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Revue | Revue historique |
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Numéro | no 695, juillet 2020 |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Éditorial - Claude Gauvard, Jean-François Sirinelli p. 3
Articles
- La « seconde vie » de Cabaret d'Orville, ou l'écriture de l'histoire en Bourbonnais au XVe siècle - Olivier Mattéoni p. 5-38 Auteur d'une chronique de Savoie qu'il achève en 1419, Cabaret d'Orville est aussi celui d'une chronique consacrée à la vie de Louis II de Bourbon. Il l'écrit en 1429. La matière principale de son récit provient des souvenirs d'un vieux chevalier, Jean de Châteaumorand, qui a été pendant plusieurs décennies le compagnon et le fidèle serviteur du défunt duc. Le commanditaire de cette œuvre est Charles de Bourbon, petit-fils de Louis II, et en charge depuis 1427 du gouvernement des terres bourbonnaises en l'absence de son père, Jean Ier, retenu prisonnier en Angleterre depuis la bataille Azincourt. L'article analyse les enjeux de l'œuvre en s'interrogeant sur les conditions de la commande avant d'étudier la méthode de travail de Cabaret d'Orville. En quoi le récit reconstitué par le chroniqueur peut-il servir les intérêts de la maison de Bourbon, et en premier lieu de son commanditaire, Charles de Bourbon ? C'est autour de cette question essentielle que se structure le propos, qui se veut aussi une réflexion sur le travail d'écriture de l'histoire. Au-delà, le propos interroge les rapports entre mémoire et histoire, histoire et vérité, vérité et récit historique.Author of a chronicle of Savoie which he completed in 1419, Cabaret d'Orville also wrote a chronicle devoted to the life of Louis II de Bourbon in 1429. The main subject of his account comes from the memories of an old knight, Jean de Châteaumorand, who for several decades was the companion and faithful servant of Louis II. The patron of this work was Charles de Bourbon, grandson of Louis II, who had been in charge of the government of the Bourbon lands since 1427, whilst his father, Jean I, captured at the battle of Agincourt, was a prisoner in England. The article analyses the significance of this work by considering the conditions surrounding its commissioning, before moving on to study Cabaret d'Orville's working method. In what ways did the story reconstructed by Cabaret serve the interests of the house of Bourbon, and in the first place its patron, Charles de Bourbon? It is around this essential question that this article is structured, which is also a reflection on the work of writing history. Beyond this, the subject questions the relationship between memory and history, history and truth, truth and historical narrative.
- Artisans ou marchands : la draperie médiévale de l'Italie à la Normandie - Jean-Louis Roch p. 39-58 Les historiens ont longtemps pensé que, dans la draperie de laine médiévale, la manufacture dispersée, le Verlagssystem, dominait. Le grand marchand entrepreneur pouvait seul contrôler l'ensemble des opérations, réduisant les artisans au rang de salariés. L'Italie servait de modèle. Mais elle est sans doute une exception. Ailleurs, on demande souvent au tisserand de choisir, ou travailler pour un marchand ou se faire lui-même drapier : l'artisan entrepreneur existe. Il vend alors son drap à un marchand : c'est le Kaufsystem. La région rouennaise permet d'approcher la réalité du contrôle négociant, le financement des entreprises, le côté éclaté de la production et le rôle des pauvres gens de la draperie, qui vont d'un drap à l'autre. La question posée est alors celle de la taille des entreprises. Cette small commodity production semble bien être la forme dominante. Confronter ce modèle avec celui de « l'économie du bazar » permet d'en éclairer davantage son fonctionnement : omniprésence du crédit, inversion des hiérarchies, multiplicité des transactions, formes particulièrement flexibles de l'organisation du travail qui mêlent crédit et salariat. La manufacture dispersée n'était pas le seul chemin, ni le tout du chemin, vers la révolution industrielle.Historians have been thinkink for years that, in the medieval wool-drapery, the putting out system or Verlagssystem dominated. The great merchant entrepreneur could alone control all the