Contenu du sommaire : Géopolitique du Pakistan
Revue | Hérodote |
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Numéro | no 139, 4ème trimestre |
Titre du numéro | Géopolitique du Pakistan |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Le paradigme pakistanais - Jean-Luc Racine p. 3-50 Le syndrome de la partition de 1947 et les multiples guerres qui ont opposé l'Inde au Pakistan continuent de définir le paradigme stratégique pakistanais, qui s'est encore renforcé avec le soutien apporté aux moudjahidines afghans dans les années 1980 et l'insurrection au Cachemire indien dans les années 1990. La stratégie d'instrumentalisation des mouvements islamistes armés au service de la politique régionale a toutefois un prix. Après le 11 Septembre, le général Musharraf modifie la ligne officielle, tant vis-à-vis des talibans que des jihadistes opérant au Cachemire. Même si sa pratique est pour le moins ambiguë, c'en est trop pour une partie des radicaux, qui se retournent contre le pouvoir d'État, qui doit alors faire face à des insurrections en pays pachtoune, et à la montée du terrorisme urbain, aggravé par les conflits entre sunnites et chiites, les tensions ethniques et les difficultés économiques. Mais l'armée, État dans l'État, maintient le paradigme : l'Inde est présentée comme plus menaçante que les troubles internes, d'autant que les aléas de la politique « AfPak » du président Obama ouvrent au Pakistan de nouveaux horizons en Afghanistan.The Pakistani Paradigm The Partition syndrome and the four wars fought against India since 1947 are still defining Pakistan's strategic paradigm, strengthened by the support provided to the Afghan mujahideen in the 80s and by the Kashmir's insurgency in the 90s. However, the instrumentaliztion of Islamist radical militias has a cost. After 9/11, general Musharraf redefined the official line regarding Afghan talibans as well as jihadists operating in Kashmir. Despite the ambiguities of his policies, the shift is not acceptable for a section of the radicals, who turn against the State, who has to face insurgencies in Pashtun areas, urban terrorism, sectarian conflicts between Sunnis and Shias, ethnic tensions, and economic slowdown. However, the all powerful Army, a State within the State, sticks to the paradigm: India is depicted as a greater threat than Pakistan talibans and Punjabi extremist. A position comforted by the limitations of the U. S. AfPak policy, which finally offers to Pakistan new perspectives in Afghanistan.
- Le syndrome pakistanais, ou la quête souvent irréaliste d'une coûteuse parité - Christophe Jaffrelot p. 51-68 Le Pakistan trouve son origine dans la quête de pouvoir d'une élite issue de l'aristocratie musulmane de l'Inde du Nord qui revendiqua après 1857 un statut paritaire avec la majorité hindoue. L'école d'Aligarh de Sir Syed a façonné une culture politique fondée à la fois sur un sentiment de vulnérabilité et un complexe de supériorité vis-à-vis des hindous, justifiant ce statut d'exception (dont un électorat séparé) par l'importance historique des musulmans de l'Inde. Ce répertoire se cristallise avec la théorie des deux nations de Jinnah qui débouchera sur la partition de 1947. Il est recyclé ensuite au plan national à travers le One Unit Scheme de 1955, un des ressorts du séparatisme bangladeshi. Depuis 1947, le Pakistan cherche toutefois surtout à rivaliser avec l'Inde en s'armant à prix d'or, en se donnant une profondeur stratégique en Afghanistan, en « saignant l'Inde » au Cachemire quitte à pactiser avec des groupes islamistes et en se dotant de l'arme atomique. Outre que cette démarche est coûteuse, elle aura été à l'origine de deux partitions et aura favorisé l'essor de mouvements islamistes susceptibles de se retourner contre l'État.The Pakistani syndrome or the largely unrealistic quest for a costly parity Pakistan largely results from the quest for power of an elite group which emerged from the North Indian Muslim aristocracy and which claimed, after 1857, a status equal to that of the Hindu majority. Sir Syed's Aligarh school shaped a political culture based on feelings of vulnerability and a superiority complex vis-à-vis the Hindus, justifying their special treatment (including a separate electorate) on the basis of the historical importance of India's Muslims. This repertoire crystallized with Jinnah's two nation theory which led to the Partition of 1947. Then, it was recycled at the national level through the “One Unit Scheme” which fostered Bangladeshi separatism. However, since 1947, Pakistan is especially interested in being on par with India by arming itself at great cost, by getting strategic depth in Afghanistan and by “bleeding India” in Kashmir, even if in both cases that meant some collaboration with Islamist groups, and, last but not least, by getting the atomic bomb. This strategy is not only costly, but it has been responsible for two Partitions and fostered Islamist groups which sometimes turn against the Pakistani state.
