Contenu du sommaire : La tribu à l'heure de la globalisation
Revue | Etudes rurales |
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Numéro | no 184, 2009 |
Titre du numéro | La tribu à l'heure de la globalisation |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Hommage à Claude Lévi-Strauss (1908-2009) - Michel Adam p. 1-4
- Introduction - Pierre Bonte, Yazid Ben Hounet p. 13-32
- Tribe and state in Iran and Afghanistan: an Update - Richard Tapper p. 33-46 L'auteur reprend ici l'analyse de « la tribu et l'État en Iran et en Afghanistan » issue d'une conférence qu'il avait organisée en 1979. Il constate que les thèmes abordés à cette occasion sont toujours d'actualité compte tenu des bouleversements politiques et sociaux des trois dernières décennies consécutifs aux révolutions intervenues dans ces deux pays. S'il y a une résurgence du tribalisme, les formes et fonctions des « tribus » ont considérablement évolué. L'auteur réitère sa conclusion : « Si le tribalisme a ses défauts et ses limites, il n'apparaît nullement comme un anachronisme dans la mesure où il pourvoit à la sécurité de ses membres et leur assure une survie à long terme » dans le monde contemporain.The author reviews his analysis of ‘tribe and state in Iran and Afghanistan' resulting from a conference he convened in 1979. He considers the continuing relevance of the themes discussed at the conference, given the shattering political and social changes over the intervening three decades, following revolutions in both countries. There has been a revival of tribalism, but at the same time considerable transformation of the forms and functions of ‘the tribes'. The author repeats his conclusion that ‘Tribalism has its faults and limitations, but its provision of social security and its long-term survival value should recommend it as no anachronism' in the contemporary world.
- Hommes, troupeaux et capitaux : LE PHÉNOMÈNE TRIBAL AU SOUDAN À L'HEURE DE LA GLOBALISATION - Barbara Casciarri p. 47-64 Après des décennies d'ostracisme envers le tribalisme, l'État islamiste soudanais engage, en 1994, une politique de relance des institutions tribales en même temps que se renforce le système fédéral. Après quinze ans de transformations profondes, un bilan doit être dressé du phénomène tribal dans ce pays en majorité rural, caractérisé par une forte composante pastorale dans laquelle la gabīla (tribu) a toujours été une forme d'organisation sociale particulièrement vivante et une source inaltérable d'appartenance identitaire. Notre étude portera sur deux groupes d'origine nomade : les Ahòāmda du Butāna et les Hòawāzma (Baggāra) du Sud-Kordofan. L'analyse des données confirme que, dans le Soudan contemporain, se consolident des élites néotribales, souvent en conflit avec leur propre gabīla, et que, dans ce jeu d'interactions autour des dynamiques tribales, apparaissent, à côté de l'État, de nouveaux acteurs tels que les ONG, les agences internationales du développement et de l'aide humanitaire et les porteurs des intérêts du capitalisme global.After decades of rejecting tribalism, Sudan began, under the Islamist government in 1994, pursuing a policy for reviving tribal institutions even as the federal system was being reinforced. After fifteen years of major changes, it is time to assess tribal phenomena in this mostly rural, highly pastoral country. Herding corresponds to a way of life wherein the tribe (gabīla) has always been an especially strong form of social organization and a changeless source of identity and a sense of belonging. Two groups with nomadic origins are studied: the Ahòāmda in the Butāna area and the Hòawāzma (Baggāra) in southern Kordofan. As seen by analyzing the available data, neotribal elites – often at odds with their own gabīla – are being consolidated in contemporary Sudan. In these interactions woven around tribal affiliations, new players are entering the field alongside the state, namely: nongovernmental organizations, international development agencies, humanitarian organizations and forces bearing the interests of global capitalism.
