Contenu du sommaire : Mondes méditerranéens
Revue | L'Homme et la société |
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Numéro | no 187-188, 1er et 2e trimestre 2013 |
Titre du numéro | Mondes méditerranéens |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Éditorial. La crise de la représentation politique ? - Michel Kail p. 5-7
Mondes méditerranéens. L'émeute au c?ur du politique
- Les émeutes : contestation de la marge ou la marge de la contestation ? - Ratiba Hadj-Moussa, Sophie Wahnich p. 9
- Manifestations rurales et contestation politique autour des centrales hydro-électriques en Turquie - Ekin Kurtiç p. 15-38 Depuis que les projets de centrales hydro-électriques (CHE) se sont mis à proliférer dans toute la Turquie, à l'initiative des entreprises privées chargées de les construire et de les gérer, les CHE sont au cœur de l'agenda politique du pays. Quand le secteur privé a commencé à capter l'eau des rivières pour produire de l'énergie, les habitants locaux ont fait entendre leur voix pour l'empêcher, recourant à diverses pratiques et stratégies : ils ont fait irruption dans les réunions, monté des camps près de la zone de construction des centrales, jeté des œufs sur les représentants de l'entreprise et eu de vifs échanges avec la gendarmerie, etc. Cet article étudie les manifestations rurales contre les centrales, et notamment le contexte dans lequel elles sont apparues, les positions et les discours des participants aux émeutes, et les réactions de l'État et des entreprises privées. Dans de nombreux cas, la manifestation naît spontanément, de façon désorganisée, dans un sentiment de colère et en réaction aux risques d'impact dévastateur des centrales sur la vie des communautés rurales. Mais alors que les projets se multiplient et que les luttes s'approfondissent, diverses formes d'organisation voient le jour, comme les associations et les plateformes pour une lutte commune. Dans ce contexte, si l'on veut comprendre une contestation rurale qui s'est étendue à tout le pays, il convient de repenser ce qui différencie l'émeute du mouvement social. Pour ce faire, la théorie de la rupture permet d'analyser la montée des réactions émotionnelles face aux destructions socioéconomiques et à la désillusion dans les campagnes turques. Et la théorie de la mobilisation des ressources de l'action collective permet de considérer l'agencéité politique des paysans, pour qui l'organisation et la manifestation sont des moyens de pouvoir. Ces théories, en reproduisant l'opposition binaire entre l'émeute et le mouvement social – le rationnel et l'irrationnel, le routinier et le non-routinier, l'organisé et le spontané –, ne donnent toutefois qu'une image très partielle de la situation. Je montre ici que le concept d'encadrement de Timothy Mitchell est un outil utile pour comprendre les formes conflictuelles de l'action collective dans la Turquie rurale, qui remettent en cause un pouvoir qui s'emploie à créer un effet d'externalité pour se reproduire lui-même. L'espace théorique ainsi ouvert permet de déconstruire l'opposition entre les six termes susmentionnés.Rural protests and political unrest over the issue of hydroelectric power plants in Turkey
Hydroelectric power plant projects came into the political agenda of Turkey together with the proliferation of these projects all over the country to be constructed and managed by private companies. As rivers in the countryside started to be taken into the pipes for the purposes of energy production by the private sector, local people have arisen their voices to hinder them through different strategies and practices : they break into the meetings, formed camps near HEPP construction area, attack the company representatives with eggs, entered into severe debates with gendarme etc. This paper examines the rural protests against HEPPs by focusing on the context in which they emerged, the positions and discourses of the agents in these riots and the responses of the state and the private companies. In many cases, the protests arise spontaneously and in an disorganized way together with a feel of anger and as a reaction to possible devastating impacts of HEPPs in the lives of rural communities. However as the projects and struggle against them deepen and proliferate towards diverse rural localities in the country, different forms of organization