- Le Pakistan dans la tourmente : discours nationaliste et stratégie du déni - Nathalène Reynolds p. 69-86 Cet article se propose d'examiner la rhétorique nationaliste pakistanaise qui fut inaugurée au lendemain de la « guerre contre la terreur » à laquelle la République islamique du Pakistan fut appelée à se joindre. Islamabad (et Rawalpindi, siège des instances militaires) chercha à convaincre la population de la nécessité qui avait été la sienne d'opter pour la politique des deux fers au feu. Appuyant l'effort de guerre des forces de l'OTAN en Afghanistan, le Pakistan estima qu'il n'en devait pas moins continuer de se prémunir à l'encontre du danger que représentait, selon lui, l'hégémonie indienne. Il n'oubliait pas davantage ses ambitions régionales à la frontière afghane. Il optait pour une stratégie de déni : il s'indignait de ce que la communauté internationale remette en cause sa bonne foi alors qu'il combattait à ses côtés ; il continuait de soutenir les « bons » talibans, à savoir ceux qui l'autoriseraient à reconquérir son influence en Afghanistan dès le départ des troupes étrangères.Pakistan in turmoil: Nationalist discourse and denial strategy This paper examines Pakistani nationalist discourse developed after the start of the “war on terror” in which the Islamic Republic of Pakistan was called upon to participate. Islamabad (and Rawalpindi, the headquarters of the armed forces) sought to convince the population as to why it had been compelled to opt for a Janus-like double policy. On the one hand, supporting the war effort of the NATO forces in Afghanistan, Pakistan deemed it equally important to continue to counter what it saw as the threat of Indian hegemony. Furthermore, it did not neglect its ambitions in the region, notably towards Afghanistan. It chose a strategy of denial: indignant towards an international community that questioned its good faith in spite of its military engagement. It nonetheless continued to support the “useful” taliban, that is to say those that would help it regain its influence in Afghanistan once the foreign troops had left.
- L'islamisme combattant au Pakistan : un état des lieux - Mariam Abou Zahab p. 87-98 Cet entretien entre Mariam Abou Zahab et Hérodote éclaire à la fois les connexions entre les partis islamistes parlementaires et les milices armées combattant au nom de l'islam, et la diversité de ces groupes : diversité d'ancrage territorial, diversité des objectifs majeurs, qu'ils soient géographiques (le Cachemire pour certains, l'Afghanistan et les terres pachtounes du Pakistan pour d'autres) ou idéologiques (groupes sunnites antichiites par exemple). Dans tous les cas, l'objectif est d'instaurer un État islamique tel que conçu par les idéologies radicales, voyant dans les origines de l'islam la seule référence orthodoxe. L'entretien éclaire aussi l'instrumentalisation de l'islamisme radical par l'armée, et aussi par les principales forces politiques portées par des calculs électoraux. In fine, la montée en puissance de ces groupes – talibans des frontières ou groupes sectaires du Pendjab – opérant leur jonction pose le problème de la cohésion nationale et de la rupture du pacte social, que les graves inondations de 2010 n'ont fait qu'exacerber.Islamist militancy in Pakistan: an appraisal In this interview with Hérodote, Mariam Abou Zahab unravels the complex linkages between the Islamist political parties and the radical militias fighting in Pakistan in the name of Islam, as well as the diversity of these groups: diversity of their territorial moorings, diversity of their respective major goals, be they geographical (Kashmir for some of them, Afghanistan and Pakhtunkhwa for others) or ideological (Sunni sectarian groups opposing Shias for instance). In all cases, these militant forces aim at transforming Pakistan in an Islamist State run on the principles defined at the origins of Islam. The interview addresses as well the instrumentalisation of radical Islamism by the Army, and by the mainstream political parties looking for electoral benefits. In fine, the rise of these groups – the Pakistan talibans from Pashtun areas or the Punjabi sectarian organisations –, joining forces nowadays, raises the issue of the sustainability of the national cohesion, at a time when the social pact is damaged, as the dramatic floods of 2010 have unfortunately illustrated.
