Contenu du sommaire : Aristocraties européennes et césure de la Grande Guerre

Revue 20 & 21. Revue d'histoire Mir@bel
Titre à cette date : Vingtième siècle, revue d'histoire
Numéro no 99, juillet-septembre 2008
Titre du numéro Aristocraties européennes et césure de la Grande Guerre
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Aristocraties européennes et césure de la Grande Guerre

    • Présentation - Marie-Bénédicte Vincent p. 3 accès libre
    • Le grand monde parisien à l'épreuve de la Guerre - Alice Bernard p. 13 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Parce qu'il se trouvait au sommet de la hiérarchie d'une société, précocement entrée dans un processus de démocratisation et convertie aux idéaux républicains, le grand monde parisien, fine fleur de l'aristocratie française, eut à subir une mise en cause anticipée de ses positions. Pourtant, à la fin du 19e siècle, il conserve l'essentiel de ses pouvoirs et incarne toujours un idéal social et culturel prégnant. La Grande Guerre, rupture convenue dans l'histoire des élites anciennes, période butoir marquant « la fin d'un monde » et l'avènement d'un nouvel ordre social, ne semble pas même avoir atteint la vitalité du groupe autrement que dans sa chair. Les années 1920 poursuivent l'euphorie collective de la Belle Époque, que le premier conflit mondial n'avait fait qu'interrompre. Il faut attendre la fin des années 1930 pour voir le monde dépassé sur les plans politique et idéologique, affaibli sur le plan économique et terni aux yeux des Français, par l'ascension d'élites nouvelles, bourgeoises et républicaines. Ainsi, le lent déclin des élites anciennes, annoncé et largement fantasmé depuis la Révolution française, s'esquisse-t-il dans l'entre-deux-guerres pour n'aboutir qu'après 1945.
      Because it was at the top of a society that had already started the process of democratization and conversion to republican ideals, Parisian high society, the elite of the French aristocracy, had to undergo an early challenge of its positions. However, at the end of the 19th century, it was still powerful and still embodied a rich social and cultural ideal. The Great War, the break in the history of the former elites, a cutoff date signaling “the end of a world” and the beginning of a new social order, seems to have affected the vitality of the group only physically. The 1920s continued the collective euphoria of the Belle Epoque that the First World War had merely interrupted. It wasn't until the late 1930s that this world was overwhelmed on the political and ideological levels, weakened on the economic level and tarnished in the eyes of the French by the rise of the new elites, bourgeois and republican. So the slow decline of the former elites, forecasted and widely fantasized since the French revolution, took shape in the between-war period but didn't occur until after 1945.
    • La diplomatie française au lendemain de la Grande Guerre : bastion d'une aristocratie au service de l'État ? - Isabelle Dasque p. 33 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Malgré la démocratisation du haut personnel diplomatique initiée par les républicains, l'aristocratie connaît au lendemain de la Grande Guerre un regain d'influence au sein de la Carrière. Recrutés au début du siècle selon un mécanisme hybride de sélection qui fait encore une large place aux critères sociaux, ses représentants profitent du renouvellement des cadres pour se hisser à la tête des fonctions les plus importantes du Département. Outre une formation intellectuelle poussée et une tradition de service, ils s'appuient sur des réseaux de parentés et de solidarité propres, tout en pratiquant une stratégie d'ouverture qui leur permet de s'intégrer aux autres élites nationales et de s'insérer dans les sphères de pouvoir. L'aristocratie tire aussi son influence du modèle social qu'elle incarne et qui inspire toujours l'idéal et les pratiques sociales et culturelles des élites diplomatiques. Mais la guerre et le règlement de la paix permettent aussi à certains de ses membres d'acquérir une compétence professionnelle nouvelle, mieux adaptée aux enjeux et aux problématiques de la diplomatie des années 1920.
