Contenu du sommaire : Mobilisations conservatrices
Revue | Politix |
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Numéro | vol. 27, no 106, 2014 |
Titre du numéro | Mobilisations conservatrices |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Éditorial
- Éditorial - p. 3-5
Dossier : Mobilisations conservatrices
- Mobilisations conservatrices : comment les dominants contestent ? - Éric Agrikoliansky, Annie Collovald p. 7-29 Cet article s'intéresse aux mobilisations des groupes dominants et aux mouvements sociaux conservateurs. Il esquisse d'abord quelques raisons du désintérêt sociologique pour ce type d'action collective. Puis, en élargissant le cadre de réflexion de la sociologie de l'action collective et en s'adossant aux sociologies des élites, de l'action publique et de la domination dont les apports récents sont nombreux (bien que dispersés), les auteurs formulent de nouvelles pistes pour comprendre de quoi sont faites ces mobilisations et comprendre leurs dynamiques.Conservative Mobilizations: How Dominant Groups Protest?
This article illustrates the importance to understand how the dominant groups in society protest. Having examined the reasons why the social movement theorists have been so few interested by conservative mobilizations, the authors suggest several ways to analyse dominant group's collective action, especially by using tools of social movement's theory but also by using conceptual frameworks of domination's theory, public policies analysis or elite's sociology. - La droite entre les deux guerres : psychologie des foules, sciences de l'organisation et publicité moderne - Kevin Passmore p. 31-57 Les historiens ont souvent expliqué l'absence dans la France de la Troisième république d'un large parti conservateur par son refus de répondre aux défis de la modernité. Ils ont considéré que les diverses réorganisations de la droite sont autant de tentatives infructueuses de la « moderniser ». Au lieu d'interpréter les méthodes de mobilisation de la droite à l'aune des catégories anhistoriques de tradition et de modernité, cet article réinscrit le mot « organisation » dans le contexte de la compétition entre les partis de la droite et dans leur combat contre le communisme. L'article met en évidence le fait que les dirigeants de droite partageaient la même « culture intellectuelle et politique ». Notamment, ils ont eu recours à la psychologie des foules, mise à jour par les sciences de l'organisation et par les techniques de la publicité « moderne ». Mais ils vont s'approprier cette culture politique différemment en fonction des enjeux qui leur sont propres. Trois tentatives de réorganisation sont observées : celles du Centre de propagande des républicains nationaux, de l'Alliance démocratique, et des Croix de feu et de son successeur, le Parti social français. L'analyse montre que l'Alliance, souvent prise pour un parti anachronique de notables, a remporté le plus de succès.The Right Between the Wars: Crowd Psychology, Organisational Science and Modern Advertising
Historians have often explained the absence of a broad right wing party in early twentieth century France as the result of its failure to confront the challenges of ‘modernity'. Similarly, they have interpreted the many attempts to re-organise it as failed attempts to modernise it. Rather than use an ahistorical concept of modernity, this article focuses on the multiple and contested meanings of modernity that the right-wing groups used in struggles among themselves and against the left. It shows that right-wing politicians belonging to different tendiencies drew upon similar ideas, notably crowd psychology, updated with the latest management and work science and the techniques of ‘modern advertising', but put them to very different uses. The article uses three case studies : the Centre de propagande des républicains nationaux, the Alliance démocratique, and the Croix de feu and Parti social français. It shows that the Alliance, usually dismissed as an anachronistic party of ‘notables', made the most effective use of the methods in question. - « Messire Dieu, premier servi » : Étude sur les conditions de la prise de parole chez les militants traditionalistes de Civitas - Kevin Geay p. 59-83 Les militants traditionalistes de l'Institut Civitas font parler d'eux mais demeurent sociologiquement méconnus. D'où viennent-ils et pourquoi leur engagement radical se réalise-t-il dans cette organisation ? En quoi sont-ils attirés par une forme d'engagement susceptible de les marginaliser dans les sociabilités post-adolescentes ? L'enquête par observation participante présentée ici décrit l'inscription précoce des traditionalistes dans le fil bleu de la mémoire contre-révolutionnaire. La conformité des jeunes militants à ce rôle prescrit a néanmoins un coût pour Civitas. L'institut traditionaliste est pris en tension entre sa volonté d'élargir son audience au-delà de son vivier historique et son incapacité à transiger sur les pratiques ésotériques qui font sa spécificité et son unité.« “Our Lord first served”. An Ethnography of a Traditionalist Catholics Moral Crusade »Traditionalist activists of Civitas Institute are talked about but remain sociologically unknown. Where do they come from, why do they express their radical involvment in that organization? How are they attracted by a kind of commitment that may marginalize them from young adults' social groups? The participant observation survey introduced here describes the early enrolment of traditionalists in the blue thread of counter-revolutionary memory. Yet young activists' conformity to such a dictated role has a cost for Civitas. The traditionalist institute is strained under the wish to widen its audience beyond its historical breeding ground and its inability to compromise with the esoteric practices that specify and unify it.
