Contenu du sommaire : Les économistes et la démocratie
Revue | Cahiers d'économie politique |
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Numéro | no 47, automne 2004 |
Titre du numéro | Les économistes et la démocratie |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Présentation - Guillaume Hollard p. 7-28
- Une approche subjectiviste de la démocratie : l'analyse de J.A. Schumpeter - Odile Lakomski-Laguerre, Stéphane Longuet p. 29-52 Dans cet article, nous mettons en évidence un aspect négligé de la pensée politique de Schumpeter : la dimension cognitive. Celle-ci fonde à la fois la critique de l'idéal démocratique et la construction d'un modèle alternatif de démocratie. En s'appuyant sur un concept plus large de rationalité et en soulignant l'importance de la dimension subjective des représentations, Schumpeter est conduit à élargir les motifs de la décision et du comportement des acteurs politiques et à reconsidérer les modalités de la formation des choix publics. Néanmoins, si ces nouvelles hypothèses offrent des pistes intéressantes, la théorie politique de Schumpeter n'en demeure pas moins inachevée.
- Les apports de la théorie du choix social pour l'analyse de la démocratie - Mathieu Martin, Vincent Merlin p. 53-68 L'objet de cet article est de présenter simplement les résultats les plus importants de la théorie du choix social, et de commenter brièvement leurs impacts. Le résultat emblématique de cette théorie reste le paradoxe de Condorcet ; il montre qu'à partir de préférences individuelles transitives sur un ensemble d'options, il est possible que la préférence collective, obtenue à l'aide de la règle majoritaire, ne soit pas transitive. Toutes les options peuvent être battues à la majorité par au moins une autre option et il ne se dégage pas un vainqueur évident. Arrow, dès 1951 montre que la règle majoritaire n'est pas la seule à souffrir de défauts : toutes les règles de vote sont imparfaites si on estime qu'elles doivent vérifier un certain nombre de conditions considérées comme minimales. Dans la lignée des travaux d'Arrow, les résultats d'impossibilité les plus importants sont dus à Sen (1970), Gibbard (1973) et Satterthwaite (1975). Des échappatoires existent cependant : certaines règles de vote ont pu être caractérisées axiomatiquement, et les travaux sur les restrictions de préférences permettent de contourner les théorèmes d'impossibilité.
- Repenser l'économie du politique à partir de l'économie politique - Alain Marciano p. 69-93 Cet article se propose de montrer que le public choice conduit à une conception technique du politique, et, au-delà, des institutions et de la démocratie. En effet, le public choice peut se définir comme une science instrumentale et analytique dont l'objet est de proposer une connaissance de moyens destinés à atteindre une fin qui est donnée et non pas discutée. En contrepoint à cette approche technique du politique telle que celle du public choice, nous proposons de revenir aux réflexions des pères fondateurs de l'économie politique pour penser les institutions comme une procédure délibérative. Nous montrons alors que l'intérêt d'un enracinement de la réflexion dans les travaux de Hume et de Smith réside dans la possibilité de dépasser l'individualisme et d'ouvrir vers une conception des institutions et de la démocratie véritablement différente de celle envisagée par le public choice.
- (Sous)-développement institutionnel, anarchie, crime et trappes de pauvreté, dans les sociétés post-communistes - Guillaume Cheikbossian p. 95-110 Lorsque les pays de l'Est au début des années 1990 ont commencé leurs réformes de mise en place d'une économie de marché (libéralisation des prix, privatisation, etc.), la plupart des experts économiques et des décideurs politiques étaient convaincus que ces réformes économiques devaient conduire à l'émergence d'une règle de droit efficace et garante des droits de propriété. Force aujourd'hui est de constater que la règle de droit et les institutions de marché sont peu efficaces voire inexistantes dans un grand nombre de pays en transition. Cet article présente un certain nombre d'arguments permettant d'expliquer cette situation. En particulier, il met l'accent sur les défauts de coordination entre les agents ce qui peut entraîner l'économie dans un équilibre où les activités de prédation dominent les activités productives.
- L'économie est-elle une anti-politique ? - Jacques Sapir p. 111-126 Le débat autour de la place des valeurs morales et politiques dans la pensée économique est en train de redevenir à l'ordre du jour. Depuis l'ouvrage pionnier de Myrdal, il avait été plus ou moins oublié par les économistes orthodoxes. Pourtant, les occurrences de plus en plus nombreuses aux institutions et aux règles dans leurs travaux montrent l'émergence d'un nouveau stade de cet ancien débat. Si les économistes du courant dominant sont désormais prêts à user de termes comme "démocratie" ou "capital social" et même à s'interroger sur les possibles relations entre les croyances religieuses et la croissance, ils sont loin d'être prêts à rompre avec la tradition anti-politique qui est celle de l'économie depuis le XVIIIeme siècle. La tentative de construire la science économique comme une s?ur de la Physique renforce très probablement le biais anti-démocratique au sein de la pensée économique. Sauf à rompre avec cette tradition, non seulement l'économie reposera sur des bases méthodologiques fausses et dangereuses dans son travail analytique et normatif, mais sa dimension prescriptive sera dangereuse.
