Contenu du sommaire : Numéro spécial : Asie centrale

Revue Annales. Histoire, Sciences Sociales Mir@bel
Numéro vol. 59, no 5, octobre 2004
Titre du numéro Numéro spécial : Asie centrale
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Présentation - Pierre Chuvin, Jacques Poloni-Simard p. 923-927 accès libre
  • Une triangulation culturelle

    • Des Chinois et des Hu : Migrations et intégration des Iraniens orientaux en milieu chinois durant le haut Moyen Âge - Étienne de La Vaissière, Éric Trombert p. 931-969 accès libre avec résumé
      Durant le haut Moyen Âge, l'Asie centrale orientale et la Chine du Nord ont été le théâtre d'expériences sociales et de brassages culturels tout à fait particuliers engendrés par des phénomènes migratoires complexes affectant des populations iraniennes surtout sogdiennes, mais pas uniquement. De ces milieux mixtes, créoles, qui se développèrent au confluent des influences sogdiennes, chinoises et turques, et que les anciens Chinois nommaient Hu, ou plus justement Za Hu, « Hu mélangés », l'histoire n'avait jusqu'à présent retenu que l'image d'un simple agrégat de familles de marchands spécialisés dans le grand commerce. Or il apparaît désormais que ces Za Hu formaient, sous les dynasties du Nord et du Sud, des communautés structurées et hiérarchisées, jusque dans les métropoles de Chine intérieure, très diverses sur le plan social et ethnique, puis sous les Tang des milieux mieux intégrés et acculturés, mais pas moins influents. Prenant ainsi les Hu en tant que groupe social particulier, le présent article tente de décrire l'évolution des structures communautaires, les liens de solidarité, les trajectoires d'ascension sociale et les phénomènes d'acculturation qui les touchent en milieu chinois.
    • Loi mongole vs loi islamique : Entre mythe et réalité - Denise Aigle p. 971-996 accès libre avec résumé
      La loi mongole, le jasaq, a donné lieu à une longue tradition d'études qui fut inaugurée par Pétis de la Croix dans un ouvrage publié en 1710. Il fut le premier à dresser une liste des préceptes du jasaq, sans tenir compte de la chronologie des sources et de leur provenance. Les chercheurs qui se sont penchés par la suite sur cette question ont repris, pour la plupart d'entre eux, cette vision du jasaq. Le débat s'est ensuite focalisé sur l'existence ou non d'un code de loi écrit chez les Mongols. Mais, jusqu'à présent, il a été peu discuté de ce que le jasaq représentait pour les Mongols eux-mêmes et comment cette loi mongole a été perçue par les auteurs médiévaux qui confondaient, la plupart du temps, les édits impériaux (jasaq) et les coutumes (yosun). Le jasaq est ici examiné dans son contexte politicoculturel, et, en particulier, il prend en compte, dans l'analyse des préceptes, le système de représentations des Mongols, le chamanisme. Il met ainsi en lumière les raisons de l'incompréhension, de la part des musulmans, de certaines coutumes en désaccord avec l'islam, ce qui les a conduits à voir dans le jasaq l'équivalent de la sharia : un ordre mongol imposé aux populations tombées sous leur domination.
