Contenu du sommaire : Les langues de bois
Revue | Hermès (Cognition, Communication, Politique) |
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Numéro | no 58, 2010 |
Titre du numéro | Les langues de bois |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Introduction - Joanna Nowicki, Michaël Oustinoff, Anne-Marie Chartier p. 9-12
I. Pérégrinations et avatars d'une métaphore
- Langues de bois d'hier et parler vrai d'aujourd'hui : de la « novlangue » aux « spin doctors » - Michaël Oustinoff p. 15-21 Le terme « langue de bois » est d'une extrême polysémie en français. Il n'en a pas toujours été ainsi : apparu dans les années 1980, le mot est un emprunt au russe, par l'intermédiaire, semble-t-il, du polonais, au moment des événements de Gdansk et du mouvement lancé par le syndicat Solidarność. Comment un terme servant à qualifier la langue d'un régime totalitaire, synonyme de novlangue orwellienne, en est-il venu à couvrir une si grande variété d'emplois, le rendant intraduisible ? L'explication se trouve chez Orwell : dans un article célèbre portant sur la langue de la politique, il soutient que la déformation de la vérité n'est pas l'apanage des régimes totalitaires. Aujourd'hui, l'heure est au « parler vrai » : mais force est de constater que ce n'est là, bien souvent, que le dernier avatar en date de la langue de bois.From Orwell's Newspeak to 21st Century Spin
The term « langue de bois » (literally « tongue of wood ») is highly polysemic in French and has no single translation in English. The term appeared in France in the 1980s as a borrowing from the Russian, possibly via Poland at the time of the events in Gdansk and the movement started by the Solidarność trade union. How did a term used to describe the language of a totalitarian state, coined by George Orwell as « newspeak », come to be used in so many different ways? Orwell himself provides the explanation: in a celebrated article on the language of politics, he argues that subverting the truth is not an exclusive mark of totalitarian regimes. Today, we have a form of expression known as « straight talk », which, when it comes out of the mouths of spin doctors, could well be seen as the latest incarnation of newspeak. - De l'insoutenable légèreté occidentale à l'égard de la notion de « langue de bois » - Joanna Nowicki p. 23-28 L'expression vient de l'Est. Elle s'est installée à l'Ouest en changeant de sens. En France, dans l'usage actuel, l'expression « langue de bois » désigne tout discours stéréotypé, simple code des échanges publics, et elle est souvent confondue avec « le politiquement correct ». Vu de l'est de l'Europe qui a connu les deux totalitarismes, cet affaiblissement sémantique éveille une forte réticence. L'expression « langue de bois » y a gardé une tout autre gravité et l'utilisation banalisée qui se pratique à l'Ouest dénote plutôt une incompréhension ou une ignorance de ce qu'est véritablement la langue de bois. Pour ceux qui l'ont combattue, il y a une différence de nature et non pas de degré entre la langue vive et la langue de bois, et c'est que nous voudrions illustrer brièvement, en rappelant la force des protestations à son égard, puis en essayant d'éclairer ce qui a été l'enjeu d'une telle protestation, en nous appuyant principalement sur l'exemple de la Pologne.On the Unbearable Lightness of the West Regarding « Doublespeak »The French expression « langue de bois » – literally « wooden language » but often referred to as « doublespeak » in English – originated in Eastern Europe. In its current usage in France, however, it has come to cover a range of meanings and refers to any kind of stereotyped discourse, serving as a mere code-word for public speaking, and is often confused with « politically correct ». In Eastern Europe, which has seen totalitarianism of two kinds, this semantic weakening is regarded with dismay. In these countries, the expression has lost none of its weight of meaning, and its offhand use in the West is perceived as equating with a lack of understanding and even ignorance of what it really means. To those who fought against it, there is a difference not only in degree but actually in nature between a living language and the « wooden language » of officialdom. This is what we would like to illustrate, briefly, first through the strength of the protests against it and secondly by attempting to shed some light on what the protest was really about, mainly through the example of Poland.
