Contenu du sommaire : Esclavage moderne ou modernité de l'esclavage ?

Revue Cahiers d'études africaines Mir@bel
Numéro no 179-180, 2005
Titre du numéro Esclavage moderne ou modernité de l'esclavage ?
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Analyses et comptes rendus - p. 1179-1208 accès libre
  • Sartre postcolonial ? Relire Orphée noir plus d'un demi-siècle après - Kathleen Gyssels p. 631-650 accès libre
  • Les habits neufs de l'esclavage : métamorphoses de l'oppression au travail - Roger Botte p. 651-666 accès libre
  • Le nouveau visage de l'esclavage au XXe siècle - Suzanne Miers p. 667-688 accès libre avec résumé
    Au début du XXe siècle, l'esclavage de possession était illégal en Occident mais très répandu dans toute l'Afrique, au Moyen-Orient et dans d'autres régions. Les esclaves n'avaient aucun droit et leur asservissement était à vie et héréditaire. Dans les années 1920 et 1930, la Société des Nations (SDN) mit en place des commissions pour s'informer sur l'esclavage « sous toutes ces formes ». Ces commissions élargirent la définition de l'esclavage pour y inclure le travail forcé, le mariage forcé, le mariage des enfants, l'héritage des veuves, l'adoption d'enfants en vue de leur exploitation, la mise en gage d'êtres humains, le servage et la servitude pour dettes. L'Organisation internationale du travail (OIT) enquêta sur le travail forcé, et des conventions furent alors signées contre l'esclavage et le travail forcé. Après la Seconde Guerre mondiale, les Nations Unies et l'OIT continuèrent leurs enquêtes sur la servitude et la dénégation des droits de l'Homme. L'esclavage de possession fut rendu illégal partout dès 1970, même s'il persistait dans quelques endroits reculés. Toutefois, d'autres formes d'exploitation, connues aujourd'hui sous le nom d'« esclavage contemporain », connaissaient un grand développement. Parmi elles figurent la servitude pour dettes, la prostitution forcée, le trafic d'êtres humains, le travail des enfants, l'exploitation de la main-d'oeuvre, le tourisme sexuel, les enfants-soldats et l'adoption d'enfants en vue de leur exploitation. Elles sont toutes alimentées par les disparités de richesse entre les nations, les petites guerres, l'amélioration des communications, le blanchiment de l'argent et la montée du crime organisé. Cet article retrace les changements en termes de formes et de définitions de l'esclavage au XXe siècle et évalue l'action prise par la SDN, les Nations Unies, sans oublier les organisations non gouvernementales toujours plus nombreuses.
  • Types of Forced Labour and Slavery-like Abuse Occurring in Africa Today : A Preliminary Classification - Mike Dottridge p. 689-712 accès libre avec résumé
    Types de travail forcé et de violations analogues à l'esclavage en Afrique aujourd'hui. Classification préliminaire. Nous examinons dans cet article par quels moyens certaines personnes sont contraintes ou forcées de travailler pour d'autres dans l'Afrique subsaharienne d'aujourd'hui, y compris les méthodes liées à l'esclavage traditionnel. Tout en admettant qu'il est difficile d'appliquer l'idée selon laquelle le travail non volontaire constitue un abus dans une région où les femmes et les enfants n'ont généralement d'autre choix que de travailler pour le chef de leur foyer, cet article établit trois types de cas, répertoriés en trois tableaux. Le premier identifie neuf types de coercition exercée pour forcer des personnes à travailler pour quelqu'un qui n'est pas de leur famille. Le deuxième tableau énumère huit manières dont les gens en Afrique arrivent à des situations où elles sont forcées de travailler pour d'autres. Le troisième classe en huit catégories les diverses formes d'exploitation abusive rapportées en Afrique, et des exemples sont donnés pour chacune d'entre elles. Enfin, l'article examine la terminologie utilisée par les organisations internationales pour décrire ces situations, et observe que, dans la plus grande partie de l'Afrique, l'opinion n'arrive pas à déterminer clairement quelles pratiques peuvent être tolérées.
