Contenu du sommaire : L'économie russe entre stabilisation et restructuration
Revue | Revue d'études comparatives Est-Ouest |
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Numéro | vol 27, no 2, juin 1996 |
Titre du numéro | L'économie russe entre stabilisation et restructuration |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
L'économie russe entre stabilisation et restructuration
- Coordonnateur : Jacques Sapir- La fin de transition ? - Jacques Sapir p. 5
I. Dimensions macro-économiques
- La stabilisation russe en 1995 : le pari de l'ancrage par le change - Sébastien Barbé et Yves Zlotowski p. 7 En 1995, le principal instrument de stabilisation monétaire en Russie fut le taux de change. En effet, depuis juillet 1995, les mouvements de la monnaie russe sont encadrés dans une borne de fluctuation dont les limites furent 4 300 et 4 900 roubles pour un dollar au deuxième semestre 1995, puis 4 550 et 5 150 roubles pour un dollar depuis le 1er janvier 1996. La carence d'instruments de régulation monétaire - taux directeurs inopérants, retrait de la Banque centrale des procédures d'appel d'offre, augmentation importante des réserves obligatoires - a fait du taux de change l'un des seuls instruments opératoires de la désinflation. Cette politique repose sur une structure spécifique de marchés des changes étroitement contrôlés par la Banque centrale : il existe, d'une part, des marchés boursiers où se détermine le taux de change de référence du rouble et, d'autre part, un marché interbancaire de gré à gré où s'effectuent 80 % des transactions. Le corridor du rouble a été jusqu'ici un franc succès : il a permis de stabiliser les anticipations et a donc eu sa part dans la désinflation continue de la seconde moitié de l'année 1995. Le respect du "corridor" a pu se faire sans modification importante du niveau des réserves de change : elles sont restées stables au niveau de 7,5 milliards de dollars depuis le mois de juillet. Mais cette politique comporte également certains risques, qui peuvent la rendre insoutenable à terme. D'une part, l'appréciation réelle de la monnaie russe réduit la compétitivité des exportations. Certes, pour le moment, la balance commerciale ne souffre pas de l'ancrage du rouble puisqu'elle continue à afficher un excédent important. Mais, la surévaluation de la monnaie peut entraver le développement d'une industrie de transformation (dont la production continue à plonger actuellement) qui seule assurerait une croissance viable à la Russie. En ce qui concerne la politique monétaire, le manque d'instruments de contrôle de la liquidité bancaire et la présence d'une épargne dormante estimée à 20 milliards de dollars vouent à l'échec les tentatives de stérilisation de la Banque centrale sur le marché des changes. L'ancrage implique une hiérarchisation des objectifs, l'objectif de change subordonnant désormais les objectifs purement monétaires. Mais, surtout, l'ancrage n'a entraîné qu'une modification conjoncturelle de la demande de monnaie. Pour assurer un retour vers le rouble, cette politique - certes nécessaire - ne sera pas suffisante tant que le système bancaire, fragile et pléthorique, ne suscitera pas la confiance des déposants. A ce titre, la politique de change, aussi rigoureuse et bienvenue soit-elle, ne dispense pas de conduire une vaste refonte structurelle du système financier russe.Stabilizing Russia in 1995 : taking a chance on anchoring the rouble. In 1995, the main instrument used for stabilizing the money supply in Russia was the exchange rate. Indeed, from July 1995, the movements of money in Russia were contained within limits of 4,300 and 4,900 roubles to the dollar in the second half of 1995, and then 4,550 and 5,150 roubles to the dollar from the 1st January, 1996. The lack of regulatory financial instruments - inoperative guidance rates, the central Bank's withdrawal of procedures for invitation to tender, a sizeable increase in reserve requirement - has left the exchange rate as one of the only operative instrument of disinflation. This policy is based upon a specific structure of foreign exchange markets which are closely monitored by central Bank : on the one hand, there exist stock exchange markets where the prime exchange rate of the rouble is determined, and, on the other, a mutually agreed interbank market where 80% of transactions are carried out. The rouble "corridor" has up till now been a clear success : it has allowed expectations to be stabilized, and therefore played its part in the steady disinflation which marked the second half of 1995. Observance of the "corridor" took place without any significant change in the level of currency reserves, which have stabilized at 7,5 billion dollars since the month of July. However, at the same time this policy carries with it certain risks, which may in the long run make it unworkable. On the one hand, the actual rise in the value of Russian currency makes exports less competitive. It is true that, at the moment, the trade balance is not adversely affected by the anchoring of the rouble, since it continues to show a healthy surplus. But an overvalued currency may hamper the development of a processing industry (at present in continuous decline) which alone could ensure the Russian economy reliable growth. As for monetary policy, the lack of instruments for monitoring banks liquidity, and the existence of an estimated 20 billion dollars' worth of savings lying idle mean that central Bank's sterilization efforts on the exchange market are doomed to failure. The anchoring of the rouble involves the prioritizing of objectives, with the exchange objective henceforth taking precedence over purely financial objectives. But above all, anchoring the rouble has effected only a conjunctural change in the demand for money. To ensure a return toward the rouble, this policy - admittedly necessary - will not suffice, so long as the shaky and overblown banking system fails to inspire confidence in the depositors. As such, an exchange policy, however stringent and well-intentioned, cannot avoid the necessity for a full-scale structural overhaul of the Russian financial system.