- De la rhétorique au « rhetoric » : petite histoire d'une grande ambivalence - Peter Brown p. 29-31
- La langue de bois : racines rhétoriques et ramures métaphoriques - Bernard Valade p. 33-39 Appréhendée à partir de son fonctionnement dans les régimes totalitaires, la « langue de bois » a été traitée comme une langue étrange, et étrangère aux sociétés démocratiques. En rapprochant ses procédés des figures de la rhétorique classiquement dessinées, elle perd quelque peu de sa singularité. Elle est liée, en fait, à des potentialités, des tendances, des dispositions de la « langue naturelle » – une permanente propension à métaphoriser, notamment – qu'elle exploite ou accentue, radicalise et pervertit. Les affinités que présente alors la langue de bois avec des pratiques langagières très courantes, tel le « politiquement correct », font voir en elle non plus un dialecte exotique, un parler vernaculaire, mais un mode de communication effectivement véhiculaire.Newspeak: Rooted in Rhetoric, Branching into Metaphor
Based on its functions in totalitarian regimes, the type of language George Orwell called « newspeak » has been treated as an oddity, a language foreign to democratic societies. However, when compared with the classic figures of rhetorical speech, its singularity begins to fade. It is related, in fact, to a potential, a tendency or a predisposition of « natural language » to create metaphor – a propensity that « newspeak » exploits, accentuates, radicalises and subverts. But the affinities that appear between this particular type of language and other very common forms, such as the language of « political correctness », suggest that rather than an exotic dialect, it is actually very much a kind of « lingua franca ». - Stéréotypie et langue de bois : comme un air de famille - Jean-Louis Dufays p. 41-46 Cet article prend d'abord appui sur différents exemples de phénomènes qui semblent susceptibles d'être qualifiés de « langue de bois » pour tenter de caractériser cette notion, qu'il oppose à celle de « parler vrai ». Il montre ensuite que la langue de bois comporte beaucoup de traits communs avec la stéréotypie, dont elle apparaît comme une spécification : la « langue de bois », ce serait des stéréotypes d'un langage spécialisé ou de la parole publique qui permettraient au locuteur de ne pas s'exposer ou se compromettre. Bien que son usage soit essentiel à la construction de l'éthos du locuteur, cette langue est affublée d'une connotation fondamentalement négative : on ne la nomme que pour la stigmatiser, pour dénoncer un manque de clarté ou de transparence. Pourtant, comme la stéréotypie dont elle partage en partie les usages et les fonctions, la langue de bois est susceptible d'une diversité de modes d'énonciation et de réception, qui dépassent de loin la seule négativité.Stereotyping and Doublespeak: All in the Same Family
This article takes a variety of examples of usage that could be described as « doublespeak » in an attempt to characterise the meaning of the term, which we contrast with what is known as « straight talk ». We then show that « doublespeak » has many traits in common with stereotyping, of which it appears to be a specific form: « doublespeak » is a stereotype of a form of specialised or public-speaking language that enables the speaker to avoid exposure or discredit. Although its use is essential to the ethos the speaker is attempting to convey, it has fundamentally negative connotations: it is referred to only to stigmatise and denounce its lack of clarity and transparency. And yet, like stereotyping with which it shares a number of uses and functions, doublespeak can be delivered and received in a variety of ways that are by no means confined to the negative register. - La lignification de la langue - Jacques Dewitte p. 47-54 La langue de bois propre aux régimes totalitaires peut être décrite avec les moyens de la linguistique comme une distorsion affectant les différentes composantes fondamentales du discours. Lorsque la langue se lignifie, il n'y a plus de sujet présent à sa propre parole ; plus de référent auquel la parole se rapporte ; plus d'interlocuteur véritable ni d'échange vivant entre les interlocuteurs ; plus de va-et-vient entre la parole et les ressources de la langue. Mais étant donné que toute communication est problématique, c'est-à-dire non assurée d'avance, il n'existe aucun autre remède à la lignification de la langue qu'une pratique langagière libre qui met en œuvre ces différentes composantes.When Language Turns « Wooden »The characteristic « wooden language » of totalitarian bureaucracies can be described in linguistic terms as a distortion of the various « fundamental components of speech ». When language turns « wooden », there is no longer a « subject » or « referent » to whom or to which the words apply, no real « interlocutor », no real exchanges between interlocutors, and no shuttle movement between speech and « the resources of the language » in which it is delivered. However, given that communication is always problematic, in that it cannot be taken for granted, there is no remedy when « language turns wooden » other than freeing it to bring all its different components into play.
