Contenu du sommaire : Les frontières de la formation syndicale
Revue | Le Mouvement social |
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Numéro | no 235, avril-juin 2011 |
Titre du numéro | Les frontières de la formation syndicale |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
- Les mutations de l'éducation syndicale : de l'établissement des frontières aux mises en dispositif - Nathalie Ethuin, Karel Yon p. 3-21
- Les Bourses du travail : entre éducation politique et formation professionnelle - David Hamelin p. 23-37 Les Bourses du travail au tournant des XIXe et XXe siècles, malgré leur importance dans l'histoire sociale, restent mal connues, notamment en ce qui concerne leurs fonctions éducatives. Fondé sur l'analyse des congrès syndicaux, de la presse syndicale et des réalisations concrètes dans certaines Bourses du Centre-Ouest, cet article montre en quoi les pratiques au quotidien des militants des Bourses amènent progressivement l'ensemble de la CGT à modifier ses approches en matière d'éducation ouvrière. Si les conceptions idéologiques des principaux leaders de la CGT restent prégnantes, le pragmatisme, mais aussi les réelles difficultés éprouvées mettent à mal les discours d'autonomie ouvrière ou de défiance à l'égard des Universités populaires. L'émergence de la figure de l'enseignant au sein de la CGT dans les années 1910 achève cette mutation en familiarisant les ouvriers aux potentialités de l'école républicaine, qu'il est possible de transformer de l'intérieur et en imaginant un enseignement universitaire pour les ouvriers.Labor Union Centers: between political education and professional training (1895-1914)In spite of its social historical importance, the fin-de-siècle labor union center, in particular its educational services, remain poorly known. Through an analysis of labor union congresses, the labor press, as well as the practical experiences of several French labor union centers in Center-West France, this article shows how the daily practice of activists at these centers gradually led members of the CGT to modify their visions of labor education. While the ideological pre-conceptions of the main CGT leaders remained firm, their pragmatism and the difficulties they experienced led them to compromise their principles concerning labor autonomy, and to soften their mistrust towards people's universities. The growing numbers of school teachers in the CGT during the 1910s also contributed to this change. These teachers familiarized the workers with the transformative potential of the Republican school, leading them to believe that it could be changed from within, and helping them to imagine a university education for the workers.
- Entre éducation populaire et propagande syndicale : les cours radiophoniques de la CGT sous le Front Populaire - Morgan Poggioli p. 39-52 Cet article aborde une expérience originale d'éducation populaire, souvent citée en exemple mais finalement assez peu étudiée : les cours radiodiffusés du Centre confédéral d'éducation ouvrière (CCEO) de la CGT, durant le Front populaire. Le CCEO qui, dès sa création en 1933, est conçu comme un outil de démocratisation du savoir a en effet à partir de janvier 1937 l'opportunité d'accéder à un média de masse et d'élargir son audience. Nous verrons donc comment pendant trois ans, à travers l'émission La Voix de la CGT, le syndicat a investi les ondes, fait l'apprentissage des exigences particulières de l'exercice radiophonique et s'est efforcé de concilier mission éducative et tentation propagandiste.Between popular education and union propaganda: the lectures broadcast by the CGT during the Popular Front. This article deals with an innovative adult education program during the Popular Front. While the lectures broadcast by the Centre Confédéral d'Education Ouvrière (CGT's working-class education center) are often cited, they are rarely studied. Created in 1933 as a way to democratize knowledge, the CCEO had the opportunity in 1937 to gain access to the mass media and to enlarge its audience. This article illuminates how during three years it broadcast “La voix de la CGT”, the trade-union confederation gained a better sense of the special demands posed by a broadcast program. During this period, it tried to both fulfill its educational mission and struggle against the temptations of propaganda.