- Le système de prix dans la transition russe vers l'économie de marché - Laurence Raineau p. 25 Cet article traite des effets de la libération des prix engagée en janvier 1992 en Russie. Il explique ses incidences sur le comportement des agents et sur l'évolution de l'organisation macro-économique. Son objet est de montrer que la réforme des prix, étant donné le contexte de sa mise en œuvre, n'a pas permis l'émergence d'un rôle informationnel et coordinateur des prix. Il étudie les raisons pour lesquelles le système de prix ne peut pas actuellement exprimer les raretés relatives, ni assurer une réaffectation des ressources susceptible de créer une dynamique décentralisée. A cette fin, une analyse théorique du rôle des prix dans une économie décentralisée, ainsi que des conditions d'apparition de ce rôle dans une économie en transition, est développée dans une première partie. Une analyse plus concrète des transformations économiques récentes en Russie est proposée dans une seconde partie. Elle montre que l'impossible développement du rôle régulateur des prix est lié à l'inégal engagement des réformes. Dans ce contexte, l'incertitude est très forte et les processus d'apprentissage des règles du marché ne peuvent se développer. Il semble même que l'évolution de l'organisation économique en résultant soit néfaste à la poursuite des réformes en Russie.The price system in Russia's transition to a market economy. This article deals with the freeing of prices which went into operation in Russia in January 1992, and explains its effects on the behaviour of operators and on the development of macro-economic organization. Its aim is to show that, given the context of its implementation, the price reform did not give rise to any informational or co-ordinating function in respect of prices. The article looks at the reasons why the price system cannot at present reflect relative shortages, nor ensure a reallocation of resources such as might favour the creation of a decentralized dynamic. With this aim in mind, a theoretical analysis of the role of prices in a decentralized economy, together with the conditions which would foster this role in a transitional economy, is worked out in the first part. The purpose of the second part is to provide a more concrete analysis of recent economic changes in Russia. This shows how the impossibility of developing a regulatory role for prices is linked with the uneven implementation of economic reforms. In this context, there is very considerable uncertainty, and the processes of learning and adapting to the rules of the market are inhibited. It even looks as if the development of the resulting economic organization may be harmful to the progress of reform in Russia.
- Monnaie et travail en Russie : fondements et enjeux d'une déconnexion - Ramine Motamed-Nejad p. 53 Notre texte a pour but de réfléchir aux fondements réels et monétaires de la crise économique structurelle que traverse actuellement la Russie. Pour ce faire, une première partie privilégie une démarche essentiellement théorique, en montrant que le salariat est cette institution économique essentielle, qui rend possible tant la généralisation des rapports marchands que l'unification des trois opérations majeures dont la monnaie est le véhicule : le compte, le crédit et le paiement. La deuxième partie montre qu'a contrario, du fait de l'inachèvement du salariat, les relations économiques se spécifient en Russie, d'un côté, par l'incomplétude des relations marchandes, de l'autre, par la déconnexion entre sphère réelle et sphère monétaire. Ce qui explique les trois dimensions que revêt la crise monétaire : une crise comptable, une crise du crédit et, enfin, une crise des paiements. La dernière partie tire les conséquences de cette approche en avançant quelques propositions susceptibles de promouvoir le salariat, le développement des rapports marchands et, par là, l'endogénéisation de la monnaie aux activités de production et d'échange.Money and labor in Russia : underlying causes of disconnection, and what is at stake. The purpose of the present study is to take a look at the actual and monetary bases of the structural economic crisis which Russia is at present undergoing. In order to do this, the first part of the article concentrates on what is essentially a theoretical approach, by showing that the wage-earning sector is the basically essential economic institution, which is responsible not only for the generality of market relationships, but also for unifying the three major activities which are powered by money : accounting, credit, and payment. The second part of the study shows that, on the contrary, because of the poor performance of the wage-earning sector, economic relations in Russia are definable, on the one hand, by the underfulfilment of market relations, and on the other by the lack of connection between the actual world and the world of finance. This in turn explains the three dimensions into which the monetary crisis falls : an accounting crisis, a credit crisis, and a payment crisis. The final part draws on the results of this approach to put forward some suggestions for the betterment of the wage-earning sector, the development of market relations, and, thereby, the endogenisation of money with production and trading activities.