    • Circulation des lettrés et cercles littéraires : Entre Asie centrale, Iran et Inde du Nord ( XVe - XVIIIe siècle) - Maria Szuppe p. 997-1018 accès libre avec résumé
      À la disparition de l'État timouride (1507) qui, au XVe siècle, avait englobé un vaste territoire (de l'Asie centrale jusqu'en Iran central) et favorisé l'épanouissement d'une civilisation turco-iranienne particulièrement rayonnante, trois régimes se réclament de son héritage politique et culturel : les Safavides en Iran, les dynasties ouzbèkes en Asie centrale et les Grands Moghols en Inde. Les recueils de biographies (tazkera) de lettrés contemporains permettent de définir les conditions socioculturelles de la préservation, durant les XVe - XVIIIe siècles, de contacts littéraires l'intérieur de cet espace post-timouride politiquement divisé. Accédant à des milieux sociaux plus vastes que ceux de la cour, connus par ailleurs, les tazkera témoignent de l'ampleur et de la diversité du milieu lettré. L'analyse des textes (mais aussi l'étude des notices, signatures, marques et commentaires dans les marges des manuscrits) permet d'appréhender les caractéristiques de cette culture lettrée ainsi que les facteurs de sa vivacité et de son universalité. C'est à travers les pratiques d'une érudition où l'écrit et l'oral étaient valorisés à part égale que l'activité littéraire non seulement se maintint dans toutes les couches sociales, mais aussi nécessita une circulation rapide et régulière des oeuvres. L'échange de productions orales, de manuscrits ou simplement de nouvelles pour satisfaire l'intérêt intense de ce milieu pour les nouveautés littéraires fut grandement facilité par l'usage universel du persan comme vecteur principal de cette érudition, alors que la mobilité spatiale des lettrés, voyageant couramment sur des longues distances, permit la diffusion littéraire entre Ispahan, Boukhara et Delhi. Malgré d'indéniables différences entre les États de l'Asie centrale, de l'Iran et de l'Inde du Nord, la circulation des lettrés et de leurs oeuvres sur ces itinéraires croisés traduit l'existence d'un espace culturel perçu comme commun et partageant des références identiques.
    • Le pouvoir des lieux saints dans le Turkestan oriental - Masami Hamada p. 1019-1040 accès libre avec résumé
      Le culte rendu aux tombes de saints est commun dans toute l'aire islamique, excepté la péninsule Arabique. Beaucoup d'entre elles ont été découvertes plusieurs siècles après la mort des saints qui y gisaient, en fonction des contextes politico-religieuses; ‘Alî b. Abî Tâlib apparut dans un village de l'Afghanistan au moment même de la situation tendue, à la veille de l'invasion des nomades païens; le crâne de l'imam Husayn fut découvert dans le Palestine occupée par les Fatimides shiites juste après la chute de l'Iraq aux mains des Seljoukides sunnites... En Asie centrale, la découverte des tombes organisée par des soufis était un moyen pour islamiser des régions et y consolider la religion. Aujoud'hui, dans la région autonome des Ouïgours du Xinjiang (Turkestan oriental), la découverte des tombes traduit la volonté des lettrés ouïgours de glorifier l'histoire de leur nation et celle des I autorités politiques de soutenir les manifestations de pratiques religieuses enracinées dans les cultures pour diminuer l'influence des intégristes, catégoriquement hostiles au culte des saints.
  • Le miroir des expériences. Juges, guerriers, marchands

    • Maracanda/Samarkand, une métropole pré-mongole : Sources écrites et archéologie - Frantz Grenet p. 1043-1067 accès libre avec résumé
      L'article propose un bilan de l'étude pluridisciplinaire de l'histoire d'Afrasiab, le premier site de Samarkand, occupé depuis le VIIe ou le VIe siècle avant notre ère jusqu'au XIIIe siècle de notre ère. Cette étude a été menée depuis plus d'un siècle par des équipes d'historiens et d'archéologues russes, puis soviétiques, et enfin depuis 1989 par la Mission archéologique franco-ouzbèke. L'apport respectif des sources écrites et des fouilles archéologiques, ainsi que les difficultés d'ajustement entre les deux approches, sont examinés en détails sous quatre angle successifs : la recherche des origines de la ville; l'étude des deux phases d'occupation grecque et de leur legs aux époques ultérieures; l'évaluation des changements intervenus durant le VIIIe siècle, le premier siècle de l'islamisation; la recherche des traces physiques de l'activité commerciale, qui s'avère décevante pour des raisons que l'on s'efforce de cerner.