- Du cursus d'éducation syndicale aux parcours de formation des militants de la CGT (années 1950-2000) - Nathalie Ethuin, Yasmine Siblot p. 53-69 Cet article retrace les évolutions du système d'« éducation » puis de « formation » de la CGT, en se centrant sur l'importation mais aussi l'adaptation de plusieurs modèles d'éducation : un modèle d'éducation partisan (celui du PCF), le modèle du cursus scolaire et enfin celui de la formation pour adultes. Pour rendre compte de ces emprunts mais aussi des spécificités du modèle de la CGT, on se fonde ici sur des sources de première main, celles du Centre confédéral d'éducation ouvrière (CCEO) déposées à l'Institut d'histoire sociale confédéral de la CGT, ainsi que sur des entretiens avec d'anciens permanents du CCEO. Cette exploration révèle la relative autonomie du secteur formation au sein de la confédération, et interroge les pratiques de travail des militants qui ont élaboré les programmes et modèles pédagogiques au fil des décennies au regard de leurs trajectoires syndicales, intellectuelles et sociales. L'article propose ainsi une périodisation des évolutions du modèle de formation cégétiste, depuis la période de la « syndicalisation de l'éducation » qui s'ouvre en 1947, jusqu'à celle de la « formation tout au long de la vie syndicale » qui marque les dernières années.From activist education curriculum to life-long activist training : the evolution in the CGT, 1950-2000This article retraces the evolution of the educational system of the CGT by focusing on its similarities with and differences from other forms of education: partisan political education (specifically in the Communist Party), public education, and professional training. The findings are based on documents from the archives of the Centre confédéral d'éducation ouvrière of the CGT, which have never been analysed, as well as on interviews with former members of this Center who know a great deal about the content and methods of CGT education. The article reveals the relative autonomy of those persons in charge of education, and analyses their practices as well as their syndical, intellectual and social trajectories. It proposes a way to periodize the evolution of CGT education: from a “syndicalization of education” beginning in 1947 to “life-long syndical training” in more recent years.
- De la fabrique des libres-penseurs à l'administration des dévouements : Force Ouvrière et la mise en cursus de la formation syndicale (1948-1971) - Paula Cristofalo, Karel Yon p. 71-87 Cet article interroge la signification pratique du passage de « l'éducation ouvrière » à la « formation des militants » au sein de la CGT-Force Ouvrière. Nous commençons par évoquer la relance avortée d'un dispositif éducatif organisé sur un mode décentralisé et coopératif. Nous abordons ensuite les injonctions externes à la mise sur pied d'un dispositif de transmission centralisé et sélectif. Nous entendons ainsi mettre l'accent sur le lien entre changements de forme et de fond : la substitution du Centre de Formation de Militants Syndicalistes au Centre d'Éducation Ouvrière donne naissance à un « dispositif d'administration du sens syndical » qui déconnecte éducation et politique, apprentissage du syndicalisme et développement d'une pensée stratégique. Si la syndicalisation de la formation est étroitement liée aux encouragements de la puissance publique, elle dépend également d'un passage de relais dans les équipes chargées de cette activité. Dans la période étudiée, on voit ainsi se développer l'encadrement administratif des activités éducatives et se succéder trois profils différents d'éducateurs : des intellectuels issus du monde de l'enseignement, des intellectuels issus du monde des entreprises et des militants sans lien direct avec le monde intellectuel.From the creation of free thinkers to the administration of the faithful: developing the training curriculum at Force Ouvrière (1948-1971)The article explores the practical meaning of the shift from “worker education” to “union training” within the French Trade Union CGT-Force Ouvrière. It deals first with the failure of an educational approach based on a cooperative, de-centralized structure. Second, it describes external pressures to establish a more centralized, selective training plan. Here we emphasize the link between changes in form and content: the substitution of Centre de Formation de Militants Syndicalistes for Centre d'Éducation Ouvrière created an “union-directed administrative plan”, which separated education from politics, and syndical training from strategic thinking. While the syndicalization of training is closely linked to incentives from public authorities, it also depends on shifts in personnel within the organization. During the period under study, we see the development of an administrative staff for educational activities. We also see an evolution in the profiles of educators: at first they were intellectuals from the teaching world, then intellectuals from the business world, and finally activists with no specific links to intellectuals.
