Contenu du sommaire : Mémoires et migrations en Afrique de l'Ouest et en France
Revue | Revue Européenne des Migrations Internationales |
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Numéro | Vol. 29, no 1, 2013 |
Titre du numéro | Mémoires et migrations en Afrique de l'Ouest et en France |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Articles
- Éditorial : Mémoires et migrations en Afrique de l'Ouest et en France - Marie Rodet, Christoph Reinprecht p. 7-22
- Diaspora without Homeland: Slave Descendants and the Cultural Politics of Ancestry in the Upper Gambia River Valley - Paolo Gaibazzi p. 23-43 Cet article examine comment la mémoire de la migration est utilisée pour maintenir les frontières entre statuts sociaux en Gambie, notamment entre les personnes de condition libre et les descendants d'esclaves. Basé sur des recherches ethnographiques et historiques parmi les communautés soninkés de la région de l'Upper River, l'article montre que l'oubli des origines et des parcours migratoires des descendants d'esclaves participe à la reproduction de leur condition servile. Bien que tous les villageois aient des origines étrangères, les descendants d'esclaves restent stigmatisés du fait de leur généalogie « inexistante ». Contrairement aux personnes de statut libre, ils ne peuvent pas inscrire localement leur histoire diasporique dans les traditions orales ni dans les généalogies de l'immigration. En s'appuyant sur l'étude de cas d'une famille d'origine servile, l'article montre également que les descendants d'esclaves peuvent contester cette amnésie. Nous examinons notamment les possibilités et les limites des récits « subalternes » vis-à-vis de la production hégémonique du passé.This article investigates how memories of migration are used to maintain the status boundary between people of freeborn and slave descent in the Gambia. Based on ethnographic and historical research among the Soninke communities of the Upper River Region, the article shows that forgetting the roots and routes of slave descendants has been central to forging and remembering their servile status. While all villagers have foreign origins, slave descendants are stigmatized for lacking certified ancestry. Unlike the freeborn, they cannot inscribe their homelands and diasporic journeys in the local oral traditions and genealogies of immigration. By drawing on the case study of a family, the article also shows that slave descendants may dispute this collective amnesia and discusses the possibilities and limits of subaltern narratives vis-à-vis the hegemonic production of the past.
- Moving Memories of Slavery among West African Migrants in Urban Contexts (Bamako, Paris) - Lotte Pelckmans p. 45-67 Cet article met en lien la mobilité des migrants issus de sociétés fortement stratifiées par la mémoire de l'esclavage interne en Afrique de l'Ouest. L'auteure utilise une typologie des formes de mobilité qui considère la mobilité vers et au sein de la ville comme un « travail de mémoire » non-discursif et incorporé de l'esclavage. Elle s'intéresse en particulier à la façon dont les migrants peuls (et soninké) se déplacent avec leur statut social d'esclave vers et dans les villes de Bamako et Paris. Même si les villes offrent des possibilités de faire taire les mémoires du passé esclavagiste, cela n'arrive souvent que de façon temporaire et en interaction avec l'âge, le genre, etc. Les données montrent comment le contexte urbain peut aussi reproduire – même de manière temporaire – les stigmates et les inégalités hiérarchiques basés sur la mémoire de l'esclavage.“Moving memories of slavery” are those memories of internal African slavery that move with West African migrants to urban areas. Different types of mobility towards and within urban contexts can be considered as non-discursive, embodied forms of ‘memory work' of slavery. The focus is on how Fule (and Soninke) migrants in Bamako and Paris ‘move with' or ‘move back into' slave status on specific moments in space and time. Even though cities offer opportunities to silence memories about their slave past, this can be only temporal and necessarily intersects with age, class, gender, etc. The data presented demonstrate that under specific conditions, urban contexts can also reproduce – even if temporarily – stigma, labour divisions and hierarchical inequalities related to the memory of slavery.
