Contenu du sommaire : Henri Lefebvre

La structuration temporelle entre travail et loisir organise une certaine configuration du quotidien. Le diagnostic de la Critique de la vie quotidienne sur le repos du travailleur ou sur la condition de la femme, mérite d'être revisité à la faveur de la réduction du temps de travail social, d'un côté, et à la faveur de la flexibilité et de la dérégulation des temps de travail quotidien et hebdomadaire, de l'autre. Dans l'article, P. Cingolani aborde quelques-unes des nouvelles manifestations contemporaines de l'aliénation et de la colonisation du monde vécu et suit les ambivalences du rapport au temps parmi de jeunes travailleurs du secteur des industries culturelles pointant tour à tour les lignes de fuite et les pièges d'une nouvelle configuration du travail où la séparation entre temps de travail et de repos s'estompe.

La pensée d'Henri Lefebvre n'a pas été indifférente aux différences, aux spécificités identitaires et à leur affirmation ou raison d'exister. De son côté, l'anthropologie ne s'est pas fermée à ses apports, comme en témoigne l'ouvrage de Georges Condominas L'exotique est quotidien, conçu dans la foulée de la Critique de la vie quotidienne. Aujourd'hui, c'est moins l'attrait du lointain exotique que la diversification des espaces sociaux au sein même des villes mondiales qui engage à réinvestir les concepts lefebvriens comme le moment, le style, ou le rythme, aptes à éclairer ce que l'on qualifie ici d'« altérité minoritaire ». En particulier, sa théorie des moments peut-elle contribuer à composer pour la diversité des mondes urbains une partition dynamique ?

La sociologie courante n'accorde de visibilité aux individus qu'au moment de leur appartenance à des institutions et à des organisations. Au contraire, chez Henri Lefebvre, le syntagme « vie quotidienne » désigne la continuité de ce qui est vécu par les individus singuliers en dehors des périodes de contrainte spécifique. Aussi, « la rue » représente-t-elle la continuité de notre vie sociale en rendant manifestes les multiples temporalités qui la traversent. Les lieux qui rassemblent marchands et acheteurs se métamorphosent en espace politique. L'urbain quotidien est un terrain d'affrontement entre rythmes routiniers, rassurants à certains égards, et élans collectifs de bouleversement social et politique. Les temporalités urbaines se font entendre à travers les bruits de la ville. Les pouvoirs religieux et politiques tentent de les dominer en imposant à la vie quotidienne l'ordre de leur calendrier et en marquant le temps urbain par les symboles sonores qui leur sont propres.

Henri Lefebvre était un intellectuel engagé n'opérant aucune césure entre ce qu'il vivait, ce qu'il définissait comme objet de connaissance et ce qui motivait son engagement militant. Il pensait la ville et le quotidien pour trouver les ressorts du changement social. Enseignant à Nanterre de 1965 à 1968 il a analysé avec perspicacité l'espace en devenir de la Faculté et le mouvement contestataire qui y sourdait. Dans cet article, nous proposons d'observer cette université quarante ans plus tard au prisme des analyses de l'espace et de la vie quotidienne proposées par l'auteur. Nous interrogerons la portée de cette « pensée des possibles » dans un contexte de résignation généralisé face à la rationalisation économique des universités.

Dans la période actuelle, la production de la ville répond avant tout aux exigences de la valorisation de la valeur sous la « commande » du capital privé : la valeur d'échange y domine. Des inégalités socio-spatiales profondes apparaissent — l'urbain étant révélateur d'un accès différencié à la ville — et s'expriment dans les relations contradictoires entre le centre et les immenses périphéries, marquées par la précarisation de l'habitat, des infrastructures et de l'emploi, sans compter l'insuffisance d'équipements collectifs. D'où des « mouvements sociaux » en réaction à l'extrême inégalité sociale résultant de la priorité accordée à la croissance économique au détriment du développement social. Cette situation est révélatrice de la lutte pour l'espace. La notion du “droit à la ville” théorisée par Henri Lefebvre trace une direction, appelle à la construction d'une nouvelle société (urbaine).

L'influence des réflexions urbaines de Henri Lefebvre a été considérable en Espagne à la fin des années 1960 et dans les années 1970. Il s'agit ici d'analyser les conditions sociales et politiques qui, au-delà de la proximité géographique, expliquent le succès de cette réception dans la péninsule. Le rôle de l'Espagnol Mario Gaviria, qui s'initie à la sociologie urbaine à l'université de Strasbourg au contact de Lefebvre au milieu des années 1960, apparaît fondamental, suggérant le rôle de ses disciples étrangers dans l'internationalisation de ses idées. Mais l'objectif est aussi de montrer l'influence concrète de la pensée urbaine de Lefebvre sur le champ des pratiques et des savoirs urbains ainsi que sa portée politique dans un pays qui vit les dernières années de la dictature franquiste (1939-1975). La fin des années 1970 marque le début d'un certain déclin des idées de Lefebvre. Cependant, il faut souligner leur vivacité dans l'urbanisme démocratique.