- Autour des conflits à dimension environnementale : Évaluation économique et coordination dans un monde complexe - Olivier Godard p. 127-153 Les conditions requises pour que le calcul économique public rende son office ne sont plus réunies, s'agissant de parvenir à une décision visant l'intérêt général et acceptée par la société pour des projets publics d'aménagement et d'équipement éveillant des conflits à dimension environnementale. Le souci de rapprocher les méthodes d'évaluation des conditions réelles de prise de décision, et à en faire des instruments de coordination entre une variété d'acteurs, conduit à les soumettre aux exigences de la justification dans l'espace public. Ces méthodes doivent alors s'adapter à la pluralité des ordres de justification qui coexistent dans les sociétés occidentales contemporaines et dont la confrontation est particulièrement mise en évidence par les problèmes d'environnement. Dans ce contexte, tant les bases théoriques que les pratiques de l'évaluation, en particulier la théorie des préférences révélées, doivent être renouvelées. Il faut aussi redéfinir les conditions de mise en ?uvre de l'expertise économique, comme cela a été fait dans d'autres champs d'expertise scientifique comme la sécurité alimentaire.
- Calcul économique et démocratie : des certitudes technocratiques au tâtonnement politique - Yves Crozet p. 155-172 Le calcul économique, dans sa forme la plus connue, celle de l'analyse coûts/avantages, est depuis quelques années confronté à de multiples remises en cause. Considéré comme technocratique, partiel, voire partial, il est de plus en plus cantonné au rôle de composante parmi d'autres de l'aide à la décision publique. Le développement, dans le Royaume-Uni d'une nouvelle approche, multicritère, de l'évaluation des grands projets d'infrastructure de transport va-t-il sonner le glas du calcul économique ? Nous ne le pensons pas. Nous défendons au contraire la thèse selon laquelle il peut retrouver un rôle important. Mais, pour cela, il est nécessaire de reconsidérer le processus des choix collectifs. Dans cette nouvelle perspective, loin de constituer un processus purement technocratique, le calcul économique, à la lumière des travaux de Keynes et Schumpeter sur le rôle de la prévision et des prix, peut s'inscrire dans une forme renouvelée de maïeutique des choix collectifs, même dans le champ controversé des infrastructures de transport.
- La délibération dans la théorie économique - Guillaume Hollard p. 173-190 Plusieurs auteurs (Elster et Hirschman par exemple) soulignent l'importance de la délibération dans le fonctionnement démocratique et, plus largement, dans celui des organisations. La théorie économique ne rend pourtant guère compte de ces processus de délibération. Nous voyons à cela des raisons qui tiennent à la conception même que peut avoir la théorie économique de la décision publique. Nous passons ensuite en revue les travaux, encore embryonnaires, qui traitent de cette question au sein de la théorie économique.
- Invention argumentative et débat public regard sociologique sur l'origine des bons arguments - Francis Chateauraynaud p. 191-213 L'analyse de l'impact des débats publics sur les processus sociaux pose la question du statut accordé à l'argumentation par les modèles en sciences sociales. Cet article examine les conditions auxquelles doivent satisfaire des arguments pour transformer l'espace de positions dans lequel opèrent les acteurs mobilisés par un débat. La force probante d'un argument ne réside ni dans un rapport de forces sous-jacent, ni dans un pur espace de raisonnement logique, mais dans la manière dont il associe ou non trois formes d'épreuves : des épreuves de tangibilité dans le monde sensible, des contraintes de compatibilité entre des représentations et des intérêts divergents, et enfin des ouvertures d'avenir plausibles, permettant aux acteurs de reconfigurer les liens entre passé, présent et futur. Les débats apparaissent ainsi comme des moments d'invention de nouvelles configurations argumentatives capables de résister aux variations critiques. Lorsque l'invention argumentative peut s'y déployer, les débats publics sont des opérateurs de refonte du sens commun des acteurs.
- Dimensions axiologique, épistémologique et cognitive de la délibération publique - Alban Bouvier p. 215-234 Le but de cet article est d'examiner la portée d'une analyse distinguant, dans des échanges d'arguments de nature politique, trois types de dimensions : axiologique, épistémique et cognitive. La première dimension invite, en prenant son point de départ dans certaines critiques explicites ou implicites de la théorie du choix rationnel en sociologie (Hirschman, Boltanski et Thévenot, etc.), à envisager d'autres motifs de l'action que le simple intérêt matériel, souvent seul considéré dans les études d'économie appliquée. La seconde dimension, mise en évidence essentiellement par le courant de la social epistemology, révèle la présence de conflits de nature proprement épistémologique, même dans des débats très ordinaires (par exemple sur la valeur des rapports d'experts). On se demande finalement dans quelle mesure il convient d'introduire une troisième dimension considérant, au-delà du débat entre des acteurs mettant en jeu des raisons épistémologiques, des processus cognitifs inconscients (du type framing) exerçant une influence autonome sur la dynamique du débat. L'exemple d'un récent débat public mis en place dans le cadre de la loi Barnier 1995, destinée à expérimenter un mode de gouvernance plus participatif, est examiné sous ce triple point de vue.