- Jeunes descendants d'immigrants ouest-africains en consultations ethnocliniques : migrations en héritage et mémoires des « origines » - Lila Belkacem p. 69-89 « J'ai deux portraits au-dessus de mon bureau : celui de Freud, et celui de mon grand-père, un grand marabout dans mon pays ». Ainsi s'exprime le thérapeute d'un centre ethnoclinique de région parisienne pour illustrer les fondements de son travail auprès de familles immigrantes ouest-africaines et la « double appartenance culturelle » que leurs enfants élevés en France sont supposés détenir. Au cours des consultations avec les familles, les ethnocliniciens mettent en œuvre une entreprise mémorielle, identitaire et morale bien précise à l'adresse des jeunes, promouvant certaines mémoires « heureuses » et en occultant d'autres. Analysant le travail mené en consultation et sa portée auprès des jeunes, cet article montre que l'entreprise des thérapeutes, tout comme les positionnements ambivalents adoptés par les jeunes, ne peuvent s'analyser en dehors du contexte migratoire minoritaire post-colonial dans lequel se déroulent les consultations, et que l'approche ethno-clinique reflète finalement certaines contradictions des institutions françaises face aux populations originaires d'Afrique de l'Ouest.“I have two portraits above my desk: one of Freud, and the other of my grandfather, a great marabout of my country”. A therapist from an ethnoclinical center in the Paris area uses these images to explain the foundation of his work with migrating West African families and to illustrate the so-called “double cultural belonging” experienced by their children raised in France. During consultations with families, ethnoclinicians seek to draw a specific memory, identity or sense of moral enterprise from the youngsters in an effort to promote “happy” memories and obscure others. Analyzing the work carried out during consultations and its impacts on the youngsters, this article shows that the therapists' enterprise, as well as the ambivalent positions adopted by the immigrants' descendants, cannot be analyzed irrespective of the migratory, minority and post-colonial context in which the consultations takes place. The ethnoclinical approach, it argues, reflects some contradictions of the French institutions when they are confronted with people of West African descent.
- « Comment décrire ? Comment raconter ?... ». La mémoire perdue des hôtels meublés parisiens - Claire Lévy-Vroelant p. 91-111 Les hôtels meublés parisiens semblent les vestiges stigmatisés d'une époque révolue. On les considère ici au contraire comme des milieux de mémoire. L'approche place le sujet au centre en mettant en regard deux modes d'énonciation : les conversations, récits, anecdotes, provenant des logeurs et des logés de vingt hôtels meublés parisiens ; une sélection de textes littéraires d'auteurs francophones exprimant le rapport du narrateur avec l'hôtel. Dans la première partie, la matérialité des hôtels est explorée dans son rapport avec la mémoire : entrées, loge, corridor, café, chambres, caves et greniers portent les récits. Mais l'hôtel – c'est l'objet de la seconde partie –, est aussi une forme sociale hétérodoxe tenant de la famille, de la communauté, du regroupement de hasard, résultant du régime particulier instauré par l'hospitalité. L'activité mémorielle sollicitée n'expose pas une guerre des mémoires, le groupe habitant laisse chacun à sa vérité. Elle montre aussi que clients et hôteliers présentent deux régimes mémoriels distincts. La troisième partie aborde la question de la transmission. Les lieux mêmes disparaissent, emportés par la rénovation urbaine, la mobilité sociale éloigne les héritiers. L'écriture littéraire semble aujourd'hui un vecteur significatif de la transmission d'une mémoire des hôtels.Furnished hotels in Paris often appear as stigmatized relics of ancient times. In this paper, however, they are seen as milieux of memory, placing the subject in the centre. Two modes of expression are compared: conversations, stories and anecdotes collected in twenty furnished Parisian hotels from lodgers and clients; and a selection of literary texts by Francophone authors expressing the relationship between narrator and hotel. In the first part of the analysis, the materiality of hotels is explored as a seat of memory: stories unfold in entry ways, lodge halls, cafes, rooms, cellars and attics. In the second part, the hotel emerges as an unorthodox social form bringing together family, community and strangers – a random encounter of people resulting from the specific regime of hospitality. In the conversations, it is clear that hosts and guests have two distinct ways of remembering events. Memories are also not construed as collective “war memories”; the group leaves each inhabitant to his or her truth. The third part addresses the question of transmission. The place itself disappears, swept away by urban renewal, whilst social mobility discourages the inheritors from continuing the business. As a consequence, literature is now an important vehicle for passing on the memory of the hotels.