start to being formed such as associations and platforms for a common struggle. In this context it is necessary rethink the boundary drawn between riots and social movements to be able to comprehend the overall picture of the expanding rural unrest all over the country. In order to understand the emergence of these rural unrests, the breakdown theory helps to analyze the rise of affective responses in relation to the socio-economic destruction and disillusion in countryside of Turkey. Resource mobilization theory of collective action pave the way to consider the political agency of the peasants that get organized and protest as a means of power. Yet, as they reproduce the binary oppositions between riots and social movements – such as the irrational and rational, routine and non-routine, spontaneous and organized – these theories lack in providing a complete picture. I argue that Timothy Mitchell's concept enframing provides a fertile ground to comprehend the contentious forms of collective action in rural Turkey, which directly question and attack the very power which creates an externality effect to reproduce itself, thus open a theoretical space to deconstruct these constructed boundaries between irrational vs rational, routine vs non-routine and spontaneous vs organized. - Les émeutes au Maghreb : Le web et la révolte sans qualités - Ratiba Hadj-Moussa p. 39-62 Les nouveaux médias tels que l'internet et la téléphonie mobile sont en train de changer la manière dont les émeutes se déroulent et sont interprétées. De sa diffusion par fax ou par téléphone, au montage vidéo, la grammaire de cette forme de protestation populaire a connu d'importants changements. Alors que le fax transmet les informations sur l'événement, l'image web le rend visible et, par la même occasion, rend possible une meilleure compréhension de l'action des acteurs qui y sont impliqués. Cet article vise à analyser les nouvelles façons adoptées par les protestataires des émeutes au Maghreb, en particulier ceux provenant des régions éloignées des grands centres urbains, pour dénoncer les injustices qu'ils vivent, tout en construisant des archives virtuelles sur leurs actions.Il porte sur les questions suivantes : Comment ce double mouvement interroge les savoirs déjà existants qu'ils soient d'ordre épistémologique ou politique ? Est-ce que ce processus de ‘visibilisation' rend l'événement et les préjudices vécus par les émeutiers plus intelligibles ? En répondant à ces questions, et en parallèle à l'attention portée à la sémiosis qui est mobilisée dans cette dénonciation, quelques cas d'émeute au Maghreb seront analysés.Riots in the Maghreb : The Web and the Revolt without Qualities
New media technology such as the Internet and the cell/mobile phone are changing the ways protest and popular demands are being produced and understood. From the dissemination of protests and riots by fax to filming with amateur camera and cell phones, then editing and wide dissemination, the grammar of the protest has undergone significant changes. While the fax transmits information, the image makes the event visible to world-wide audiences and supporters, in the process redefining the actors involved in them and produce new understandings of them. This paper aims at analyzing the novel ways in which protestors from the Maghreb, in particular those belonging to non-urban centers, are at once constituting their virtual archives and positioning themselves as witnesses and first hand denunciators of various injustices. It will deal with the following questions : How does this double gesture interrogate previous knowledge constructions be they epistemological and/or political ? Does this witnessing process render the event and the prejudice against which the rioters have fought more intelligible ? In answering these questions, and in parallel to the semiosis that is mobilized for such a denunciation, we will focus on the analysis of a few riots, in particular those that have generated various artistic productions (music, poetry, clips, etc.) - La foule, l'émeute, la fête entre révolte et révolution. France révolutionnaire 1789-1792, émeutes françaises de 2005, Tunisie-Égypte, 2011 - Sophie Wahnich p. 63-87 Les émeutes n'acquièrent pas facilement un statut d'acte politique à part entière. Si les compétences langagières sont reconnues comme