Contenu du sommaire : Varia
Revue | Revue d'économie du développement |
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Numéro | volume 25, no 2, juin 2011 |
Titre du numéro | Varia |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Remerciements - p. 5-6
- Introduction - François Bourguignon p. 7-11
- Mesurer le développement : autres données, autres conclusions ? - Angus Deaton p. 13-59 Nous disposons aujourd'hui de mesures du développement économique plus nombreuses et plus précises que jamais. Avec le temps, les enquêtes auprès des ménages se sont multipliées. Celles-ci fournissent non seulement des données sur les revenus et les dépenses des ménages, mais aussi des mesures directes de la santé, liées en particulier à l'anthropométrie, à la mortalité infantile et juvénile ou aux niveaux subjectifs de bien-être et de vécu affectif. Pour la première fois, nous pouvons compiler des cartes mondiales reprenant les multiples composantes du bien-être humain. Le dernier cycle du Projet de comparaison internationale (PCI) a relevé les prix de biens comparables dans 146 pays, dont beaucoup n'avaient encore jamais fait l'objet d'enquête. Ces nouvelles données ouvrent de multiples perspectives pour comprendre le développement économique des nations et des individus. Pourtant, des problèmes d'interprétation et de cohérence entre les différents types de données demeurent. Pourquoi la pauvreté dans le monde ne recule-t-elle pas aussi vite que la croissance économique mondiale pourrait le laisser espérer ? Pourquoi les habitants de l'Inde consomment-ils de moins en moins de calories, alors même que leur situation nutritionnelle est plus que médiocre et que leurs revenus augmentent rapidement ? Pourquoi la croissance économique ne va-t-elle pas toujours de pair avec une amélioration du bien-être subjectif ? Enfin, comment devons-nous interpréter la sensible aggravation des estimations de la pauvreté et des inégalités dans le monde établies à partir des dernières données du PCI ? Nous reviendrons sur ces interrogations qui donnent à réfléchir avant d'identifier un certain nombre de problématiques cruciales à résoudre.Measuring Development: Different Data, Different Conclusions
We now have more and better measures of economic development than ever before. The number and availability of household surveys have been improving over time. These surveys provide data, not only on household incomes and expenditures, but also on direct measures of health, particularly on anthropometrics, on infant and child mortality, as well as on self-reported measures of well-being and emotional experience. It is possible, for the first time, to compile global maps of multiple components of human welfare. The latest round of the International Comparison Project (ICP) has collected prices of comparable items in 146 countries, many of which have not been previously surveyed. These new data have brought many new insights and new discoveries about economic development of both nations and of individuals. Yet there are also problems of interpretation and consistency between the different types of data. Why does world poverty not fall as fast as might be expected given the amount of growth in the world? Why are Indians consuming fewer and fewer calories when their nutritional status is so poor, and their incomes are rapidly rising? Why is economic growth not always associated with improvements in self-reported well-being? And how should we interpret the marked increases in estimates of global poverty and global inequality that came with the latest data from the ICP? This paper reviews these puzzles and questions and identifies key questions that need to be resolved. - Mesurer la pauvreté multidimensionnelle : les limites - Sabina Alkire p. 61-104 Jamais auparavant, nous n'avions disposé d'autant de données sur les aspects non monétaires de la pauvreté. Parallèlement, les méthodes de mesure multidimensionnelles ont fait d'immenses progrès depuis quinze ans, ouvrant de nouvelles perspectives pour mesurer la pauvreté multidimensionnelle à l'échelle locale, nationale et internationale. Pourtant, le fait que l'on puisse construire une mesure de la pauvreté multidimensionnelle ne signifie pas que cette mesure apportera nécessairement une valeur ajoutée. Le recours à des dimensions multiples n'oblige cependant pas à avoir un indice de la pauvreté multidimensionnelle. Nous tenterons d'analyser dans cet article, quand, comment et pourquoi certaines mesures de la pauvreté multidimensionnelle peuvent présenter un intérêt supplémentaire, en posant les limites de leur contribution, et en introduisant un ensemble de problématiques en suspens. La valeur ajoutée essentielle que peut rigoureusement apporter un indice de pauvreté multidimensionnelle est qu'il véhicule de nouvelles informations, qui ne sont pas captées par une quelconque mesure unidimensionnelle sur la distribution commune des désavantages et la composition de la pauvreté chez les populations « poly-désavantagées » (multiply deprived). Il fournit également une description cohérente de l'évolution globale de la pauvreté multidimensionnelle dans le temps et dans l'espace. Pour explorer ces questions, nous présentons une approche générale de la mesure de la pauvreté multidimensionnelle – celle qui reflète une distribution commune. Nous présentons ensuite une classe de mesures de la pauvreté au sein de cette approche. Nous présentons également une application récente de l'une des mesures au sein de cette famille : le nouvel Indice de Pauvreté Multidimensionnelle lancé en 2010 pour 104 pays. Pointer du doigt la valeur ajoutée des indices de pauvreté multidimensionnelle ne revient pas à dire qu'il faut abandonner les mesures unidimensionnelles, mais plutôt qu'il faut les compléter. Investir davantage dans les mesures de la pauvreté multidimensionnelle peut contribuer à faire mieux comprendre ce phénomène et permettre de créer des instruments de politique économique utiles.Multidimensional Poverty and its Discontents