- Ringards, hypocrites et frustrés ? : Les militants des associations familiales catholiques face à la réprobation - Sophie Rétif p. 85-108 On s'intéresse ici au travail symbolique réalisé par deux associations familiales catholiques, l'une française et l'autre portugaise, afin de contrevenir aux représentations négatives associées aux catholiques traditionalistes (passéisme, frustration, hypocrisie moralisatrice, etc.). Pour éviter que ces représentations ne viennent entraver leur capacité de recrutement et la bonne réception de leurs revendications, ces associations développent des stratégies qui se déploient à plusieurs niveaux : elles sont notamment mises en œuvre lorsqu'il s'agit de choisir les responsables, les formes d'énonciation des revendications ou les modes d'action privilégiés. Ces stratégies constituent un point d'entrée particulièrement intéressant pour penser les formes du militantisme et l'organisation du travail dans ces collectifs.Dorky, Hypocritical, and Frustrated? Activism in Catholic Families' Associations Confronted to CriticismIn this paper, I discuss the findings of a research project focusing on two Catholic families' associations, in both France and Portugal. I analyze the symbolic strategies developed by these organizations to challenge the common negative representations of conservative Catholics (reluctance to embrace modernity, hypocrisy, frustration, etc.). These negative representations can represent an obstacle for their claims to be heard, and can also hamper the recruitment of new members. The associations under study try to avoid these problems by developing a set of strategies, including the selection of their representatives, the way they formulate their demands or their chosen modes of operation. I argue that the analysis of these strategies is very helpful to understand forms of activism and the organisation of work within the associations.
- Une cause indéfendable ? : La mobilisation des avoués contre la suppression de leur monopole devant les cours d'appel - Nicolas Rafin p. 109-133 La mobilisation des avoués près les cours d'appel fait suite à la mise en place, en juin 2007, des commissions Attali et Darrois chargées de préparer une « modernisation » des institutions judiciaires dans laquelle est envisagée la suppression de leur monopole devant les juridictions de seconde instance, entraînant ainsi la disparition de leur profession. En juin 2008, annonce est faite par la Garde des Sceaux du gouvernement Fillon d'un projet de loi qui avalise cette proposition en la présentant comme « progressiste » et allant dans le sens de l'intérêt des justiciables. Comme pour les précédentes lois visant d'autres officiers ministériels, ce projet de loi n'a pas suscité un important émoi médiatique et politique du fait d'un certain consensus politique entre des partis de gauche jugeant antidémocratique l'accès à cette profession très souvent « héritée » et conditionnée par un système de numerus clausus et une droite entrepreneuriale et libérale cherchant à ouvrir à la concurrence le marché des causes juridiques. Ce projet de loi a pourtant fait l'objet d'une mobilisation de la part de ces officiers ministériels durant près de deux années autour d'une principale revendication : le maintien de leur statut protecteur à l'écart des espaces plus concurrentiels du marché des services juridiques et judiciaires. Face à une cause qui paraît d'emblée désavouée, cet article vise à saisir les conditions sociales et politiques de possibilité de la mobilisation initiée par les avoués et de comprendre comment les modes d'action qu'ils ont utilisés ont permis, malgré les soubresauts qu'a pu connaître le mouvement de contestation, d'assurer le maintien du groupe professionnel en tant que tel et entretenir sa mobilisation... du moins jusqu'à la décision du Gouvernement de supprimer la profession.An Indefensible Cause: the Mobilization of the French Appeal Court Attorneys against the Reform of their Monopoly on the Second Instance Juridictions. The mobilisation of French Appeal Court Attorneys followed the Attali and Darrois commissions in 2007, which were appointed to prepare the “modernisation” of the French legal institutions. This included proposals to cut their monopoly on the second instance jurisdictions, which would bring about the demise of their profession. In 2008, the Minister for Justice in the government of François Fillon announced a bill which endorsed this proposal, presenting it as “progressive” and in the interests of those subjected to legal proceedings. As for the previous laws targeting other ministerial officers, this bill did not excite a great deal of media and political attention. This is down to a certain political consensus between, on the one hand, left-wing parties which consider the access to this profession anti-democratic, due to its being very often inherited and conditioned by a system of limited numbers, and on the other hand, an entrepreneurial et economically liberal right-wing looking to open the market of legal cases to competition. The ministerial officers, however, have mobilised for almost two years in opposition to this bill. Their major claim is for the maintenance of their status of protectors separated from the more competitive spaces of the legal and judiciary services. Faced with a cause that seems to be ignored, this article aims to show the social and political conditions of the mobilisation initiated by the attorneys and to understand how the means of action used permitted, despite the ups and downs of the protest movement, to maintain the professional group and its mobilisation... at least until the Government's decision to phase out the profession.