La pensée de Lefebvre est très influente dans les urban studies anglo-saxonnes, où des penseurs comme David Harvey ou Edward W. Soja l'ont introduite dans les années 1980. Son appropriation et sa transposition nécessita un travail d'exégèse conséquent dans les années 1990, préalable au développement de lectures contemporaines du droit à la ville, de la critique de la vie quotidienne ou encore de la théorie de la production des espaces-temps sociaux. Cet article propose une synthèse sur l'histoire et les thématiques de la réception de Lefebvre dans les urban studies anglo-saxonnes, préalable nécessaire à une réappropriation de ces débats en France et d'une redécouverte de Lefebvre.

Le temps et l'espace sont deux des dimensions les plus fondamentales dans la pratique de l'archéologie. Au cours des vingt dernières années, les écrits d'Henri Lefebvre ont exercé une influence grandissante sur les recherches des archéologues spécialistes d'histoire travaillant en Amérique du Nord, en Europe et dans les Caraïbes. Une part importante de ces recherches a fait usage de ses concepts de représentation de l'espace et d'espaces de représentation ainsi que de ses notions de temps en relation avec la vie quotidienne. Cet article présente un aperçu des différentes lignes de recherche entreprises par les archéologues spécialistes d'histoire et leur lien avec les idées de Lefebvre concernant la vie quotidienne et la production de l'espace. Il plaide également pour un approfondissement de l'engagement dans le sillage de Lefebvre en tant qu'intellectuel engagé, soulignant l'impérieuse nécessité d'un tel engagement dans le monde d'aujourd'hui dominé par les conflits.

Entre la fin des années 1940 et la fin des années 1950, le sociologue Henri Lefebvre rédige cinq études biographiques sur des auteurs français (Descartes, Rabelais, Diderot, Pascal et Musset). Ce pan largement méconnu de son œuvre peut être compris dans son unité, et selon une triple logique. Il s'agit d'une approche épistémologique, celle de l'histoire sociale des idées, permettant de rendre compte des relations complexes entre les auteurs et leur époque. Ces écrits relèvent aussi d'une logique politique, par laquelle Lefebvre exprime sa différence par rapport au jdanovisme du Parti communiste français. Enfin, le caractère dual, voire déchiré, de chacun de ces auteurs, est un reflet dans lequel l'homme Lefebvre peut se reconnaître.

Fortement soutenus par les pouvoirs publics dans le cadre de la politique de l'emploi, les services à la personne bénéficient de nombreuses subventions. Relevant de dispositifs multiples, le montant des aides est complexe à établir précisément mais une analyse approfondie des différents mécanismes permet cependant de mettre en évidence son coût très élevé, notamment en raison de l'importance des effets d'aubaine. Parallèlement, l'étude des bénéficiaires de ces transferts financiers souligne l'opposition entre services de confort très inégalitaires et services d'aides aux personnes âgées marqués par une réelle démocratisation depuis la création de l'APA. Ces deux constats permettent alors de questionner la signification de ces mesures : elles semblent relever d'une vision libérale du marché du travail et constituent une forme de marchandisation de la politique sociale.

Cet article analyse les discours en faveur de l'accès dans le champ du développement et souligne l'ambiguïté de cette notion au sein de la rhétorique du développement. La première section souligne l'ambiguïté de la notion d'accès aux biens et services essentiels par une analyse de ses fondements institutionnels et théoriques. La deuxième section examine les implications concrètes d'un tel paradigme par l'analyse des modalités d'accès promues par les acteurs internationaux dominant le champ du développement. Enfin, la troisième section esquisse une illustration de l'ambivalence de la notion d'accès dans le domaine de la santé.

Le recours à l'anachronisme dans la recherche historique savante permet d'utiliser des idées nouvelles pour interroger un passé plus ancien. Réciproquement, les conceptions des philosophes des Lumières ou des acteurs de la Révolution française sont invoquées pour légitimer des décisions politiques incompatibles avec elles. Sophie Wahnich nous incite à repenser à neuf les concepts de peuple et ses relations avec les gouvernements qui prétendent agir en son nom. L'élite qui dispose du pouvoir législatif énonce ce que le peuple doit retenir et oublier. Un fossé se creuse alors entre le peuple et ses représentants ; inversement, l'amnistie facilite la connivence entre les gouvernements démocrates et les autocrates qui les ont précédés. Ainsi est rompue l'unité d'un peuple : cette scission peut amener à des émeutes. C'est la liberté effective du peuple qui fonde le bonheur public. La délégation de pouvoir n'autorise pas l'élite politique à manipuler la mémoire collective. Si la vigilance du peuple est indispensable à la démocratie et si la raison sensible fait partie intégrante d'une politique démocratique, les émotions et les mouvements populaires sont constitutifs de la conscience historique.