Contenu du sommaire : L' informatique au travail
Revue | Actes de la recherche en sciences sociales |
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Numéro | no 134, septembre 2000 |
Titre du numéro | L' informatique au travail |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
L' informatique au travail
- L'informatique comme pratique et comme croyance. - Michel Gollac
- L'ordinateur, outil de travail et bien culturel. - Michel Cézard L'ordinateur, outil de travail et bien culturel Son ubiquité et sa valorisation symbolique distinguent l'informatique de la plupart des technologies utilisées dans la vie professionnelle, et la rapprochent de pratiques culturelles légitimes ou « moyennes ». Les principes de sélection des utilisateurs d'ordinateurs au travail évoquent ceux observés pour de telles pratiques culturelles. La diffusion très rapide de l'informatique ne s'est pas traduite par une uniformisation des probabilités d'accès. L'utilisation de l'ordinateur matérialise les différentes formes de la division du travail. Les professions les mieux rémunérées, celles dont la main-d'œuvre est la plus stable et qui recrutent les salariés les plus diplômés, sont les plus informatisées. Les révolutions technologiques successives que connaît l'informatique créent de nouvelles formes de sélection qui contrebalancent les effets de la divulgation des outils les plus anciens. Elles introduisent cependant des logiques de diffusion un peu différentes, bien qu'aussi distinctives, comme on le voit dans le cas d'Internet. Enfin, la maîtrise que l'utilisateur a de l'informatique dépend aussi de sa place dans l'organisation du travail et de son capital culturel personnel. L'outil matérialise l'organisation globale du travail plus qu'il ne permet de s'y soustraire.
- Flexibilité assistée par ordinateur. - Sophie Prunier-Poulmaire
- Les travailleurs de la preuve sur Internet. - Claude Rosental Les travailleurs de la preuve sur Internet À l'aube du XXIe siècle, le développement d'Internet conduit à une évolution limitée des modes de fonctionnement de la recherche et des dynamiques d'établissement du crédit dans le monde savant. Une analyse des usages d'un forum électronique dans les années 90 montre que ce réseau offre de nouvelles médiations pour accroître le régime des échanges et la circulation des informations, et pour produire de nouvelles mises en rapport des textes ainsi que de leurs auteurs. Un forum électronique peut non seulement servir de bulletin de liaison pour un groupe de recherche spécialisée, mais il autorise également de nouvelles formes de production de savoirs en son sein. Il rend possible la rédaction de textes collectifs inédits et une accélération des processus de validation des énoncés. Il permet aussi de nouvelles mises en face à face d'acteurs qui sinon ne se retrouveraient pas en situation de dialogue, du moins apparent. Pour autant, il n'aplanit pas systématiquement les différences entre les niveaux de ressources dont sont dotés les protagonistes pour l'emporter dans les débats. Ainsi, face à un magma de démonstrations produit au fil de discussions, l'usage par certaines coalitions de dispositifs procurant plus de visibilité à certains écrits qu'à d'autres est à même de contribuer à produire des points de vue dominants et de renforcer la structure de répartition du crédit alloué aux énoncés et aux auteurs.Validation on the Internet At the dawn of the twenty-first century, expansion of the Internet is leading to a limited evolution in the way research functions and credit is established among academics and scholars. Analysis of the uses of newsgroups in the 1990s indicates that this network provides new kinds of mediation for increasing the speed at which information is exchanged and circulated, and for creating new relationships between not only texts but their authors as well. While a newsgroup can serve as a newsletter for a specialized research group, it also fosters new forms of knowledge-production within the network. It makes it possible to produce collective texts without a publisher and speeds up the process of validating utterances. It also brings actors face to face who would otherwise never have entered into dialogue. Yet it does not systematically reduce the differences between the level of resources available to different protagonists which enable them to prevail in the debate. Thus confronted with a magma of demonstrations produced in the course of discussions, the use by certain coalitions of devices to enhance the visibility of their own texts favors the production of dominant points of view and reinforces the structures that distribute the credit accorded to utterances and authors.
