Contenu du sommaire : Musique et relations internationales - I
Revue | Relations internationales |
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Numéro | no 155, octobre-décembre 2013 |
Titre du numéro | Musique et relations internationales - I |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Introduction - Antoine Marès, Anaïs Fléchet p. 3-9
- La circulation des opéras en Europe au xixe siècle - Christophe Charle p. 11-31 Une certaine vulgate oppose en général le cosmopolitisme d'un premier xixe siècle à un nationalisme plus exclusif du second XIXe siècle. Ces deux mouvements existent incontestablement mais ils cohabitent en permanence et se nourrissent réciproquement. La première partie du XIXe siècle est marquée par un condominium franco-italien peu à peu contesté par l'apparition de nouveaux opéras nationaux. Mais ceux-ci, allemands et russes principalement, ne s'imposent que lentement hors de leurs sphères linguistiques respectives à la fin du XIXe siècle. C'est pourquoi on pourrait parler aussi bien d'une européanisation fin-de-siècle qu'à l'inverse, d'une fermeture linguistique exclusiviste dans le premier XIXe siècle. En même temps, l'opéra européen s'exporte plus largement dans de nouveaux pays, qu'ils soient en Europe, stricto sensu, ou de plus en plus hors d'Europe. À la veille de la guerre toutefois, le basculement sud/nord n'est que partiel, le rééquilibrage est/ouest à peine entamé, tandis que les mondes anglophone et hispanophone restent des continents lyriques à part, tournés vers leurs empires linguistiques respectifs et moins européens que jamais.Circulation of Operas in Europe during the XIXth century
The dominant interpretation of 19th century cultural history opposes the early part of the century – alleged to be more cosmopolitan – to the later part which is presented as more national-oriented. In reality, these two trends existed simultaneously. During the early 19th century, international operatic circulations were placed under the control of a Franco-Italian condominium. Yet the later was progressively championed by the emergence of new national opera traditions in Germany and in the Slavic world. At the end of the 19th century, German and Russian operas conquered an international audience, even in the Western part of Europe. This movement can be interpreted as an Europeanization of the fin-de-siècle opera world. Simultaneously, European (mainly French, Italian and German) operas were increasingly exported in new countries within Europe or overseas to America and Japan. On the eve of World War I, the new balance between South and North and between the East-West movements had partially transformed the European operatic landscape. Anglophone and Spanish-speaking countries remained nevertheless isolated lyrical continents, linked to their respective linguistic empires, and less European than ever. - Le (petit) monde de Weimar et d'ailleurs : le réseau européen des élèves de Liszt - Bruno Moysan p. 33-45 Liszt est une figure européenne depuis sa tournée virtuose de 1839-1847 jusqu'à sa vie dite « trifurquée » entre Rome, Weimar et Budapest à partir de 1869. Cette dimension européenne lui vaudra sa part de déchirement et de souffrance. Son gendre Émile Ollivier, l'homme de l'Empire libéral, est celui qui déclare la guerre à la Prusse alors que parallèlement ses deux autres gendres successifs, Hans von Bülow et Wagner, sont allemands et, au moins pour le dernier, ne cachent pas leurs sentiments fortement anti-français. Enfin, le grand pédagogue qu'il sera toute sa vie voit venir, à Weimar notamment, à partir des années 1850 et ce jusqu'à la fin de sa vie, des élèves de toute l'Europe et même des États-Unis. Comment, donc, se négocient dans cette vie de roman les relations entre la musique et la géopolitique romantique d'une Europe qui voit les nations s'éveiller ?Weimar's small world. The European network of Liszt's students
Liszt became a European figure at the time of the virtuosic tour he accomplished from 1839 to 1847. From 1869, he led a tri-polarized life, living in Roma, Vienna and Budapest. This European career also came with its load of suffering and bitterness, particularly after 1870. His son-in-law Émile Ollivier, the man who embodied the Liberal Empire of Napoleon III, launched the war against Prussia while his two other sons-in-law, Hans von Bülow and Richard Wagner, were both German and openly anti-French. As he was a great professor, Liszt was in contact with students and disciples from all over Europe and the USA during his entire life, especially in Weimar and after the 1850s. At a time of rising nationalisms, what can be said about the exact nature of the relationship between romantic music and romantic geopolitics in Europe? - Musiques militaires et relations internationales de 1850 à 1914 : le cas français - Patrick Péronnet p. 47-60 Outils liés au pouvoir politique et instruments ostentatoires de la puissance de l'État, les musiques militaires mènent, dans les années 1850-1914, un véritable combat sur le front diplomatico-musical. Objets facilement repérables dans l'interface qu'elles représentent entre le pouvoir et l'image qu'il donne de lui-même, ces « musiques officielles d'État » sont instrumentalisées à la fois dans les recherches d'alliance ou la démonstration d'inimitiés entre nations. Le cas français, incarné par la Musique des Guides et celle de la Garde républicaine, est d'autant plus intéressant qu'entre diplomatie et affrontements musicaux, tout est sujet à l'exaltation du complexe de supériorité de la nation.French military bands and international relations from 1850 to 1914From 1850 to 1914, military bands were conspicuously used as tools by political authorities to represent the power of the State, as they fought both at a diplomatic and a musical level. These “official State bands” can easily be identified as they forged links between power and the image of power. They were used when the State was looking for new alliances but also when it opened hostilities against other countries. The “Musique des Guides” and the “Garde Républicaine” illustrate the French case, which is particularly interesting because both the use of diplomacy and of musical confrontations were about intensifying the superiority complex of the nation.
