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Revue Revue historique Mir@bel
Numéro no 707, juillet 2023
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  • Et s'il n'était pas attendu des espions qu'ils espionnent ? À propos du recrutement des agents de renseignement de Côme Ier de Médicis en France - Pierre Nevejans p. 379-409 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    L'historiographie du renseignement et de l'espionnage a connu ces dernières années un renouveau important, dans la suite des travaux les plus novateurs sur l'histoire des relations internationales. Aujourd'hui, comme c'est le cas pour la diplomatie, l'enjeu tient à une redéfinition du champ de l'espionnage et du renseignement. C'est ce que propose cet article, à travers le cas des espions recrutés par les Florentins envoyés en France par le duc de Florence, Côme Ier de Médicis. Il s'agit d'interroger la place des espions au sein des constellations d'agents diplomatiques, au-delà de l'idée qu'ils seraient par nature des figures isolées et cachées. Bien au contraire, certains espions, dont les Gazzetti, un frère et une sœur placés au service de Piero Strozzi, l'ennemi juré de Côme de Médicis, et de la reine Catherine de Médicis, sa cousine, sont connus de l'ensemble des agents agissant au grand jour sur le terrain, tant qu'on pourrait se demander s'il était réellement attendu d'eux qu'ils espionnent. Les modalités de recrutement de ces agents, mais aussi les rapports qu'ils entretiennent sur le temps long avec leurs recruteurs, témoignent des mécanismes sociaux et politiques de l'espionnage, au-delà des fantasmes qu'un tel sujet ne manque jamais de faire naître.
    Studies on intelligence and espionage have known an important revival in recent years, in the lead of the most innovative works on the history of diplomacy. Today, as is the case for diplomacy, the challenge is to redefine the contours of what we call espionage and intelligence. This article proposes, through the case of the spies recruited by the Florentines sent to France by the Duke of Florence, Cosimo I de' Medici, such a redefinition. It scopes the place of spies among diplomatic agents' networks, neglecting the idea that they had to be isolated and hidden figures. On the contrary, some spies, such as the Gazzetti, a brother and sister in the service of Piero Strozzi, the sworn enemy of Cosimo I de' Medici, and of Queen Catherine de' Medici, his cousin, were known to all the agents operating freely on foreign soil. Then, one might wonder whether they were really expected to spy or to exerce more diversified functions. Recruitment methods for these agents, but also the relationships they maintained over time with their recruiters, show the social and political mechanisms surrounding espionage, beyond the fantastic image espionage creates in our collective imaginary.
  • Concurrence des réseaux et tensions catégorielles : les professeurs des « enseignements intermédiaires » entre les deux guerres - Yves Verneuil p. 411-434 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    L'enseignement primaire supérieur, constitué des écoles primaires supérieures et des cours complémentaires, et l'enseignement technique moyen, constitué notamment des écoles pratiques de commerce et d'industrie et des écoles nationales professionnelles, relèvent de ce que Jean-Michel Chapoulie a appelé les « enseignements intermédiaires », qui recrutent dans les mêmes milieux, les bons élèves des écoles primaires élémentaires, issus souvent des classes populaires ou moyennes inférieures. Ce secteur est constitué comme un marché, dans lequel se joue une double concurrence : entre primaire supérieur et enseignement technique d'une part, au sein même de ces filières, et notamment au sein du primaire supérieur d'autre part. Entre les deux guerres, la rivalité institutionnelle entre l'enseignement technique et l'enseignement primaire supérieur se prolonge au niveau des enseignants eux-mêmes et suscite une série de tensions entre les organisations corporatives respectives de ces enseignants. Cependant, l'enseignement primaire supérieur est lui-même affecté par des rivalités catégorielles. Celles-ci témoignent d'un souci de distinction qui n'est donc pas propre à l'enseignement secondaire. Ces analyses permettre de mieux comprendre la difficulté de mettre en place l'École unique, par-delà le conflit bien connu opposant les « primaires » aux « secondaires ».
