Contenu du sommaire : Histoire du travail
Revue | Annales. Histoire, Sciences Sociales |
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Numéro | vol. 65, no 3, juin 2010 |
Titre du numéro | Histoire du travail |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Identités sociales et communautés
- Travail, mobilité et légitimité : Suppliques au roi dans une société d'Ancien Régime (Turin, XVIIIe siècle) - Simona Cerutti p. 571-611 Aux travailleurs salariés est réservée une position marginale dans la classification sociale des villes d'Ancien Régime, qui est justifiée moins par le caractère « vil » du travail matériel que par leur prétendue extranéité à la vie urbaine. Cet article interroge les fondements de cette classification, en s'appuyant sur une source particulière : des centaines de suppliques que des artisans de l'État savoyard adressèrent au roi, pendant le XVIIIe siècle, pour lui demander le privilège d'exercer leur métier sans pour autant présenter les réquisits nécessaires. Les informations contenues dans la source ouvrent la voie à une recherche plus vaste, faisant ressortir notamment une des principales fonctions remplies par les corps de métier, à savoir la recherche, pour ses propres membres, d'une « bonne mesure » de la mobilité qui permette à la fois des formes de coordination sociale et de sauvegarde d'espace de mouvement individuel. Après la reconstitution de ce contexte de la mobilité, l'article revient aux textes, pour analyser sous un jour nouveau les thèmes apparemment figés de la « forme supplique ». Cette analyse permet d'interroger à nouveaux frais les contenus de la communication entre sujets et autorité politique, et de questionner la pertinence des catégories de « clientélisme » et de « paternalisme ».Work, mobility and legitimacy : Petitions to the king in an Old Regime society (Turin, 18th century) Salaried workers had a marginal position in Old Regime urban societies, that was less justified on the “vile” character of their manual labour than on their supposed foreignness to the life of the city. This article reexamines the principles of such a social classification through the analysis of a particular source : the hundreds of petitions that artisans sent to the king of Savoy throughout the 18th century, to ask for the privilege of practicing their trade even though they did not meet all the necessary criteria. The information found in this source open large venues of research, especially on one of the main functions of guilds, that is regulating mobility so that a “right balance” would be struck between social coordination and individual freedom of movement. After reconstituting this context of mobility, the article then can reexamine the supposedly fixed themes of petitions as a form, and thus shed new light what content got transmitted between subjects and political authorities. In this process, it puts into question the usefulness of such categories as “clientele” and “paternalism”.
- Un « saint de nouvelle fabrique » : Le diacre Paris (1690-1727), le jansénisme et la bonneterie parisienne - Nicolas Lyon-Caen p. 613-642 Le religieux est étroitement inséré dans des conflits du travail qu'il contribue à modifier. La porosité des univers du travail et de la croyance fait que son expression ne diffère pas toujours du langage des corporations. C'est ce que met en évidence la construction du patrimoine hagiographique (récits et miracles) du diacre Paris, personnalité centrale du jansénisme du XVIIIe siècle, à l'aune de son engagement dans l'artisanat du bas. Son geste, pénitentiel, est interprété diversement après sa mort par les acteurs de la bonneterie, secteur alors en plein bouleversement : le corps des marchands bonnetiers absorbe en effet deux corporations d'artisans moins bien considérées. Le charisme du diacre donne lieu à plusieurs formes d'intervention. Compris par les plus humbles comme un saint ouvrier quand les élites travaillent à sortir de ses biographies imprimées cet épisode de travail manuel, Paris exerce un attrait particulier sur les marchands issus directement de l'artisanat : sa sainteté leur permet de proposer dans un langage corporel une version « consensuelle » de la réunion des métiers.A saint for a changing trade : Deacon Paris (1690-1727), Jansenism, and Parisian hosiery Religious belief was thus intricately mixed into the conflicts of labour, which it contributed to modify. The language of the religious and that of the guilds have did not always differed, whilst the eighteenth-century worlds of labour and belief interacted. The construction of Deacon Paris's hagiographic patrimony, made of narratives and miracles, is a clear example of that. Deacon Paris, a central personality of Jansenism during the eighteenth century, committed himself to the craft of hosiery. This gesture, understood as an act of penitence, was diversely interpreted after his death, as the hosiers' trade was being transformed–the merchants' guild merging with two lowlier craftmen's. In this context, Deacon Paris's charisma could be used in several ways : as the most humble depicted him as a working saint, the elite tended to exclude any reference to manual labour from printed biographies. Paris thus exerted a particular attraction on the merchants with origins in the crafts : his sanctity offered them a means to set up a “consensual” version of the trades' union in a bodily language of labour.