  • Les « enfants bouviers » du sud du Tchad, nouveaux esclaves ou apprentis éleveurs ? - Claude Arditi p. 713-729 accès libre avec résumé
    Au Tchad, depuis les années 1990, des enfants autochtones sara appelés « enfants bouviers » sont engagés comme bergers par des éleveurs arabes. Cette pratique est interprétée par les médias locaux, des ONG et l'UNICEF comme une forme contemporaine d'esclavage, pratiquée par des musulmans du Nord au détriment des chrétiens du Sud. Le phénomène « enfants-bouviers » intervient dans le contexte d'un antagonisme nord-sud exacerbé par des violences récurrentes entre « communautés ». La défense des enfants bouviers constitue un aspect très fortement médiatisé, car il concerne des enfants, d'une offensive beaucoup plus vaste menée par des hommes politiques, des hommes d'Église, etc., « sudistes » dont l'objectif est de mettre fin à la présence croissante des musulmans dans le sud du pays et d'y créer un État séparé. En réalité, loin de caractériser une situation d'esclavage, les données disponibles indiquent au contraire que les enfants bouviers sont les apprentis rémunérés des éleveurs arabes et qu'ils jouent de ce fait un rôle important dans l'atténuation des conflits entre agriculteurs sara et éleveurs arabes.
  • Du confiage à l'esclavage « Petites bonnes » ivoiriennes en France - Mathias Deshusses p. 731-750 accès libre avec résumé
    De nombreuses jeunes femmes ivoiriennes travaillent en France comme employées domestiques chez des concitoyens régulièrement installés. L'immense majorité de ces jeunes femmes n'ont pas de titre de séjour et sont employées dans des conditions contraires au droit du travail. Certaines sont exploitées jusqu'à l'extrême, et une minorité parvient à engager une action en justice contre leurs employeurs. II ressort des témoignages de ces jeunes femmes qu'elles ont été confiées à une famille d'accueil, en France, par leur famille d'origine au pays. L'étude de ces témoignages et des traditions ivoiriennes de confiage montre que si ces traditions sont fréquemment dévoyées en France, elles le sont également, et avant tout, dans les principales villes de Côte-d'Ivoire.
  • From Colonization to Globalization : The Vicissitudes of Slavery in Mauritania - Alice Bullard p. 751-769 accès libre avec résumé
    De la colonisation à la mondialisation. Les vicissitudes de l'esclavage en Mauritanie. Les activistes des droits de l'homme en Mauritanie luttent pour une justice sociale issue de l'État de droit. Ils soulignent que l'aide au développement destinée à la Mauritanie ne fait qu'enrichir davantage l'élite et renforce le pouvoir de celle-ci sur les esclaves déchus de tous droits, sur les anciens esclaves et sur les Noirs mauritaniens. Les activistes mauritaniens aux États-Unis tentent de faire naître un large mouvement social dirigé contre la Banque Mondiale et d'autres investissements de grande envergure dans leur pays d'origine. Cet article explore les succès et les échecs des efforts entrepris par les Mauritaniens pour provoquer des protestations de masse aux États-Unis. Il compare les objectifs concurrents des divers groupes d'intérêts, évalue les intérêts diplomatiques des États-Unis et nous informe sur le flot constant de crédits de la Banque Mondiale vers la Mauritanie. La recherche d'alliés puissants dédiés à la cause des personnes dépossédées et réduites en esclavage demeure à ce jour une entreprise inachevée.