    Upper primary education includes both upper primary schools and complementary courses. Intermediate technical education is made up of practical schools of commerce and industry and national vocational schools. These two sectors of education fall under what Jean-Michel Chapoulie has called "intermediate education". They recruit from the same educational and social backgrounds: the good pupils of elementary schools, often from the working or lower middle classes. Intermediate education forms a market, in which there is a twofold competition: between upper primary and technical education on the one hand, and within these streams themselves, and particularly within upper primary. In the 1920s and 1930s the rivalry between upper primary education and technical education did not diminish, despite the fact that the Ministerial Directorate for Technical Education was attached to the Ministry of Education. This rivalry led to tensions between the teachers of these two educational sectors. However, upper primary education is itself affected by categorical rivalries, which are accentuated by the plans for educational reform aimed at establishing a system of education structured in successive degree. These rivalries reflect a concern for ‘distinction' that is not unique to secondary education. Taken together, these analyses provide a better understanding of the difficulty to implement a comprehensive school in the 1920s and 1930s.
  • Histoire des « mains servantes », de Cicéron à Arnobe - Sarah Rey p. 435-461 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Dans l'antiquité gréco-romaine, l'anatomie humaine a été longtemps admirée en tant que telle et les mains, en particulier, jugées dignes d'éloges. Elles sont apparues comme la marque distinctive d'une humanité considérée comme supérieure aux autres créatures. L'image efficace des mains servantes ( manus ministrae), conçue au ier siècle av. J.-C., a circulé pendant plus de trois cents ans. Elle constitue un héritage cicéronien : c'est dans le De natura deorum que Cicéron attribue à Balbus un long discours à la gloire de cette partie du corps qui reçoit l'empreinte du finalisme aristotélicien, tel qu'il s'est exprimé dans le livre IV du traité Des Parties des animaux. Le topos des « mains servantes » trouve des échos immédiats, puis renaît à des siècles de distance dans des textes chrétiens du début du ive siècle, à la fois chez Lactance, dans son traité L'ouvrage du dieu créateur, et chez Arnobe de Sicca, lequel propose dans son Contre les Gentils une bifurcation radicale : avec lui, les manus ministrae perdent de leur lustre et les bienfaits de la Création sont mis en question ; le rhéteur rejette toute forme d'anthropocentrisme. Dans cette entreprise de démolition se devinent les ambiguïtés de l'apologétique en tant que genre littéraire au croisement des traditions. Quelques décennies avant Jérôme, Arnobe semble se reprocher, par son goût pour les lettres et par sa formation même, d'être plus proche de Cicéron que du Christ.
    In Graeco-Roman antiquity, human anatomy was long admired, and the hands in particular were deemed worthy of praise. They appeared as the hallmark of a humanity considered superior to other creatures. The effective image of servant hands (manus ministrae ), conceived in the first century BC, circulated for over three hundred years. It is a Ciceronian legacy: it is in De natura deorum that Cicero attributes to Balbus a long speech in praise of this part of the body, which receives the imprint of Aristotelian finalism, as expressed in Book IV of the treatise On the Parts of Animals . The topos of the "servant hands" finds immediate echoes, and is then revived centuries later in Christian texts from the beginning of the fourth century, both in Lactantius, in his treatise De opificio Dei , and in Arnobius of Sicca, who proposes a radical bifurcation in his Adversus Nationes : with him, the manus ministrae are no longer glorified and all the Creation is queried; the rhetor rejects any form of anthropocentrism. The ambiguities of apologetics as a literary genre at the crossroads of traditions are revealed in this demolition. A few decades before Jerome, Arnobius seems to reproach himself, by his formation, for being closer to Cicero than to Christ.
  • L'esprit en main dans le Canon classifié (Leijing 類經, 1624) - Marta Hanson, Clément Fabre p. 463-510 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
    Lorsque les médecins chinois utilisaient leurs mains pour mémoriser des concepts, pour calculer des durées, pour établir des pronostics ou pour effectuer les gestes de rituels thérapeutiques, elles devenaient le prolongement de leur esprit. Ces techniques n'ont pourtant pas retenu l'attention qu'elles méritent comme exemples de cognition étendue. Cela tient notamment au fait que de semblables techniques cognitives fondées sur la main, largement attestées dans l'histoire de l'Asie orientale comme dans celle de l'Europe médiévale et moderne, sont devenues rares aujourd'hui. Le Canon classifié ( Leijing) du médecin lettré chinois Zhang Jiebin et ses deux annexes, l'Aile illustrée ( tu yi) et l'Aile annexe ( fu yn, publiés en 1624, offrent un observatoire particulièrement pertinent sur “l'esprit en main” comme forme de cognition étendue. Ce traité en trois parties traite autant de la main universelle que de la main du patient, de la main du devin que celle du thérapeute. Le Canon classifié de Zhang Jiebin offre ainsi un matériau abondant pour étudier les différentes manières de penser à travers, au sujet et au moyen de la main.