Varia
- « Indiens » ou « Brésiliens » ? Mobilités karipuna vers Cayenne (Guyane française) - Gérard Collomb p. 113-131 La Guyane française, entre Surinam et Brésil, reçoit des flux démographiques, économiques, culturels qui traversent les frontières héritées de l'histoire coloniale. Quelques groupes amérindiens s'inscrivent d'une manière particulière dans ce dispositif, pratiquant de longue date et jusqu'à aujourd'hui des déplacements de part et d'autre de la frontière politique. L'exemple des Karipuna établis dans le Brésil frontalier et venant travailler en Guyane illustre la place singulière occupée par ces groupes, mais aussi les effets de l'imposition d'une frontière qui était restée jusqu'alors virtuelle. Ces populations sont alors passées du statut d'Indiens véritablement « trans-frontaliers », bénéficiant de privilèges d'accès au territoire français, à celui de « migrants brésiliens », auxquels l'État applique des règles renforcées de limitation des mobilités, et ils endossent malgré eux le stéréotype dépréciatif aujourd'hui appliqué aux autres migrants brésiliens en Guyane.French Guiana, between Suriname and Brazil, receives demographic, economic, cultural flows, crossing borders inherited from colonial history. Some Native American groups have a special place in this process, moving since long and up to now, on both sides of the politic border. The example of the Karipuna, settled in neighbouring Brazil and coming for to work in Guyana, illustrates this particular place occupied by these groups, but also the effects of the present imposition of a border that previously had long remained virtual. These populations have then moved from the status of “Indians”, with privileges for accessing to French territory, to that of “Brazilian migrants”, to which the State applies strengthened rules limiting mobilities, and they are from now on seen through the derogatory stereotype applied today to the other Brazilian migrants in Guyana.
- Histoire orale à Matonge (Bruxelles) : un miroir postcolonial - Sarah Demart p. 133-155 Cet article explore les mises en forme mémorielles associées à un quartier urbain. Naguère « select », le quartier Matonge à Bruxelles s'est développé à la fin des années 1960, début des années 1970, à un moment où aucune immigration congolaise n'était repérable en Belgique. Aujourd'hui en phase de devenir « africain » ou « multiculturel », Matonge reste un lieu incontournable des rencontres et des festivités congolaises au cours desquelles une « autre » histoire se donne à entendre. À partir d'une approche ethnographique inscrite dans la durée, nous avons interrogé l'histoire de ce quartier dont les marqueurs territoriaux amènent à visibilité une imbrication inédite des géographies congolaises en Belgique et des temporalités belges en RDC (République démocratique du Congo, ex-Zaïre). En outre, ces narrations qui se développent en marge des circuits classiques de production de l'histoire traduisent un face à face postcolonial qui n'est pas sans continuité avec le « développement parallèle » instauré par l'ordre colonial belge au Congo.This paper investigates the framing of memory associated with an urban district. Formerly “elite”, the district of Matonge in Brussels developed at the end of the 1960s, beginning of the 1970s, when no Congolese immigration was identified in Belgium. Converting into an “African” or “multicultural” area, Matonge remains the inevitable place for Congolese meetings and festivals where “another” history can be heard. Grounding on a long-time ethnographical approach, we questioned the history of this district whose territorial frames highlight the original interweaving of Congolese geographies in Belgium and Belgian timelines in DRC (Democratic Republic of Congo, former Zaire). Besides, these narratives expand at the margins of classical circuits of history production and reveal a post-colonial face-to-face with strong continuity with the so-called “parallel development” established by the Belgian colonial order in Congo.
- « Indiens » ou « Brésiliens » ? Mobilités karipuna vers Cayenne (Guyane française) - Gérard Collomb p. 113-131
Note de recherche
- La fabrication des carrières migratoires des footballeurs africains. Le cas des joueurs béninois partis gagner leur vie en France - Claude Lafabrègue, Arafat Tabé, Boris Helleu p. 157-178
Notes de lecture
- Lucine Endelstein, Sébastien Fath et Séverine Mathieu, Dieu change en ville. Religion, espace, immigration - Ralph Schor p. 179-184
- Alain Tarrius, Lamia Missaoui et Fatima Qacha, Transmigrants et nouveaux étrangers : hospitalités croisées entre jeunes des quartiers enclavés et nouveaux migrants internationaux - Ahmed Boubeker p. 180-184