- La stabilisation russe en 1995 : le pari de l'ancrage par le change - Sébastien Barbé et Yves Zlotowski p. 7
II. Transformations structurelles
- Le système de paiement en Russie : une proposition de réforme - Mikhail Litviakov p. 109 Au commencement était la crise. Elle a paralysé les règlements en économie et révélé la configuration déficiente du système de paiement en Russie. Pour sortir de la crise, il s'avère indispensable de réformer ce système de manière à le rendre efficient. Dans le contexte russe, un système efficient signifie avant tout des délais courts et parfaitement prévisibles pour tous les règlements par tous les agents économiques. Dans ce but, il faut modifier la configuration du système de paiement et moderniser la technologie des règlements. Conformément à ces impératifs, la communauté bancaire russe a déjà pris des mesures portant sur la promotion des techniques de compensation et informatiques pour les règlements inter- et intrabancaires, ainsi que sur la création d'un cadre législatif approprié. Ces initiatives sont certes utiles, mais elles ne suffisent pas à adapter l'ensemble du système à la prévention des risques spécifiques dûs à l'énormité de l'espace économique russe. La réforme doit donc avoir pour objectif de guider le système de paiement vers une configuration particulière qui serait capable de mieux résister aux effets déstabilisants des fuseaux horaires sur les règlements dans l'économie russe.The Russian payments system : a suggestion for reform. In the beginning, there was crisis. It paralyzed economic settlement, and showed up the weakness of the payments system's configuration in Russia. In order to find a way out of this crisis, there must be some reforms to the system to bring about greater efficiency. In the Russian context, an efficient system means, above all, short and completely foreseeable waiting periods for all settlements by all economic operators. To this end, the configuration of the payments system must be altered, and the techniques for the settling of accounts should be modernized. In accordance with these demands, the Russian banking community has already taken steps to promote clearance and data processing techniques for inter- and intra-bank settlements, and also to set up the appropriate legislative framework. Such initiatives are assuredly positive, but they are not enough to adapt the system as a whole for the prevention of those specific hazards arising from the enormous extent of Russia's economic space. The aim of reform should therefore be to guide the payments system towards a specific configuration which would be better able to withstand the destabilizing effects of time zones on settlements in the Russian economy.
- Le processus économique de reconversion et le rôle de l'Etat - Joanna Varley p. 123 Dans une économie de pénurie comme dans une économie décentralisée, le secteur de la défense tient sa spécificité des contraintes économiques auxquelles les entreprises de ce secteur doivent faire face. La reconversion peut alors être définie comme le changement du cadre institutionnel dans lequel se situent les entreprises, avec le passage d'un environnement caractérisé par le marchandage autour des priorités à un environnement concurrentiel. Cependant, dans le cas de la Russie, la reconversion a lieu alors que les institutions de l'économie décentralisée ne se mettent que lentement en place. La spécificité du cadre institutionnel du secteur de la défense se traduit, au niveau des actifs développés par les entreprises, par un sur-développement des actifs compétitifs, notamment des technologies mises en œuvre. Mais la technologie n'est pas le seul facteur déterminant du processus de reconversion. Les entreprises doivent développer leurs actifs d'efficience et se défaire de leurs actifs complémentaires. Le rôle de l'État est alors de pallier les difficultés rencontrées par les entreprises qui se reconvertissent. Cependant, le problème de l'action de l'État ne doit pas être uniquement posé par rapport à la spécificité du secteur de la défense. En effet, la reconversion est un cas extrême de toute activité économique dans une économie décentralisée caractérisée par la prise de décision dans un cadre informationnel incertain. Le rôle de l'État est de créer l'environnement institutionnel et macro-économique permettant aux agents de prendre les bonnes décisions. Ceci passe par la constitution des règles de l'économie décentralisée mais aussi par la mise en place de mesures plus spécifiques de politique économique et de politique industrielle. Cependant, l'établissement de règles en Russie paraît problématique alors que l'État est lui-même remis en cause dans sa légitimité.The economic process of conversion and the role of State. In a shortage economy, as in a decentralized economy, the specific nature of the defence sector is governed by the particular constraints faced by defence enterprises. Conversion can then be defined as a change of the institutional environment facing defence firms, from an environment characterized by bargaining over priorities into a competitive environment. However, in the case of Russia, conversion is taking place as the economic institutions of a decentralized economy are themselves still in the making. The specific defence institutional environment has a repercussion on the types of assets developed by defence firms. Competitive assets, especially technologies are over-developed. But technology is not the only determining factor of the conversion process. Entreprises have to develop their efficiency assets and get rid of their complementary assets. The role of the State is then to help firms in the process of conversion to overcome these difficulties. But State-action cannot only be defined in terms of the specific nature of the defence sector. Indeed, conversion is only an extreme case of any economic activity in a decentralized economy where decision-making is based on uncertain information. The role of the State is then to create the institutional and macro- economic environment facilitating appropriate decision-making. This involves establishing the rules of a decentralized economy and implementing economic and industrial policies. However, rule-making is problematical in Russia when the legitimacy of the State itself is in question.