- La langue de bois au pilori : Hongrie 1954 - Paul Gradvohl p. 55-62 En 1954, à Budapest, Iván Fónagy et Katalin Soltész publiaient A mozgalmi nyelvről (Sur la langue du mouvement ouvrier). En 2006, un an après le décès de Fónagy, paraissait son Dynamique et changement. Ce grand linguiste et sa collègue d'alors, dès 1954, avaient non seulement décrit les caractéristiques de la langue de bois des écrits et manifestations officielles, mais aussi montré comment elle viciait la communication au sein de la société de façon plus large. Ils en décrivaient des causes, en particulier l'inculture de nombre de dirigeants et l'usage si facile d'une langue appauvrie. Mais déjà en 1954 ils montraient dans un style d'une rare qualité comment ce phénomène dépassait le communisme hongrois. Cinquante ans plus tard, Fónagy revient sur la force d'attraction de certains types d'énoncés qui marque toujours notre communication sociale. Voici donc une pensée originale qui désenclave la réflexion sur la langue de bois, ou « langue de hêtre » en hongrois.Discrediting Newspeak: Hungary in 1954In 1954, in Budapest, the linguist Iván Fónagy and his colleague Katalin Soltész published « A mozgalmi nyelvről » (On the language of the labour movement). Fónagy's « Languages within Language » was published in 2006, a year after his death. In 1954, Fónagy and Soltész had not only described the characteristics of the language used in official writings and events, but also how it was debasing communication within society at large. A particular reason they described was the lack of culture of a large part of the political leadership and the fact that using an impoverished form of language was so easy. But they had already shown in 1954, with impeccable style, that this phenomenon was not the sole preserve of Hungarian communism. Fifty years later, Fónagy returned to the power of attraction of certain types of discourse that are still a feature of social communication. A work of original thinking that significantly broadens perspectives on the « newspeak », which the Hungarians call the « tongue of beech ».
- Victor Klemperer et le langage totalitaire d'hier à aujourd'hui : Compte-rendu du colloque de Cerisy-la-Salle - Béatrice Turpin p. 63-67 Le terme « totalitaire » est issu d'un réseau discursif indissociable d'actes meurtriers. D'où le sens donné à l'expression de « langage totalitaire » : un langage de coercition, lié à la violence, au meurtre et à la terreur. Les communications présentées à Cerisy-la-Salle tentent de caractériser un tel langage. Chercheurs en communication, en sciences du langage, en sociologie ou en littérature, philosophes et psychanalystes s'interrogent sur la tyrannie logique du discours de la terreur et les manipulations mortifères mises en œuvre d'hier à aujourd'hui. Les analyses de Victor Klemperer sur le discours nazi et ses observations scrupuleuses sur les signes de ce régime sont une référence primordiale. Les diverses études montrent comment se met en place une logique d'assujettissement à partir du matériau signifiant et de sa mise en scène. L'interrogation porte enfin sur les formes de résistance à opposer à ce langage.Victor Klemperer and Totalitarian Language, Past and Present
The term « totalitarian » is a product of a discursive system that is inseparable from acts of murder, hence the meaning given to the expression « totalitarian language » as a language of coercion linked to violence, murder and terror. The papers given in Cerisy-la-Salle attempt to characterise this language, through the reflections of researchers in communication, language sciences, sociology and literature on the logical tyranny of the discourse of terror and its murderous manipulations, both past and present. Victor Klemperer's analyses of Nazi discourse and his scrupulous observations on signifiers in the Nazi regime are references of paramount importance. The different studies show how the logic of subjection takes hold as it spreads from a body of signifying material and the representations given to it. Finally, the question is raised of forms of resistance to language of this kind.
