Contenu du sommaire : Le corps du libéralisme - 1

Revue Raisons Politiques Mir@bel
Numéro no 11, septembre 2003
Titre du numéro Le corps du libéralisme - 1
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Éditorial

  • Dossier

    • Libéraux et pornographes - Ruwen Ogien p. 5-28 accès libre avec résumé
      Jusqu'à récemment, les philosophes libéraux étaient globalement en faveur de la tolérance de la pornographie au nom de leur attachement aux libertés de base, à la liberté d'expression en particulier, et les conservateurs réclamaient la prohibition de la pornographie au prétexte qu'elle immorale. Mais ce tableau intellectuel a changé depuis que certains philosophes libéraux ont défendu l'idée que des principes libéraux tels que le principe de « ne pas nuire à autrui » ou celui de l'« égale protection des lois » pouvaient parfaitement justifier la prohibition de la pornographie. Dans cet article, j'essaie de montrer que la critique libérale de la pornographie est incohérente.
    • Suicide assisté : le mémoire des philosophes - Ronald Dworkin, Thomas Nagel, Robert Nozick, John Rawls, Thomas M. Scanlon, Judith Jarvis Thomson p. 29-57 accès libre avec résumé
      Les Atats peuvent protéger les individus qui prendraient la décision d'abréger leur vie de manière irrationnelle ou passagère, sans disposer de tous les éléments ou sous la contrainte, et, à cette fin, les Atats peuvent donc encadrer et limiter l'aide que les médecins sont autorisés à apporter à des individus exprimant le désir de mourir. Ils ne sont cependant pas en droit de refuser aux individus la possibilité de démontrer, au moyen d'une procédure raisonnable, que leur décision de mourir est véritablement éclairée, irrévocable et prise en dehors de toute contrainte. Refuser cette possibilité à des malades incurables qui souffrent le martyre ou sont condamnés à une existence qu'ils estiment insupportable ne pourrait se justifier qu'en s'appuyant sur des convictions religieuses ou éthiques concernant la valeur ou le sens de la vie elle-même. C'est une chose qu'aucun Atat libéral ne peut faire. Si la Cour suprême des Atats-Unis refusait cette possibilité aux citoyens américains, sa décision ne pourrait s'appuyer que sur un postulat lourd de conséquences : un citoyen n'aurait en fin de compte pas le droit, même théorique, de vivre et de mourir conformément à ses propres croyances religieuses et éthiques, à ses propres convictions sur les raisons pour lesquelles sa vie est précieuse et sur ce qui en fait la valeur.
    • Comment peut-on être paternaliste ? Confiance et consentement dans la relation médecin-patient - Alexandre Jaunait p. 59-79 accès libre avec résumé
      La fonction traditionnelle du médecin de « décider pour », qu'on trouve défendue dans la théorie paternaliste médicale, est aujourd'hui battue en brèche par l'obligation légale de recueillir le consentement du patient aux actes médicaux. Le code de déontologie médicale français témoigne par ses évolutions d'un mouvement de modernisation de la relation thérapeutique, conforme aux évolutions du libéralisme politique. Pour autant, les justifications traditionnelles du paternalisme médical sont-elles infondées ? La relation médecin-patient est ici abordée à travers une analyse des rapports de confiance qui se tissent dans la relation de soin et qui permettent d'accommoder les intuitions du modèle paternaliste dans un cadre résolument libéral.
    • L'institution embarrassante. Silences de l'esclavage dans la genèse de la liberté moderne - Eleni Varikas p. 81-96 accès libre avec résumé
      Le rapport étroit, à la fois historique et conceptuel, dans lequel la liberté et l'esclavage se développent dans la modernité constitue une antinomie flagrante quoique pratiquement invisible du libéralisme. Cette invisibilité est assurée par une longue tradition de métaphorisation qui, occultant l'esclavage colonial moderne, fait de l'esclavage une figure rhétorique de l'assujettissement politique à l'opposé de laquelle se définit la liberté des modernes. Dans la mesure où il se développe dans des sociétés à légitimations universalistes, l'esclavage colonial est une institution embarrassante, comme l'a justement qualifié Orlando Patterson. Penser cet embarras, s'enquérir de son historicité et des conditions de possibilité des effets qu'il produit offre une perspective privilégiée qui permet d'interroger, d'éclairer les ambiguïtés et les zones d'ombre des traditions de la liberté dont nous avons hérité.
  • Actualité - La prostitution