    • Perspectives nomades : État et structures militaires - Jürgen Paul p. 1069-1093 accès libre avec résumé
      La contribution met l'accent sur les « États nomades » en Asie centrale au Moyen  ge et leurs relations avec le monde sédentaire. Elle propose une analyse des dépendances mutuelles de l'État et du militaire. Centrale est la question de savoir si les États nomades et leurs armées sont simplement une extension de la forme primaire de l'organisation sociale dans la plupart des groupes nomades, c'est-à-dire du tribalisme. Comme il semble que l'organisation étatique naisse, en milieu nomade, et ce, dans pratiquement tous les cas, dans une interaction tout à fait étroite avec des structures économiques sédentaires, une autre question clef est la forme sous laquelle les ressources extraites sont redistribuées. L'auteur postule en effet que ces modes de redistribution sont essentiels pour déterminer les formes que prendra l'état nomade. Dans le secteur militaire, on distinguera deux modèles principaux : alors que la horde tribale résulte des capacités militaires de la société, la troupe de guerriers est organisée de façon non tribale. Finalement, l'article soutient la thèse que l'État nomade est plus étroitement lié à l'organisation militaire du type « troupe de guerrier » que du type « horde tribale ».
    • Les « tribulations » du juge Zhiyā : Histoire et mémoire du clientélisme politique à Boukhara (1868-1929) - Stéphane A. Dudoignon p. 1095-1135 accès libre avec résumé
      L'étude comparative de trois récits de mémoires sur les luttes de factions dans le corps des oulémas de Boukhara pendant la période coloniale nous permet de restituer le rôle des systèmes de protection personnelle dans la transmission, au début des années 1920, de la mémoire du passé pré-soviétique de la Transoxiane. La vigueur des genres didactiques de la littérature persane d'Asie Centrale, caractérisée par l'essor de la biographie et de l'autobiographie normatives après 1917, impose à ces récits une logique narrative particulière, empruntée aux genres classiques de la maqāmā et de la tazkira. Dans le même temps, ces sources révèlent l'importance du contenu politique des systèmes de protection (hgimāya) et d'affinités masculines ( asgabiyya-s) qui saturent la littérature historiographique en pays d'islam. Elles montrent en particulier le rôle déterminant joué par les émirs Manghit dans la définition des luttes de factions propres au corps des oulémas dans le contexte de la domination russe. En décalage avec les exigences d'un métatexte pénétré de la référence à la geste du Prophète Muhammad et à sa lutte contre les païens de La Mecque, les factions urbaines qui se développent dans le monde des madrasa-s de Boukhara entre les années 1860 et 1920 apparaissent comme autant d'entités fluctuantes, aux relations mutuelles étroites et complexes. Ceci nous emmène loin de l'imagerie véhiculée par la littérature coloniale sur des « luttes de clans » transhistoriques, aux contours immuables, et place le fait politique au centre des sociabilités savantes de Transoxiane, pendant la période formatrice qui a précédé la prise du pouvoir par les soviets. Les chercheurs qui étudient sous différents aspects la renaissance de l'islam dans l'Asie centrale post-soviétique sont loin de s'entendre sur son évolution. Certains en perçoivent bien la valeur d'enjeu politique; d'autres, plus nombreux, voient une menace directe dans « l'extrémisme islamique » et le « fondamentalisme intolérant »; l'attitude négative envers l'islam en général qui en résulte est volontiers adoptée par les journalistes et les hommes politiques, surtout ceux qui dès l'époque soviétique étaient accoutumés à l'islamophobie. L'aspiration des peuples de l'ex-URSS à opérer un retour aux sources culturelles et religieuses de leur civilisation, sévèrement réprimé, et déjà interrompu par les bolcheviks, inspire une grande peur, d'autant que cette nouvelle renaissance se produit dans un milieu ethnique, politique et mental qui n'est plus « traditionnel ». La collecte récente d'archives originales (discours, contacts personnels avec les militants religieux) permet de se faire une idée plus complète des débuts du processus de ré-islamisation en Ouzbékistan et dans quelques pays voisins, de suivre l'évolution des points de vue théologiques et politiques des principaux leaders religieux, de scruter la réaction intellectuelle des théologiens à l'affaiblissement des normes et des règlements religieux dans la communauté ou aux nouvelles formes d'opposition religieuse, en comparant le processus aux conditions de l'islam avant et après la Perestroïka, de considérer les opinions des théologiens « réformateurs » et leur aspiration à conférer un statut politique à l'islam. On examinera ici les bases dogmatiques de leurs prétentions politiques et la dissidence qui en est résultée avec les traditionalistes, qui préféraient s'en tenir à des positions conformistes et collaborer avec l'État.