- Langues de bois d'hier et parler vrai d'aujourd'hui : de la « novlangue » aux « spin doctors » - Michaël Oustinoff p. 15-21
II. Lieux et variantes de la langue de bois
- Le style Unesco : langage diplomatique ou langue de bois ? - Anne-Marie Laulan p. 79-80
- La (nouvelle) langue de bois dans la Roumanie actuelle - Luciana Radut-Gaghi p. 81-85 Cet article présente la multiplication des formes de la langue de bois dans la Roumanie actuelle. Une mise en perspective historique rend compte des similitudes entre l'époque actuelle et la période communiste dans les slogans ou les expressions employées aussi bien par les politiques que par les médias. Les débats actuels sur la langue de bois dans les organisations renforcent l'idée qu'au-delà du jargon ou des objectifs de manipulation, la langue est en modification permanente et naturelle. Mais cette nouvelle langue de bois est presque exclue des études scientifiques roumaines sur le sujet, qui arrêtent leurs recherches à la chute du régime communiste en 1989.Varieties of « Doublespeak » in Present-Day Romania
This article describes how forms of « doublespeak » have multiplied in present-day Romania. A historical overview reveals the similarities between slogans and expressions used by politicians or the media in the contemporary and communist periods. The current debate on « doublespeak » in organisations reinforces the idea that, looking beyond the jargon and the manipulative aims, this type of language is constantly – and naturally – evolving. But contemporary « doublespeak » is virtually absent in Romanian research on the subject, which has not looked beyond the fall of the communist regime in 1989. - La langue de bois dans la politique péruvienne - Francisco Belaúnde Matossian p. 87-90 La langue de bois dans la politique péruvienne des vingt dernières années est marquée par le choc des élections de 1990, qui a révélé le grand désenchantement de la population vis-à-vis des politiciens et du discours politique en tant que tel. Les politiciens sont donc obligés d'être très économes de leurs paroles, sous peine de lasser et réveiller la méfiance. Ils doivent se rabattre sur des formules, des slogans, et des mots, dont le choix obéit souvent au seul souci de se démarquer d'autres acteurs politiques censés être tombés en disgrâce auprès de la population. Autrement dit, les politiciens cherchent beaucoup moins à faire des propositions et des promesses, qu'à éviter d'être du mauvais côté dans la perception, d'ailleurs très changeante, de la population. C'est le triomphe du marketing au détriment du discours politique traditionnel. Il s'ensuit un art de la langue de bois plus exigeant.Political Doublespeak in Peru
Political doublespeak in Peru turned a corner during the 1990 elections, which revealed the population's utter disillusionment with politicians and the political discourse of the time. To avoid arousing suspicion or getting on people's nerves, politicians now have to be very economical with words, resorting to clichés, slogans and words often chosen purely to differentiate them from other politicians who have supposedly fallen from grace with the population. As a result, rather than making proposals and promises, politicians are merely trying to avoid getting on the wrong side of the population's – highly volatile – perceptions. The result is a triumph of marketing over traditional political discourse, and an ever more demanding art of doublespeak. - La LRO : xyloglossie dans la Chine post-maoïste - Thomas Boutonnet p. 91-98 La politique de « réformes et ouverture » vers l'étranger, initiée par Deng Xiaoping au sortir de la Révolution culturelle en 1978 s'est avérée, d'un point de vue économique, une véritable réussite qui a amené la Chine au rang des grandes puissances mondiales en à peine trente ans. D'un point de vue social par contre, le résultat est tout autre : transfigurée par ces réformes qui ont acté le basculement d'une économie planifiée vers une économie de marché, la société chinoise s'est retrouvée bouleversée par la disparition de