    • Grossesse et prostitution. Les femmes sous la tutelle de l'État - Gail Pheterson p. 97-116 accès libre avec résumé
      Les structures traditionnelles qui sous-tendent le contrôle des femmes enceintes ou prostituées sont analysées comme un processus d'appropriation et de subordination des femmes. Au niveau global, la réglementation de la grossesse et de la prostitution ont été incorporées dans le « contrôle des naissances » et dans le « contrôle des migrations », au nom du « planning familial » et de la « répression de la traite des femmes ». Bien que la plupart de ces politiques prennent place au sein d'un système cohérent, la questions du travail reproductif et celle du travail sexuel sont le plus souvent isolées, ou conçues comme des antithèses stratégiques par la droite, de même que par la gauche, les activistes féministes et les organisations non gouvernementales. Cette fausse dichotomie renforce la division des femmes en servant secrètement les hypocrisies et les injustices institutionnelles.
    • « Les putes sont des hommes comme les autres. » - Elsa Dorlin p. 117-132 accès libre avec résumé
      Selon Gail Pheterson, le « stigmate de putain », comme les législations anti-prostitution, sont des instruments de contrôle sexiste touchant toute femme, prostituée ou non, qui transgresse les « codes discriminatoires du genre ». Toutefois, si le contrôle se déploie sans distinction, que l'on soit femme ou femme prostituée, le concept de « stigmate » ne rend pas suffisamment compte de la spécificité du processus historique de domination qui s'exerce sur les prostituées, considérées comme une véritable classe à part au coeur du groupe des femmes. Ainsi, la généalogie de la figure de la prostituée montre comment, au moins depuis l'âge classique, la médecine a défini, et même construit, un corps singulier, un organisme stérile, physiologiquement spécifique à la prostituée, lui octroyant tous les traits et les caractéristiques de la virilité. Si les putes sont des hommes comme les autres, la prostitution peut ainsi être pensée comme un espace d'homosocialité, bien distinct de celui de la conjugalité et de la filiation. Dans ces conditions, produit d'une véritable mutation de genre, jouant sur et avec les identités sexuées, cette liberté toute virile de la prostituée, loin de transgresser les lois du genre, serait plutôt le pur produit d'un rapport de pouvoir.
    • « Et si je meurs avant mon suicide, c'est qu'on m'aura assassinée. » Pensées libres autour de la prostitution - Michela Marzano p. 133-148 accès libre avec résumé
      D'un point de vue général, on peut dire que la prostitution est une activité qui monnaye l'acte sexuel. Ce qui implique une séparation de la sexualité d'avec le désir et sa transformation en une activité gérée par les lois du marché. Quelles sont cependant les conséquences de ce « déplacement » de la sexualité pour l'individu et son statut ? Une société qui se veut démocratique et libérale doit-elle prendre position à cet égard et envisager une réglementation juridique de cette sexualité monnayée ? Tout en cherchant à montrer comment la prostitution vide la sexualité de sa substance et de son sens et met ainsi en péril la place du sujet, nous essaierons de montrer les limites et les dangers d'une position prohibitionniste qui transforme les prostituées en « délinquantes » et d'une position réglementariste qui vise non seulement à rendre la prostitution licite, mais aussi à la reconnaître comme une activité ordinaire.
  • Varia

    • Le paradoxe de l'idéologie revisité par Paul Ric?ur - Johann Michel p. 149-172 accès libre avec résumé
      En réhabilitant le concept d'idéologie, Paul Ricoeur s'emploie à résoudre son paradoxe sous-jacent, mis en évidence par K. Mannheim. Tout se passe en effet comme si toute critique de l'idéologie était soupçonnée elle-même d'appartenir à une idéologie. Pour sortir de ce cercle vicieux, P. Ricoeur ne suit ni la voie engagée par la « science » marxiste ni la voie inspirée par la sociologie de la connaissance dont il montre respectivement le caractère aporétique. La contribution originale de l'herméneute consiste à résoudre le paradoxe de l'idéologie en puisant dans les ressources d'une philosophie politique. A l'opposition inopérante science/idéologie, Ricoeur préfère mettre en oeuvre une dialectique subtile entre utopie et idéologie. En d'autres termes, une critique de l'idéologie n'est concevable que sur la base d'un discours utopique qui met à distance l'ordre social en proposant un horizon émancipateur.
  • Lectures critiques