      In spite of the democratisation of the highest grades of the Diplomatic Corps carried out by the republicans, the aristocracy experienced a renewed influence within the diplomatic career in the years following the end of the Great War. Recruited at the beginning of the Century through a hybrid system of selection, which still grants great importance to social criteria, aristocrats take advantage of the renewal of the executive-level diplomatic personal to accede to the highest positions within the Department of Foreign Affairs. In addition to a good educational and cultural background and a tradition of public service, they rely on their own relative and solidarity networks, while practising a strategy of openness which enables them to integrate into other national elites and get into the circles of political power. The aristocracy also derives its influence from the social model it embodies and which still shapes the ideal and the social and cultural practices of the diplomatic elites. But the war and the peace settlement also enable some of its members to acquire new professional skills, better adapted to the challenges and the problems of the 1920s diplomacy.
    • Les aristocraties bretonnes à l'épreuve des répercussions de la première guerre mondiale - David Bensoussan p. 51 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Longtemps en position prédominante dans une grande partie des campagnes bretonnes, l'aristocratie rurale est confrontée à des difficultés croissantes au lendemain de la première guerre mondiale. Tandis que ses convictions monarchistes apparaissent de plus en plus obsolètes, elle voit ses liens avec le clergé, relais majeur de son influence auprès des populations, fortement fragilisés par la condamnation pontificale de l'Action française en 1926. Parallèlement, sa domination socio-économique est remise en cause par une partie de la paysannerie. Face à ces difficultés, l'aristocratie rurale fait le choix, non sans tensions internes, d'un engagement redoublé sur le terrain du syndicalisme agricole. Les succès obtenus lui permettent de disposer de ressources sociales qu'elle mobilise, dans les années 1930, autour de l'apologie du corporatisme agrarien. L'objectif affiché est l'instauration d'un nouveau régime politique qui la consacrerait comme une autorité naturelle.
      In a dominant position in most of the Breton country for a long time, the rural aristocracy is confronted with growing difficulties after the First World War. While its monarchist convictions seems more and more obsolete, its relationship with the clergy, the major relay of its influence over the populations, are greatly weakened by the Papal condemnation of the Action française in 1926. At the same time, its socio-economic domination is being questioned by part of the peasantry. Faced with these difficulties, the rural aristocracy chooses, not without internal tensions, to intensify its commitment to the agricultural unionism. Its successes in this area will allow it to enjoy social resources which the aristocracy mobilizes in the 1930s around the apology of agrarian corporatism. The proclaimed goal is the institution of a new political system that would establish it as a natural authority.
    • Le déclin politique de l'aristocratie britannique - Clarisse Berthezène p. 65 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Dans son ouvrage de référence sur The Decline and Fall of the British Aristocracy, David Cannadine soutient la thèse du déclin continu de l'aristocratie en Grande-Bretagne à partir de 1832, et surtout après 1911. Mon hypothèse est que l'aristocratie britannique continue d'exercer un pouvoir politique important, qui se manifeste dans un certain nombre de mouvements politiques des années d'entre-deux-guerres. L'influence politique de l'aristocratie n'est pas limitée aux seuls mouvements politiques marginaux, notamment les mouvements fascisants, comme l'English Mistery. C'est ainsi que, au début de la seconde guerre mondiale, Lord Halifax, pair héréditaire, échoue de peu à devenir Premier ministre, laissant la place à Winston Churchill, lui-même appartenant à l'une des familles les plus anciennes et les plus aristocratiques du royaume. Jusqu'au début des années 1960, de nombreuses personnalités politiques britanniques appartiennent à l'aristocratie. Le déclin du rôle de l'aristocratie britannique dans la vie politique que l'on constate depuis le vote de la loi de 1911 sur le Parlement ne doit pas être surestimé.
