Contenu du sommaire : L'Uruguay de José Mujica
Revue | Cahiers des Amériques Latines |
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Numéro | no 77, 2014/3 |
Titre du numéro | L'Uruguay de José Mujica |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Chronique
- La gauche uruguayenne et la nécessaire imagination radicale - Gustavo Pereira p. 7-20 Les sociétés démocratiques articulent leurs dynamiques de reproduction et de transformation dans un contexte de valeurs et de croyances partagées qui constituent le prisme à travers lequel ces sociétés se perçoivent. Ces appréhensions de soi sont le théâtre de reconfigurations historiques qui orientent la façon dont les sociétés transforment la manière de réguler ce qui est dû à leurs citoyens libres et égaux. En Uruguay, l'arrivée de la gauche au pouvoir peut s'interpréter comme un signe de la reconfiguration de ce contexte de valeurs et croyances partagées, qui a mené à une interprétation plus égalitaire de ce que devraient être les arrangements institutionnels garantissant les conditions d'une égale citoyenneté. Bien que ces attentes aient été comblées pendant les deux gouvernements du Frente Amplio, depuis que les minima sociaux de base sont assurés de façon relativement réussie, on remarque un fort sentiment d'insatisfaction de la part des citoyens qui se sont identifiés historiquement avec les valeurs et les croyances qui ont cimenté l'auto-compréhension de la gauche uruguayenne. On entend parfois le reproche qu'une fois au pouvoir, la gestion a anesthésié la capacité d'imaginer des scénarios de transformations substantielles. Cela semble être un problème que la gauche uruguayenne partage avec les autres gouvernements de gauche de la région, ce qui rend nécessaire la restauration de la capacité d'imaginer des transformations substantielles de la société, sans lesquelles la gauche continuera à s'effacer et finira par ressembler à un gouvernement prospère de centre gauche. Pour cela, il est nécessaire que la discussion publique soit dynamisée par la question suivante : « Quelles sont les transformations structurelles à mettre en place pour revitaliser l'auto-compréhension de la gauche, élaborée au cours des cinquante dernières années en Uruguay ? »Democratic societies articulate their dynamics of reproduction and transformation through a shared background of values and beliefs that constitute the way in which societies understand themselves. These self-understandings are the scenario of historical reconfigurations that guide how societies transform their way of regulating what is owed to their citizens as free and equal. In Uruguay the arrival of the left wing to the government can be seen as a result of the reconfiguration of such background of shared values and beliefs, which led to a more egalitarian interpretation of what the institutional arrangements guaranteeing equal citizenship status should be. Although these expectations were met in the two governments of the Frente Amplio, once most basic social minima have been relatively successfully secured, an important feeling of dissatisfaction is perceptible on the part of citizens who have historically identified themselves with the values and beliefs that have cemented the self-understanding of the Uruguayan left wing. An extended account is that once in power, the government management inhibited the capability of representing scenarios of substantive changes. This seems to be the problem that the Uruguayan left wing shares with other leftist governments in the region, which makes it necessary to restore the ability to represent and imagine substantive changes in society, in absence of which the left will continue losing its historical commitments and will just be assimilated to a prosperous centre-left government. To that aim it is necessary for public discussion to be energized by the question “What are the structural transformations that should take place in order to revitalize the self-understanding built in the last fifty years?”.
- La gauche uruguayenne et la nécessaire imagination radicale - Gustavo Pereira p. 7-20
Dossier
- Présentation du dossier - Florencia Dansilio, Denis Merklen p. 23-26
- José Mujica. Un homme politique au pouvoir - Denis Merklen p. 27-48 Le mandat de José Mujica (2010-15) est le deuxième du Frente Amplio à la tête de l'Uruguay et a permis de consolider les acquis économiques et sociaux du gouvernement de gauche, en particulier en matière de croissance économique, d'investissements publics et de lutte contre les inégalités sociales. L'élection de 2010 a toutefois été marquée par deux défaites de la gauche lors des référendums sur l'amnistie et sur le droit de vote des Uruguayens à l'étranger, ce qui a été à la source de tensions entre la gauche politique et ses soutiens dans les mouvements sociaux, les milieux associatifs et culturels. Par sa personnalité particulière, son ton franc et direct, son absence d'attachement aux biens matériels, José Mujica a marqué son mandat et a attiré l'attention des médias internationaux sur sa manière de faire de la politique. L'impact de la nouveauté est moins fort au sein de la société uruguayenne, car c'est en continuité avec son action politique antérieure et cela a conduit à des discussions tendues avec certains groupes organisés, y compris des soutiens de la gauche, comme les intellectuels.