  • L'esclavage chez les Touaregs de Bankilaré au miroir des migrations circulaires - Florence Boyer p. 771-804 accès libre avec résumé
    Dans la société touarègue de Bankilaré (Niger), les pratiques esclavagistes perdurent ; si leurs manifestations sont dépendantes des contextes politiques locaux, le statut d'esclave, qui se fonde sur la négation de la personne humaine, assigne cette catégorie à un groupe endogame, aux droits et devoirs originaux, sans leur refuser l'identité touarègue. Les migrations circulaires, massives et anciennes, qui concernent uniquement les hommes esclaves de 18 à 35 ans, apparaissent comme paradoxales face à la pérennité de l'esclavage. Synonyme d'individuation, l'expérience urbaine permet une conscientisation et une réflexivité sur le statut d'esclave. De retour, les migrants développent des stratégies d'évitement, de contournement de la hiérarchie, forme de désobéissance passive, qui est processus de libération balbutiant.
  • Métamorphoses des relations de dépendance chez les Kel Antessar du cercle de Goundam - Alessandra Giuffrida p. 805-830 accès libre avec résumé
    Cet article met en évidence les ruptures et les continuités des relations de dépendance chez les Kel Antessar à travers l'analyse des changements survenus dès l'administration coloniale jusqu'à la mise en place de la décentralisation suite au conflit de 1990-1996. Une étude menée dans une commune du cercle de Goundam montre que si l'esclavage a totalement disparu, l'allocation des aides internationales a instauré une autre forme de dépendance économique de toutes les strates sociales. Dans ce contexte, les reconfigurations administratives à la suite de la décentralisation expriment une concurrence entre bellah et anciens maîtres pour l'obtention des fonds au développement local.
  • The Concept of Honour and the Persistence of Servility in the Western Soudan - Martin A. Klein p. 831-852 accès libre avec résumé
    La notion d'honneur et la persistance de la servitude au Soudan occidental. Cet article tente d'expliquer pourquoi certains vestiges de l'esclavage subsistent dans le Soudan occidental (Sénégal, Gambie, Burkina Faso, la plus grande partie du Mali et de la Guinée). Il examine la politique française vis-à-vis de l'esclavage et le départ massif des esclaves de leurs lieux de servitude au début du XXe siècle. Bien que leur changement de statut leur ait alors donné la possibilité de maîtriser leur vie familiale et leur mode de travail, beaucoup sont restés soumis. L'absence d'histoire a créé la base idéologique de leur soumission. Les anciens maîtres sont aussi restés les plus forts dans les régions où ils ont préservé leurs droits sur les terres, mais la clé de leur pouvoir reste la question de l'honneur. Les sociétés hiérarchiques de la région avaient des codes qui exigeaient du noble de la générosité et un certain contrôle de soi. Il était souvent avantageux pour les anciens esclaves d'accepter le système en mendiant et en se comportant de manière vulgaire, mais, en agissant ainsi, ils n'ont fait qu'affirmer leur infériorité. Beaucoup ont lutté contre cette position d'infériorité en refusant de mendier, en adoptant une conduite noble, où de manière plus importante, en se donnant une légitimité en tant que musulmans.
  • Paroles d'esclaves au Nord-Cameroun - Issa Sa ïbou p. 853-877 accès libre avec résumé
    L'esclavage est une pratique ancienne dans la partie septentrionale du Cameroun. Consubstantiel à l'apparat et aux modes de production économique des États précoloniaux, le phénomène connaît des permanences et des mutations. Jusqu'à la colonisation européenne, les razzias permettaient aux détenteurs du pouvoir de collecter du bétail humain pour la vente, les travaux champêtres, les harems ou les travaux domestiques. Si le colonisateur abolit la traite humaine, il s'accommoda cependant d'une forme édulcorée d'esclavage royal, sans pour autant améliorer le statut social de l'esclave dans les zones rurales. Le stigmate servile y persiste, les liens de dépendance et d'exploitation y perdurent et suscitent des drames individuels et familiaux. Cependant, l'instruction, l'enrichissement et l'ouverture démocratique sont des facteurs de changement ; en dépit de l'illégitimité et de l'illégalité de leur condition, les esclaves apprennent à s'adapter au stigmate servile qu'ils traînent tandis que les maîtres ont profil bas et offrent ou accèdent bien volontiers aux demandes d'affranchissement. L'article comporte des témoignages de personnes d'ascendance servile.