      In his landmark study The Decline and Fall of the British Aristocracy, David Cannadine has argued for the continuous decline of the aristocracy in Great Britain since 1832, and especially after 1911. In this paper, however, I will suggest that within the general context of its decline, the British aristocracy actually enjoyed considerable residual political power in the interwar years which was apparent in a number of political movements. It could be argued that their political presence was in large part confined to the fringes, notably in the form of their involvement in fascistic movements such as the English Mistery. Yet, at the outset of Second World War, Lord Halifax, an hereditary peer, nearly became Prime Minister and although he failed to obtain the highest office, Winston Churchill, a scion of one of Britain's haute aristocratic families, became Prime Minister in 1940. Arguably until the 1960s, many of the most prominent figures in British politics were still aristocrats. In short, the apparent decline of the British Aristocracy since the 1911 Parliament Act should not be overstated.
    • L'aristocratie allemande au service de l'État et la césure de 1918 - Marie-Bénédicte Vincent p. 76 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Si 1918 est incontestablement une césure politique et démographique pour la noblesse allemande, qui perd avec l'abolition de la monarchie la situation privilégiée qu'elle détenait dans les institutions du Kaiserreich, peut-on pour autant parler d'un déclin aristocratique dans les années 1920 ? L'article se propose d'examiner la place de la noblesse dans l'appareil d'État de la république de Weimar, en évoquant successivement les cas de l'armée, de la diplomatie et de l'administration prussienne. Ce faisant, l'article montre que si la noblesse n'est plus une élite de pouvoir, elle continue d'exercer une influence au sein de ces élites de fonction. Mais le traumatisme de la défaite et de la révolution, loin d'avoir eu un effet homogénéisateur sur la noblesse, a au contraire accentué sa fragmentation. Cette division politique est un des éléments expliquant la faiblesse de la noblesse face au nazisme à la veille des années 1930.
      1918 is undoubtedly a political and demographical turn for the German nobility, which loses the privileged situation it occupied in the imperial institutions. But can we talk of an aristocratic decline in the 1920s? The article aims at evaluating the position of the nobility in the State organization of the Weimar Republic, by studying successively the cases of the army, the diplomatic service and the Prussian administration. The empirical studies show that, even though the nobility is not anymore the power elite, it continues to exert an influence within these different functional elites. However, the trauma of the defeat und the revolution did not make the nobility more homogeneous, on the contrary, it increased its fragmentation. This political division is one of the elements that explains the nobility's weakness towards Nazism on the eve of the 1930s.
    • L'aristocratie en Hongrie entre les deux guerres : une apparente continuité - Catherine Horel p. 91 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les lendemains de la première guerre mondiale représentent pour la Hongrie une rupture à plus d'un titre : défaite militaire et éclatement du royaume de Saint-Étienne. Le pays se retrouve dirigé par des hommes issus de la contre-révolution née en réaction à l'expérience bolchevique. Les aristocrates sont nombreux dans ce groupe et vont chercher à maintenir leur position dans le futur État. À la veille de la seconde guerre mondiale toutefois, le déclin des vieilles familles de la noblesse historique est patent. Le retour à l'ordre de 1920 a permis aux aristocrates de sauver biens et titres, mais les traités de paix les ont privés de la référence nécessaire à leur existence, le souverain. Le choix politique du légitimisme est logique puisque la Hongrie reste un royaume. Les autres alternatives politiques sont soit inacceptables, soit des pis-aller, ce qui est le cas du régime Horthy. À quelques exceptions près, les aristocrates sont absents de l'extrême droite et étrangers aux dérives fascistes. La guerre achève de les éloigner du pouvoir. La grande majorité d'entre eux s'exile après 1945. Ceux qui demeurent sont déclassés.
      The aftermath of the First World War represents for Hungary a break on more than one account: military defeat and dismemberment of the Kingdom of Saint-Stephen. The country ends up being led by the counterrevolutionary leaders who emerge in reaction to the Bolshevik experience of 1919. There are many aristocrats in this group who aim to restore their positions in the new state. However, on the eve of the Second World War, the decline of the old noble families is obvious. The new order of 1920 enabled them to keep their wealth and titles, but the peace treaties deprived them of their necessary raison d'être: the king. The political choice of legitimism is logical since Hungary remains a kingdom. The other alternatives are either unacceptable or of last resort as it is the case with the regime of regent Horthy. The aristocrats are, with a few exceptions, absent from the far-right parties and alien to fascist movements, the War completes their removal from power. Finally, the majority of them goes into exile after 1945, and the few remaining families lose their status.