l'État-providence et la restructuration du secteur de production étatique, autant de dommages collatéraux qui vont brutalement vulnérabiliser et « précariser » des millions d'individus. Dès la fin des années 1980, vont se constituer de nouvelles « classes dangereuses » de paysans sans terres, de chômeurs et de pauvres, des « masses dangereuses » que l'État-parti chinois va devoir discipliner, puisque c'est sur leur exploitation que va se construire le miracle chinois.C'est donc un véritable arsenal discursif, une langue de bois élaborée et complétée sur trois décennies, que les dirigeants du Parti communiste chinois vont mettre en place pour (re)formuler les perceptions et « corriger les consciences erronées » de ces populations vers une acceptation d'un ordre social qui leur est foncièrement défavorable.A Language for « Reform and Openness »: Doublespeak in Post-Maoist China
From the economic point of view, the policy for « reform and openness » to other countries initiated by Deng Xiaoping as the Cultural Revolution ended in 1978 was a genuine success that made China a top-ranking world power in the space of barely thirty years. The outcome was very different from the social point of view, however: the reforms that turned a planned economy into a market economy caused radical upheaval in Chinese society as collateral damage from the demise of the welfare state and the restructuring of the State-controlled production sector plunged millions into precariousness and insecurity. The late 1980s saw the emergence of a new « dangerous class » of landless peasants, unemployed workers and poverty-stricken individuals: the « dangerous masses » that the Chinese party-state would have to discipline so that the « Chinese miracle » could be built by exploiting their labour. Thus did China's Communist party leadership deploy a whole arsenal of political doublespeak, developed and honed over three decades, designed to (re)formulate perceptions and « correct » the « erroneous conceptions » of these populations to lead them to acceptance of a social order which is fundamentally opposed to their interests. - Les subventions de l'UE et la novlangue européenne : le cas de la Pologne - Aleksandra ?cibich-Kopiec, Michaël Oustinoff p. 99-107 Cet article montre l'influence des fonds structurels européens sur la langue polonaise. On assiste aujourd'hui à l'émergence d'une nouvelle langue euro-polonaise, version polonaise de l'euro-langue, à moins que ce ne soit l'euro-version du polonais. Cette langue a toutes les apparences du polonais, mais elle est si imprégnée de termes bureaucratiques que l'on est en droit de se demander s'il s'agit toujours de la même langue. Par quel mécanisme ce problème d'ordre linguistique est-il apparu ? Pourquoi l'euro-polonais est-il si inutilement compliqué ? Pourquoi éprouve-t-on autant de difficultés à comprendre les textes de l'UE, et singulièrement les appels d'offre ? Telles sont les questions auxquelles répond l'article, qui plaide pour une plus grande lisibilité des textes, sans laquelle il n'est pas de réelle démocratie.European Subsidies and EU Newspeak: the Polish Example
This article shows how the EU's structural funds have influenced the Polish language. What is emerging today is a new language called Euro-Polish, the Polish version of Eurospeak – or possibly the Euro-version of Polish. It certainly looks like Polish, but it is so saturated with bureaucratic terms that one may well wonder whether it is really the same language. How did this problem – a linguistic one – arise? Why is Euro-Polish so pointlessly complicated? Why are EU texts so difficult to understand, and particularly its calls for tenders? This article answers these questions, and pleads in favour of the plain language, without which true democracy cannot exist. - Les JT suédois, anti-langue de bois ? - Jérémie Nicey p. 109-110
- « Politically correct » : une guerre des mots américaine - Christine Larrazet p. 111-112
III. Pratiques et limites du décodage