  • Inégalité, exclusion, représentations sur les Hautes Terres centrales de Madagascar - L. N. Razafindralambo p. 879-904 accès libre avec résumé
    Ce texte est une réflexion sur les relations sociales au sein de la société d'Imerina (Hautes Terres malgaches). Celles-ci ne peuvent être comprises que dans le cadre de la division de la population en deux catégories sociales principales, dont l'appartenance est déterminée par le statut supposé des ancêtres. Les représentations, et les comportements qu'elles régissent, marquent la séparation entre membres de catégories différentes dans la vie quotidienne, et contribuent ainsi à maintenir la hiérarchie sociale. Le processus par lequel les relations entre catégories sociales différentes se rigidifient est donc analysé ici. On peut y voir également un aspect paradoxal du changement : il peut contribuer à renforcer les anciennes positions.
  • Esclavage et commensalité à Ngazidja, Comores - Sophie Blanchy p. 905-934 accès libre avec résumé
    Cet article examine comment, dans l'île de Ngazidja (Comores), les institutions des gens libres ont été reproduites par les descendants d'esclaves, quelles ont été les formes de leur libération économique, et quels discours de mémorisation ou d'occultation sont produits sur les anciens rapports de domination. L'exclusion des descendants d'esclaves n'est aujourd'hui visible que dans les pratiques de commensalité coutumière. La validité de leurs institutions doit s'imposer à l'extérieur de leurs communautés. Entrés dans la compétition grâce à l'argent de la migration, ils tentent de se faire reconnaître face aux autres cités.
  • De l'esclavage à la servitude : Le cas des Noirs de Tunisie - Inès Mrad Dali p. 935-956 accès libre avec résumé
    En Tunisie, l'asservissement des « Noirs » a continué au moins jusqu'en 1890, date du second décret d'abolition de l'esclavage. Au cours du XXe siècle, l'esclavage sous sa forme traditionnelle a fini par disparaître et, avec les indépendances et la mise en place de l'État-nation, toute différence de statut est juridiquement effacée. Cependant, ceux qui furent esclaves (‘abid) n'ont connu qu'une très lente émancipation au cours de laquelle ils acquirent certains droits sur le produit de leur travail et des droits familiaux, mais ils resteront longtemps exclus. De nos jours, les « Noirs » tunisiens appartiennent en général aux couches les plus défavorisées de la population, et des liens de dépendance et de clientélisme entre descendants d'esclaves et descendants de maîtres - tout à fait similaires à la pratique pré-islamique du wala' (« patronat ») - sont parfois encore visibles en tant qu'avatars de l'esclavage aboli. Les phénomènes du khamessat et des enfants mrubbin qui ont concerné une grande partie de cette frange de la population conduisent à s'interroger sur la différence de nature entre ce que fut l'esclavage en tant qu'institution, et les formes d'asservissement qui sont apparues en contournement de l'abolition. Il est également ici question de réfléchir sur la réalité historique de ces phénomènes et donc sur la pertinence à qualifier comme « modernes » certaines formes d'asservissement alors que l'esclavage « classique » était déjà principalement de type domestique.
  • Living the Legacy of Slavery : Between Discourse and Reality - E. Ann McDougall p. 957-986 accès libre avec résumé
    Les ayants droit de l'esclavage. Entre discours et réalité. Cet article reconnaît que l'« esclavage en Mauritanie » est un phénomène à la fois social et politique qui a des résonnances autant historiques que contemporaines. En explorant les divers discours qui ont nourri le débat sur l'esclavage au fil du temps, l'auteure tente d'expliquer pourquoi l'esclavage contemporain est un concept si difficile à aborder, tant en Mauritanie qu'à l'étranger. En s'appuyant sur l'histoire d'une famille d'anciens esclaves, elle espère trouver un moyen de mieux saisir les complexités de ce phénomène par la perspective d'une expérience personnelle.