- L'éducation secondaire, le talon d'Achille de l'Uruguay ? - Verónica Filardo p. 49-68 L'Uruguay se distingue des pays de la région par l'universalisation historiquement précoce de son enseignement primaire. Cependant, les taux alarmants de décrochage scolaire dans l'enseignement secondaire placent actuellement le pays en dessous de la majorité des pays latino-américains, en ce qui concerne la proportion de jeunes terminant le cycle secondaire.Le problème ne concerne pas tant l'accès des adolescents et des jeunes à l'enseignement secondaire, que leur maintien dans le système éducatif. Si l'on dresse la liste des pays de la région selon les taux de finalisation du cycle secondaire, l'Uruguay est passé de la 4e place en 1990 à la 10e place en 2003. Le gouvernement de gauche au pouvoir depuis 2005 a systématiquement placé l'éducation au centre de ses préoccupations. Malgré les mesures prises, il n'a pas réussi à inverser de façon significative un phénomène qui menace la viabilité du modèle de développement du pays et qui affecte sérieusement les trajectoires professionnelles ultérieures de ceux qui quittent le secondaire sans diplôme.Uruguay stands out in the region for the early universalization of primary level. However, alarming dropout rates of the educational system at the middle level, place the country below the majority of Latin American countries nowadays. The problem lies not in the access but in the continuity of the adolescents and youth in the educational system. Based on the rate of High School graduation in the region, Uruguay goes from the fourth place in 1990 to the tenth place in 2003. The Leftist Government, in the power since 2005, has systematically placed education as one of the most important concerns of its administration. Despite implemented actions, it has not managed to reverse this situation in a significant way, a fact that threatens the viability of the country development model and seriously affects the future working trajectories of those who do not finish middle school.
- Menant la marche : l'Uruguay et ses trois lois avant-gardistes - Sebastián Aguiar, Felipe Arocena p. 69-86 L'Uruguay a surpris le monde avec l'approbation de trois lois votées dans l'espace d'un an : le mariage entre personnes du même sexe, la dépénalisation de l'avortement et la régulation du cannabis. Dans cet article, nous étudierons le contenu de ces trois normes : qu'est-ce que ces lois proposent ? Quels ont été les processus de discussion et approbation des lois ? Qu'est-ce qu'elles ont pris en compte et qu'est-ce qu'elles ont rejeté ? De plus, nous réviserons quelques éléments à l'origine du vote de ces lois dans le pays : Quelle a été l'influence du gouvernement de gauche dans le processus ? Quelle relation a lié les trois demandes sociales ? Quelles caractéristiques de la société uruguayenne ont permis ce processus ? Quel a été le rôle des mouvements sociaux ? Finalement, nous discuterons les éventuels bénéfices et problèmes liés à la mise en œuvre de chacune des lois : la consommation de cannabis augmentera-t-elle ? Est-ce que l'État arrivera à organiser l'ensemble de la chaîne de production ? Le nombre d'avortements croîtra-t-il ? Les institutions de santé seront-elles en mesure d'assurer la prise en charge de l'avortement ? Le mariage égalitaire aidera-t-il à combattre les stéréotypes négatifs dont les homosexuels sont victimes ? Est-ce que ceux ceux qui n'osent pas afficher leur homosexualité publiquement « sortiront du placard » ? La population uruguayenne s'opposant à ces mesures, finira-t-elle par les accepter avec le temps ?Uruguay has surprised the world with the approval of three laws passed in just one year: marriage between persons of the same sex, decriminalization of abortion and regulation of cannabis. In this article, we will examine the contents of these three standards: what do these laws offer? What was the process of discussion and approval of these laws? What did they take into account and what did they reject? Furthermore, we will review some elements that caused the vote of these laws in the country: what was the influence of the leftist government in the process? What relationship has linked the three social demands? What characteristics of Uruguayan society have allowed this process? What was the role of social movements? Finally, we discuss the potential benefits and problems associated with the implementation of each law: will cannabis consumption increase and will the government be able to organize the whole chain of production? Will the number of abortions grow and the health institutions be able to provide support for abortion demand? Will the egalitarian marriage help to fight the negative stereotypes of which the homosexuals are the victims? And will the number of people, who today, dare show their homosexuality publicly, increase? Will the Uruguayans who today oppose these measures eventually accept them over time ?