    When Chinese physicians used their hands to memorize concepts, to calculate time, {o prognosticate, and to gesture in healing rituals, their hands became extensions of their minds. As examples of extended cognition within the broader field of embodiedcognition such hand-memory, calculation, and ritual techniques have not, however, received the attention they deserve. This may be in large part because, despite rich evidence in East Asian history as well as medieval to early modern Europe, such handbased cognitive techniques are rare today. Yet when premodem people projected concepts onto divisions of their fingers in their mind's eye, as if written on the flesh, they performed an embodied form of extended cognition. The Chinese scholar- physician Zhang Jiebin's Classified Canon (Leijing ) and its two appendices Illustrated Wing (tu yi ) and the Appendix Wing (fu yn ), published in 1624, offer a particularly pertinent look at the “mind in hand” as a form of extended cognition. This three-part treatise deals with the universal hand as much as the patient's hand, the diviner's hand as much as the therapist's hand. Zhang Jiebin's Classified Canon thus offers abundant material for studying the different ways of thinking through, about and by means of the hand.
  • Mélanges

    • Essai sur le temps long des transports avant la motorisation - Martin Gravel p. 511-533 accès réservé avec résumé avec résumé en anglais
      Cet essai propose de remplacer la présence ou l'absence d'institutions de poste comme premier critère d'étude des communications à distance, par les invariants mécaniques et physiologiques propres aux déplacements humains. Sur la base de ces invariants, il devient possible d'engager des comparaisons fructueuses dans l'espace et le temps des transports non motorisés. Cette approche confirme qu'avant l'invention du moteur à vapeur, l'histoire du mouvement est déterminée par des invariants physiologiques et techniques. Elle montre que lorsqu'il est question de vitesse de déplacement, l'histoire est immobile, ou presque, tant que l'homme dépend du cheval, de la voile ou de ses propres jambes. Ainsi, le haut Moyen Âge n'était pas plus « lent » que l'Antiquité romaine ou le bas Moyen Âge. De fait, les études portant sur des périodes et des espaces spécifiques devraient considérer que les variations dans la vitesse des déplacements se produisent dans les limites d'un ambitus beaucoup plus restreint et plus stable dans le temps que ce que suggère une histoire des institutions, dont le biais évolutionniste pose parfois problème.
      Traditionally, historical research on travels and transports has been focused on their infrastructures and institutions, especially when speed is the main topic of discussion. This is certainly the case for works on the premodern centuries, where roads and postal services have received most attention. This historical essay tries to move away from these matters — however important they may be — to focus on the mechanical and physiological invariants that pertained before the advent of the steam engine. This approach makes it possible to compare historical situations that have rarely been placed side by side, and to realize that they share common traits determined by these invariants. In the end, this short essay suggests that before the advent of motorized vehicles, before the geography was adapted to their use, the history of human movements has been mostly determined by physiological and technological invariants that pertains throughout the centuries. It shows that when it comes to the speed of travels, history is immobile, or nearly so, as long as it depends on animals, sail boats, or human legs. And so, in that context, it appears that the Early Middle Ages was not slower than Roman Antiquity or the Late Middle Ages. Studies on specific periods and locations should take into account that variations in the speed of travels were happening on a much smaller scale than we generally consider, and so that speed has been much more stable through time than what the history of institutions suggests, with its frequent evolutionist bias.
  • Comptes rendus

  • Liste des livres reçus au bureau de la rédaction - p. 575-576 accès libre
  • Ouvrages analysés dans les comptes rendus de la présente livraison - p. 577 accès libre