- La volatilité des postes. - Olivier Godechot La volatilité des postes Après avoir replacé dans son contexte historique et international l'informatisation des marchés financiers, les auteurs s'attachent à comprendre certains de ses effets dans deux sites d'enquête. Dans la salle de marché d'une grande banque parisienne, l'histoire locale, l'organisation du travail, l'usage et la maîtrise de l'informatique dessinent des oppositions à la fois symboliques et économiques entre deux groupes : les ingénieurs (ingénieurs recherche et développement et ingénieurs financiers) et les traders. Malgré une plus grande expertise technique, les ingénieurs, jugés moins importants dans l'accumulation du profit, sont moins rémunérés que les traders qui, arrivés les premiers, détiennent le pouvoir dans la salle, et partant, les clés de la répartition des primes. L'enquête sur le MATIF (Marché à terme international de France) localisé de 1986 à 1998 au Palais Brongniart montre que ces marchés, nés à la suite d'innovations théoriques (les produits dérivés) appliqués aux marchés financiers grâce à l'informatique, ont procuré pendant quelques années des bénéfices sociaux et financiers à certaines populations d'outsiders... mais qu'une nouvelle avancée de l'innovation informatique a fait disparaître ce monde en quelques semaines. Les auteurs proposent la notion de volatilité des postes sous laquelle sont subsumes le cycle des opportunités professionnelles, l'instabilité et l'imprévisibilité des compétences requises et des attributions offertes et l'absence de pérennité des postes.Job volatility After having situated computerization of the financial markets in its historical and international contexts, the authors attempt to understand some of the effects produced by this change in two places. In the dealing room of a large Paris bank, local history, the organization of work, and the use and mastery of computers indicate a symbolic and economic dividing line between two groups : engineers (R&D engineers and financial consultants) and traders. Despite their greater technical expertise, engineers are felt to be less important to the accumulation of profit and therefore are paid less than traders, who, first on the scene, hold the power in the dealing room and thus the keys to the bonus system. A study of the MATIF (France's international future market), housed from 1986 to 1998 at the Palais Brongniart, shows that these markets, spawned by theoretical innovations (derivatives) made possible by computers, for several years rewarded certain outsider groups with social and financial gains which were wiped out within the space of a few weeks by a new advance in computing technology. The authors suggest the notion of «job volatility », which covers the cycle of professional opportunities, the instability and unpredictability of the skills needed and the attributions offered, and the lack of job stability.
- Qui fait quoi ? Anne-France de Saint Laurent quoi ? - Anne-France de Saint Laurent Qui fait quoi? L'arrivée de l'informatique modifie les pratiques de travail et tend à bouleverser les formes sociales de la division du travail. Cet article s'appuie sur une analyse des pratiques quotidiennes de travail à Ouest France, pour montrer comment, en dépit de la volonté de la direction de rapprocher les métiers, les salariés vont reconstruire les cloisonnements professionnels. Les ouvriers du livre vont développer des compétences liées à la maîtrise du dispositif informatique. Ils revendiquent ainsi la volonté de rester les seuls garants d'une qualité professionnelle inscrite dans la culture des métiers des « professionnels du livre ». Ils recherchent également à sauvegarder leur métier quel que soit l'outil pour l'exercer. En revanche, les journalistes, qui associent à l'idéal de compétence la dimension intellectuelle de leur métier et non sa dimension technique, refusent d'acquérir des savoir-faire liés à l'usage de l'informatique.Who does what ? Computers alter work habits and tend to deeply modify the social forms of the division of labor. The present article is based on an analysis of the everyday work habits at the French regional newspaper, Ouest France, and shows how, despite efforts on the part of management to break down barriers between the trades, the employees built them back up again. The book-trade workers developed skills associated with the mastery of computers, demonstrating their desire to remain the sole custodians of a professional quality embodied in the culture of the book trades. They were also seeking to preserve their trades whatever the tools needed to exercise them. The journalists, on the other hand, who associated the ideal of skill with the intellectual dimension of their occupation and not its technical dimension, refused to acquire the know-how connected with computer use.