- Travail, mobilité et légitimité : Suppliques au roi dans une société d'Ancien Régime (Turin, XVIIIe siècle) - Simona Cerutti p. 571-611
Professionnalisation et savoirs techniques
- Le travail de la routine : autour d'une controverse sociotechnique dans la boulangerie française du XIXe siècle - François Jarrige p. 645-677 Au XIXe siècle, le travail des boulangers est pris dans la tension permanente entre le rêve industrialiste des ingénieurs et des hygiénistes et la défense des savoirs pratiques des hommes du métier. De nombreux efforts sont tentés pour mécaniser le travail du pétrissage considéré comme insalubre et dangereux. Mais ils furent largement infructueux avant 1914, l'essentiel du métier considérant la mécanisation comme impraticable. Dans ce secteur, les controverses qui accompagnent les mutations du travail se disent d'abord dans le langage de la routine. Savoir de haute valeur pour les hommes du métier, les routines incarnent au contraire, pour les savants et les industriels, l'archaïsme d'une profession arriérée. Le terme sert de plus en plus à disqualifier une activité jugée insalubre et dangereuse. À l'inverse de tout déterminisme technique, les controverses autour de la mécanisation du pétrissage montrent comment, pour s'imposer, l'innovation doit au préalable disqualifier les pratiques de travail antérieures pour se construire un environnement social et culturel favorable.The routine : A sociotechnical controversy in the French bakers' trade in the 19th century During the nineteenth century, attempts were made to bring the baking profession trade into the industrial age, triggering a conflict between industrialism and the defense of the practical knowledges of workers. Traditional work was considered unhealthy and dangerous, and numerous efforts are made to introduce machines for kneading. But they were never widely adopted before 1914, being judged impractical by bakery owners. The controversies that accompanied the transformations of work used the language of the routine. If the routines was a knowledge of high value for workers, it symbolizeds on the contrary, for scientists and industrialists, the archaism of an old trade. The word was more and more used to discredit an activity considered as unhealthy and dangerous. Against any technical determinism, this article tries to find a way to rethink how technical change needs to construct its own social and cultural environment before it can be adopted.
- La disparition du barbier chirurgien : Analyse d'une mutation professionnelle au XVIIIe siècle - Christelle Rabier p. 679-711 Le métier de chirurgien connaît de profonds bouleversements au XVIIIe siècle, qui ont été interprétés comme un « essor » ou une « professionnalisation » réalisés au terme de l'exclusion des barbiers de la pratique de la chirurgie. En étudiant conjointement les corporations de Paris et de Londres, l'article se propose d'étudier la définition du métier de praticien de la chirurgie en analysant les modalités par lesquelles les chirurgiens se sont arrogés un champ de compétence propre, à l'exclusion d'autres corps de métier, comme les barbiers ou les médecins. Ce faisant, il indique comment la compétence chirurgicale s'est trouvée partagée au début de l'époque moderne entre barbiers et chirurgiens, puis met en évidence les causes de la distinction professionnelle, causes à la fois économiques et politiques, qui façonnent une nouvelle identité professionnelle, savante, se plaçant au service des empires.The extinction of barber-surgeons : Analysis of a professional mutation in the 18th century The surgeon's craft underwent deep changes during the Enlightenment : they have been interpreted as a “rise” or a “professionalization”, completed when barbers were definitely excluded from the practice of surgery. Considering the guilds in both Paris and London, this article analyses the ways by which surgeons conquered their own field of expertise, excluding barbers and physicians, and thus redefined their own occupation. In doing so, it establishes how surgical competence was shared by barbers and surgeons in the early modern period, and uncovers the factors of the occupational distinction, ranging from the economic to the political, which fashioned a new professional learned identity, placing itself in the service of empires.
- Le travail de la routine : autour d'une controverse sociotechnique dans la boulangerie française du XIXe siècle - François Jarrige p. 645-677
Travail et création
- Le travail intellectuel : travail et philosophie, XVIIe-XIXe siècle - Dinah Ribard p. 715-742 L'histoire du travail, y compris lorsqu'elle s'intéresse aux élaborations écrites des travailleurs sur leur expérience ou lorsqu'elle réfléchit à la production du concept de travail, et l'histoire des professions intellectuelles, des savoirs ou des disciplines, qui tend à être une histoire du travail intellectuel, ne se rencontrent guère. Le propos de cet article est de réduire cet écart entre deux usages historiens du même terme – travail – en faisant jouer ensemble des sources sur la mise en œuvre politique et réglementaire du travail intellectuel comme travail, sur la transformation de la pensée du travail vécu comme travail intellectuel, et sur la production de formes de travail intellectuel qui se donnent pour objet le travail des autres, voulu le plus simple possible. Des tailleurs qui produisent dans les années 1830 une « science des tailleurs » bien plus strictement professionnelle que celle que propose le plus ancien livre de patrons encore lu par eux (1670), l'association dans les années 1770 d'un marchand de vernis et d'un avocat auteur d'un projet de mont-de-piété dans un même travail intellectuel sur le travail des autres, des règlements royaux et des recueils commentés de documents issus des mondes artisans datant du XVIIIe siècle : ces sources, prises ensemble, montrent la socialisation des processus de structuration par le travail de la société française entre fin de l'Ancien Régime et début du XIXe siècle.On the history of intellectual labour, 17th-19th century The fields of the history of labour (even when it takes into account testimonies written by workers about their experience or analyses the production of the concept of work), and of the social history of intellectual professions, of knowledge or of disciplines, are rather strictly separated. In order to inscribe the history of intellectual labor into labor history, this article studies together a wide array of sources on the regulation of intellectual labour as work, on the conceptualisation of work as intellectual labour, and on the production of intellectual work on the work of others : treatises tailors wrote about their own work as a science in the 1830s ; theoretical writings on the labour of others co-authored in the 1770s by a varnish producer and a lawyer interested in pawnbroking ; documents about artisan work collected by magistrates. Taken together, those sources show the socialization of the conceptualization of work in at the end of the Old Regime and the early 19th century.