    • La noblesse russe à l'épreuve de la révolution d'Octobre Représentations et reconversions - Monique de Saint Martin et Sofia Tchouikina p. 104 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La quasi-totalité des anciens nobles, femmes et hommes, restés en URSS ou ayant émigré en France après la révolution d'Octobre 1917, ont tenté des reconversions, de fait sous la contrainte ; les récits recueillis par entretiens approfondis ou dans les archives privées font apparaître des parcours chaotiques. Ainsi avons-nous tenté en développant une approche sociologique, de suivre la logique pratique qui guide les efforts et les investissements personnels de ces nobles, en prenant surtout en compte les représentations du temps et les différentes ressources convertibles et en nous intéressant aussi à la genèse des transformations de la noblesse russe depuis les années 1880. En URSS, les anciens nobles ne se sont pas seulement plus ou moins « adaptés » à la société soviétique, mais ont aussi contribué à la formation de la structure sociale de l'URSS, notamment du milieu de l'« ancienne intelligentsia », composé des descendants des familles cultivées d'avant la révolution. En France, l'identité russe est pour beaucoup devenue plus importante que l'identité noble, mais les hiérarchies de l'ancienne société russe ne s'en sont pas moins souvent reproduites, avec toutefois quelques distorsions.
      The overwhelming majority of the Russian nobility, men as well as women, who stayed in the USSR or emigrated to France after the 1917 revolution were forced by circumstances to carry out a reconversion strategy. The accounts collected through in-depth interviews or in private archives depict the chaotic nature of the trajectories of adaptation. Using a sociological approach, we analyzed biographical interviews with the descendants born in the 1910s of noble families and tried to follow the practical logic that guided the efforts and personal investments of these former nobles, focusing essentially on their representations of time and on the use of different human resources in the 1920s and 1930s. To understand the changes undergone by nobility during the Soviet period, we have to go back to the genesis of the transformations of the Russian upper strata since the 1880s. In the USSR, the former nobles not only have adapted to the soviet society, but they have contributed to the formation of the social structure of the USSR, particularly to the formation of the “old intelligentsia” that consisted mostly of the descendants of the pre-Revolutionary educated classes. In France, the Russian identity gradually became more important than the noble one, although the pre-revolutionary hierarchy and social statuses did not disappear entirely in the emigration.
    • Maintien et reconversion des noblesses ottomanes aux débuts de la République turque - Olivier Bouquet p. 129 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Si la guerre mondiale a eu des conséquences politiques remarquables en ce qu'elle a entraîné la disparition de l'Empire ottoman et l'institution de la première république en Méditerranée orientale en 1923, elle n'a pas produit les effets sociaux prêtés par l'historiographie républicaine turque, à savoir l'institution radicale d'une société méritocratique sur les ruines d'une structure sociale d'ancien régime. L'apparition de nouvelles activités au sein de l'État avaient favorisé à la fin de l'Empire la reconversion des bureaucrates, en sorte que lorsque la république fut instituée, la réputation de certains fils de dignitaires comme juristes, universitaires ou gestionnaires surpassait largement la perception qu'ils donnaient d'eux en tant qu'hommes d'ancien régime : ils trouvèrent aisément leur place dans un nouveau régime qui valorisait leur compétence plus qu'il ne s'embarrassait de leur origine, au point que certains d'entre eux devinrent ensuite députés de circonscriptions dans des régions que leurs ancêtres avaient tenues sous leur coupe à l'époque ottomane. Bref, si la Turquie républicaine proclamait la rupture la plus complète avec l'ancien régime dans la poursuite des objectifs affichés par le nationalisme kémaliste, elle trouvait dans le maintien et la valorisation des anciennes noblesses impériales le moyen de renforcer les cadres de l'État et d'asseoir sa légitimité.