  • Enjeux contemporains

    • Islam et activisme politique : Le cas Ouzbek - Bakhtiyar Babadjanov p. 1139-1156 accès libre avec résumé
      L'article examine les relations entre la Chine et l'Asie centrale à la lumière de la longue histoire des échanges intercontinentaux. Quelques aspects de ces relations historiques perdurent jusqu'à nos jours : la transnationalisation (due tout à la fois à l'essor de la route de la Soie et à l'unification monghole), l'islamisation (touchant aux transformations économiques affectant à la fois la Chine et l'Asie centrale) et l'ethnicisation des identités locales (stimulées par les politiques successives de la Russie impériale, des Soviets et de la Chine communiste).
    • La question Ouïgour : Entre islamisation et ethnicisation - Dru C. Gladney p. 1157-1182 accès libre avec résumé
      Les événements en Afghanistan consécutifs à l'intervention militaire américaine d'octobre 2001 sont perçus par nombre de commentateurs et de journalistes dans une continuité historique et à l'aide d'une grille d'analyse prête à l'emploi : celle de tribus indociles contestant un État central faible dont le contrôle ne s'étendrait guère au-delà de la capitale. Deux régimes auraient tenté de briser cette continuité en imposant un État central fort parce qu'idéologique : les communistes, de 1978 à 1992, et les Taliban, de 1996 à 2001. Mais l'Afghanistan serait retourné à ses vieux démons : ceux des « seigneurs de la guerre », des tribus rebelles et des conflits ethniques. Or cette vision, qui fait quelque peu partie du sens commun sur un pays brièvement très médiatisé, n'est pas corroborée par une analyse de l'histoire du XXe siècle. Aucun Afghan ne conteste aujourd'hui le fait de l'État central; mais l'État afghan reste très tributaire de l'aide internationale, et l'accroissement spectaculaire du trafic de drogue peut bouleverser la donne, en créant une masse de ressources en dehors du contrôle de l'État, et qui pourrait, dès 2005, dépasser le budget de l'État.
    • De la stabilité de l'État en Afghanistan - Olivier Roy p. 1183-1202 accès libre avec résumé
      Les événements en Afghanistan consécutifs à l'intervention militaire américaine d'octobre 2001 sont perçus par nombre de commentateurs et de journalistes dans une continuité historique et à l'aide d'une grille d'analyse prête à l'emploi : celle de tribus indociles contestant un État central faible dont le contrôle ne s'étendrait guère au-delà de la capitale. Deux régimes auraient tenté de briser cette continuité en imposant un État central fort parce qu'idéologique : les communistes, de 1978 à 1992, et les Taliban, de 1996 à 2001. Mais l'Afghanistan serait retourné à ses vieux démons : ceux des « seigneurs de la guerre », des tribus rebelles et des conflits ethniques. Or cette vision, qui fait quelque peu partie du sens commun sur un pays brièvement très médiatisé, n'est pas corroborée par une analyse de l'histoire du XXe siècle. Aucun Afghan ne conteste aujourd'hui le fait de l'État central ; mais l'État afghan reste très tributaire de l'aide internationale, et l'accroissement spectaculaire du trafic de drogue peut bouleverser la donne, en créant une masse de ressources en dehors du contrôle de l'État, et qui pourrait, dès 2005, dépasser le budget de l'État.
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