- Jargons, pédantismes, sociolectes... un éditeur scientifique face à l'auteur - Pascal Rouleau p. 115-121 D'où vient le jargon scientifique ? Quel lien l'éditeur et l'auteur entretiennent-ils dans l'écriture ? Pascal Rouleau, s'appuyant sur son expérience, montre qu'il faut distinguer trois domaines d'écriture, la création, le jargon et les langages techniques, et que l'éditeur ne doit pas chercher à vulgariser à tout prix.Jargon, Pedantry and Sociolects: Scientific Publishers vs Authors
Where does scientific jargon come from? How do publishers and authors relate to each other in the writing process? Pascal Rouleau, drawing on his own experience, shows that a distinction has to be made between three kinds of writing – creative writing, jargon and technical language – and that publishers should not attempt to « popularise » at any cost. - Langage managérial et dramaturgie organisationnelle - Nicole D'Almeida, Cendrine Avisseau p. 123-128 Le discours managérial constitue un véritable genre et représente une catégorie particulière au sein des énoncés performatifs. L'objectif annoncé de présentation des orientations stratégiques et de dynamisation des équipes s'accompagne d'une mise en scène particulière qui constitue une des conditions de sa félicité, de son accomplissement. Le contexte d'internationalisation et d'interdépendance dans lequel se déroule l'activité des entreprises renforce la stéréotypie de ce langage qui mobilise un format, un vocabulaire et une syntaxe particulière marqués par l'anglicisme et l'asyncticité. Destiné à unifier et à galvaniser les équipes, ce langage est porteur de signes de pouvoir et de distinction, il exclut plus qu'il n'inclut, génère la perplexité et le désarroi et s'inscrit dans une stratégie du flou qui semble être le seul mode contemporain de l'avenir économique. Circulant à l'envi dans la communauté internationale et de la finance qu'il unifie à sa manière, il a une force incantatoire sur la scène financière et médiatique mais un impact paradoxal sur le travail quotidien des hommes et des femmes. Langage de la spéculation et de l'anticipation, il est plus proche des discours de la performance que des énoncés performatifs.Managerial Language and Corporate Art of Performance
Managerial language is a genre in itself and makes up a particular category of performative speech. The stated objective when presenting strategic goals or team building strategies is always dressed up in a particular way that will determine its aptness and success. The context of internationalisation and interdependence in which business activities take place reinforces a stereotype of management-speak, based on a particular format, vocabulary and grammar permeated by anglicisms and lack of syntax. Aimed at unifying and galvanising business teams, « corpu-speak » conveys a sense of power and distinctiveness, suggests exclusiveness rather than inclusiveness, generates bewilderment and anxiety and is very much at one with the strategy of obfuscation that seems to be the sole contemporary register where the economic future is concerned. Circulating freely within the international and finance community and uniting it as it goes, it acts with the hypnotic effect of incantation on the financial and media scene but has a paradoxical impact on the daily working lives of men and women. As the language of speculation and anticipation, it is more akin to performance discourse than to performative speech. - Langue de bois et aphasie moderne - Françoise Thom p. 129-133 L'auteur se propose dans cet article d'étudier le mécanisme de la destruction du langage dans la société contemporaine. Le langage est menacé par le haut et par le bas : les élites sont contaminées par l'omniprésent jargon des sciences humaines ; les jeunes sont gagnés par l'idiome des banlieues. La disparition du langage articulé accompagne une déperdition de la liberté et entraîne une dégradation des rapports humains où la force brutale se substitue à la médiation du discours.Jargon and Aphasia in Modern Life