- Du « perfectionnement » professionnel à la « performance » de l'action syndicale. Formations et expertise à la Confédération Française de l'Encadrement-Confédération Générale des Cadres (CFE-CGC) - Corinne Delmas p. 89-104 En 1959, la Confédération générale des cadres (CGC) crée une formation syndicale. Valorisant la « qualité » et l'expertise, cette formation a une double dimension, pratique et professionnelle. Mais elle ne vise pas en premier lieu à activer l'engagement militant. Le brouillage entre formation syndicale et formation professionnelle des cadres est constant dans cette organisation syndicale, où plusieurs registres différents se succèdent cependant : celui du cadre « responsable » et « humaniste », celui du cadre « expert » de l'entreprise, celui du manager.From professional “excellence” to the “performance” of militant action. Modes of training and expertise in the CFE-CGC. In 1959, the Confédération générale des cadres (CGC) created a syndical training center. Valorizing “quality” and expertise, this mode of training had a double dimension which accounted for both the practical and the professional. Priority was not given to the cultivation of militancy. The conflict between syndical and vocational training was constant in this union organization, which struggled over time to produce several different models of the cadre: as a “responsible” and “humanistic” executive, as an “expert” business executive, and as a manager.
- La formation des responsables à la CFTC-CFDT : de la « promotion collective » à la sécurisation des parcours militants (1950-2010) - Cécile Guillaume p. 105-119 La CFDT a toujours eu un discours sur la dimension stratégique de la formation, tant du point de vue des enjeux de cohérence identitaire et organisationnelle que du renforcement de l'efficacité de l'action syndicale. Cet usage de la formation dans la perspective du renforcement d'une « culture d'organisation » ne s'est pas démenti et connaît périodiquement une actualité renouvelée avec l'arrivée régulière de nouvelles générations de militants. Parallèlement, dans un contexte d'élévation des niveaux de diplôme des responsables et de fort renouvellement générationnel, les contenus de formation se sont progressivement centrés sur un objectif de professionnalisation des pratiques, s'éloignant de la philosophie de l'éducation populaire et minorant la fonction d'élaboration politique collective. Aujourd'hui, la tentation est grande de mettre en œuvre une démarche de compétence, au service d'une « gestion des parcours militants » et d'une éventuelle validation des acquis de l'expérience syndicale qui consacre une vision apolitique, individuelle et institutionnalisée de l'engagement syndical susceptible d'être reconverti dans d'autres sphères professionnelles.Modes of training at the CFDT: from “collective advancement” to securing individuals' trajectories, 1950-2000The CFDT has always given great importance to labour education in order to strengthen union identity and cohesion and develop union efficiency. These two goals have evolved following the evolution of the CFDT's repertoire of action. Since 1950, the will to use training in order to fuel and reinforce « organisational culture » has been frequently reinforced by the periodical arrival of new generations of activists. At the same time, the rising level of the activists' formal education, the high rate of generational change and the professionalization of union practices have shifted labour education toward expertise and technical knowledge, reducing the aim of “collective emancipation” and union democracy. Today, the development of competency management courses to rationalize activists' trajectories, which may count towards a qualification accreditation for work experience, is seen as the consecration of a depoliticised, institutional and individualistic vision of union commitment, which may be reconverted into other working spheres.