- Musiciens brancardiers en 1914-1918. Trois témoignages - Sophie-Anne Leterrier p. 61-74 Les guerres sont par définition des moments de confrontation internationale. Bien souvent, les arts sont alors instrumentalisés au service d'une idéologie, que les artistes le veuillent ou non. C'est du moins ce qui frappe quand on approche la scène guerrière depuis les capitales, ou à travers les déclarations des acteurs les plus en vue. Mais qu'en est-il des anonymes ? Pour les musiciens du rang, la guerre de 1914-1918 a-t-elle été l'occasion de confronter des répertoires, de les « épurer » ? Comment ont-ils vécu et pratiqué leur art ? Comment la musique a-t-elle été engagée dans le conflit ? Dans quelle mesure a-t-elle pu surpasser les rivalités nationales ? Ce sont les questions que se propose d'aborder cet article.Three testimonies of anonymous musicians in the Great War
Wars are periods of international confrontation. During wartime, arts are often submitted to ideologies, with or without the artist's consent. This seems to be the case when looking at the warfront from capital cities or from the viewpoint of celebrity artists. But what did anonymous musicians feel, how did they express their own views? For regimental musicians during the Great War, what did fighting mean? Was it an opportunity for them to confront programs, to exclude some composers on racial or national criteria? How did they live and practice their art during the conflict? To what extent was music able to surpass national oppositions? These are the issues which will be tackled in this article. - Le Théâtre municipal de Strasbourg entre guerre et paix, 1918-1944 - Sandrine Nikolic-Fuss p. 75-88 La position géographique de la ville de Strasbourg sur les bords du Rhin lui confère tout au long de son histoire un statut spécial. La ville change à quatre reprises de nationalité entre 1870 et 1944. Chaque changement de gouvernement s'accompagne d'une nouvelle politique culturelle. Au théâtre municipal, la période de l'entre-deux-guerres se caractérise par un face à face des représentations « françaises » et « allemandes ». Les spectateurs se distinguent par leur francophilie ou leur germanophilie. La Deuxième Guerre mondiale se définit tout particulièrement par sa politique anti-française et une germanisation poussée à outrance. Comment ces changements radicaux de gouvernement et de politique nationale se définissent-ils au niveau culturel ? Nous présenterons une analyse comparative à travers le programme musical du théâtre comme vecteur de la politique culturelle et le comportement des spectateurs comme sa résultante.The municipal theatre of Strasbourg between war and peace (1918-1944)Strasbourg's geographic location on the banks of the Rhine River has given it a particular historical status. Between 1870 and 1944, Strasbourg citizens changed their nationality on four occasions. Each national change was followed by a new cultural policy. The interwar era was characterized by an antagonism between “French” and “German” performances. The audience were classified according to their “Frenchness” or “Germanness”. The Second World War period was defined by an outrageous anti-French policy. How did these radical national political changes affect cultural policies? This articles offers a comparative analysis based on the musical programmes of the theatre. It will demonstrate how these programmes reflected cultural policies and affected the attitudes of the audiences.