- Baloutchistan : fin de partie ? - Frédéric Grare p. 99-122 Depuis décembre 2005, le Baloutchistan, province la plus étendue mais la moins peuplée du Pakistan, est ravagé par un conflit ethnonationaliste, le cinquième depuis l'indépendance du pays. Cette situation trouve sa source immédiate dans le refus du régime de Pervez Musharraf de satisfaire les demandes baloutches en matière de développement économique et d'autonomie politique. Ses racines profondes sont cependant à rechercher dans la persistance d'un nationalisme baloutche qui connut son plein développement après la partition du sous-continent indien en 1947. Il témoigne également du caractère incomplet du processus d'intégration nationale au Pakistan. Régimes civils et militaires ont tous été incapables d'unir les populations du pays dans un vouloir politique commun. L'avenir de la province rebelle reste incertain mais le conflit en cours a peu de chances de lui apporter l'indépendance espérée. Le nationalisme baloutche a toutefois peu de chances de disparaître, en dépit de l'affaiblissement des organisations politiques qui le font vivre. À moyen terme, le risque repose dans l'érosion parallèle des structures de l'État fédéral et des structures tribales traditionnelles. Le vide politique qui pourrait en résulter pourrait être rempli par les éléments les plus radicaux de la société pakistanaise, affaiblissant un peu plus, un État déjà fragile.End game in Balochistan? Since December 2005, Balochistan, the largest but least populated province of Pakistan, is torn by the fifth conflict since the independence of the country in 1947. This situation finds its immediate source in the refusal of Pervez Musharraf regime to accommodate Balochistan'demand for economic development and political autonomy. Its deeper roots however are to be found in the persistence of a Baloch nationalism which has essentially developed after the partition of the Indian subcontinent in 1947. It is witness to the incomplete process of national integration of Pakistan. Military and civilian regimes alike have been unable to unite the populations of the country in a common political will. The future of the rebellious province remains uncertain but the current conflict is unlikely to result in its independence. Baloch nationalism however is unlikely to disappear any time soon despite the weakening of its constituent political organizations. In the medium term, the risk lies in the parallel erosion of the structures of both the federal state and the tribes. Areas of power vacuum may then emerge that will be filled by radical elements of the society, further weakening an already fragile country.
- Karachi, « mère des immigrés » : business, violence et politique identitaire - Michel Boivin p. 123-142 Karachi est aujourd'hui une mégapole de près de 18 millions d'habitants. Elle a connu une véritable explosion démographique après la partition de 1947, lorsque des millions de musulmans du nord de l'Inde sont venus s'établir dans la cité qui était alors la capitale du jeune État. En tant que mégapole, Karachi demeure la capitale économique et financière du Pakistan, mais également la capitale de la criminalité. Plus que jamais, politique et criminalité sont étroitement imbriquées et il est prouvé que des partis politiques ayant pignon sur rue recourent au service de gangs pour alimenter leurs caisses. Au cours de la dernière décennie, c'est pourtant le rôle des talibans qui a retenu l'attention des observateurs. Les talibans afghans sont certes actifs à Karachi, mais ils y sont surtout pour collecter de l'argent à travers des activités criminelles : ils ne cherchent pas à « talibaniser » la ville. Restent les millions d'habitants de Karachi qui gèrent le quotidien dans une ville qui demeure très dangereuse. Pour certains, certes minoritaires, la sortie d'un quotidien misérable passe par l'adhésion à une idéologie, politique ou religieuse, dans laquelle la violence reste l'expression la plus signifiante. On notera que ce cheminement se produit dans des contextes où les individus sont en rupture avec de fortes valeurs patriarcales. La gestion du quotidien en milieu féminin repose en revanche sur de multiples microstratégies de voisinage qui réussissent à maintenir des relations pacifiques entre ethnies et sectes pourtant diverses.Karachi, « mother of immigrants »: Business, violence and identity politics Today, Karachi is a megalopolis of nearly 18 millions people. A real demographic boom occurred after the partition of 1947, when millions of Muslims from northern India came to settle in the city which was then the capital of the young state. As a mega-city, Karachi is both the economic and financial capital of Pakistan, but also the capital of crime. More than ever, politics and crime are closely intertwined and it is proved that political parties use criminal gangs to feed their coffers. During the last decade, the prospective role played by the Taliban captured the attention of observers. The Afghan Talebans are certainly active in Karachi, but they are mostly interested in raising money through criminal activities, and they do not seek to implement a “talebanisation” of the city. And what about the millions of people living in Karachi who have to deal their day to day life in a city which remains very dangerous? For some of them, admittedly a minority, leaving a miserable day is through adherence to an ideology, political or religious, in which violence is the most meaningful expression. Interestingly, such a way is followed by youths who are breaking with a dominant patriarchal society. Negociating day to day life in female context is based on numerous micro strategies of neighbourhood which are successful in maintaining peaceful relations between different ethnic groups and sects.
