Contenu du sommaire : Esprits d'État

Revue Actes de la recherche en sciences sociales Mir@bel
Numéro vol. 96, no. 1, 1993
Titre du numéro Esprits d'État
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Multinationales de l'expertise et "dépérissement de l'État" - Yves Dezalay p. 3-20 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Multinationales de l'expertise et "dépérissement de l'Etat" Tout en vendant leurs services aux entreprises multinationales désireuses d'exploiter au mieux de leurs intérêts les failles et les contradictions entre tous les systèmes de règles qui se font concurrence sur le "marché de la régulation", les multinationales de l'expertise sont amenées à "produire de l'Etat" pour stucturer un marché transnational qui est leur raison d'être. Par là-même, elles contribuent à une profonde recomposition des champs professionnels nationaux qui pourrait bien déboucher sur une redéfinition de la division internationale du travail juridique. En effet, pour construire cet ordre juridique transnational, ces "usines à droit", qui représentent déjà une formidable concentration de ressources et de compétences, sociales aussi bien que juridiques, investissent massivement dans le droit savant. L'offensive de ces mega-law firms en Europe, où elles suscitent des émules, menace ainsi l'autonomie et l'identité de ces champs de pratiques. Notamment en remettant en question la division rigide et hiérarchisée des rôles, qui caractérise aussi bien le modèle britannique que les systèmes de Professorenrecht. L'américanisation accélérée du mode de production du droit des affaires vient ainsi renforcer un processus de restructuration du pouvoir économique autour de quelques pôles dominants, tout en contribuant à légitimer cette nouvelle division internationale du travail, puisqu'elle l'inscrit dans une logique spécifiquement juridique.
    Multinational Law Consultancies and the "Withering-Away of the State" While selling their services to multinational compagnies seeking to take maximum advantage of the loopholes and contradictions between all the systems of rules competing in the "regulation market", multinational law consultancy firms are led to "recreate the State" so as to structure a transnational market which is their raison d'être. In so doing, they contribute to a profound restructuring of the national occupational fields that could well lead to a redefinition of the international division of legal labour. To construct this transnational legal order, these "law factories", which already represent an enormous concentration of social as well as legal resources and competences, invest massively in academic law. The offensive by these mega-firms in Europe, where rivals to them are now appearing, is thus threatening the autonomy and identity of these fields of practice -particularly by challenging the rigid and hierarchical division of roles, which characterises as much the British model as systems of Professorenrecht. The accelerated Americanisation of the mode of production of commercial law thus reinforces a processus of restructuring of economic power around a few dominant poles, while helping to legitimize this new international division of labour, since it sets the latter within a specifically legal logic.
  • Formation de l'Etat et politiques sociales aux Etats-Unis - Theda Skocpol p. 21-37 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Formation de l'Etat et politiques sociales aux Etats-Unis Les Américains éprouvent une certaine méfiance à l'égard de la puissance de l'Etat. Cependant, si l'on analyse l'histoire du développement du pays, on constate que les Etats-Unis ont toujours eu "un Etat". Les changements qui ont affecté l'Etat américain -passé d'un Etat fédéral, non bureaucratique, "Etat de tribunaux et de partis" au XIXe siècle, à un Etat fédéral, partiellement partiellement bureaucratisé, orienté vers l'action en faveur de groupes d'intérêts particuliers au XXe siècle -permettent de comprendre les différentes phases et les modalités de la politique sociale américaine. Les Etats-Unis n'ont pas développé un Etat-providence qui, comme en Europe, assure la protection sociale des ouvriers et de tous les citoyens. Entre 1870 et 1920, la politique sociale des Etats-Unis s'est développée principalement en faveur des anciens combattants et des mères de famille ; après 1930, elle a porté surtout sur la mise en place d'un système d'assurance vieillesse pour les retraités. Les institutions politiques américaines ont favorisé le développement de dépenses sociales importantes pour des groupes sociaux qui ne sont pas les plus démunis.
    State Formation and Social Policy in the United States Americans distrust state power, yet analytically speaking the United States has always had "a state". Historical changes in the U.S. state -from a federal, non-bureaucratic "state of courts and parties" in the nineteenth century, to a federal, partially bureaucratized, and interest-group oriented polity in the twentieth century- can help us to understand the distinctive stages and patterns of American social policy. The United States did not develop a European-style welfare state for workers or all citizens. Instead, U.S. social policy between the 1870s and the 1920s focused on protecting first veteran soldiers and then mothers. From the 1930s onward, the emphasis shifted especially toward social provision for retired workers. U.S. political institutions have encouraged generous social spending for some groups, but not for the poor.