- La recomposition des allégeances tribales dans le Moyen-Euphrate syrien (1958-2007) - Myriam Ababsa p. 65-78 L'auteure s'intéresse à la recomposition des allégeances tribales en Jazīra (Syrie) après un demi-siècle d'expérimentations « socialistes » (réformes agraires, révolution bacthiste et « Projet de l'Euphrate ») visant à créer de nouvelles formes d'appartenance sociale détachées des liens primordiaux. Elle montre que les sociétés du Moyen-Euphrate demeurent majoritairement structurées en tribus et que leurs hiérarchies internes se sont modifiées en fonction de leur degré d'allégeance au régime et des avantages qu'elles en tirent, notamment en termes fonciers. L'étude des scrutins électoraux de mars 2003 et avril 2007 éclaire les stratégies des candidats, qui mobilisent différents clans pour augmenter leurs chances de remporter les sièges indépendants soumis au vote.How have tribal allegiances been reworked in Jazira (Syria) following a half century of socialist experimentation (land reforms, the Baath Revolution and the Euphrates Project) for creating new forms of social affiliation unrelated to primary bonds? Most societies in the Middle Euphrates area are still shaped around tribes. Their internal hierarchies have changed as a function of their allegiance to the regime and the advantages (mainly in relation to land rights) thus obtained. The results of elections in March 2003 and April 2007 shed light on the strategies of the candidates who played on different clans in order to increase their chances of winning the seats up for vote.
- Tribus, États et fraude : la région frontalière algéro-malienne - Judith Scheele p. 79-94 L'extrême nord du Mali se présente comme un terri toire où le désengagement de l'État aurait conduit à la « résurgence » des tribus. Et ce d'autant plus qu'une grande partie des habitants de la région vivent du trafic transfrontalier avec les États maghrébins voisins (l'Algérie surtout), trafic qui paraît au premier abord organisé à partir de réseaux familiaux et tribaux. Or, si les « fraudeurs » eux-mêmes insistent sur le rôle prédominant que jouent les logiques tribales dans leurs affaires, sur le terrain, le trafic dépend largement de la coopération des agents d'État et semble de plus en plus géré de l'extérieur, en dépit des solidarités préexistantes. Cependant, les revenus de ce trafic sont le plus souvent réinvestis dans des signes extérieurs d'« excellence tribale » afin de mener une vie « honorable ». La tribu devient ainsi l'expression d'une ambition d'autonomie morale et politique vis-à-vis de l'État.The central state's withdrawal from the far north of Mali has supposedly led to a «resurgence » of tribes. The livelihood of many inhabitants in this area depends on trade with North African neighbors (in particular, Algeria). At first sight, this transborder trade seems organized through family and tribal networks. Although «smugglers » mainly insist on the importance of tribal considerations in their business, this trade turns out, in actual practice, to very much hinge on cooperation with officials. Furthermore, it seems increasingly managed from the outside, despite pre-existing solidarities. The income from this trade is usually reinvested in the outer signs of «tribal excellence » so as to lead an «honorable » life. Tribes thus become the expression of a quest for moral and political autonomy from the state.
- Une lecture de la sòahòwĀ les mille et un visages du tribalisme irakien - Myriam Benraad p. 95 Né à l'automne 2006 de l'alliance de tribus sunnites de la province d'Al-Anbār avec les forces de la coalition étrangère contre Al-Qaida, le phénomène de la Sòahòwā (« réveil » tribal) reflète les mutations, décompositions et recompositions du champ tribal irakien. Alors que de nombreuses incertitudes continuent de peser sur la transition issue des ruines du régime de Saddam Hòussein et que s'amorce le retrait militaire américain, l'auteure propose quelques grilles de lecture de la Sòahòwā, et ce dans une perspective anthropologique, historique et sociopolitique. Elle revient sur les continuités et discontinuités du tribalisme irakien contemporain puis inscrit ce « réveil » tribal dans le contexte du conflit qui l'a opposé à la mouvance jihadiste radicale et, plus largement, dans le contexte de la guerre d'Irak et des formes de violence qu'elle a engendrées.The Sòahòwā arose in the autumn of 2006 out of an alliance between Sunnite tribes in Al-Anbār Province and the foreign coalition forces fighting against Al-Qaeda. This tribal «awakening » reflects the reworking of tribalism in Iraq. While much uncertainty still surrounds the transition arising out of the ruins of Saddam Hòussein's regime at a time when American forces have begun withdrawing, grids are proposed for interpreting the Sòahòwā anthropologically, historically and sociopolitically. After reviewing continuities and discontinuities in contemporary Iraki tribalism, the tribal «awakening » is placed in the context of the conflict between it and the radical jihadist movement and in the broader context of the war in Iraq and the violence generated by it.
