Contenu du sommaire : La formation comme champ de lutte

Revue Actes de la recherche en sciences sociales Mir@bel
Numéro no 248, juin 2023
Titre du numéro La formation comme champ de lutte
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  • Luttes dans la formation militante - Clément Petitjean, Karel Yon p. 4-13 accès réservé
  • Apprendre à faire et à penser en organizer : Ethnographie d'un stage de formation à la Midwest Academy - Clément Petitjean p. 14-31 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Le développement à partir des années 1970 de curricula de formation constitue l'un des aspects les plus centraux dans l'institutionnalisation des pratiques de community organizing aux États-Unis. Objectivant les revendications d'expertise du groupe professionnel en devenir des community organizers, les programmes de formation apparaissent comme des lieux traversés par des définitions concurrentes du métier, structurées par l'opposition entre un pôle « institutionnel » et un pôle « contestataire » – le premier valorise l'extériorité experte du professionnel tandis que le second met en avant la proximité avec les groupes mobilisés. Pour saisir ces luttes symboliques au ras des pratiques, l'article s'appuie sur l'observation participante d'un stage de formation organisé en mars 2016 par la Midwest Academy, organisme créé en 1973 et qui constitue un lieu de formation incontournable à l'échelle nationale. Il montre pourquoi et comment, dans un contexte de dynamique contestataire entretenue par le mouvement Black Lives Matter, ce stage devient le lieu d'une remise en cause frontale du contenu de formation, donnant à voir des conceptions opposées du rôle d'organizer.
    The development of training curricula from the 1970s onwards constitutes one of the most central aspects in the institutionalization of community organizing practices in the United States. Objectivizing the claims of expertise of the emerging professional group of community organizers, the training programs appear as places crossed by competing definitions of the profession, structured by the opposition between an “institutional” pole and a “protest” pole – the first one values the expert exteriority of the professional while the second one emphasizes the proximity with the mobilized groups. to grasp these symbolic struggles at the level of practices, the article draws on participant observation of a training course organized in March 2016 by the Midwest Academy, an organization created in 1973 that is a key training site on a national scale. It shows why and how, in the context of a protest dynamic fueled by the Black Lives Matter movement, this training course becomes the site of a frontal questioning of the training content, revealing opposing conceptions of the role of organizer.
  • Mettre en débat la représentation syndicale : La transmission d'un sens syndical alternatif dans un Bachillerato Popular en Argentine - Pierre Rouxel p. 32-45 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Sur fond d'érosion de leur ancrage social et de leur crédit symbolique, les organisations syndicales sont traversées aujourd'hui par des luttes autour des pratiques et du sens de l'engagement. Dans cette perspective, l'article analyse les efforts de délégués d'une usine du nord de Buenos Aires, en Argentine, pour faire émerger et diffuser un « sens syndical alternatif », à partir de l'animation d'un centre socio-éducatif et d'un cycle de formation proposé à des ouvriers de l'industrie chimique. Après être revenu sur les ressorts sociaux et organisationnels de ce projet militant, l'article en explore les conditions de réussite. Si cet espace de formation rend possible une mise en débat des formes et du périmètre d'intervention du syndicalisme, l'enquête ethnographique montre aussi combien ce processus est entravé par les appels au loyalisme des dirigeants du syndicat de branche, auxquels certains participants – en raison de leurs trajectoires et de leurs dispositions – se montrent sensibles.
    Against the backdrop of the erosion of their social roots and symbolic credibility, trade unions are currently involved in struggles over their practices and the meaning of being committed in a union. In this perspective, the article analyzes the efforts of delegates from a factory in the north of Buenos Aires, Argentina, to create and disseminate an “alternative trade union sense” through the animation of a socio-educational center and a training cycle offered to chemical industry workers. After going back over the social and organizational roots of this militant project, the article explores the conditions for its success. If this training space makes it possible to debate the forms and the perimeter of intervention for trade unionism, the ethnographic investigation also shows how much this process is hindered by the calls for loyalty of the leaders of the branch union, to which certain participants – because of their trajectories and their dispositions – show themselves sensitive.