- Le fétichisme de la formation et les enjeux politiques d'un dispositif centralisé. Le cas du Centre fédéral de formation de la FEN (1976-1982) - Guy Brucy p. 121-136 Au début des années 1970, la FEN est la plus puissante des organisations syndicales de l'Éducation nationale et de la fonction publique. Mais elle est en même temps confrontée à la progression régulière des minorités internes qui menacent le pouvoir de la tendance majoritaire qui la dirige. En 1976, sa direction met en place un dispositif de formation dont l'objectif est de renforcer le pouvoir fédéral et de préserver l'avenir de la majorité en structurant un réseau de sections départementales. L'organisation des stages, leur encadrement par une équipe d'animateurs-formateurs adhérant aux thèses majoritaires, la sélection des savoirs dispensés et les pédagogies privilégiant l'activité collective des stagiaires visent à former un nouveau type de militants animés de l'esprit fédéral et indépendants des appareils des syndicats nationaux. Ce dispositif cristallise très tôt l'opposition à la fois des plus importants syndicats de la tendance majoritaire – notamment le SNI –, jaloux de leur indépendance, et des syndicats dirigés par la minorité Unité et Action, qui redoutent l'instrumentalisation des sections par la tendance majoritaire. Objet d'attaques convergentes de plus en plus violentes, le dispositif sera profondément remanié au début des années 1980.Fetishized training and the political stakes of a centralized structure. The case of the Federal Training Center of the FEN (1976-1982)At the beginning of the 1970s, FEN was the most powerful union organization of state education and public service. At the same time, it had to deal with the growing influence of internal minority groups who threatened the power of the majority responsible for direction. In 1976, this direction established a training initiative whose purpose was to reinforce central power and to preserve the future of the majority by creating a network of departmental sections. The organization of courses, their supervision by a team of training leaders who adhered to majority principles, the selection of curriculum and pedagogy which both favored the collective activity of trainees — all these aimed to shape a new type of militant motivated by a federal spirit and independent from the national union system. This plan quickly crystallized the opposition of both the most important unions of the majority tendency, notably the SNI, which guarded its independence, as well as of the unions directed by the minority group “Unité et Action”, which feared the majority's control over their sections. An object of ever more violent and widespread attacks, the plan would be profoundly revised at the beginning of the 1980s.
- À l'école de la dissidence ? : Les usages de la formation par l'opposition interne au sein de la CFDT du début des années 1980 à 2003 - Sophie Béroud p. 137-150 De la fin des années 1970 à 2003, une opposition interne s'est exprimée au sein de la CFDT, d'abord sous la forme d'un réseau peu structuré puis de façon officielle, avec la constitution en 1996 de l'association Tous ensemble et du journal du même nom. Rassemblant des secteurs critiques face à la ligne confédérale, cette opposition s'est avant tout positionnée sur un plan programmatique, menant une bataille d'idées pour dire l'héritage de la CFDT, son histoire et la légitimité des orientations choisies. Dans ce contexte, la formation syndicale a représenté un domaine important pour cette opposition interne, mais sans qu'elle le considère pour autant comme une priorité stratégique. De fait, tout en ayant conscience des usages politiques que la confédération pouvait faire de la refonte du système de formation, les principales structures oppositionnelles ont abordé ce domaine de façon assez différenciée, en s'y investissant avec des moyens hétérogènes et en bénéficiant d'une autonomie plus ou moins forte. Par-delà cette inégalité de ressources et de situations, se dégage cependant une conception commune de la formation et de ses apports : doter les militants d'une grille de lecture globale sur les enjeux socio-économiques et avoir une approche « politique » du syndicalisme.At the school of dissent: training courses as a resource for the CFDT's internal opposition
From the late seventies to the year 2003, an internal opposition existed at the heart of the CFDT's ranks. While somewhat amorphous at first, it grew into an official, organized network in 1996 when it created both an association and a journal named Tous ensemble. Regrouping factions critical towards the direction of the organization, this opposition positioned itself, first and foremost, on a programmatic level promoting the CFDT's specific heritage and history, and defending the legitimacy of various directions already chosen. In this context, union training courses were an important issue for the internal opposition, yet they never were a strategic priority. Indeed, even though the main oppositional structures were aware of the political ends that the reorganization of the training system by the confederation could serve, they chose different approaches, investing various levels of resources, adopting disparate measures and benefitting from unequal levels of autonomy. Beyond this inequality of resources and situations, a common conception of training and its benefits appears: one which endows activists with the tools to understand the global social and economical issues at stake, including a political stance regarding trade unionism. - La recension des archives de la formation syndicale française : des pistes de recherches renouvelées - David Hamelin p. 151-161
Notes de lecture
- Notes de lecture - p. 163-187
Informations et initiatives
- Informations et initiatives - p. 189-195