politiques, les émotions peinent encore à se faire reconnaître comme telles, au moins depuis Freud recopiant Lebon et Taine à travers lui. C'est en reprenant à bras le corps la critique de cette opinion de sens devenu commun que cet article revisite les émeutes de 2005 en France, les événements tunisiens et égyptiens de 2010-2011 et les moments potentiellement émeutiers du printemps 1792, pendant la Révolution française. Il s'agit alors de comprendre à quelles conditions ces événements sont bien indissociablement des moments de politisation et d'émotion. Chemin faisant, on comprendra que ce caractère politique, loin de l'abjection guerrière, se nourrit d'un certain réglage de la violence, réglage nécessaire tant du côté des émeutiers que du côté du pouvoir remis en question par l'émeute. Sans ce réglage, l'émeute bascule dans la guerre civile. L'émeute politique est à cet égard un processus de reconnaissance réciproque du caractère politique et non pas guerrier de la situation. Alors l'émeute peut devenir une fête révolutionnaire qui, comme fête, participe pleinement de ce réglage.The crowd, the riot, the feast between revolt and revolution. Revolutionary France 1789-1792, the french riots 2005, Tunisia-Egypt 2011Spontaneously the riots are not recognized as a very political act. Certainly, the linguistic competences are recognized but not the emotions, especially from Freud who copies the Lebon's and Taine's analysis. This paper reexamines the three historical moments, cited in the title, by showing they are indissolubly political and emotional. By there, we will understand that the political character of the riot is not a warlike one.
- Islam (im)politique et quartiers (im)populaires. Retour critique sur les émeutes de novembre 2005 - Alexandre Piettre p. 89 Faire aujourd'hui retour sur les émeutes de novembre 2005 suppose de revenir sur la comparaison qui a été souvent faite, à juste titre au regard des répertoires de l'action collective, entre ces événements et les rébellions populaires d'Ancien Régime, les caractérisant de ce fait du lieu d'un défaut de politique, comme « proto », « infra », « supra » ou « post-politiques », en les inscrivant sans solution de continuité dans la longue litanie des émeutes localisées survenues depuis celles des Minguettes. Alors que leur caractère exceptionnel, leur morphologie particulière, et leur lien direct avec la grenade lancée sur la mosquée de Clichy largement occulté dans l'abondante littérature produite sur les émeutes, mais avéré à l'aune d'une des très rares enquêtes de terrain conduite sur le moment par Marwan Mohamed et bien établi depuis par l'enquête conduite par Gilles Kepel à Clichy et Montfermeil, incitent à prendre en compte le rôle du renouveau islamique dans la production des affects et de l'économie morale à l'origine des événements. Ce qui conduit à les qualifier à la fois d'impolitiques, dans la mesure où la dimension religieuse qui a permis la cristallisation des émeutes n'a pas été érigée en motif de la contestation mais en a constitué seulement le support, et de politiques pour cette raison même.To take a look back on the riots of november 2005 in France supposes to reconsider the comparison which was often made, quite rightly from the viewpoint of the repertories of the collective action, between these events and the popular rebellions of the Ancien Regime, characterizing them thereby by a lack of politics, as « proto », « infra », « supra » or « post-political », and entering them without solution of continuity in the long litany of localized riots happened since the one of Minguettes. While their uniqueness, their particular morphology, and their direct link with the grenade thrown on the mosque of Clichy largely occulted in the abundant literature produced about the riots, but proven by one of the very rare fields led on the moment by Marwan Mohamed and well-established since the investigation conducted by Gilles Kepel at Clichy-Montfermeil, incite to take into account the role of the Islamic revival in the production of affects and the moral economy at the origin of the events. Which leads to qualify them both as impolitical, in the extent that the religious dimension which allowed the crystallization of riots was not established as motive of protest but constituted only the support of it, and political for this very reason.