- La musique à la Société des Nations - Christiane Sibille p. 89-102 La Société des Nations a accordé beaucoup d'attention aux relations culturelles. Alors que les délégués japonais jouent un rôle important dans le domaine de la coopération culturelle au Secrétariat de Genève, le gouvernement français finance un Institut de coopération intellectuelle à Paris, qui donne le premier rôle à la culture française dans le monde. Au sein de ce réseau institutionnel transculturel, on réfléchit au rôle de la culture dans le développement de la compréhension mutuelle pacifique. Parmi les multiples projets présentés, les États membres, les organisations et les experts se sont particulièrement intéressés aux expressions culturelles non-textuelles. Mais, comparé aux arts plastiques, la musique est restée un sujet mineur et les résultats de la SDN dans ce domaine furent modestes et peu spectaculaires. Cet article examine les tensions entre la musique en tant qu'expression culturelle de la propagande nationaliste, et les ajustements jugés nécessaires pour en faire un usage global. Trois questions surtout sont traitées ici : de quel genre de musique parle-t-on au sous-comité des Arts et des Lettres ? Quels musiciens le sous-comité choisit-il pour conduire ses projets ? Que nous apprennent ces choix de musiques et de musiciens sur l'idée qu'on se fait en général de la musique et de la culture, particulièrement dans le milieu international de la SDN ?Music and the League of Nations
The League of Nations valued cultural relations. While Japanese delegates played an important role in intellectual cooperation at the Geneva secretariat, the French government financed an Institute for Intellectual Cooperation in Paris, addressing the leading role of French culture worldwide. Within this transcultural institutional framework, various projects discussed the role of culture for peaceful mutual understanding. Within multilayered claims, non-textual expressions of culture called the attention of the participating states, organizations and experts. Compared to fine arts, music was a minor problem and the League's results remained modest and unspectacular in this field. Presenting ambivalent tensions between music as an expression of culture available to nationalist propaganda and the adjustments needed for its global use, the article focuses on three questions: First, which kind of music was discussed within the Subcommittee of Arts and Letters? Second, who were the players the Subcommittee chose to conduct specific projects? Third, which conclusions can be drawn from this selection of music and players about the idea of music and the idea of culture in general, especially in the context of the international environment of the League of Nations? - « Formons un ch?ur aux innombrables voix... » : hymnes et chants pour la paix soumis à la Société des Nations - Carl Bouchard p. 103-120 Les hymnes et les chants pour la paix soumis à la Société des Nations dans les deux décennies qui suivent la Grande Guerre visent, comme les projets de drapeaux qu'envoient les citoyens, à doter symboliquement l'organisation internationale d'une identité face aux États, qui définirait sa nature et ses fonctions. Ils témoignent en outre de la façon dont les citoyens ordinaires pensent la paix et se la représentent au lendemain du terrible conflit mondial. Fondé sur l'analyse d'une trentaine de pièces envoyées à la SDN, cet article examine les arguments mis en avant par les citoyens pour justifier la création d'un hymne, le rapport ambigu que ces œuvres entretiennent avec le nationalisme et l'internationalisme, et la tension récurrente entre leur prétention universaliste et les tropes culturels et religieux qu'ils recèlent. L'article défend finalement l'idée que, outre l'accent placé sur l'unité du genre humain, le traumatisme de la Grande Guerre agit comme un point d'ancrage identitaire, la souffrance partagée devenant le lien qui unit les peuples formant la communauté humaine.« A Choir of Countless Voices... »: Hymns and Peace Songs Sent to the League of Nations
Hymns and peace songs sent by citizens to the League of Nations (LoN) after the Great War, intended (as did flag proposals) to provide the organization with a symbolic identity that would define its nature and goals. The goal was that the identity of the LoN's would emerge as being independent from the identities of individual member states. These proposals reveal ordinary citizens' conceptions and representations of world peace in the aftermath of the war. Based on a sample of thirty hymns and peace songs sent to the LoN, this article exposes how citizens justified the need for a LoN hymn. It also questions the ambiguous relationship between nationalism and internationalism in many peace hymns, as well as it examines the recurrent tension between the hymns' universalist ambition and their cultural and religious tropes. Aside from the emphasis on the oneness of mankind, the shared traumatic experiences and the sufferings during the war were used in peace hymns as a key marker of identity. - Notes de lecture - p. 127-141