More data on non-income dimensions of poverty are available than at any previous time in history. Alongside this, multidimensional measurement methodologies have advanced considerably in the past fifteen years. These advances together have created new possibilities to measure multidimensional poverty at the local, national and international level. Yet the fact that one can construct an overall measure does not mean that it will necessarily add value. Considering multiple dimensions does not require necessarily a multidimensional poverty index. This paper focuses on the question of when, how and why certain multidimensional poverty measures may add value, sketch the limits of the contribution, and introduce a set of standing questions. The key value-added of a rigorously implemented multidimensional poverty index is that it conveys additional information not captured in single-dimensional measures on the joint distribution of disadvantage and the composition of poverty among different multiply deprived groups. It also provides a consistent account of the overall change in multidimensional poverty across time and space. To makes this case and explore these issues, the paper discusses one general approach to multidimensional poverty measurement—that which reflects joint distribution. It then presents one class of poverty measures within this approach. It also introduces one recent implementation of one measure within this family: the new 104-country Multidimensional Poverty Index launched in 2010. Pointing to the added value or multidimensional poverty indexes this is not to suggest that single-dimensional measures be abandoned but rather supplemented. Investing further in multidimensional measures has the potential to generate significant advances in understanding and useful policy tools. - Commentaires : « Mesurer la pauvreté multidimensionnelle : les limites » - Alemayehu Seyoum Taffesse p. 105-112
- La croissance du PIB rendra-t-elle les habitants des pays en développement plus heureux ? - Andrew E. Clark, Claudia Senik p. 113-190 Ce texte s'interroge sur ce que les pays à bas revenu peuvent attendre de la croissance en termes de bien-être. Interprétant les données internationales disponibles, il observe que, conformément au paradoxe d'Easterlin, au sein d'un pays, les individus les plus riches se déclarent plus heureux ; les habitants des pays riches se déclarent plus heureux que ceux des pays pauvres ; mais sur le long terme, le bien-être moyen d'un pays ne semble pas s'élever avec le revenu national. En réalité, le lien dynamique entre croissance et bonheur reste vivement débattu ; la question est de savoir si le coefficient de corrélation entre les deux grandeurs peut être considéré comme négligeable (« too small to matter »).Les explications de la faible corrélation entre croissance du revenu et bien-être subjectif au cours du temps tiennent à la nature même de la croissance (par exemple les effets secondaires négatifs tels que la pollution) et à l'importance de phénomènes psychologiques tels que les comparaisons et l'adaptation. À cet égard, les données disponibles renferment deux enseignements importants : les comparaisons de revenu semblent bien affecter le bien-être subjectif, même dans les pays très pauvres ; cependant, l'adaptation est sans doute un phénomène plus spécifique aux pays riches.Nous pensons que les données disponibles ne permettent pas d'écarter l'idée que la croissance élèvera le bonheur dans les pays à faible revenu. D'une part, les analyses longitudinales internationales (qui conduisent à rejeter cette corrélation) reposent sur des mesures agrégées, qui sont moins fiables que les mesures individuelles (qui conduisent à valider cette corrélation). D'autre part, le développement est un processus qualitatif qui implique des décollages et des seuils. Or, les données révèlent que ces changements de régime s'accompagnent d'une évolution parallèle des mesures de satisfaction subjectives. Le cas des pays en transition est particulièrement remarquable à cet égard : les scores moyens de satisfaction dans la vie suivent étroitement l'évolution du PIB pendant les dix premières années environ du processus de transition, jusqu'à ce que le régime se stabilise. Si des mesures subjectives de bien-être étaient disponibles dans les pays à bas revenu, elles aideraient certainement à mesurer et suivre les différents stades et dimensions du processus de développement.Will GDP Growth Increase Happiness in Developing Countries?