In this article, the author offers a study of the mechanisms of language destruction in contemporary society. Language is under threat from above and below: the elites are contaminated by the ubiquitous jargon of the human sciences, while the younger generation is being won over by suburban slang. The disappearance of articulate language goes hand in hand with a gradual loss of freedom, debasing human relationships to the point where brute force is replacing the mediating power of speech. - Les « think tanks » face à la langue de bois des politiques et de l'administration - Nicolas Lecaussin p. 135-141 Les politiques et l'administration sont les maîtres de la langue de bois. C'est pour eux une question de survie avec les risques que cela implique : la démocratie est dévoyée, les électeurs sont souvent trompés et le fonctionnement de l'État en pâtit. Pour remédier à cela, les think tanks – des organismes privés de recherche représentant la société civile – ont été créés. Leur rôle : dévoiler les discours ambigus des politiques, dénoncer la démagogie et les abus de l'État et de l'administration, critiquer les mauvaises politiques publiques, proposer des solutions. Financés uniquement grâce à des dons privés, les think tanks se sont imposés dans la société américaine comme une force presque aussi importante que les médias.Think Tanks and the Doublespeak of Politics and Bureaucracy
Politicians and bureaucrats are masters of doublespeak. To them, it is a matter of survival with all the risks this implies: democracy has gone astray, voters are frequently misled and the functions of the State are being corroded as a result. Think tanks – which are private research organisations representing civil society – have been set up in an attempt to remedy the situation. Their role is to reveal the ambiguity of political discourse, denounce demagoguery and the misuse of power by the State and its bureaucracy, criticise bad public policy and propose solutions. In the US, these think tanks are funded exclusively by private donations and have become, in American society, almost as powerful as the media. - Les professionnels de la communication à l'épreuve de la langue de bois - Arnaud Benedetti p. 143-150 Les langues de bois ne sont pas l'apanage des systèmes autoritaires et totalitaires. Les sociétés démocratiques et ouvertes n'échappent pas, loin s'en faut, au phénomène. Les professionnels de la « com », sous l'influence de processus de civilisations dont le principal effet consiste à produire des sociétés de plus en plus policées, élaborent à la demande de leurs donneurs d'ordre des dispositifs discursifs et des méthodes visant à réduire les risques propres à la communication. Privilégiant une conception instrumentale de la communication, le destin des « communicants » se réduirait-il à transformer leur activité en principale arme contre les valeurs démocratiques et humanistes portées par la communication ? Pour dépasser la com et libérer la communication de toutes les langues de bois qui l'emprisonnent, il convient de transformer les conditions pratiques de l'exercice de ces professionnels en renforçant leur rôle de médiateur.Communication Professionals and the Problem of Doublespeak« Doublespeak » in its different forms is by no means the sole preserve of authoritarian or totalitarian regime: open democratic societies are equally afflicted. Professionals in « communication », working under the influence of processes of civilisation whose main effect is to produce increasingly policed societies, receive commissions to develop patterns and methods of discourse whose aim is to minimise the risks inherent to communication itself. In treating communication primarily as an instrument, these « communicators » may well find that their activities are turning into a particularly lethal weapon against the democratic and humanist values that are inherent to communication. To move beyond this subverted form of communication and liberate it from the many forms of doublespeak that have imprisoned it, the practical conditions in which they exercise their profession need to be transformed by reinforcing their role as mediators.