operations, reducing the artisans to the statut of wage earners. The Italy was a model. But it is probably an exception. Elsewhere the weaver is often asked to choose, either to work for a merchant or become a draper: the craftsman entrepreneur exists. He then sells his cloth to a merchant: it is called the Kaufsystem. So there was an alternative to the putting out system. We will shed light on its importance and its functioning using the example of the Rouen region, without neglecting the sources of northern France, nor the research done in Verona. More precisely we'll explore this alternative through three models of interpretation, the Kaufsystem, the small commodity production presented by Robert Duplessis and Martha Howell, and the economy of the bazaar described by Clifford Geertz. The example of the Rouen région helps us clarify the role of merchants, their involvement in the production and their influence on the rural drapery business in general; it also allows us to look at the reality of the control by the traders, the financing of the businesses, the dispersion of the production, and the role played by the poor people of the drapery, who lived from cloth to cloth. An important point to look at is the size of the businesses. This “small commodity production” seems to be the dominant form. To compare this model with the “bazaar economy” gives a better picture of how it functioned: availability of credit, inversion of hierarchies, multiplicity of transactions, particularly good flexibility in the organization of the work, which involved credit and wage system. The putting out system was not the only way to the industrial revolution.
- Croissance des échanges et circulation de papiers en France au XVIIIe siècle - Anne Conchon p. 59-92 Les lettres de voitures constituent une des traces concrètes de l'économie des transports. Les exemplaires conservés pour l'Ancien Régime permettent de pénétrer dans cette économie complexe et méconnue des circulations marchandes. L'objet de cet article est de voir comment les lettres de voiture, qui agrègent des intérêts différents et renvoient à des usages singuliers selon les acteurs impliqués tout au long de la chaîne de transport – les marchands, les commissionnaires, les commis, les voituriers et éventuellement les usagers des services de messagerie –, contribuent à régir leurs relations. Ces acteurs, qui n'ont pas la même maîtrise de l'écrit, entretiennent des rapports différenciés avec les lettres de voitures. Pour les marchands, elles servent à définir des garanties dans le suivi des expéditions. Les commis les utilisent pour calculer et percevoir les droits exigibles sur les circulations marchandes. Aux voituriers, elles permettent d'obtenir le règlement de la prestation qu'ils ont opérée. Leur rapport à ces types d'écrits s'en trouve différent qu'il s'agisse de leur rédaction, des annotations qui y sont portées au cours du déplacement, de conservation… Une telle approche invite à ne pas considérer les lettres de voiture comme des documents isolés, mais à les resituer dans des chaînes d'écriture et dans des agencements marchands.Consignment letters are one of the concrete traces of transport economics. The pieces saved for the Ancien Régime allow to access this complex and little-known economy of freight traffic. The aim of this article is to assess how consignment notes, which combine different interests and refer to different uses depending on the actors involved throughout the transport chain—merchants, forwarders, clerks, carriers and possibly users of courier services—contribute to the regulation of their relations. These actors, who do not have the same mastery of the writing, have a different relationship with letters of consignment. For merchants, they serve to define guarantees in the tracking of shipments. Tax agents use them to calculate and collect the duties payable on merchant traffic. For the carriers, they allow them to obtain payment for the service they have provided. Their relationship to these types of documents differs in terms of their drafting, the annotations made on them during the journey, their conservation… Such an approach invites us not to consider waybills as isolated documents but to place them in chains of writing and in commercial arrangements.