- Le poids du nomadisme pastoral dans les steppes algériennes - Yazid Ben Hounet p. 107-122 On connaît, depuis les travaux du sociologue M'Hamed Boukhobza datant des années 1980, l'impact, en Algérie, de la colonisation et des politiques de l'État indépendant sur le nomadisme. À la veille de la colonisation (1830), les personnes vivant sous la tente représentaient près de 70 % de la population totale alors que, dans les années 1960-1970, elles n'en représentaient plus que 2,5 %. Cet auteur avait noté toutefois que, malgré ce déclin, un nombre remarquable de nomades persistaient en certains lieux, notamment dans les wilayat steppiques de l'Ouest algérien. L'article s'intéresse à la persistance du nomadisme pastoral et souligne le fait qu'il a même progressé dans le sud d'une wilaya de cette région : la wilaya de Naama. Il questionne également la place qu'occupe actuellement le lien tribal au sein des populations semi-nomades.Since the work done by the sociologist M'Hamed Boukhobza during the 1980s, we know how colonization and the policies conducted by the independent Algerian state have affected nomadism. On the eve of colonization (1830), 70% of the population lived in tents; but by the 1960s/1970s, no more than 2,5%. As M'Hamed Boukhobza pointed out, there is still, despite this decline, a surprising number of nomads in certain areas, especially in the steppes in western Algeria. Pastoral nomadism has even increased in the south of Naama, a province (wilaya) there. Its persistence is examined; and questions are raised about the importance of tribal bonds for these seminomadic populations.
- Le nomadisme pastoral en Inde : de la caste à la tribu - Sandrine Prévot p. 123-132 En Inde du Nord, les éleveurs Raikā se sont adaptés à la croissance économique et à la modernisation urbaine de ces dernières décennies en développant une forme de nomadisme pastoral. Toutefois, dans le même temps, cette caste a vu son statut économique et social se dégrader, et a fait l'objet d'un processus de « tribalisation ». Cette nouvelle identité « tribale », différente du modèle d'organisation tribale arabo-musulman, marque la stigmatisation de groupes sociaux qui, par leur mode de vie, se distinguent de la société dominante. La coïncidence de certaines représentations communes aux éleveurs, aux nomades et aux « tribaux » favorise cette confusion et vient souligner le caractère d'extériorité que la société indienne prête aux nomades.In northern India, the Raika, a group of herders, have adjusted to economic growth and urban modernization during recent decades by developing a form of pastoral nomadism. This caste has seen its economic and social status change for the worse and undergone «tribalization ». This new tribal identity, different from the pattern of tribal organization in the Arab-Muslim world, is a stigma on a group whose way of life sets it apart from the dominant society. The fact that herders, nomads and tribes share certain conceptions fosters confusion and draws attention to the «otherness » that Indian society ascribes to nomads.
- La tribu au secours du développement pastoral - Mohamed Mahdi p. 133-148 L'article présente une expérience « grandeur nature », à savoir le regroupement d'éleveurs marocains en coopératives ethnolignagères, et ce dans le cadre d'un grand Projet de développement des parcours et de l'élevage de l'Oriental (PDPEO). L'auteur montre comment le référent tribal et les solidarités ethniques qui lui donnent corps et le justifient ont été mobilisés au cours de l'histoire par les tribus pour faire face aux différents pouvoirs qui se sont succédé (le makhzen traditionnel, le Protectorat français, l'État marocain actuel). Ces coopératives avaient en charge la gestion des parcours pastoraux et des problèmes techniques et économiques qui sont liés au cheptel. Elles se sont tantôt scindées, tantôt regroupées dans des coopératives, attestant que le contenu du référent tribal relève en fait d'agencements périodiques : c'est un « construit variable » qui s'inscrit dans le contexte historique.An experiment in real conditions is presented of grouping Moroccan herders in ethnolineage cooperatives as part of a major project (PDPEO) for developing pastoral itineraries and livestock in Oriental Province. Ethnic solidarities and references to tribes, which constitute and justify this project, have served tribes in their dealings with different, successive powers during history: the traditional makhzen, the French Protectorate and the contemporary Moroccan state. These cooperatives were assigned the task of managing pastoral itineraries and handling the technical and economic problems related to livestock. They split up, reformed, or regrouped, this being evidence that the reference to tribes has to do with periodically reworked arrangements. The tribal referent is a « variable construct » that is part of the historical context.