- Les langues de bois journalistique et politique se nourrissent l'une l'autre - Thomas Legrand p. 151-155 Comment combattre la langue de bois ? Ce devrait être la première préoccupation des commentateurs politiques, chargés de commenter, d'analyser et d'éditorialiser. Mais, comme celle des hommes politiques, la langue de bois des commentateurs a pour objectif principal de ne pas tout dire. Elle est faite pour leur permettre de s'adresser au plus grand nombre, sans choquer, souvent même en délivrant à l'auditeur ou au lecteur une pensée dans laquelle il peut se reconnaître. Il existe aussi une autre sorte de langue de bois, plus problématique dans les métiers de commentateurs : une langue de bois réflexe, faite de formules creuses, de poncifs et de métaphores (guerrières, culinaires ou sportives).Par ailleurs, l'une des tendances les plus spectaculaires de ces dernières années est l'avènement de ce que l'on peut appeler le « parler cash », façon de rejeter la langue de bois. Une parole cash devient un acte politique en lui-même, un acte creux, et les journalistes en sont coresponsables puisque travaillant à jet continu avec Internet et les chaînes tout-info. En revanche, le numérique permet de conserver et de classer ce qui se dit. La mémoire politique s'est démocratisée et Internet met à la disposition de chacun l'ensemble des propos des hommes politiques. Cette évolution du rapport entre le discours et son commentaire est bienvenue après des décennies de consanguinité entre les politiques et les commentateurs.How Journalese and Political Doublespeak Feed on Each Other
How do you fight doublespeak? This ought to be the main concern of every political commentator, whose job is to comment on, analyse and editorialise what politicians say. But, like politicians, commentators use a language whose main purpose is to not say everything. It is made for them to address the widest possible audience, without giving offence and often by offering listeners or readers thoughts they can recognise as their own. This sort of language also exists in another more problematical form among commentators, as a kind of reflexive newspeak made up of clichés, commonplaces and metaphors involving warfare, sports or cookery. One of the more spectacular trends in the last few years is the advent of what the French call « parler cash », meaning « rude straight talk », as an antidote to doublespeak. « Talking rude and straight » then becomes a political – and hollow – act in itself, for which journalists are equally responsible since they are constantly working live with the Internet and 24-hour news channels. On the other hand, everything that is said can now be stored and classified on digital media. The archives of politics are becoming available to all and anyone can use the Internet to access anything a politician has ever said. This is a welcome development for the relationship between discourse and commentary, after decades of blood relationships between politicians and political commentators. - De l'utilité de la langue de bois : Entretien avec Joanna Nowicki, Michaël Oustinoff et Bernard Valade - Dominique Wolton p. 157-165
- Jargons, pédantismes, sociolectes... un éditeur scientifique face à l'auteur - Pascal Rouleau p. 115-121
Varia
- Communication de santé publique et prévention du sida : Une expérimentation sur l'influence de mini-actes engageants via Internet - Audrey Marchioli, Didier Courbet p. 167-174 Lors d'une enquête qualitative que nous avons menée en France auprès de producteurs de campagnes de prévention du sida, ceux-ci ont notamment indiqué qu'ils considèrent comme efficaces des dispositifs faisant réaliser des « mini-actes » aux personnes ciblées, avant et après la réception d'arguments persuasifs. Comme ils ne basent pas leur opinion sur de la littérature scientifique, nous avons réalisé une expérimentation, en milieu ordinaire, sur 196 sujets « tout venant » pour étudier, à partir des théories de la communication persuasive et de l'engagement, la validité des représentations concernant les « mini-actes » produits via Internet. Les résultats montrent notamment que ces producteurs de campagnes font preuve d'une bonne « intuition » puisque les mini-actes contribuent à effectivement favoriser la prévention du sida.Public Health Communication and HIV/AIDS Prevention
During a qualitative survey we made among AIDS prevention campaigners in France, respondents stated in particular that they believed in the effectiveness of activities that prompt subjects to accomplish « mini-acts » before and after receiving persuasive arguments. As their opinion does not derive from scientific literature, we carried out an experiment, in an everyday environment with 196 subjects chosen at random and based on theories of persuasive communication and commitment, to investigate the validity of representations concerning these « mini-acts » accomplished via the Internet. The results show, in particular, that the campaigners' intuitive beliefs are sound, since these mini-acts effectively contribute to AIDS prevention.
- Communication de santé publique et prévention du sida : Une expérimentation sur l'influence de mini-actes engageants via Internet - Audrey Marchioli, Didier Courbet p. 167-174
Hommage
- Denis Guedj (1940-2010) : Le mètre du monde - Paul Rasse p. 177-180
Lectures
- Lectures - Brigitte Chapelain p. 181-189