- La politisation ordinaire d'une population extra-ordinaire : les électeurs des « beaux quartiers » en campagne électorale (2006-2008) - Éric Agrikoliansky p. 135-157 À partir d'une série d'enquêtes menées entre 2006 et 2008 dans le 16e arrondissement de Paris, cet article s'intéresse aux comportements politiques des fractions des classes supérieures caractérisées par l'importance du capital économique, le statut d'indépendant et la pratique de la religion. Il s'agit en particulier de tester l'hypothèse d'une forte politisation de cette bourgeoisie, fondée sur un haut degré de sophistication politique. Les résultats de ces enquêtes montrent qu'une telle hypothèse mérite d'être nuancée. D'abord parce que la compétence que l'on postule chez ces électeurs est souvent bien plus faible en pratique qu'ils ne le revendiquent en théorie. Ensuite, parce que loin de posséder des capacités hors de l'ordinaire, ils raisonnent, comme les autres, à l'aide de raccourcis et de simplifications. Évitant le débat politique plutôt qu'ils ne le recherchent, ils se révèlent particulièrement sensibles aux logiques collectives qui sont au principe de la production des opinions, pour eux comme pour les autres.Ordinary Political Attitudes of Extra-Ordinary People: Upper Class Vote in « Beaux quartiers » of Paris (2006-2008)This article aims to provide an understanding of the ordinary political relation of upper class citizens to politics in French democracy. This research is based on several surveys located in the 16th district of Paris, usually call the “beaux-quartiers”. This communication intends to analyses the level of political sophistication of the upper-class citizens and intends to study the social embedding of political attitudes of the French “bourgeoisie”.
- Mobilisations conservatrices : comment les dominants contestent ? - Éric Agrikoliansky, Annie Collovald p. 7-29
Varia
- Les avatars de la « nouvelle droite » chilienne : la fabrique d'une institution partisane (1967-2010) - Stéphanie Alenda p. 159-187 Cet article analyse les étapes de la fabrique d'une institution partisane en prenant pour objet le parti politique le plus important du Chili en nombre de voix et d'élus : l'Unión Demócrata Independiente (UDI), héritier du gouvernement militaire. L'étude de cette institution performante, à travers les socialisations, trajectoires et profil sociographique de ses principaux dirigeants, fait apparaître une double dynamique d'institutionnalisation : l'ajustement à un ordre particulier des habitus adaptés/adaptables, mais aussi l'émergence de processus de désajustement/distanciation survenant au fil du temps et se traduisant par des oppositions générationnelles et positionnelles entre différents groupes d'acteurs : députés, maires, « nouvelles générations », ou encore noyau dur ayant ardemment soutenu le régime de Pinochet. Nous montrons que si ce parti réussit à « faire institution », c'est en entretenant un sentiment subjectif d'appartenance à un « Nous » (celui de la relation partisane initiale sous forme de communalisation), qui côtoie des logiques de compétition propres à la sociation.The Vicissitudes of the “New” Chilean Right. The Building of a Partisan Institution (1967-2010)This paper analyzes the phases of the building of a partisan institution, taking the case-study of Chile's largest party in terms of both voters and seats: the Unión Demócrata Independiente (UDI), active supporter of the military government. The study of this successful institution, through the socializations, trajectories and sociographic profile of its main leaders, reveals a double dynamic of institutionalization: the adjustment to a particular order of adapted and adaptable habitus, but also the emergence of mismatch/detachment processes occurring over time and resulting in generational and positional oppositions between different groups of actors : members of parliament, mayors, « new generations », or hard-core leaders who ardently supported Pinochet regime. We show that the party succeeded in converting itself into an institution thanks to its ability to maintain a subjective sense of belonging to a « We » (the initial partisan relationship assimilable to the Weberian « community »), concomitant to a logic of competition proper to « society ».