      While the world war had noticeable political consequences in that it brought about the disappearance of the Ottoman empire and the institution of the Middle East's first republic in 1923, it did not produce the social effects Turkish republican historiography has given it, i.e. the radical institution of a meritocratic society on the ruins of an ancien regime social structure. The arrival of new State activities had encouraged the reconversion of bureaucrats at the end of the Empire, so that when the republic was set up, the reputation of certain dignitaries' sons as jurists, academics or managers largely surpassed the perception they gave of themselves as men of the ancien regime: they easily found their place in a new regime that valorized their competence more than it worried about their origin, to the extent that some of them then became parliamentarians of circumscriptions in regions their ancestors had held in their power during the Ottoman period. To put it succinctly, while republican Turkey proclaimed the most complete break-off with the ancient regime in pursuing the aims announced by Kemalist nationalism, it found the means of reinforcing the State's executives and establishing its legitimacy in the continuity and valorization of the former imperial nobility.
    • L'antichambre de l'Holocauste ? À propos du débat sur les violences coloniales et la guerre d'extermination nazie - Robert Gerwarth et Stephan Malinowski p. 143 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les rapports entre le colonialisme européen et le national-socialisme sont devenus l'enjeu d'une controverse à l'échelle internationale. Dans les pas de Hannah Arendt, certains universitaires ont récemment avancé l'idée que l'Holocauste ne pourrait pas être compris sans prendre en compte les « racines coloniales » du nazisme. En particulier, il est suggéré que le colonialisme allemand et la guerre contre les Herero (1904-1907) aurait servi de modèle à la guerre d'extermination en Europe de l'Est (1939-1945). Cet article tente de critiquer une telle approche qui suggère une continuité entre les massacres coloniaux de 1904 et Auschwitz. Il s'agit de mettre en question ce caractère dit exceptionnel de la guerre coloniale allemande. Du reste, la nature « coloniale » de la guerre d'extermination nazie – malgré sa rhétorique – serait davantage une chimère qu'une réalité historique.
      In recent years, historians in Germany, France and elsewhere have been engaged in a major controversy about “connecting lines” and structural similarities between European colonialism and fascism. Drawing on Hannah Arendt's Origins of Totalitarianism, some scholars have recently argued that the history of the Holocaust can only be understood by taking into account Nazism's “colonial roots”. More specifically, it has been suggested that German colonialism and the Herero wars (1904-1907) in particular served as a model for the German war of extermination in Eastern Europe (1939-1945). This essay seeks to critically examine the notion of direct continuity from German 1904 South-West Africa Colonial massacres to Auschwitz. Based on a critical examination of the allegedly “exceptional” character of the German colonial wars, it will be argued that the “taboo violation” of 1904 was in fact very much in line with common European colonial standards and that Nazism's “colonialism” was more a fantasy rather than a historical reality.
    • L'artiste Andreas Paul Weber entre national-bolchevisme, nazisme et antifascisme : image, mémoire, histoire - Claire Aslangul p. 160 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les œuvres du dessinateur Andreas Paul Weber (1893-1980) sont largement considérées comme des « icônes de l'antifascisme ». Pourtant, des travaux universitaires ont mis en doute la « résistance » de l'artiste à l'époque nazie, menée au nom d'un nationalisme exacerbé et « barbare », puis relayée par une participation au système de propagande national-socialiste. Quels processus ont rendu possible cette évolution des interprétations ? À l'aide du modèle classique de communication, on peut retracer comment les mises en scène réalisées par les émetteurs des images (l'artiste et les responsables d'exposition) ont modifié le sens des messages visuels, et comment, dans le système de significations de l'après-guerre, ce nouveau sens a pu rencontrer les horizons d'attente des récepteurs. Une œuvre de 1934, figurant un cheval hurlant, livre un bon exemple de « l'opportunisme visuel » de Weber : évoquant le triste destin de l'Allemagne si elle s'écartait du chemin ultranationaliste prôné par le mouvement national-bolchevique, l'œuvre est présentée plus tard comme prémonition des désastres de la guerre de Hitler – après Guernica et les chevaux torturés de Picasso, qui douterait de cette interprétation ?