- Les secrétaires et la nouvelle économie des bureaux. - Josiane Pinto
- Information et production numérique. - Eric Klinenberg Information et production numérique Le discours dominant sur les transformations du journalisme sous l'effet de la diffusion des nouvelles technologies met en avant le développement d'un réseau international, la transparence, l'autonomie professionnelle accrue dans l'exercice du métier et interprète ces phénomènes comme autant de progrès favorisés par l'éclatement des cadres spatio-temporels traditionnels. Une enquête ethnographique à la Metro News, groupe de média américain qui a adopté sur une large échelle les nouveaux moyens de production et diffusion de l'information, fait apparaître des tendances radicalement inverses, malheureusement rarement soulignées par les sociologues qui ont il est vrai souvent délaissé la recherche empirique sur le journalisme. Si les structures temporelles des journalistes se modifient, c'est d'abord parce que la pression du temps s'est généralisée et systématisée à tous les secteurs de leur activité. Loin de favoriser l'élargissement des perspectives mentales, les possibilités techniques nouvelles contribuent au contraire au renforcement de la fragmentation communautaire de la société américaine, à la restriction de l'information à des intérêts locaux et spécifiques aux communautés, et s'accompagnent d'une subordination toujours plus grande aux contraintes omniprésentes du marché.News and digital production The dominant discourse on the changes in journalism brought about by new technologies stresses the creation of an international network, transparency, increased professional autonomy; it interprets these phenomena as progress prompted by the explosion of the traditional spatial and temporal frameworks. An ethnographic study conducted at Metro News, the American media group that adopted new techniques of news production and diffusion on a large scale, shows radically contrasting tendencies, unfortunately rarely underscored by sociologists, who have it is true often shunned empirical research on journalism. If journalists' temporal structures are changing, it is first of all due to generalized pressures on their time that have become systematic in all areas of their activity. Far from favoring a broader mental outlook, however, the new technical possibilities only add to the break- up of American society, to the narrowing of news coverage to local interests specific to small communities ; this is, accompanied by growing subordination to the omnipresent, constraints of the market.
- Une génération d'autodidactes. - François Bonvin Une génération d'autodidactes Outil de rationalisation du travail pour les cadres et, plus généralement, pour tous ceux qui peuvent jouer avec la multipositionnalité de leur identité professionnelle, la micro-informatique a pu être perçue au contraire par les salariés les plus dominés comme un instrument ambivalent pouvant selon les cas contri- buer à la reconnaissance de compétences non consacrées ou à des conduites d'auto-exploitation d'autant plus tentantes qu'elles étaient la condition de reclassements professionnels importants. Pour les utilisateurs qui occupent un emploi subalterne, jouissant de peu d'autonomie, l'informatique représente en effet un « plus » qui leur permet de mettre en valeur des caractéristiques biographiques liées à un parcours scolaire, une histoire familiale, des expériences professionnelles, ensemble de caractéristiques certes singulières mais ayant en commun d'être distinctives par rapport aux propriétés de ceux qui occupent des postes équivalents, et qui sont au principe de qualifications utilisables. Sa diffusion principalement par l'intermédiaire du monde du travail apparaît comme une conjoncture dans laquelle ces propriétés, jusque-là invisibles ou considérées comme inutiles, deviennent pertinentes et peuvent de ce fait se transformer en qualités professionnelles. Pour cette génération confrontée à son apprentissage à l'âge adulte, elle a été l'occasion de la cristallisation d'une compétence réelle qui n'avait pas trouvé à s'employer ou qui avait pu passer totalement inaperçue.