- Être ou devenir victime ? Le cas des surirradiés - Florian Pedrot p. 189-210 Le passage à l'action collective de « victimes » d'un même événement accidentel est au premier abord sociologiquement énigmatique. S'agissant des mobilisations de personnes surirradiées en milieu hospitalier au cours des années 2000, la progression des patients vers l'état d'accidentés médicaux a été lente à se dessiner. En revanche, la « réalisation » de ces néo-accidentés en victimes se déroulera de manière autrement plus rapide. L'arrière-plan de scandales venus affecter le secteur de la santé ces dernières années n'y semble pas étranger, influençant sans doute les comportements des usagers du système de santé autant que ceux des professionnels du droit leur venant en aide en cas de conflit avec lui.Be or Become a Victim? The Example of Irradiated People
The transition to collective action by people who are « victims » of accidental events seems, superficially, to be enigmatic. With regard to the collective mobilisation of irradiated people, the progression of the patients towards being recognised as being in the medical accident category has generally been a slow process. In contrast, recognising that those recently involved in accidents are « victims » has been considerably faster. The background of scandals affecting the health sector in recent years does not seem irrelevant to this. They seem to influence the behaviour of those who use the health system, as well as the lawyers who help them when conflict arises. - Les temporalités de la lutte : Événement, urgence et changements de rythme dans une mobilisation locale pour la Palestine - Étienne Pingaud p. 211-231 Accélérations, stagnation, ralentissements... Toutes les mobilisations connaissent des changements de rythmes qui imposent des redéploiements et des réajustements aux protagonistes engagés. Cet article s'intéresse justement aux effets de ces variations à travers l'exemple d'un mouvement de quartier contre une intervention israélienne dans la bande de Gaza. L'événement suscite un sentiment d'indignation et la perception d'une urgence à agir qui conduit les militants locaux à s'investir immédiatement dans le combat. L'impératif de rapidité bouscule le temps « routinier » de leurs habitudes et activités ordinaires, fragilise les anticipations et altère les rapports de forces. De fait s'ouvre une fenêtre d'opportunité pour de nouvelles alliances ou de nouveaux modes d'action. La rupture, tout à la fois rythmique et symbolique, provoque une réévaluation des perceptions et des manières de faire qui invite à donner toute sa place aux temporalités dans l'analyse de l'action collective.Struggle Temporalities. Event, Emergency and Rhythm Changes in the Case of a Local Mobilization for Palestine. Accelerations, break times, slowdowns... every mobilization goes through rhythm changes implying for people concerned new deployments and adjustments. Based on the case of a local protest movement against an Israelian army raid in Gaza, this article focus on these variations and their effects. The event sparks off indignation and feeling of an emergency to act, that make local activists immediately join themselves the struggle. The rapidity disrupts the « routine » time, activists habits and regular activities, weaken every kind of anticipation and affects the balance of power. A situation that allows new alliances or new ways of mobilization. Rhythmic break is also a symbolic break, provoking changes in perception. Consequently temporalities must be included in social movement analysis.
- Les avatars de la « nouvelle droite » chilienne : la fabrique d'une institution partisane (1967-2010) - Stéphanie Alenda p. 159-187
Notes de lecture
- Notes de lecture - p. 233-242