Contenu du sommaire : Fiscalité, justice et conflit politique en Russie, premier tiers du XVIIIe siècle
Revue | Cahiers du monde russe |
---|---|
Numéro | volume 55, no 1-2, janvier-juin 2014 |
Titre du numéro | Fiscalité, justice et conflit politique en Russie, premier tiers du XVIIIe siècle |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Dossier : Fiscalité, justice et conflit politique en Russie, premier tiers du xviiie siècle
- Fiscalité, justice et conflit politique en Russie, premier tiers du xviiie siècle : Avant-propos - Anna Joukovskaïa p. 5-12
- ПЕТР I КАК ВЕРШИТЕЛЬ ПРАВОСУДИЯ - Dmitrij O. Serov p. 13-30 L'article étudie les activités du tsar et empereur Pierre Ier dans le domaine de la justice. Pour la première fois dans l'historiographie, les actes législatifs du premier quart du XVIIIe siècle destinés à réguler l'activité judiciaire du monarque russe sont analysés de façon systématique et c'est sur la base de très nombreux documents d'archives que l'auteur révèle la participation personnelle de Pierre Ier à des procès. Il met en évidence l'intérêt manifeste du premier empereur de la Russie pour le fonctionnement de la justice, en premier lieu pour les procédures judiciaires relevant du pénal, (crimes d'État et délits de prévarication, notamment) et s'attache à proposer une analyse détaillée des décisions de Pierre Ier concernant la confirmation des peines ou leur rémission.Peter the Great as a dispenser of justice
The article reviews the activities of Tsar and Emperor Peter the Great in the judicial sphere. For the first time in historiography, the author systematically analyzes Russian legislative acts of the first quarter of the eighteenth century regulating the monarch's participation in judicial proceedings. Based on a wide range of archival sources, it describes Peter the Great's personal involvement in litigations. It shows that the first Russian emperor paid considerable attention to the problems of justice and that he had special interest in criminal proceedings (particularly in cases of crimes against the state and maladministration). Particular attention is paid to the analysis of Peter the Great's decisions concerning approval or remission of sentences. - ПЕРЕМЕНЫ В ФИСКАЛЬНОМ СТАТУСЕ ДЬЯКОВ И ПОДЬЯЧИХ В ЦАРСТВОВАНИЕ ПЕТРА I И ИХ СОЦИАЛЬНЫЕ ПОСЛЕДСТВИЯ - Anna Joukovskaïa p. 31-49 L'article porte sur un épisode de l'histoire fiscale russe des années 1700 qui n'a pas encore retenu l'attention des historiens, à savoir la tentative par Pierre le Grand de priver les secrétaires et les sous-secrétaires (d'jaki et pod'jačie) de leur privilège fiscal, ou, en d'autres termes, la tentative de l'État d'imposer ses propres agents. La Russie manquant de fonds pour mener la guerre avec la Suède, les conseillers du tsar lui suggérèrent que les sommes traditionnellement versées aux serviteurs administratifs par la population (kormy et vzjatki) pouvaient être assimilées au revenu imposable. Des mesures furent prises pour tâcher de calculer et réguler ce type de revenus, un avis de cotisation fut mis en place et, finalement, les agents de l'administration locale durent verser un tribut à l'État. Ces modifications furent très mal reçues par les secrétaires et les sous-secrétaires car non seulement elles leur étaient défavorables sur le plan économique, mais surtout elles remettaient en cause leur statut social en les faisant passer de la catégorie privilégiée des serviteurs de l'État à celle de la population imposable. Les secrétaires et les sous-secrétaires ne surent pas opposer une résistance collective ouverte à la mise en place de l'impôt, mais ils cherchèrent des moyens de ne pas le payer. En définitive, l'insignifiance des recettes perçues ne justifiait pas l'effort qu'imposait leur collecte et la mesure dut être abandonnée au bout de quelques années. Dans cet article, qui prend appui sur des archives et des sources publiées, l'auteur met en lumière les importantes implications sociales de la politique fiscale de Pierre et explore les mécanismes cachés de la prise de décision politique et des luttes à la cour qui accompagnaient le tsar dans ses efforts d'édification d'un État moderne.Changes in the fiscal status of d'iaki and pod'iachie under Peter the Great and their social consequencesThe paper covers an episode of early modern Russian fiscal history which hitherto has not received any attention from historians, that is, an attempt made by Peter I in the early 1700s to tax governmental officials (d'iaki and pod'iachie), in effect, an