      The works of illustrator Andreas Paul Weber (1893-1980) are widely regarded as “icons of antifascism”. Yet, academic studies have cast doubt on the artist's “resistance” during the Nazi era, carried out in the name of an extreme and “barbaric” nationalism, and then relayed through his participation in the national-socialist propaganda system. Which processes have made it possible for interpretations to evolve? Using the traditional communication model, we can trace how the performances created by the image issuers (the artist and exhibition officials) have changed the meanings of these visual messages, and how, in the post-war system of significances, these new meanings have met the receivers' horizons of expectation. A 1934 work, which represents a screaming horse, gives a good example of Weber's “visual opportunism”: first suggesting the sad fate of Germany should it deviate from the ultranationalist path advocated by the national-bolshevik movement, the work is later presented as a premonition of the disasters of Hitler's war – after Guernica and Picasso's tortured horses, who would doubt this interpretation?
    • Les jumelages franco-allemands : aspect d'une coopération transnationale - Corine Defrance p. 189 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Bien qu'on compte aujourd'hui près de deux mille cinq cents jumelages entre la France et l'Allemagne, ceux-ci sont restés longtemps un objet négligé de l'historiographie. Pourtant, depuis le 40e anniversaire du traité de l'Élysée, en 2003, ils suscitent un regain d'intérêt, lié au débat sur le rôle que les collectivités territoriales et la société civile doivent jouer dans les relations transnationales. En retraçant l'histoire des premiers jumelages franco-allemands – véritable innovation de l'après-guerre –, il s'agit de mettre en lumière le rôle des acteurs non étatiques dans les relations bilatérales et la démocratisation des échanges franco-allemands. C'est à ce niveau qu'il faut rechercher les facteurs et les étapes du processus de rapprochement et de réconciliation qui devait permettre à Charles de Gaulle et Konrad Adenauer de signer le traité d'amitié en 1963. Mais ces jumelages, majoritairement conclus entre des villes de RFA et de France, concernèrent aussi, dans une moindre mesure, des villes est-allemandes. Aussi, dans une première partie, il s'agira de repérer les cadres organisationnels, les réseaux dans lesquels ces appariements s'inscrivent et les milieux qui les ont portés : quelles furent les raisons de l'engagement dans ce type d'action ? Dans un second temps, il s'agira de reconstituer le paysage des jumelages bilatéraux jusque dans les années 1970, pour identifier et analyser les phases, les blocages et les spécificités régionales de ces jumelages.
      Although there are now nearly 2,500 partnerships between French and German towns, they have long been neglected in the historiography of Franco-German relations. However, since the 40th anniversary of the Élysée-Treaty in 2003, there has been a new interest in city partnerships in connection with debate on the role of territorial bodies and civil society in transnational relations. In retracing the history of the first French-German pairings – a genuine innovation of the postwar years – it throws light on the role of non-state actors in bilateral relations and the democratization of French-German contacts. It is at this level that we can find the steps of the process of rapprochement and reconciliation and the factors behind it that enabled de Gaulle and Adenauer to sign the 1963 friendship treaty. But although most of the city partnerships were formed between French and West German towns, there were also a smaller number of partnerships with East Germans towns as well. The first part of this article examines the organizational framework and the social context in which the partnerships were established: what are the networks and the reasons for such an engagement? In the second part, the landscape of the French-German partner cities up to the 1970s will be reconstructed to identify and analyze the different phases, difficulties and regional specificities of these pairings.