- Retour sur une annexion : Paris, 1860 - Alain Faure p. 93-157 Cet article revient sur la question de l'annexion des communes suburbaines à Paris en 1860. Le dossier mérite d'être réouvert pour cette raison que les travaux récents sont loin d'avoir éclairé les vraies motivations de la décision finale d'annexion. C'est aussi l'occasion de reposer une autre question : celle de la politique suivie par le régime impérial pour l'intégration des nouveaux territoires. La première intention du préfet Haussmann était une annexion réduite aux communes de l'ouest pour parfaire son dessein de créer là une ville réservée à la population riche. Les autres communes du pourtour étaient à ses yeux trop mal bâties et trop mal peuplées pour être annexées, sources aussi de lourdes dépenses pour leur équipement. L'annexion de tout le pourtour, finalement décidée, ne s'explique pas pour des raisons financières ou sécuritaires, mais par le souci du régime de maîtriser la croissance des territoires périphériques et de réorienter leur peuplement. Il n'est pas juste de dire que ces territoires furent dans les années 1860 abandonnés ou même négligés. Des sommes très importantes furent consacrées aux équipements dans les domaines de l'assistance ou de l'eau, mais avec ses points faibles comme l'école. L'extension à la périphérie des services publics confiés à de grands monopoles fut réalisée, mais avec les limites inhérentes à ce système, ce qui conduisit dans le cas des marchés alimentaires à un véritable fiasco. La relative modestie des opérations de voirie en zone annexée s'explique par la conscience des difficultés à attirer là une construction à destination de la bourgeoisie. L'Empire imprima un nouveau cours à la ville qui s'imposa à la République : celle-ci soit reprit la politique entamée par l'Empire, pour la parfaire, soit dut s'atteler à en corriger les errances.This article returns to the question of the annexation of the suburban communes in Paris in 1860. The issue is worth reconsidering because the recent research works are far from having shed light on the true motivations of the final decision of annexation. It also gives an opportunity to raise another question, that of the policy followed by the Imperial regime to integrate the new territories.The first intention of Préfet Haussmann was an annexation of the Western communes in order to complete his scheme to create a town reserved for the rich population. To his opinion, the other communes of the periphery were too poorly built and populated to be annexed and a source of heavy expenses to be equipped. The annexation of the whole periphery, as finally decided, is not explained by reasons of costs and security, but by the concern of the regime to master the growth of the peripherial territories and to reorient the nature of their population.It is not right to say that, in the years 1860, these territories were abandonned or even neglected. Very important sums were dedicated to the equipments in the fields of welfare or water, yet with weaker points such as school. The extension of public services to the periphery entrusted to great monopolies was achieved, but with the limitations inherent to this system, which led in the case of food markets to a fiasco. The relative modesty of the roadway operations in the annexed area is explained by a clear conscience of the difficulty to attract there housebuilbing destined to the bourgeoisie. The Empire imparted a new direction to the town that imposed itself to the Republic: the latter either took after the policy initiated by the Empire to improve it, or had to embark upon correcting the former uncertainties.
- Le génie français d'Élie Halévy ? « La naissance du méthodisme » et l'historiographie socioreligieuse anglophone des années 1960 et 1970 - Géraldine Vaughan p. 159-189 « La nation anglaise est une nation de puritains », écrivait l'historien Élie Halévy (1870-1937) au début de son article « La naissance du méthodisme », paru à l'été 1906 dans La Revue de Paris. Cet article demeura longtemps assez confidentiel avant d'être redécouvert dans les années 1970 par l'historiographie anglophone. En tentant de comprendre pourquoi Halévy accorda tant d'importance à ce mouvement religieux du xviiie siècle – car, comme il l'écrivait dans ses notes de travail de 1904-1905, le « rôle de la renaissance protestante au xviiie siècle » fut fondamental « dans la formation du caractère anglais moderne », ce travail vise à pénétrer au cœur de l'entreprise halévyenne et à examiner la genèse de son travail sur l'esprit et l'histoire anglais des xviiie et xixe siècles. Cet article se propose donc d'abord de replonger dans la généalogie