attempt by the state to tax its own agents. Peter was hard-pressed for cash, and he considered that payments traditionally made by supplicants to government clerks in order to expedite their business (kormy and vziatki) could be viewed as taxable income. An effort was made to calculate and even to regulate the incomes received by the clerks from the supplicants, a tax assessment was conducted, and eventually, local officials had to make a contribution to the state's coffers. This development was highly unwelcome for the clerks, not only because they were not really eager to part with their money, but especially because it put in question their social status potentially transferring them from the (non-tax-paying) state servitor category to the tax-paying population. Although the clerks as a social group could not put up an open resistance, they found ingenious means to evade paying this tax. As a result, the measure was dropped after a couple of years, as the receipts from the new tax were too minuscule to warrant sustained effort of collection. Based on archival as well as published sources, the paper sheds light on important social implications of Peter's fiscal policy, and on hidden mechanisms of political decision-making and court struggle that accompanied the tsar's state-building efforts.
- КАНЦЕЛЯРИИ СБОРА ПОДУШНЫХ ДЕНЕГС татус и место в административной системе России (первая треть XVIII в.) - Dmitrij A. Redin p. 51-69 L'article examine le statut de l'administration fiscale militaire qui se mit en place en Russie par suite de la réforme fiscale et de l'introduction de la capitation (ou « impôt sur les âmes ») en 1719. Cette réforme eut un grand impact dans les domaines les plus divers de la vie du pays, dont l'organisation de l'administration publique. La collecte de l'impôt capitulaire, destiné à l'entretien de l'armée, fut confiée directement aux régiments, cantonnés dans les provinces. Pour leur permettre de remplir ces fonctions militaro-administratives, Pierre Ier instaura un système spécial d'organes militaires d'administration dont le déploiement s'effectua dans le contexte d'autres réformes, administratives notamment (réformes collégiale, judiciaire, deuxième réforme du gouvernement local).Dans l'historiographie, il était d'usage de présenter les « cours de régiment » (polkovye dvory) comme des organes de gestion administrative fiscale et militaire. Cependant, sur la base d'une analyse approfondie de textes normatifs et de documents de bureaux, l'auteur démontre le caractère erroné de cette lecture. Après avoir établi que les bureaux de collecte de la capitation constituaient l'instance principale de l'administration militaire et fiscale, il pointe leur place dans le système général des institutions administratives locales et leur position dominante par rapport aux organes de l'administration civile. Tous ces éléments permettent de reconsidérer la conception historiographique courante prônant le caractère « collégial » des réformes administratives des dernières années du règne de Pierre le Grand.Status and role of poll tax collection bureaus in the Russian administrative system in the first third of the eighteenth century. The article examines the status of the fiscal-military administration established following tax reform and the introduction in 1719 of the head, or poll, tax. That reform had a great impact on the most diverse areas of Russian life, including the organization of public administration. The poll tax, whose purpose was the maintenance of the army, was collected by regiments garrisoned in the provinces. In order to alleviate the regiments' military-administrative tasks, Peter the Great introduced a special system of military bodies that was deployed within the context of other, mostly administrative (second local government, collegial, and judicial) reforms. Historiography has traditionally held that polkovye dvory were these fiscal-military administrative bodies. However, a thorough analysis of normative texts and tax-bureau records allows the author to demonstrate that historiography has proceeded on erroneous principles. After establishing clearly that the poll-tax collection bureaus were the main bodies handling fiscal-military administration, the author shows their position in the general system of local administrations and their precedence over civil institutions. All these elements allow one to challenge the traditionally held view of the “collegial” character of administrative reforms during Peter the Great's last years.