    • La sexualité du prisonnier de guerre Allemands et Français en captivité (1914-1918, 1940-1948) - Fabien Théofilakis p. 203 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      À travers l'exemple des prisonniers de guerre allemands et des prisonniers de guerre français lors des deux guerres mondiales, l'article cherche à préciser les interactions entre l'expérience d'une économie sexuelle restreinte imposée au combattant défait et les réactions de sociétés belligérantes à la présence d'ennemis en leur sein. La sexualité des prisonniers de guerre offre en effet un biais particulier pour analyser les expériences radicales mais paradoxales constituées par les deux conflits mondiaux et souligner la singularité du deuxième par rapport au premier : sexualités périphériques, fantasmées ou pratiquées, mises en place ; interrelations entre guerre, nationalisme et masculinité mise à mal par le statut de prisonnier ; interventions polymorphes de l'État pour garantir la cohérence idéologique entre front militaire et front domestique en contact croissant avec la main-d'œuvre prisonnière ; enjeux de la sortie de guerre et des refondations d'identité masculine et sociétale. La sexualité en guerre se réduit-elle à une sexualité de guerre ?
      Examining the captivity of French and German prisoners of war in both world wars, this paper aims to assess how the sexual restrictions imposed upon the defeated combatant related to wartime societies' overall reactions to the presence of the enemy prisoner within the metaphorical “body” of the nation. Exploring the sexuality of prisoners of war offers a particular way to analyse the radical but paradoxical experiences represented by the two world wars and to underline the unique nature of the Second World War in comparison to the First one. The themes discussed include: the apparition of peripheral, fantasy sexualities and sexual practices; polymorphous interventions of the State into the realm of sexuality which were intended to maintain the ideological coherence between the military and home fronts in view of the increasing contact between home populations and prisoners of war working as manual labour; the impact of the end of the war upon sexuality and the concomitant postwar redefinitions of masculine and societal identities. The pivotal question posed in the article is whether sexual experiences during wartime can be reduced to a “sexuality of war”?
    • Sport universitaire, violence et construction de l'identité masculine aux États-Unis de l'ère progressiste aux années 1930 - Jonathan Klein p. 221 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le sport universitaire américain, inspiré de l'exemple anglais, naît au milieu du 19e siècle dans les universités d'élite de la côte Est. Le premier tiers du 20e siècle correspond à la fois à une époque de violence exacerbée dans le sport universitaire, en particulier dans le football américain, nettement perceptible dans les sources, et pouvant aller jusqu'à la mort de joueurs, et, corrélativement, à une prise de conscience de la nécessité d'intervenir à l'échelle fédérale pour en réduire les manifestations les plus sensibles. La création de la National Collegiate Athletic Association, à partir de 1905, inspirée entre autres par Theodore Roosevelt, ne met pas fin à la violence sur les terrains de sport universitaire. Au contraire, cette violence qui se perpétue permet aux jeunes hommes américains de construire et d'attester leur identité masculine à travers une socialisation par le sport universitaire de haut niveau, alternative possible à une formation militaire, à une époque où les inquiétudes provoquées par les bouleversements de la société américaine, en particulier la disparition de la Frontière et la mémoire de la guerre de Sécession, se développent.
      American college sport, inspired by its British predecessor, was born in the mid-19th century at elite East coast universities. The first third of the 20th century is both a time of exacerbated violence in college sports, in particular in American football, clearly visible in the sources, including the death of several players, and, concurringly, a time of realization of the need to intervene at the federal level in order to alleviate the most blatant manifestations of this violence. The creation of the National Collegiate Athletic Association, from 1905, inspired, among others, by Theodore Roosevelt, did not put an end to it. On the contrary, this continuing violence enabled young American men to build and assert their manly or male identity through socialization on the fields of high level college sports, a possible alternative to military training, at a time when major changes such as the end of the Frontier and the memory of the Civil War were opening areas of uncertainty in the American society.
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