- Le travail à l'oeuvre : Enquête sur l'autorité contingente du créateur dans l'art lyrique - Pierre-Michel Menger p. 743-786 Rompue à l'analyse du travail, de l'emploi, des professions et des organisations, la sociologie qui explore les arts convainc beaucoup moins dans l'étude d'œuvres spécifiques. Traiter l'œuvre comme le résultat d'un processus peut permettre d'aller plus loin, grâce à l'examen des facteurs de variabilité qui lui impriment ses caractéristiques. En aval de la production de l'œuvre, la variabilité tient à sa réception, ses mises en forme éditoriales et ses interprétations. Mais elle est aussi logée au cœur du travail : ses multiples produits intermédiaires – esquisses, brouillons, ajustements de circonstance et révisions définitives – font entrevoir le cours incertain de l'invention. Comment relier les deux versants ? Cet article propose un cadre théorique et l'applique à la production lyrique, à partir d'études de cas (opéras de Verdi, Moussorgsky, Puccini, Berg). Il montre que les œuvres du répertoire ne peuvent délivrer un flux indéfini de services esthétiques, de revenus financiers et de connaissances savantes, et se transformer ainsi en biens intermédiaires durables, que si elles demeurent sujettes à d'incessantes interventions.Work in progress : Investigation on the contingent authority of the creator in opera Sociology has much to offer with regard to work, employment, careers, occupations, and organizations in the arts, but is far less convicing when it comes to elucidating specific works. One possible avenue is to see them as the outcome of a process, with high variability as its built-in characteristic. Variability occurs downstream, to the extent that a work attracts contrasting readings, publications and performances. Yet variability may also be tracked upstream, inside the working process : its multiple intermediary outcomes–sketches, drafts, contingent and definitive revisions–may provide access to the uncertain course of invention. How do downstream and upstream variability relate ? This paper focuses on operatic production and case studies (operas by Verdi, Moussorgsky, Puccini, Berg) and shows that works entering the canonical repertoire have been able to deliver an indefinite flow of aesthetic, financial and scholarly services, thus becoming durable intermediary goods, only by remaining subject to ceaseless interventions.
- Travailler plus pour consommer plus : Désir de consommer et essor du capitalisme, du XVIIe siècle à nos jours - Jean-Yves Grenier p. 787-798 Dans un livre marquant – The industrious revolution : Consumer behavior and the household economy, 1650 to the present – Jan de Vries s'intéresse aux transformations économiques qui précédent précèdent la Révolution industrielle. L'originalité de ce livre est d'expliquer l'intensification du travail observée au XVIIIe siècle non pas comme le résultat d'une contrainte (démographique ou sociale) mais d'un nouveau désir de consommer qui apparaît à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle. Cet éclairage très argumenté des débuts de la Révolution industrielle, mais aussi de notre modernité orientée par les phénomènes de consommation, appelle au débat. Cet article examine en détail la logique de l'argumentation proposée et il met en évidence la signification économique mais aussi politique qui est attribuée à la consommation.Working more to consume more : Consumer desire and the expansion of capitalism since the 17th century Jan de Vries's recent book– The industrious revolution : Consumer behavior and the household economy, 1650 to the present–focuses on the economic transformations that preceded the Industrial Revolution. The originality of this book lies in explaining how the intensification of labour observed in the eighteenth century was not the result of any constraint, demographic or social, but of a new kind of consumer desire that seems to have appeared in the first part of that century. This new and strongly documented interpretation of the beginnings of the Industrial Revolution, and of our consumer-oriented modernity, calls for debate. This article discusses in details the logic of this argumentation and shows the economic and political meaning attributed to consumption.
- Le travail intellectuel : travail et philosophie, XVIIe-XIXe siècle - Dinah Ribard p. 715-742
COMPTES RENDUS
- Comptes rendus. Travail - p. 801-862