- «НА УБЫЛЫЕ МЕСТА... ВЫБИРАТЬ ОБЩЕСТВОМ» К вопросу о причинах «шляхетского движения» начала 1730 г. - Sergej V. ?ernikov p. 71-117 L'article examine les causes du « mouvement nobiliaire » du début de l'année 1730 – formation spontanée de groupes de petite et moyenne noblesses qui avaient rédigé des projets de réformes politiques et administratives de l'État et les avaient soumis au Conseil suprême privé. Pour l'auteur, ce mouvement trouve essentiellement son origine dans les changements radicaux survenus dans la structure du pouvoir lors du règne précédent, celui de Pierre II. L'analyse d'un important corpus de sources publiées et inédites permet de démontrer toute l'imprécision de la conception historiographique traditionnelle qui réduit les tensions politiques à l'opposition entre la « nouvelle noblesse » et « le parti vieux-russe » et ne reflète pas l'étendue des transformations politiques qui ont affecté l'élite. En réalité, le renforcement de l'aristocratie (cela n'a en fait touché que quelques-unes des grandes familles) ne s'est véritablement constaté qu'au sein du Conseil suprême privé et du Sénat, tandis qu'au niveau exécutif, dans les capitales comme en province, les représentants des familles élevées aux grades de la Douma au XVIIe siècle étaient supplantés par une noblesse moscovite d'extraction encore plus modeste et par des étrangers.L'auteur démontre que la popularité du projet « de la majorité » ne trouvait pas son fondement dans les loyautés clientélaires mais plutôt dans l'adhésion massive de la noblesse à sa proposition centrale de priver le Conseil suprême privé du pouvoir de contrôle sur les élections aux institutions gouvernementales supérieures, centrales et locales. Par ailleurs, la confrontation de la noblesse de Moscou à des progressions de carrière quasi nulles dans le service civil (contrairement au service militaire, infanterie comme marine) tendent à expliquer l'attention toute particulière portée par les rédacteurs des projets nobiliaires à la question du recrutement dans ce service.En annexe, l'article propose des listes nominatives de dirigeants des administrations centrales et locales dans les années 1725-1730.“The assembled shall give their votes to fill vacancies”The article examines the causes of the “nobility movement” of early 1730 – a spontaneous grouping of members of the lower and intermediate nobility who wrote and submitted to the Supreme Privy Council proposals for governmental reform. The author considers that the origins of the movement lie essentially in the radical changes that took place in the Russian state apparatus in the preceding reign, that of Peter II. Analysis of an important corpus of both published and unpublished sources allows one to demonstrate that historiography's traditional interpretation reducing political tensions to an opposition between the “new nobility” and the “old-Russian” party has failed to show the full range of political changes affecting the elite. In reality, the strengthening of the nobility – which actually only concerned a limited number of families – has only been observed in the Supreme Privy Council and the Senate. However, in executive branches of government at both central and provincial levels, non-titled Duma families of the seventeenth century were supplanted by lesser Muscovite aristocrats and foreigners. The author demonstrates that the widespread approval met by the proposals of the “majority” did not rest on patronage networks but rather on the nobility's massive support of their main proposition to strip the Supreme Privy Council of its control over elections to higher governmental institutions at both central and local levels. The appendix lists the names of central and local administration heads in the years 1725-1730.
Articles
- Possevino and the death of tsarevich Ivan Ivanovich - Paul Bushkovitch p. 119-134 L'histoire selon laquelle, en 1581, le tsarevič Ivan Ivanovič a été tué par son père Ivan le Terrible fait partie intégrante de l'histoire russe. Cependant, Moscovia d'Antonio Possevino SJ, qui est la seule source contemporaine, n'a été publiée pour la première fois qu'en 1586. La partie concernant la mort du tsarevič a été rédigée quelques années après la survenue de l'événement et entre en contradiction avec d'autres informations du livre. La correspondance, publiée plus tard, de Possevino avec ses supérieurs à Rome révèle qu'il prit cette histoire pour une rumeur et n'y prêta pas foi. En effet, rien ne prouve de façon irréfutable qu'Ivan ait tué son fils, de quelque manière que ce soit, intentionnelle ou accidentelle.The story of the 1581 death of tsarevich Ivan Ivanovich at the hands of his father, Ivan the Terrible, is a fixture of Russian history. Yet the only contemporary source is the Moscovia of Antonio Possevino, SJ.m first published in 1586. The relevant chapter was composed several years later, and is inconsistent with other information in the book. Possevino's then unpublished correspondence with his superiors in Rome reveals that he regarded the story as rumor and did not believe it. There is no reliable evidence that Ivan killed his son, intentionally or accidentally.