- Les perceptions de genre au cours d'une émeute urbaine : Décembre 2008 à Athènes - Konstantinos Eleftheriadis p. 131-154 Le 6 décembre 2008, Alexandros Grigoropoulos, un élève de 15 ans, est atteint mortellement par les tirs de deux policiers au centre du quartier gauchiste d'Athènes, Exarchia. Les émeutes qui suivirent, en réaction à ce brutal assassinat, ont marqué l'histoire politique récente de la Grèce. Des gens d'horizons différents ont partagé un même enthousiasme pour ce « soulèvement » en allant manifester dans les rues. Il n'en reste pas moins que dans le cadre du mouvement anarchiste/anti-autoritaire, au sens le plus large, certaines voix se sont élevées pour dénoncer le sexisme et l'attitude patriarcale que certains camarades masculins ont reproduite à cette occasion. De telles prises de position provoquent une série de questions concernant l'ensemble du mouvement et ses stratégies, éclairant des problèmes comme ceux de la violence, des comportements de genre et du masculinisme. Dans cet article, j'analyse le discours que développent ces militants, soit spontanément, soit collectivement. Les critiques couvrent un large éventail de questions, telles que celle des slogans criés à la face des policiers, celle de l'usage de la violence contre les agents et les institutions de l'État, ou celle de l'articulation de multiples identités sur un seul corps.L'analyse s'appuie principalement sur quatre sources écrites et, secondairement, sur diverses sources universitaires et journalistiques, ainsi que sur quatre entretiens conduits, à Athènes, en décembre 2010. Trois des sources écrites ont circulé à Athènes en Décembre 2008 et, par la suite, sous forme de tracts et de posters, mais on peut les trouver sur internet en grec ainsi qu'en anglais pour certaines d'entre elles. La quatrième est une analyse de genre des émeutes produite par un collectif anarcho-autonome de Thessalonique, écrite en anglais et publiée sur leur site web en décembre 2010. Ces sources présentent un intérêt particulier car elles explorent et analysent de l'intérieur les relations de genre entre des militants venant d'un même espace politique. Un point commun à toutes ces sources est l'usage fréquent de concepts tels que ceux de sexisme et de patriarcat. Dans mon article, j'adopte les outils théoriques et les principes méthodologiques qui sont associés au poststructuralisme. J'essaie de voir comment les concepts utilisés sont compris par ceux qui produisent les discours. Mais, en même temps, je m'attache à examiner comment moi-même j'interprète ces significations. Me sentant en solidarité avec nombre des revendications des militants, je suggère que d'autres interprétations des textes, fondées sur des concepts tels que ceux de masculinités hégémoniques ou d'intersectionnalité sont susceptibles de soulever d'autres questions et critiques à propos du mouvement dans son sens plus large et du futur des relations de genre en son sein.Gender perceptions within an urban riot : December 2008 in Athens
On 6th December 2008, Alexandros Grigoropoulos, a 15-year-old student, is shot to death by two policemen in the center of the leftist neighborhood of Athens, Exarchia. The riots followed as a reaction to this brutal assassination marked the recent political history of Greece. People from various backgrounds shared their enthusiasm for this ‘uprising' by going out in the streets and demonstrating. Within the broader anarchist/anti-authoritarian movement, however, some voices were raised against the sexism and patriarchy that some male companions were reproducing. These initiatives raised a series of reflexive questions for the wider movement and its strategies, bringing to light issues such as violence, gender performance and masculinities. In this paper, I analyze the discourse produced by these activists who functioned either spontaneously or collectively. The critiques cover a wide range of issues, such as the kind of slogans shouted in front of the policemen, the use of physical violence inside the movement from male against female activists, the use of violence against state institutions and agents, the intersection of multiple identities onto single bodies. The analysis is made mainly on the basis of four written sources and secondarily from various academic and journalistic sources, as well as from four interviews conducted in December 2010 in Athens. Three of these written sources circulated in Athens in December 2008 and afterward in the form of tract and poster, but they can be found on Internet in Greek and some of them in English as well. The fourth is a gender analysis of the riots made by an anarcho-autonomous collective from Thessaloniki written in English and published on their website in December 2010. These sources present a particular interest since they explore and analyze from within the gender relations between the activists coming from the same political space. One common point between these sources is the frequent use of concepts such as sexism and patriarchy. In my paper, I adopt theoretical tools and methodological practices associated with post-structuralism. I try to see how the concepts used are meant to be understood by the discourse producers. At the same time, I attempt to examine how these meanings are interpreted by me. Feeling in solidarity with many of the activists' claims, I suggest