- Le système de paiement en Russie : une proposition de réforme - Mikhail Litviakov p. 109
III. Émergence d'un modèle ?
- Corporate governance et réforme du système bancaire en Fédération de Russie - Mathilde Mesnard p. 149 La mise en place d'un système de contrôle des entreprises sain et efficace se heurte à des difficultés majeures en Fédération de Russie. Les entreprises sont dominées par les insiders, ce qui est un obstacle important à leur restructuration. Les fonds d'investissement et les banques devraient émerger comme des acteurs importants du contrôle des entreprises, mais pour cela auront à renverser leur schéma de relation avec ces entreprises. Ils devront s'affranchir de la domination que les entreprises exercent sur eux et mettre en place des mécanismes de contrôle de ces dernières. Il s'agit de transformations complexes, censées donner lieu à l'établissement progressif dun nouveau modèle, sans aucun doute unique, de corporate governance.Corporate governance and reform of the banking system in the Russian Federation. The establishment of a healthy and effective supervisory system for enterprises is running into considerable difficulties in the Russian Federation. Enterprises are controlled by insiders, and this constitutes a major obstacle to restructuring. Investment funds and banks ought to figure as major actors in the monitoring of enterprises, but in order to achieve this, they will require to upset the pattern of their relationship with the enterprise. They will need to free themselves of the dominance which the enterprise maintains over them, and introduce appropriate supervisory mechanisms. This involves complex changes, which, it is thought, will lead to the establisment of a new, and doubtless unique, model of corporate governance.
- Action publique et agents privés : vers un modèle russe ? - Jacques Sapir p. 187 Les privatisations ont représenté le changement structurel majeur des quatre premières années de la transition. La réalisation du programme, tel qu'il fut élaboré à la fin de 1992, montre que les déterminants politiques ont été au moins aussi, si ce n'est plus importants que les logiques économiques dans ce processus. En effet, l'argumentation en faveur de privatisations à la fois rapides et extensives n'est pas sans présenter des limites et des incohérences, y compris depuis un cadre analytique faisant appel aux bases de la théorie standard. La mise en œuvre de ces privatisations a entraîné l'émergence d'une nouvelle forme d'économie mixte, marquée non par la disparition de l'État mais par la naissance de nouvelles interactions entre les agents privés et la puissance publique. Cette situation connaît par ailleurs de fortes différences régionales. Elle dessine la trajectoire d'une économie corporatiste qui pourrait bien être le résultat final, mais inattendu et non intentionnel, de la privatisation.Public action and private operators : is there a coming Russian model ? The major structural change marking the first four years of transition has been privatization in its various forms. The implementation of the programme, as elaborated at the end of 1992, shows that the political determining factors have been at least as significant, in this process, as economic logic, if not more so. Indeed, arguments for both rapid and extensive privatizations are not without their own limitations and inconsistencies, including, in an analytical context, recourse to basic standard theory. Setting up these privatizations has resulted in the appearance of a new form of mixed economy, marked not by the disappearance of the State, but by the emergence of new forms of interaction between private operators and the public authorities. There are, moreover, considerable regional variations in this situation, tracing as it does the growth of a cor- poratist economy, which could well be the end-result, albeit unexpected and unintentional, of privatization.
- Corporate governance et réforme du système bancaire en Fédération de Russie - Mathilde Mesnard p. 149