- Les relations indo-pakistanaises : retour sur une normalité conflictuelle - Gilles Boquérat p. 143-155 La relation indo-pakistanaise est, depuis l'origine, caractérisée par un manque de confiance reposant sur une évaluation antagoniste des intentions de l'autre. La liste des contentieux majeurs entre les deux pays s'est allongée : la question du Cachemire rivalise aujourd'hui avec le positionnement face à l'extrémisme islamique, le partage des ressources hydriques ou la lutte d'influence en Afghanistan. L'accent est ici mis sur les facteurs déterminant l'appréhension pakistanaise de l'Inde, qu'ils soient sécuritaires ou confessionnels, et les postures qui en résultent. L'évolution du rapport de forces entre ces deux pays n'a pas manqué d'être également modulée par les grands problèmes affectant la communauté internationale.India-Pakistan Relations: A conflictual normality revisited Since its inception, the India-Pakistan relationship has been characterized by a lack of trust built on mutually antagonistic perceptions of the other's intentions. The list of major points of contention between the two countries has grown: today the question of Kashmir competes with Islamic extremism, the sharing of water resources and the struggle over influence in Afghanistan. This article focuses on the determining factors of Pakistan's apprehension towards India, whether in relation to security or confession, and the positions taken as a result. The evolving balance of power between these two countries has been shaped by larger problems affecting the international community as a whole.
- Géopolitique des relations sino-pakistanaises à l'ère du terrorisme - Mathieu Duchâtel p. 156-174 Les relations sino-pakistanaises peuvent-elles être un facteur de stabilité en Asie du Sud ? Marquées par le sceau de la prolifération nucléaire et balistique, scellées dans une rivalité géopolitique avec l'Inde au cœur de la guerre froide, elles ont plutôt servi des intérêts de puissance que la cause de la stabilité régionale depuis les années 1960, avant de traverser une période de remise en cause dans les années 1990. Mais la montée du terrorisme en Asie du Sud, l'essor des échanges sino-indiens et les incertitudes sur l'avenir de l'Afghanistan les inscrivent dans une géopolitique en mutation, où les dynamiques économiques, sécuritaires et stratégiques invitent les deux pays à repenser les finalités stratégiques de leur partenariat. Cet article montre que les initiatives chinoises récentes vis-à-vis du Pakistan, qui procèdent exclusivement au niveau bilatéral et visent à éviter que le Pakistan ne s'affaiblisse dans des proportions encore plus alarmantes, apportent une contribution limitée et ambiguë à la sécurité régionale.Geopolitics of China-Pakistan relations in the era of terrorism This paper asks whether Chinese foreign policy can be a stabilising factor on two main issues of South Asian security (terrorist groups in Pakistan targeting the coalition in Afghanistan and institutional targets in Pakistan and India, and separatist violence in Balochistan), even if Beijing turns down the West's request for cooperation. Can China's self-help effort to contain violence against its interests be beneficial to regional stability? The paper explores potential incentives for China to conduct policies aimed at increasing domestic stability in Pakistan or influencing Islamabad's foreign policy in the sense of regional stability. They include direct threats against Chinese expatriates, the need to monitor links between radical groups in Pakistan and the Xinjiang independence movement, prospects for the post-NATO security architecture in Afghanistan, and the regulation of India-Pakistan strategic competition. It shows that recent developments in China-Pakistan relations have a very limited and ambiguous contribution to regional security, and almost no impact on domestic stability in Pakistan.
- Une désastreuse victoire ? : Les conséquences de la guerre d'Afghanistan sur le Pakistan - Gilles Dorronsoro p. 175-189 La coalition menée par les États-Unis a de facto perdu la guerre contre les Taliban et sera à terme obligée de se retirer. Cela représente un succès pour l'armée pakistanaise qui soutient les Taliban pour éviter la reconstitution d'un axe Kaboul-New Dehli, tout en profitant de l'aide américaine. Pourtant, le retrait occidental ouvre une période difficile pour le Pakistan. Les Taliban ont en effet des relations tendues avec leur protecteur pakistanais et reprendront leur autonomie dès que leur leadership sera revenu en Afghanistan. Par ailleurs, la coalition mène de plus en plus d'opérations sur le territoire pakistanais, ce qui contribue à sa déstabilisation. Finalement, le Pakistan paye le prix d'une politique de manipulation des mouvements jihadistes et de l'obsession que constitue la question indienne pour l'armée pakistanaise.A disastrous victory? The consequences of Afghan war on Pakistan
The international coalition under the American leadership has already lost the war against the Taliban and will be soon obliged to exit Afghanistan. This is a major success for the Pakistani army, which has supported the Taliban to avoid the reconstitution of a Kabul-New Dehli axis and managed at the same time to get the U. S. financial support. Yet, Pakistan is now in a difficult situation since the Taliban have in fact tense relationship with their Pakistani patron. In fact, the Taliban leadership will take back its autonomy as soon as it will be back in Afghanistan. In addition, the international coalition is striking more and more often inside the Pakistani territory, which is contributing to the destabilization of the country. Finally, Pakistan is paying the price of a policy of instrumentalization of the jihadist movements and of the Pakistani army's obsession with India. - Hérodote a lu - p. 190-194