that other interpretations of the texts which could be based on concepts such as hegemonic masculinities and intersectionality would be able to raise further questions and critiques for the broader movement and the future gender relations within it. - Les derniers bandits kurdes de la Turquie moderne : Analyse des soulèvements individuels « spontanés » kurdes ou le banditisme contre l'État-nation turc - Ahmet Özcan p. 155-181 La période qui s'étend de 1950 à 1980 en Turquie a été celle de la réémergence massive du banditisme kurde, de son apogée et finalement de son déclin et de sa disparition. Nous analyserons cette histoire des dernières formes de banditisme kurde de la Turquie moderne en posant la question suivante : dans quelle mesure peut-on affirmer que les « crimes ordinaires » des derniers bandits kurdes étaient extraordinaires ? Nous présenterons une analyse critique des travaux portant sur le banditisme en Turquie, puis nous montrerons que la dichotomie qui oppose le banditisme social au banditisme antisocial dans laquelle se cantonne la littérature générale sur le sujet, peut être révoquée en doute par une autre perspective théorique qui accorde toute sa place à la nature politique et juridique des crimes « ordinaires » de banditisme. L'analyse empirique repose sur l'analyse textuelle des quotidiens parus entre 1950 et 1980 et permet de montrer que c'est le mode de vie nomade, dont le banditisme est directement issu, qui a représenté, aux yeux de l'élite, une menace substantielle au processus d'édification de l'État-nation turc. Autrement dit, grâce aux mesures prises à l'encontre du banditisme, l'État tentait en réalité de dissoudre les communautés nomades elles-mêmes, le banditisme kurde étant utilisé comme un moyen de pénétrer les régions kurdes. L'établissement d'un ordre géré par l'État au nom de la lutte contre le banditisme a de facto produit de l'insécurité chez les habitants de cette région. Le banditisme assure cependant une fonction de protestation sociale, les légendes qui l'entourent permettent de se moquer de toute la structure étatique et de sa supposée invincibilité. Enfin, la disparition soudaine du banditisme dans la dernière phase du phénomène à la fin des années 1970 correspond au succès du processus de centralisation étatique destiné à dissoudre les tribus nomades, qui ont transformé les régions kurdes grâce à l'établissement de vastes domaines terriens et à une urbanisation rapide. C'est alors qu'émergent les premiers mouvements kurdes armés organisés à la fin des années 1970.Last Kurdish Bandits in Modern Turkey : An Analysis of the “Spontaneous” Kurdish Individual Uprisings against the Turkish Nation-State in the Form of Banditry. This study is an analysis of the last Kurdish bandits in modern Turkey between 1950 and 1980. In this period, which constituted the transition from the Kurdish riots of the early 20th century to the emergence of the first organized Kurdish movements in the late 1970s, it seems as if the history of the Kurdish rebellion against the Turkish nation-state paused. This period, however, also constituted the massive emergence, final climax, and the ultimate demise of the Kurdish banditry. This study is an attempt to fill in the blanks of the history of the Kurdish rebellion by posing the question « In what sense, were the “ordinary crimes” of the last Kurdish bandits extra-ordinary ? » Through a textual analysis of the issues of one of the most mainstream and popular daily newspapers Milliyet (Nationality) in Turkey between 1950 and 1980, the social protest function and the role of banditry in the power politics between the Turkish nation-state, local landlords, and peasants are analyzed. It is argued, first of all, that it was the nomadic life style, from which the Kurdish bandits exclusively emerged, that was interpreted by the state elite as a substantial threat to the Turkish nation-state building process. Through the measures taken against the banditry, the state aimed to dissolve these communities themselves – which were in the civilization discourse of the state elite nothing but “the remnants of the reactionary Ottoman society”. Moreover, it is claimed that there appeared no bandit, or even bandit image in the memory of the Kurdish peasants, fighting against the order of the landlords. Some of the figures of these bandits have become legends in the eyes of the Kurdish people ; because, not of their rebellion against the landlords, but of their supposed courage and invulnerability in the face of “the great state”. The legends of these bandits in the eyes of the Kurdish people mainly mocked the entire state structure and its image as an irresistible force. In addition, it is argued that while banditry and the nomadic tribes were interpreted by the state elite as a rebellious spirit of the old reactionary structure to the Turkish nation-state building process, Kurdish banditry was also used as a veil for the state to penetrate the Kurdish regions. Finally, the sudden disappearance of the Kurdish banditry in the late 1970s was due to the success of the state centralization process to dissolve nomadic tribes, to the social transformation of the Kurdish regions of Turkey by the establishment of big landowning and rapid urbanization, and to the very emergence of the first Kurdish organized movements in the late 1970s.