du travail d'Halévy, et ainsi tenter de cerner ce qui poussa cet anglophile libéral et dreyfusard à entreprendre, à partir de 1904, un travail de grande ampleur sur la secte méthodiste anglaise du xviiie siècle. Ensuite, il étudiera la réception de ce travail original, plus de soixante après, dans le milieu universitaire nord-américain (puisque le traducteur de ces articles était un historien américain) puis britannique. En effet, la pensée halévyenne vint nourrir le tournant des années 1960 dans l'historiographie religieuse britannique, c'est-à-dire le moment où cette historiographie se sécularisait en quelque sorte, en décloisonnant l'étude purement confessionnelle et en s'extrayant des biographies des grands meneurs religieux. La résonnance de ce regard français porté sur l'histoire britannique se poursuivit jusqu'à la fin des années 1970 et annonçait un autre tournant, celui de l'articulation entre la religiosité latente du peuple anglais et la conscience nationale britannique au dix-neuvième siècle.British and North American historians are familiar with the historical inquiry on late modern Britain written by the acclaimed French historian Élie Halévy (1870-1937) in the first half of the twentieth century. His unfinished History of the English People was translated into English from the late 1910s and widely circulated in English-speaking academic circles. Nevertheless, one of his articles entitled ‘The Birth of Methodism' which appeared in the periodical La Revue de Paris in 1906 remained little-known until it was translated by the American historian Bernard Semmel and published by University of Chicago Press in 1971. Actually, the ‘Birth of Methodism' article played a seminal role in the deployment of Halévy's historical thinking and in the (almost exclusive) interest he developed for English history during his career as a professional historian. Looking at his personal archives and at British and American historiography, this article thus offers to retrace the genealogy of Halévy's conception of Methodism and the role he ascribed to this Protestant sect in the making of British mentalités. It then sets to track Semmel's enterprise and its reception amongst American historians, the latter including Gertrud Himmelfarb, Melvin Richter and Robert K. Webb. ‘The Birth of Methodism' crossed the Atlantic back to Britain where it resonated with the contemporary development of Victorian religious studies as well as the works of left-wing historians Eric Hobsbawm and E. P. Thompson. It also intersected with soon-to-emerge preoccupations around the articulation of religiosity and British late modern identities.
- La « seconde vie » de Cabaret d'Orville, ou l'écriture de l'histoire en Bourbonnais au XVe siècle - Olivier Mattéoni p. 5-38
Mélanges
- De la musique au son : nouvelles perspectives, nouveaux regards - Christophe Vendries p. 191-212 Dans le sillage de l'étude des sens, les sons et les bruits sont devenus depuis quelques années un objet d'histoire. L'empathie des historiens pour le son contraste avec une certaine indifférence manifestée pour le traitement des questions musicales. L'auteur s'interroge d'abord sur les raisons de cette distorsion puis confronte les travaux des historiens de l'Antiquité sur la musique et le son avec ceux des autres périodes historiques ; il étend le regard aux sciences sociales afin de montrer comment ces recherches s'insèrent dans un courant plus vaste. Aujourd'hui, les sound studies offrent des approches plurielles autour du son, du bruit et du silence qui contribuent à élargir les horizons de la recherche historique.With the success of the Sensory Studies, sounds and noises became an object of history in the last few years. The historians' empathy for sound contrasts with an indifference towards the treatment of musical issues. The author first examines the reasons for this distortion and then compares the works of ancient historians on music and sound with those of other historical periods ; he extends the focus to the social sciences in order to show how these researches fit into a wider academic trends. Today, sound studies offer plural approaches around sound, noise and silence that contribute to enlarge the horizons of historical research.
- De la musique au son : nouvelles perspectives, nouveaux regards - Christophe Vendries p. 191-212
Comptes rendus
- Comptes rendus - p. 213-237
Droit de réponse
- Un rendez-vous manqué de l'histoire et du droit. Réponse au compte rendu de M. Fadi El Hage - Paul Chauvin-Hameau p. 239-242
- Liste des livres reçus au bureau de la rédaction - p. 243-244
- Ouvrages analysés dans les comptes rendus de la présente livraison - p. 245