- Do we know the composition of the 18th century Russian society? - Aleksander Kamenskii p. 135-148 C'est en attirant l'attention des chercheurs sur un nouveau type de sources historiques, les billets à ordre, qui recèlent des informations sur l'identification des différents groupes sociaux en place en Russie au XVIIIe siècle et leur interaction, que l'auteur tente d'apporter des réponses à certaines des questions soulevées antérieurement par M. Confino, E. Wirtschafter et D. Ransel. L'article se base sur l'analyse d'environ 2 500 de ces billets enregistrés dans les livres des billets à ordre contestés de la magistrature de BeÂeck. L'auteur expose en quoi ce type de sources apporte un éclairage complémentaire à certains aspects de la vie sociale dans la Russie impériale, habituellement ignorés des historiens.The essay attempts to answer some of the questions previously raised by M. Confino, E. Wirtschafter and D. Ransel by attracting scholars' attention to a new kind of historical source, promissory notes containing statements with self-presentations and information on the interaction between different social groups in eighteenth-century Russia. It is based on the analysis of about 2,500 promissory notes copied in the books of contested promissory notes of the magistracy of Bezhetsk. The author argues that this type of source sheds light on certain aspects of social life in Imperial Russia usually ignored by historians.
- La politique ferroviaire russe et les financiers étrangers : Les ambiguïtés d'un projet réformateur après la guerre de Crimée - Juan Camilo Vergara p. 149-180 Cet article analyse le dilemme entre la modernisation des transports et la souveraineté de l'État dans la Russie du XIXe siècle. L'auteur identifie les raisons qui poussent le gouvernement russe, après la guerre de Crimée, à se tourner vers les ennemis de la veille pour la construction d'un vaste réseau ferroviaire. La perspective de fonder une compagnie de chemins de fer privée et étrangère, appelée « La Grande Société de Chemins de fer Russes », provoque un débat considérable dans la Russie d'Alexandre II, traversée par un besoin de réformes. L'article reconstitue l'opposition entre plusieurs organes de l'État et des groupes financiers, russes et étrangers, qui défendent la souveraineté de l'État ou l'arrivée de capitaux étrangers. L'utilisation de sources de cette compagnie, méconnues par les historiens, contribue grandement à la compréhension des mécanismes qu'utilisent les maisons financières européennes (Rothschild, Pereire et Oppenheim) pour influencer la politique d'Alexandre II dans ce domaine. Elles permettent de mieux comprendre l'internationalisation du territoire russe et les jeux de pouvoir qui influencent la modernisation des transports russes.Russia's railway policy and foreign financiers
In this article, the author analyses the dilemma between transport modernisation and State sovereignty in nineteenth–century Russia. It identifies the reasons that drove the Russian state to appeal to its recent enemies of the Crimean war for the construction of a wide railway network. The idea of founding a private and foreign company, called The Main Society of Russian Railways, aroused an important debate at the beginning of Alexander II's reign, when the need for reforms became patent. The article identifies the antagonism between several official organs and financial groups, both Russian and foreign, which defended either the State's sovereignty or the arrival of European capitals. The use of the company's archives, almost unknown by historians, highly contributes to a better comprehension of the mechanisms used by European financial groups (Rothschild, Pereire and Oppenheim) to influence Alexander II's railway policies. They permit us to understand the internationalisation of the Russian territory and the games of power that influenced the modernisation of Russian railways.
- Possevino and the death of tsarevich Ivan Ivanovich - Paul Bushkovitch p. 119-134