- Appartenances tribales et enjeux fonciers pastoraux en Mauritanie : le projet “ Élevage ii - Pierre Bonte p. 149-168 En 1985, en Mauritanie, à la suite d'une longue période de sécheresse ayant entraîné une sédentarisation massive des éleveurs nomades, la Banque mondiale a mis en œuvre un projet de développement de l'élevage, appelé projet « Élevage II ». Pour s'assurer la participation des populations, des associations pastorales (AP) furent créées, moins en fonction de règles foncières « traditionnelles » qu'en fonction de nouvelles formes de territorialité s'appuyant sur l'appartenance tribale. Il apparut cependant difficile d'assurer la sécurisation foncière des investissements des éleveurs au sein de ces associations, la solidarité tribale (casòabiyya) présumée s'inscrivant dans des stratégies de « notabilité » et n'étant finalement mobilisée que lors des affrontements qui opposent, dans l'exploitation des ressources pastorales, les éleveurs locaux aux nouveaux grands propriétaires de bétail. Toutes les stratégies mises en œuvre dans le cadre de ces associations traduisent l'instrumentalisation des tribus par l'État et celle de l'État par les tribus à l'occasion de laquelle la casòabiyya tribale s'organise dans un contexte de compétition, d'alliances et de conflits.In 1985, when a long drought in Mauritania forced many nomads to settle, the World Bank launched a development project, « Élevage II », on herding. To stimulate participation in the program, associations of herders were set up, less on the basis of « traditional » rules related to the land than as a function of new forms of territoriality based on tribal membership. However it turned out to be hard to secure the land rights related to the investments made by herdsmen in these associations. Fitting into strategies for obtaining « notability », the presumed tribal solidarity (casòabiyya) was activated only during confrontations about using pastoral resources, which pitted local herdsmen against the new owners of big herds. All the strategies implemented through these associations were based on the tribes and government authorities taking advantage of each other during events as tribal solidarity took shape in a context of competition, alliance and conflict.
- Formal and informal justice in Palestine: Dealing with the Legacy of Tribal Law - Asem Khalil p. 169-184 Cet article voit dans le pluralisme juridique en Cisjordanie et dans la bande de Gaza un moyen de comprendre les phénomènes légaux et l'attitude de l'État vis-à-vis des normativités non étatiques. L'auteur présente les avantages et inconvénients de la coexistence d'une justice formelle et d'une justice informelle dans les territoires contrôlés par l'Autorité palestinienne, et montre comment les deux systèmes s'influencent l'un l'autre. Il ne s'agit pas ici de tracer des limites entre le droit étatique et le droit tribal et coutumier, mais de souligner que ces deux ensembles sont manifestes et que, de ce fait, une multitude de champs normatifs peuvent coexister au sein d'une même société.This paper considers legal pluralism in the West Bank and Gaza Strip as a way to understand legal phenomena, and the state's attitude towards non-state normative orderings. It describes the advantages and inconveniences of the coexistence of formal and informal justice in the territories under the Palestinian Authority control, as well as the influence of each system on the other. The objective of this study is not to establish boundaries between state-law and tribal-customary law, but rather to show that both sets of law are in evidence, and hence that a multitude of normative fields can coexist within a society.
- Les mots et les choses : L'IDENTITÉ TRIBALE EN ARABIE - Paul Dresch p. 185-202 RéSUMéBien des publications mentionnent des tribus en Arabie, mais définir une tribu s'avère difficile. S'appuyant sur un ouvrage de Jacques Berque portant sur l'Afrique du Nord, le présent article tente de cerner les relations qui lient groupes et catégories, identité tribale et historicité. La parenté ne rend compte que d'une petite partie de ces questions. Le tribalisme, dont les États modernes se méfient, se nourrit d'idées très générales sur l'absorption, la protection et l'équivalence morale tout en situant les événements locaux dans une vision plus large des rapports humains. Ce texte traitera du « registre » tribal comme alternative à la rhétorique d'État dans le cas du Yémen. Ironie de l'histoire : si le tribalisme est véritablement menacé par les États, ce sont les États, tels les États du Golfe, qui se prévalent du langage de la parenté et de la généalogie.Much literature mentions tribes in Arabia, yet to say what a tribe is proves difficult. Beginning from a note on North Africa by Jacques Berque, the present article sketches the relation between groups and categories, and the relation of tribal identity to historicity. Kinship describes only a small part of this. Tribalism, of the kind modern states distrust, instead turns on very general ideas of absorption, protection and moral equivalence, while at the same time inserting local events in a wider vision of human relatedness. Tribal « register » as an alternative to state rhetoric is discussed with reference to Yemen. Ironically, if tribalism is really threatened by states, then it is probably by states which themselves use a language of kinship and genealogy, such as those of the Arab Gulf.
