des auteurs” movement. A sociological analysis of Tati's repertoire confirms this contradiction: while from a technical and economic point of view, he adopted a stance that was closer to the engineer than to the artist, he however staged the dangers of industrial, artistic or consumerist modernism and the emptiness of bourgeois pretenses.
    • Une nouvelle critique cinématographique - Frédérique Matonti p. 66 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans l'après Mai 68, La Nouvelle Critique, revue intellectuelle communiste, se rapproche des Cahiers du Cinéma. Cette alliance est paradoxale tant La NC et les Cahiers appartiennent à deux pôles différents de la critique cinématographique (politisation vs apolitisme, attention au cinéma français vs goût pour le cinéma américain, intérêt pour le contenu vs focalisation sur les formes, etc.). Pourtant, les deux revues connaissent des transferts de rédacteurs et surtout élaborent un véritable front critique commun fondé sur des choix (Straub, Godard, Eisenstein, etc.) et des rejets communs (les « fictions de gauche »). Au-delà de la rupture concrète avec les Cahiers après leur passage au maoïsme, ponctué par une polémique entre les deux revues autour de la nature « idéologique » de la caméra, ces choix critiques perdurent à La NC et ce jusqu'à ce que les exigences proprement politiques des luttes entre partis de gauche entraînent La NC vers la défense plus corporatiste du cinéma français.
      After May 1968, the communist cultural journal La Nouvelle Critique operates a rapprochement with the Cahiers du Cinéma. This alliance is all the more paradoxical, since NC and CC belong to two opposite poles of the cinematographic critique (politicization vs. apolitical approach, particular interest for French cinema vs. a taste for American productions, focus on contents vs. attention paid to the forms, etc.) Yet, the same redactors circulate between the two journals, while NC and CC elaborated nothing less than a common critical front based on common choices (Straub, Godard, Eisenstein, etc.) and rejections (“leftist fictions”). These choices will still inform the NC after the break with the CC, when the latter moved to Maoism, in a shift punctuated by a debate opposing both journals around the issue of the “ideological nature” of the camera. The NC will maintain these orientations until the political constraints imposed by the struggle between the left-wing parties lead the journal towards a more corporatist defense of French cinema.
    • Un débat en coulisses - Trumbo, Kubrick et la dimension historique de Spartacus, 1960 - Nathalie Zemon Davis p. 80 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Certains metteurs en scène de cinéma choisissent de tourner des films historiques poussés par leur intérêt réel à représenter et comprendre le passé, même s'ils n'ont pas toujours le sens exact du recours aux sources historiques. Les archives de Dalton Trumbo, scénariste du Spartacus tourné en 1960 par Stanley Kubrick en offrent un exemple éclairant. Pendant le tournage de Spartacus, Trumbo écrivit aux producteurs, aux acteurs et surtout au jeune réalisateur, Stanley Kubrick, évaluant les reprises de scènes et contestant les coupures effectuées dans son scénario. Ses objections étaient formulées parfois sous formes d'idées universelles : « le commun des esclaves haïssait l'esclavage », et la révolte se devait donc d'avoir « une qualité morale et héroïque ». Des critères d'historicité retenaient souvent plus particulièrement son attention : le contraste existant entre les patriciens romains et les esclaves sur le plan des mœurs sexuelles et de la vie familiale ; le caractère et la portée de la révolte des esclaves et sa signification pour l'histoire politique de la République. Kubrick s'affronta à lui à ce propos, mu tantôt par une sensibilité politique différente, tantôt par une interprétation divergente des événements historiques et des acteurs qui y étaient en jeu. Ainsi, Kubrick souhaitait humaniser son héros et ses compagnons et rejeta la proposition de Trumbo d'introduire dans le film une cérémonie de mariage collective. Et, surtout, Kubrick supprima un passage du dialogue qui suggérait que cette révolte avait conduit non à une défaite mais à une victoire puisqu'elle avait entraîné la chute de la République ; il considérait au contraire que la défaite de l'armée des esclaves et la crucifixion de Spartacus étaient des tragédies et devaient continuer à être considérées comme telles. Le film, dans sa version finale, réunit les points de vue historiques des deux hommes.
      Filmmakers sometimes turn to historical films with a genuine interest in understanding and representing the historical past, if not always with much sense for how to get and evaluate historical evidence. The archives of Dalton Trumbo, scenarist for the 1960 film Spartacus, are a rich example. As Spartacus was being shot, Trumbo was writing letters to the producers, actors, and especially to the director, the young Stanley Kubrick, evaluating the scenes and objecting to departures made from his scenario. Sometimes his objections were informed by universalistic ideas: “all normal slaves hated slavery” and thus the uprising must have “a moral and heroic quality”. Often his concerns were precisely historical: the contrasting sexual mores and family life of the Roman patricians and of the slaves; the character and breadth of the slave revolt and its significance for the political history of the late Roman Republic. Here Kubrick took issue with him, sometimes moved by a different political sensibility, sometimes by a different understanding of historical actors and events. Thus Kubrick wanted to humanize the heroic Spartacus and his followers and rejected Trumbo's proposal for a scene of slave mass-marriage. Especially Kubrick cut dialogue that suggested that the unsuccessful revolt had been a victory because it had led to the downfall of the Roman Republic. He considered that the defeat of the slave army and the crucifixion of Spartacus was tragic and had to be left that way. The final film combines historical perspectives from both men.
    • L'art du réalisme - Le champ du cinéma français au début des années 2000 - Julien Duval p. 96 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Plutôt que d'affirmer simplement que le champ cinématographique se caractérise par une structure dualiste et l'opposition entre « cinéma commercial » et « cinéma d'auteur », cet article construit empiriquement le champ du cinéma en France autour de 2004. Une analyse des correspondances multiples portant sur 250 cinéastes en activité met en valeur les deux grands principes structurants: le volume global de capital, dont la notoriété externe semble fournir une assez bonne appréciation; la structure du capital qui peut être à dominante commerciale (succès aux box office, concours des grandes sociétés de production et grandes chaînes de télévision, etc.) ou symbolique (reconnaissance critique, sélections dans les festivals prestigieux, etc.) Si l'opposition habituelle commercial / auteurs n'est donc pas arbitraire, elle n'a rien d'une dichotomie entre deux secteurs homogènes et étanches. Au contraire, un continuum sépare le pôle le plus autonome des entreprises les plus soumises aux contraintes commerciales. L'analyse montre aussi qu'il n'est que partiellement fondé de penser le cinéma sur le modèle du champ littéraire.
      Rather than suggesting that the cinematographic field is characterized by a dual structure and by the opposition between “commercial movies” and “auteur movies”, this article construes empirically the field of French cinema for the year 2004. Using a multiple correspondence analysis for a sample of 250 active directors, it delineates two major structuring principles: the global volume of capital, of which public fame is a good indicator; and the structure of capital, that can be more commercial (box office success, collaboration of major production or broadcasting companies, etc.) or symbolic (endorsement by established critics, selection in prestigious festivals, etc.) Therefore, if the usual opposition commercial vs. auteur movies is not unfounded, it is not either a dichotomy between two homogeneous and compartmentalized sectors. Rather, there is a continuum between the most autonomous pole and the productions most subject to commercial constraints. The analysis also suggests that the literary field provides only a partially valid model for understanding the cinematographic field.
    • Une opposition de styles - Sur deux festivals du cinéma asiatique en France - Wafa Ghermani p. 116 accès libre
    • Document de travail Esquisse d'une sociologie du cinéma - Yann Darré p. 122 accès libre