- Comment les forces d'opposition revendiquaient-elles le pouvoir ? L'intifâda en Irak en 1952 - Matthieu Rey p. 183-204 En novembre 1952, de vastes manifestations prennent place à Bagdad puis s'étendent aux principales villes irakiennes. Ces journées d'émeutes sont rapidement appelées « Intifâda ». Elles s'inscrivent dans une certaine continuité de la geste protestataire, quatre ans après le déroulement de la Wathba. Il s'agit ici de restituer les dynamiques multiples qui prennent place dans les émeutes de novembre 1952, tout en proposant, par la comparaison à d'autres épisodes d'émeutes, un tableau des motifs communs ou propres de ce mode de contestation. Pourquoi et comment des populations entrent-elles en lutte ? Quelle place la violence prend-elle ? En quoi son usage définit-il un trait particulier du déroulement des événements de novembre 1952 ? À travers une interrogation historique et sociologique, il est possible de préciser le répertoire d'actions et les acteurs de l'espace public irakien au début des années 1950. Par ailleurs, le recours à l'émeute doit être situé au sein des modalités du dialogue politique. La place de groupements politiques légaux ou illégaux dans la rue et leur usage de la violence s'inscrivent largement dans une volonté de se rendre visible au pouvoir, qui, en retour, utilise des modes de coercition ou de négociation pour répondre et arrêter le processus émeutier. Cette dimension paraît essentielle pour rendre compte de la dimension politique présente au cœur de l'émeute et comprendre comment cette dernière appartient à un ensemble d'interactions entre les autorités, les groupements politiques et les différents acteurs mobilisés.How did Opposition forces request the power ? The Intifadah in Iraq in 1952In November 1952, massive riots took place in Baghdad. The riots lasted for at least one week. They were called the « Intifadah ». This Intifadah has been analyzed for its political impact without considering the actual events. I intend to study the different parties involved in these riots and their motivations. The Intifadah is very interesting also because it occured four years after other massive riots, the Wathba. Indeed, comparing the two events can help understanding the experiences that crowds and their leaders acquired during these events. It is thus possible to understand how the « Iraqi street » impacted on the power and how it became an arena between the different oppositional forces. I intend to draw an analytical description focusing on the continuity and the differences between the Wathba and the Intifadah. First of all, it seems that the Intifadah followed the same patterns as the Wathba. Students and workers reached together the street to demonstrate. They tried to merge and to make an assault on some institutions. This merger can only be understood if we take the support of political parties into consideration. However, the traditional pattern reached a peak during the first two days, showing that students, workers and activists had acquired political experience since 1948. It also prove that demonstrations had become an usual way of contestations in Iraq. Secondly, the differences between the 1952 Intifadah and the 1948 Wathba have to be discussed. Both had a diplomatic cause, both involved numerous crowds and both were quickly transformed into a massive popular movement. Therefore, a detailed analysis of these two movements seems to be relevant : who reacted to the demonstrations and how ? When and through which forms did different groups engaged in the riots ? An explanation of these two events can be proposed through a historical and sociological analysis. However the Intifadah is specific by its violences. The demonstrators' targets and their violent behaviour have to be explained to show how riots might help supporting political, economical and national claims. In this way, the Intifadah marked a new stage in Iraqi history. Thirdly, it seems that this period is also insightful for a new way of governance. Indeed, the Intifadah of 1952 occured after the political field's standstill. That was a direct result of the Palestine war in 1948. Before the Intifadah, Iraq was governed by emergency laws, that made any participation and any critical attitude against the government, impossible. Consequently, the opposition to the government did not organize any longer as a political party, but chose instead an « exit » strategy. This observation helps us to explain that the majority of the politicians who participated in the riots asked to change electoral law and required political freedom. Even though all opposition groups went to the street together, not all of them defended the same goals. Nevertheless, the Communist, the Independent and the National Democratic Party, tried to use the demonstrations aiming to become a part of the general political field.