  • « Nous voulons notre part ! » : Les ambivalences du mouvement d'émancipation des Saafaalbe Hormankoobe de Djéol (Mauritanie) - Olivier Leservoisier p. 987-1013 accès libre avec résumé
    C'est à partir de l'analyse de l'un des conflits sociaux les plus importants intervenus ces dernières années dans la vallée du fleuve Sénégal, que cet article rend compte des enjeux liés à la reproduction des hiérarchies sociales et politiques dans la société haalpulaar. L'intensité du conflit de Djéol, étudié ici, provient de la décision de familles Hormankoobe ? considérées comme serviles par les nobles ? de revendiquer non seulement leur participation dans les nouveaux domaines de compétence, mais également d'obtenir le partage de l'exercice de l'autorité des communautés politiques (leyyi) du village. L'examen de ce conflit, tout en révélant la perpétuation de fortes discriminations, permet ainsi de rendre compte de l'évolution des rapports sociaux. Il conduit notamment à restituer la diversité des pouvoirs au village et à mesurer les effets démocratiques sur les imaginaires et les pratiques politiques. Il apparaît ainsi que les rapports de force entre les groupes sociaux font intervenir un large réseau d'acteurs qui s'inscrivent dans des contextes et des espaces différents, imbriqués les uns aux autres, et dont l'appréhension se révèle déterminante pour mieux saisir les ambivalences d'un mouvement social, moins enclin à bouleverser un pouvoir en place que d'y participer.
  • « Comme des esclaves », ou les avatars de l'esclavage métaphorique - Alain Morice p. 1015-1036 accès libre avec résumé
    Génériquement nommées, selon les institutions et les auteurs, « travail forcé » ou « esclavage (moderne) », voire « traite des êtres humains », certaines formes contemporaines de sujétion continuent d'être qualifiées en référence aux formes historiques de l'esclavage grec, africain et américain. Correspondant à une définition extensive et morphologique, l'esclavage métaphorique ainsi repensé range pêle-mêle un ensemble hétéroclite de rapports d'oppression et de mise au travail basés sur la contrainte et la menace, rencontrés notamment dans la servitude pour dettes, les sweat shops et la prostitution. Sont visés aussi le salariat et la condition domestique des épouses et diverses modalités d'exploitation acceptée. Au-delà des emplois contestables d'une terminologie qui désignait à l'origine un mode d'appropriation pérenne de personnes considérées comme des choses et constitutif de classes sociales spécifiques, l'article propose de centrer l'analyse critique sur deux questions. D'une part, celle de l'interprétation du succès de l'esclavage métaphorique, qui paraît renvoyer à une conception généalogique des rapports sociaux. D'autre part, celle de l'efficacité des moyens de la lutte que prétendent mener organisations internationales et humanitaires contre un ensemble de fléaux aussi mal circonscrits intellectuellement, dans un contexte où s'observe une large contribution dudit « esclavage » à la valorisation du capital à l'échelle mondiale, notamment à travers le fait migratoire.
  • Travailler pour rien : L'apprentissage en Côte-d'Ivoire urbaine (Abidjan, Toumodi) - Fabio Viti p. 1037-1068 accès libre avec résumé
    L'apprentissage des métiers artisanaux du secteur informel urbain connaît une dégradation certaine par rapport à l'artisanat dit traditionnel, et s'apparente de plus en plus à un rapport d'exploitation pur et simple du travail non rémunéré de jeunes apprentis déqualifiés. Un rapport de dépendance personnelle lie étroitement les apprentis à leur patron à qui ils doivent non seulement leur travail gratuit mais aussi la rémunération de la formation reçue. Ce lien de dépendance personnelle rend possible l'exploitation des apprentis qui peut s'accomplir de trois manières, différemment combinées entre elles : la totale gratuité de l'oeuvre des jeunes ; la prolongation arbitraire de la durée de leur formation ; la pleine disponibilité des apprentis à accomplir toute tâche demandée par le patron, même en dehors du lieu de formation.