  • Déformation militante du travail médical : À propos des conflits entre médecins et profanes autour de la pratique de l'avortement (1972-1984) - Lucile Ruault p. 46-61 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Les groupes du Mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception (MLAC) qui fleurissent en 1973-1974 en France défendent, pour forcer le changement de loi, une activité abortive non clandestine, qui en vient à façonner une part substantielle de la formation militante. une approche localisée des MLAC révèle que la transmission des savoirs abortifs divise, et même cristallise les luttes de sens au sein du mouvement. En particulier, les bornes de la formation sont un nœud de tensions entre médecins et non-médecins. Alors que la formation pourrait subvertir la division des rôles, elle semble aboutir à la fabrique de savoirs spécialisés et à la clôture du groupe professionnel. De sorte que « la pratique » polarise les attentes : est-elle un état transitoire destiné à faire de l'avortement un « acte médical comme les autres », ou bien une action politique pérenne pour l'accès des femmes à l'autodétermination de leur corps ? Reposant sur une vaste enquête par entretiens et archives sur divers MLAC, cet article analyse la formation à la pratique abortive comme terrain de luttes internes. Il interroge la définition conflictuelle du public légitime de la formation (sélectionner ou massifier ?), avant de montrer comment les groupes aux intérêts différenciés qui en résultent (MLAC à majorité médicale ou profane) développent des usages et sens divergents de la passation de savoirs. Se dégagent alors deux modes de formation d'ordre idéal-typique : la dissociation entre soins et techniques versus leur union.
    The groups of the Mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception (MLAC) that flourished in France in 1973-1974 defended, in order to force a change in the law, a non-clandestine abortion activity which came to shape a substantial part of the activist training. A localized approach to the MLACs reveals that the transmission of abortion knowledge divides, and even crystallizes, struggles over meaning within the movement. In particular, the boundaries of training are a nexus of tension between doctors and non-physicians. While training could subvert the division of roles, it seems to result in the fabrication of specialized knowledge and the closure of the professional group. As a result, «the practice» polarizes expectations: is it a transitory state intended to make abortion a «medical act like any other», or is it a perennial political action for women›s access to self-determination over their bodies? based on an extensive interview and archival survey of various MLACs, this article analyzes abortion training as a terrain of internal struggle. It questions the conflicting definition of the legitimate training audience (select or massify?), before showing how the resulting groups with differentiated interests (MLACs with a medical majority or lay people) develop divergent uses and meanings of knowledge transfer. two ideal-typical modes of training then emerge: the dissociation between care and techniques versus their union.
  • Des syndicalistes aux « professionnels des relations professionnelles » ? : Les premiers temps de l'école de relations industrielles de Cornell - Karel Yon p. 62-85 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    La New York State School of Industrial and Labor Relations (ILR School) est créée en 1944 au sein de l'université Cornell dans le but de favoriser la coopération entre employeurs et salariés. Elle se donne pour mission de former des « professionnels des relations professionnelles » en délivrant un savoir abstrait spécialisé, réputé neutre et partagé entre les différentes parties. L'article décrit la genèse et l'institutionnalisation de ce projet au cours des trente premières années d'existence de l'école. Il l'analyse, selon le vocabulaire théorique des écologies liées, comme un « enjeu charnière » qui se forge dans le champ du pouvoir mais qui prend forme au croisement des champs politique, syndical et académique. tiraillée entre les logiques de reconnaissance propres à l'université et la méfiance, quand ce n'est pas l'hostilité, des acteurs des relations professionnelles, l'école contribue moins à professionnaliser les syndicalistes que les formateurs. En outre, tous les formateurs n'endossent pas l'identité d'experts en relations professionnelles : au sein de l'ILR School apparaît en effet un nouveau territoire, revendiqué par ses occupants comme celui des labor studies, qui entend se distinguer à la fois des industrial relations et d'une conception purement instrumentale de la formation syndicale. Initialement soutenue par les franges anticommunistes du mouvement syndical, l'école aura ainsi offert une base matérielle à des acteurs, dont certains communistes, qui portaient un regard critique sur le syndicalisme et les relations professionnelles.
    The New York State School of Industrial and Labor Relations (ILR School) was created in 1944 within Cornell University with the aim of fostering cooperation between employers and employees. Its mission was to train “industrial relations professionals” by providing specialized abstract knowledge, deemed neutral and shared by the different parties. the article describes the genesis and institutionalization of this project during the first thirty years of the school's existence. It analyzes it, according to the theoretical vocabulary of linked ecologies, as a “pivotal issue” that is forged in the field of power but takes shape at the intersection of the political, union and academic fields. torn between the logics of recognition specific to the university and the mistrust, if not the hostility, of the actors of professional relations, the school contributes less to the professionalization of trade unionists than to that of trainers. Moreover, not all the trainers assumed the identity of experts in industrial relations: within the ILR School a new territory emerged, claimed by its occupants as that of labor studies, which intended to distinguish itself both from industrial relations and from a purely instrumental conception of trade union training. Initially supported by the anti-communist bangs of the trade union movement, the school thus offered a material basis to actors, including some communists, who had a critical view of trade unionism and industrial relations.