- Le conflit comme performance : contestation et politique de l'espace des bédouins arabes en Israël - Alexander Koensler p. 205-226 Quand les insurrections et les émeutes sont analysées comme des pratiques discursives, qui forment, produisent et réifient des catégories de la réalité, les cadres des politiques normatives explosent laissant apparaître un espace contenant des ambiguïtés, des dysharmonies et des zones se chevauchant. Le plus souvent, dans la littérature habituelle consacrée aux émeutes et à la résistance populaire, le soulèvement populaire est considéré comme un effet naturel d'une réalité donnée. Le plus souvent de telles analyses restent prisonnières des catégories dichotomiques d'État et de peuple, parfois présentées comme des entités monolithiques. Dans cet article, j'essaie de montrer que les émeutes et la protestation ne sont pas simplement articulées sur des catégories interprétatives mais sont également capables de les “produire”. Ce que j'illustre à travers le cas de la “construction de la révolte” dans le désert israélien du Néguev, une forme spécifique de protestation qui peut conduire à des émeutes et de la violence.Insurgent building. Riots, protest and the Bedouin-state conflict in the Israeli Negev desert
When insurgencies and riots are explored as discursive practices which shape, produce and reify categories of reality, often the frames of normative politics blowup, revealing a space made of ambiguities, disjuncture, and interstitial zones. In much of the current literature on riots and popular resistance, instead, uprising is considered less unproblematically as a natural effect of a given reality. Often, such analyses remain trapped in dichotomous categories of « state » and « people », sometimes represented as monolithic, personified entities.In this paper I problematize this assumption. In line with literature on social constructivism and on ethnicization to certain extend, Slavoj Žižek argues that descriptions of reality do not naturally and immutably refer to things, but things begin to resemble their description. In a similar vein, I try to show that riots and protest do not simply articulate interpretative categories of reality, but seem also able to « produce » them. At this regard, first and foremost, it is the ethnographic attention to micro-political interactions that highlights the need for more careful attention, a need to embrace the uncertainty of open classifications and the lack of analytical closure. This will be shown through a case study of « insurgent building » in the Israeli Negev desert : a specific form of protest that can lead to riots and violence. « Insurgent building » refers to the use of concrete and other building materials in symbolic constructions on contested land. These constructions are built by Arab-Bedouin citizens and human-rights activists, yet with the expectation that they will be eventually demolished by the Israeli police shortly after. I consider insurgent building as a lens through which better to understand how politics of claims are channeled into clear-cut binary categories that ultimately contribute to the obfuscation of the multi-layeredness on the ground. For example, what at a specific level look as an expression of complex intra-group conflicts between different Arab-Bedouin groups can be re-interpreted through insurgent practices as an inter-group conflict around a clear-cut « Bedouin » vs « State » dichotomy ?In sum, this interest in how normative categories hide multiplicity, I believe, contributes to new insights into the relationship between reality and symbolization of conflict articulations in the Israeli-Palestinian space. Rather than simply reacting to given circumstances of the land conflict in the Negev, insurgent building is a very unusual practice of protest located beyond the people-state opposition and becomes also an instrument that contributes to the production of the very normative categories of the Bedouin-state conflict.