- La madĀfa en Jordanie : un lieu de mémoire - Irène Maffi p. 203-216 Lieu de la tradition tribale, la madāfa contemporaine révèle les profondes mutations qu'ont connues les tribus jordaniennes après la fondation de l'État hachémite. L'organisation de l'espace interne de ce lieu de sociabilité témoigne en effet de la capacité d'adaptation des tribus face à un univers politique qui ne laisse plus beaucoup de place à l'autonomie tribale. La relation entre tribus et État s'exprime entre autres à travers la mise en scène du passé tribal incarné par une multiplicité d'objets qui renvoient à une narration parfois très différente de la version officielle promue par la monarchie. Soulignant la complexité des relations qui lient les acteurs tribaux à la dynastie hachémite, l'auteure montre comment, au sein de la madāfa, se fabrique la mémoire tribale.As a high place in tribal traditions and a place of sociability, the madāfa exposes the deep changes undergone by Jordanian tribes after the foundation of the Hashemite kingdom. The organization of space inside the madāfa reflects the capacity of tribes to adjust to politics, which allows little room for tribal autonomy. The relation between tribes and state is expressed through, among other things, the re-enactment of the tribal past represented by several objects. These objects refer to a narrative that sometimes differs significantly from the official version touted by the monarchy. This article lays emphasis on the complex relations tying tribal authorities to the Hashemite dynasty, and shows how a tribal memory is molded inside the madāfa.
- Kinship Matters. Tribals, Cousins, and Citizens in Southwest Asia and Beyond - Saskia Walentowitz (D), Édouard Conte p. 217-250 Les auteurs attirent l'attention sur les ambivalences épistémologiques inhérentes au terme « tribu » et remettent en question la distinction entre secteurs tribaux et non tribaux appliquée aux sociétés dans lesquelles l'islam est largement reconnu. Ils explorent des hypothèses destinées à montrer comment une théorie alternative de la parenté et de la reproduction transgénérationnelle peut contribuer à fournir des explications non téléologiques et non discriminatoires de processus relevant de la construction de la proximité sociale et politique au-delà de toute dichotomie entre famille et État. Le concept clé de nasab, ainsi que ses analogues, est ici défini comme une constante réarticulation de processus simultanément structuraux et historiques qui garantissent rétrospectivement la validité des références aux origines. Celles-ci relèvent de l'articulation, au fil des générations, de fratries via des mariages par permutation (badal) et via la reconnaissance d'affiliations individuelles et collectives, de paternité et de citoyenneté y compris. Cet article souligne aussi la nécessité de développer une théorie adéquate de la parenté afin de contrer le détournement des sciences sociales par des acteurs néo-évolutionnistes et néo-conservateurs qui caricaturent les « sociétés musulmanes » en amalgamant « endogamie », « inceste » et « terreur ».The authors draw attention to the epistemological ambivalences inherent to the term ‘tribe' and question the division of societies in which Islam is widely recognized into tribal and non-tribal sectors. They test hypotheses meant to show how an alternative theory of kinship and transgenerational reproduction can contribute to provide non-teleological and non-discriminatory explanations of processes related to the construction of social and political proximity beyond the family vs. state dichotomy. The key Arabic concept of nasab, and its analogues, is here understood as the constantly recreated articulation of convergent structural and historical processes that retrospectively guarantee the validity of claims of origin by the linkage over time of sibling sets through marriage by permutation (badal) as well as the recognition of individual and collective affiliations, including paternity and citizenship. Further, this article stresses the necessity of developing a comprehensive theory of kinship in order to counter the hijacking of the social sciences by neoevolutionist and neoconservative actors who represent ‘Muslim societies' through an amalgamation of ‘endogamy', ‘incest', and ‘terror'.
Chronique
- Enjeux fonciers. Première partie : Afrique et Madagascar - Gérard Chouquer p. 251-272
- Comptes rendus - p. 273-288