This paper asks what low-income countries can expect from growth in terms of happiness. It interprets the set of available international evidence pertaining to the relationship between income over time growth and subjective well-being. Consistent with the Easterlin paradox, higher income is always associated with higher happiness scores, except in one case: whether growth in national income over time yields higher well-being is still hotly debated. The key question is whether the correlation coefficient is “too small to matter”.The explanations for the small correlation between national income growth and subjective well-being over time appeal to the nature of growth itself (from negative side-effects, such as pollution), and to the psychological importance of relative concerns and adaptation. The available evidence contains two important lessons: income comparisons do seem to affect subjective well-being, even in very poor countries; however, adaptation may be more of a rich-country phenomenon.Our stand is that the idea that growth will increase happiness in low-income countries cannot be rejected on the basis of the available evidence. First, cross-country time-series analyses are based on aggregate measures, which are less reliable than those at the individual level. Second, development is a qualitative process involving take-off points and thresholds. Such regime changes are visible through the lens of subjective satisfaction measures. The case of transition countries is particularly impressive in this respect: average life satisfaction scores closely mirrored changes in GDP for the first ten years of the transition process, until the regime became more stable. The greater availability of subjective measures of well-being in low-income countries would greatly help in the measurement and monitoring of the different stages and dimensions of the development process. - Commentaires : « La croissance du PIB rendra-t-elle les habitants des pays en développement plus heureux ? » - Pramila Krishnan p. 191-198
- Croissance durable : mesurons-nous bien le défi ? - Michel Aglietta p. 199-250 La mesure des agrégats macroéconomiques est un processus long et ardu qui touche au système de comptabilité nationale. La difficulté est liée aux exigences de la politique économique. Nous avons besoin aujourd'hui d'une croissance soutenable alliant préoccupations environnementales et politique de développement. Cela demande de radicalement transformer la comptabilité nationale, aujourd'hui système de comptes de recettes et de dépenses axé sur le PIB, en un système de comptabilité de la richesse, qui met en avant un concept du capital étendu englobant tous les actifs contribuant au bien-être social et associant une mesure de l'épargne « authentique ».L'article analyse ensuite les problèmes soulevés par la mesure de différents types de capital que les règles classiques de la comptabilité nationale ignorent ou traitent peu en tant que tels. Pourtant, dans les pays développés, les actifs immatériels sont aussi conséquents que le capital fixe productif et ce sont les principaux facteurs de croissance de l'économie du savoir. Par ailleurs, le capital naturel doit être évalué sur la base de sa rareté du point de vue de ses fonctions de source de ressources primaires, d'absorption des gaz à effet de serre et de préservation de la biodiversité.Parce que la nature intrinsèque de ces types de capital conduit à les mesurer à la valeur actualisée des rentes futures, le choix du taux d'actualisation joue un rôle critique dans le processus d'évaluation. Le taux d'actualisation est aussi important pour l'évaluation de l'engagement social des pensions qu'il l'est pour l'estimation du coût de l'épuisement des ressources non renouvelables et des dommages causés par la production anthropique de dioxyde de carbone.L'article montre que le processus d'évaluation des différents types de capital et d'estimation de leur substituabilité dans la production de bien-être social est entaché d'une radicale incertitude. En effet, de multiples sentiers de croissance présentent une soutenabilité incertaine en raison des « inconnues inconnues » inhérentes aux interactions entre les facteurs économiques et écologiques qui pourraient être associées à des rétroactions perturbatrices fortement non linéaires. Dès lors, le choix des taux d'actualisation est profondément éthique et doit s'inscrire dans un principe de précaution généralisé puisqu'il concerne le sort des générations futures. Ce principe est validé tant qu'existent des situations possibles d'exposition à des risques illimités. Les sociétés confrontées à une crise catastrophique de probabilité inconnue doivent débattre immédiatement des modalités souhaitables d'organisation des décisions collectives afin d'engager les politiques opportunes.Sustainable Growth: Do We Really Measure the Challenge?
Macro-measurement is a long and arduous process that involves the system of national accounts. The challenge it raises is driven by the requirements of economic policy. Today, there is a need for a sustainable growth path that couples environmental concerns and development policy. This calls for nothing less than a sea change in national accounting, implying a shift from a system of income and expenditure accounts focused on GDP to a system of wealth accounts. The latter lays emphasis on an extended concept of capital, encompassing all assets that contribute to social well-being and an associated measure of “genuine” saving. This paper analyses the problems involved in measuring different types of capital that are either ignored or barely dealt with per se by the accepted rules of national accounting. Yet, in developed countries, intangible assets are worth as much as productive fixed capital and constitute the most important factors of growth for the knowledge economy. Moreover, natural capital needs to be priced according to its scarcity given its function as a source of primary resources, an absorber of greenhouse gases and a means of conserving biodiversity. Since the inherent nature of these types of capital means that they are measured at the discounted value of future rents, the choice of discount rates is critical to the valuing process. The discount rate is as important for estimating the cost of depleting non-renewable resources and the damage due to anthropogenic production of carbon dioxide as it is for valuing pension liabilities. The paper shows that the process of valuing the different types of capital and estimating their substitutability in the production of social welfare is beset with radical uncertainty. There are multiple growth paths whose sustainability is open to question due to “unknown unknowns” in the interactions between economic and ecological factors, which may be linked to disruptive highly non-linear feedbacks. Therefore, the choice of discount rates is a deeply ethical matter and needs to espouse a widely applied precautionary principle, given that the future of the generations to come is at stake. This principle holds true as long as there are situations of exposure to unlimited risk. Societies facing a catastrophic crisis of unknown probability need to engage immediate discussions about how to organise collective decisions on the appropriate policies to adopt. - Commentaires : « Croissance durable : mesurons-nous bien le défi ? » - Franck Lecocq p. 251-255