Hors dossier
- Cohérences et tensions dans la socialisation universitaire des étudiants : les enseignements d'une recherche qualitative - Aziz Jellab p. 227-250 Entamer des études à l'université amène souvent les étudiants à envisager autrement leurs études dans la mesure où la maîtrise des exigences scolaires repose davantage sur l'invention de stratégies individuelles et moins sur un suivi et un encadrement pédagogique continus. En nous appuyant sur une enquête sociologique de terrain, nous mettons en évidence l'existence de cohérences et de tensions entre la socialisation aux normes et à la vie universitaires, la construction du projet d'apprendre et l'élaboration d'un projet professionnel (ou de projets d'avenir). En partant du postulat selon lequel l'université se caractérise par une forme scolaire « flottante », et en mobilisant un matériau issu d'une recherche qualitative, menée auprès d'étudiants de L1 et de Master, inscrits, pour les uns, dans une filière de masse (Psychologie), pour les autres, dans une filière à effectif plus réduit (Sociologie-Histoire et Langues étrangères appliquées), cet article vise à mettre en évidence différentes tensions et cohérences participant de leur expérience scolaire. Il montre aussi, au-delà des idées reçues, que le parcours universitaire des étudiants n'est pas linéaire et qu'il se construit au gré des opportunités et des apprentissages effectués. Ainsi, si des étudiants, peuvent connaître l'échec scolaire car ils ne parviennent pas à exploiter la « liberté » institutionnelle voire parce qu'ils n'en disposent pas dans le cas où ils exercent une activité professionnelle, d'autres peuvent parfaitement réussir suite à un échec en première année ou en cas de réorientation dans une autre filière. Les portraits de quelques étudiants rencontrés donnent toute la mesure de la diversité des modes de socialisation aux études et à la vie universitaire. L'analyse interroge in fine le fonctionnement de l'université et sa capacité à assurer une démocratisation effective au sein de l'enseignement supérieur.Coherences and tensions of students socialization in university : the results of a qualitative research. Begin university studies often leads students to think differently about their studies since the mastery of academic requirements based more on individual strategies of invention and less on a continuous monitoring and pedagogical support. From a sociological fieldwork, we show the existence of tensions between coherence and socialization standards and academic life, the construction of the project to learn and develop a career plan (or future projects). The assumption being that the university is characterized by a school as “floating” and mobilizing material from a qualitative research conducted with students and L1 Master, registered for one in a chain mass (Psychology), for others, in a chain over small (Sociology, History and applied Foreign Languages), we observe that membership requires studies to be consistent dimensions in tension. It is also to show, beyond belief, the academic background of the students is not linear and it is built to opportunities and learning acquired. Thus, students can fully succeed due to a failure in the first year or when redirecting to another sector. The portraits of some students met used to assess the diversity of modes of socialization in school and university life. The analysis questions, in the end, the operation of the university and its ability to provide an effective democratization in higher education.
- Cohérences et tensions dans la socialisation universitaire des étudiants : les enseignements d'une recherche qualitative - Aziz Jellab p. 227-250
Débats et controverses
- Débats et controverses - Michel Kail p. 251
- Le moment maoïste parfait de Sartre - Richard Wolin, Michel Kail p. 253-290
Note critique
- Une sociologie du travail est-elle possible ? - Pierre Rolle p. 291-300
- Comptes rendus - p. 301-319