  • État et magistrats - Christophe Charle p. 39-48 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Etat et magistrats. Les origines d'une crise prolongée Depuis la Révolution et pratiquement jusqu'à nos jours, la question du statut et de la fonction de la magistrature n'a cessé de se poser dans de continuelles crises politiques. Les différents régimes, malgré leurs professions de foi, n'ont jamais respecté l'indépendance théorique de la magistrature, tandis que les procédures discrétionnaires de recrutement et d'avancement corrompaient de l'intérieur les magistats eux-mêmes. Les républicains, qui ont pourtant subi les mauvais procédés de la magistrature des notables au pouvoir, n'ont pas fait mieux, les nombreux postes libérés lors des épurations des années 1880 permettant à des individus n'appartenant pas au milieu judiciaire ou à la bonne bourgeoisie d'accéder à ce qui constitue alors le sommet du monde du droit. Le nouveau débat et la nouvelle crise de la fin du siècle naissent tout à la fois des excès de ce favoritisme et des remous politiques liés à l'affaire Dreyfus. Malgré une intense confrontation d'idées, le pouvoir politique parvient, avec l'appui intéressé des députés, à limiter dans la magistrature l'instauration de la méritocratie des concours déjà établie dans presque tous les autres corps, ce qui a pour effet d'entretenir encore au XXe siècle la faiblesse et la vulnérabiblité du pouvoir judiciaire.
    The State and the Judiciary : the Origins of a Long Crisis Since the French Revolution and almost to the present day, the question of the status and function of the judiciary has constantly arisen amid continual political crises. Despite their claims to the contrary, the various regimes have never respected the theoretical independence of the judiciary, while the judiciary itself was corrupted from within by discretionary procedures of recruitment and promotion. The republicans, despite having suffered the abuses of the judiciary of the ruling notables, did no better : the many posts opened up after the purges of the 1880s enabled individuals who did not belong to the judicial world or the upper classes to reach what was then the summit of the legal world. The new debate and the new crisis at the turn of the century arose both from the excesses of this favouritism and the political turbulence stemming from the Dreyfus Affair. Despite an intense clash of ideas, the political authorities managed, with the self-interested help of the deputies to restrict the introduction into the judiciary of the competitive meritocracy that was already established in almost all other branches of the State. The effect of this was to maintain even in the 20th century the weakness and vulnerability of judicial authority.
  • Esprits d'Etat - Pierre Bourdieu p. 49-62 accès libre
  • L'Etat moderne et la guerre (1550-1750) - Olivier Christin p. 63-66 accès libre
  • Pouvoirs informels et réseaux familiaux dans les campagnes européennes au XVIème siècle - Hugues Neveux p. 67-79 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
    Pouvoirs informels et réseaux familiaux dans les campagnes européennes au XVIe siècle Les chercheurs ont, ces dernières décennies, beaucoup développé le thème du pouvoir-domination, et certains en ont fait un mode d'explication ultime et décisif. Dans la lignée de travaux de philosophes ou d'historiens comme ceux de Hannah Arendt, de Peter Blicke ou de Giovanni Levi, cet article essaie de faire apparaître le caractère réducteur d'un tel point de vue en montrant que, jusque dans les milieux apparemment les plus dépendants, se développent des stratégies qui tendent à assurer aux familles une sphère d'autonomie plus ou moins large leur permettant de résister aux pressions extérieures, et même parfois de prendre l'offensive. S'appuyant sur des études portant sur le Royaume de Naples et la région parisienne au XVIe siècle, il s'efforce de comprendre et d'analyser les comportements de simples paysans européens qui, à travers la constitution de réseaux familiaux solides et la pratique d'échanges matrimoniaux compliqués (dont les formes varient en chaque cas suivant les coutumes, les contraintes économiques et les représentations qu'ils ont de l'honorabilité) visent tous à maintenir et si possible à améliorer la position sociale de leurs descendants. Il apparaît ainsi que les paysans, du moins ceux qui le peuvent, loin de ne faire que se soumettre ou réagir aux initiatives des classes "dirigeantes", sont également capables, depuis fort longtemps, de concevoir des stratégies et des tactiques sociales sophistiquées et souvent efficaces.
    Informal Powers and Family Networks In the last few decades researchers have considerably developed the theme of power-as-domination, and some have made it an ultimate and decisive mode of explanation. Pursuing the arguments of philosophers and historians such as Hannah Arendt, Peter Blicke and Giovanni Levi, this article aims to demonstrate the reductive character of such a viewpoint by showing that even in the apparently most dependent milieux, strategies develop which tend to provide families with a sphere of autonomy, of varying size, enabling them to resist external pressures and even sometimes to go onto the offensive. Drawing on studies of the Kingdom of Naples and the Paris region in the l6th century, it seeks to understand and analyse the behaviour of ordinary European peasants who, by constituting solid family networks and observing complicated matrimonial exchanges (the forms of which vary in each case according to local customs, economic constraints and their particular conceptions of honour) are all aimed at maintaining and if possible improving the social position of their descendants. It becomes clear that the peasants, or at least those who are able to do so, far from simply submitting or reacting to the initiatives of the "ruling" classes, have, for a very long time, also been capable of devising sophisticated and often effective social strategies and tactics.
  • TÉMOIGNAGE

  • Notes de lecture - p. 87-89 accès libre
  • Résumés - p. 90-94 accès libre