  • Formes de travail non libre : « Accumulation primitive : préhistoire ou histoire continuée du capitalisme ? » - Yann Moulier-Boutang p. 1069-1092 accès libre avec résumé
    L'esclavage au sens strict du terme n'apparaît plus que de façon résiduelle dans le monde, mais le travail forcé, lui, est toujours florissant. Ses différentes formes sont passées en revue ; la portée et les limites de sa définition par l'Organisation internationale du travail sont discutées. La seconde partie de l'article, s'appuyant sur l'exemple historique de l'esclavage moderne, réexamine la théorie de l'accumulation primitive de Marx. Pour mieux repérer les formes actuelles de travail non libre, on propose de distinguer quatre dimensions de la prolétarisation qui ne vont pas toujours ensemble : 1. la séparation d'avec les moyens de production ; 2. la séparation du produit d'avec le marché ; 3. la séparation de la force de travail d'avec la personne ; 4. la liberté du porteur de la force de travail.
  • « Traite » de femmes migrantes, domesticité et prostitution : À propos de migrations interne et externe - Nasima Moujoud, Dolorès Pourette p. 1093-1121 accès libre avec résumé
    Des cas d'« esclavage moderne » sont dénoncés dans les secteurs de la domesticité et de la prostitution, secteurs où sont majoritairement orientées les femmes non qualifiées originaires de pays défavorisés. Des données ethnographiques recueillies au Maroc, auprès de domestiques ayant fait l'objet d'un « trafic » entre leur village et la ville, et en France, auprès de migrantes originaires de différents pays, montrent que les formes contemporaines de « traite » des femmes s'enracinent dans des structures de domination anciennes liées aux rapports sociaux de classe, de genre et d'origine. Les récits de migrantes soulignent que leur implication dans des « trafics » résulte le plus souvent de « stratégies » migratoires, niées dans les discours publics et politiques.
  • Travail contraint et esclavage : Utilisation et définitions aux différentes époques - Eduardo França Paiva p. 1123-1142 accès libre avec résumé
    Ce texte présente une réflexion sur l'histoire récente de l'utilisation du terme esclavage pour désigner des formes de travail contraint (trabalho compulsório) dans le Brésil contemporain. Il montre l'efficacité de cette stratégie pour toucher l'opinion publique nationale et internationale et pour conforter les actions de ceux qui combattent le travail contraint. Mais le choix d'appeler esclavage le travail contraint d'aujourd'hui est une attitude équivoque historiquement, méthodologiquement et conceptuellement ; elle est aussi une stratégie qui n'aide pas en définitive à l'éradication rapide du problème. Le travail esclave dans son acception historique n'existe plus dans le Brésil contemporain, ni dans la législation, ni comme pratique quotidienne. Ceux qui combattent le travail contraint contemporain au Brésil se trompent lorsqu'ils évoquent les anciennes images stéréotypées de l'esclavage et ce sont justement ces gens bien intentionnés qui recréent la figure de l'esclave dans le Brésil d'aujourd'hui.
  • Les troubles de la mémoire : Traite négrière, esclavage et écriture de l'histoire - Françoise Vergès p. 1143-1177 accès libre avec résumé
    Pour la première fois en France, traite négrière et esclavage font la une des journaux, sont débattus et suscitent des controverses. Une question s'impose : pourquoi le débat public est-il si tardif ? Ce texte propose une analyse des enjeux actuels autour de la mémoire de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions, des explications et des noms donnés à ce retard (amnésie, occultation, mémoire sélective, volonté d'oubli), et des réponses proposées pour combler ce retard. L'auteure revisite les problèmes pratiques et conceptuels qui rendent difficile un récit sur ces questions. Elle réexamine la notion de « crime contre l'humanité » appliquée à la traite et l'esclavage et les enjeux contemporains de la mémoire dans leurs relations avec la place marginale de « l'Outre-mer » dans la recherche et le récit national.