- Qui sont les « têtes pensantes » dans l'Uruguay contemporain ? Culture et intellectuels face au gouvernement de gauche - Florencia Dansilio p. 87-116 Le débat sur le rôle des intellectuels dans la vie sociale et politique des nations a de nouveau émergé ces dernières années, dans les pays du Cône Sud de l'Amérique latine – l'Argentine, le Chili et l'Uruguay. Débat très présent tant dans les projets modernisateurs des premières décennies du XXe siècle que dans la pensée d'avant-garde des années 1950 et 1960, le débat semble être reparu aujourd'hui au sein des gouvernements de centre-gauche. Quelle est l'actualité de la catégorie des intellectuels ? Quel est son rôle dans l'espace public ? Quelles sont les principales questions que se posent eux-mêmes les représentants de l'intellectualité latino-américaine ? Dans l'Uruguay gouverné par le Frente Amplio, le débat s'est manifesté dans l'opinion publique à partir des confrontations médiatiques entre le président José Mujica et certains intellectuels uruguayens. Explorer les termes de cette confrontation dans une clé socio-historique, nous permet de réviser la notion d'intellectuels et son usage dans cette région du continent ainsi que d'analyser ses nouvelles formes dans l'Uruguay contemporain.In recent years, Latin America Southern Cone – Argentina, Chile and Uruguay – has seen a resurgence of debate on the role that intellectuals should play in their nations' social and political life. This is a central debate in early twentieth century's modernizing impulses as well as in the 1950s and 1960s left political avant-gardes, which reappears today in the public sphere. Today's Latin American intellectuals ask themselves which is their influence and specific role in their countries. In Uruguay the debate is installed after a series of media disagreements between President José Mujica and some Uruguayan intellectuals. Exploring this confrontation allows us to review how the notion of intellectuals has been understood in this continent and analyze their validity to designate an active social actor in contemporary Uruguay.
- Le cycle 1998-2012 dans l'économie uruguayenne : une croissance soutenue sans risque de déséquilibres ? - Luis Bértola p. 117-141 L'article analyse le cycle le plus récent de l'économie uruguayenne (1998-2012) dans la perspective de la trajectoire à long terme de cette économie. L'objectif central est d'étudier si ce qui se déroule actuellement correspond à un changement durable des tendances historiques, ou s'il s'agit d'un nouveau cycle économique qui, bien que performant, ne constitue pas une rupture avec l'histoire. L'article conclut que, bien qu'ayant progressé dans le développement des capacités publiques et de la mise en place d'une politique industrielle, les avancées sur ce plan sont encore modestes, en comparaison avec les besoins de politiques qui pourraient promouvoir des changements plus profonds des structures économiques, jusque-là déterminantes dans le retard historique et la grande volatilité de l'économie uruguayenne.This article analyzes the most recent cycle of the Uruguayan economy (1990-2013) in the light of the long-term trajectory of the economy. The main objective is to investigate whether what is being experienced is a lasting change of historical trends, or whether it is a new, very successful that although economic cycle, is not a break with history. The article concludes that remain persistent in some of the most important structural features, and that while progress has been made in the development of public capabilities and implementation of industrial policy, progress in this field are still modest compared with needs policies that could promote more substantive changes in economic structures that have been the historical determinants of lag and high volatility of the Uruguayan economy.
- Nouveau syndicalisme, nouveaux syndicalistes - Mariela Quiñones, Marcos Supervielle p. 143-157 Le second gouvernement de gauche uruguayenne (2010-2015) a consolidé la politique du travail par un effort soutenu de régulation, non seulement par la création de normes juridiques, mais aussi par l'application de dispositifs institutionnels. Nous faisons ici référence à la réhabilitation des conseils de salaires (paritaires), mais aussi et surtout à l'approbation de la loi de protection de l'activité syndicale qui s'est traduite par la conclusion d'accords encadrant les négociations collectives dans les secteurs public et agricole. Beaucoup d'autres changements d'importances diverses tels un contrôle plus important du travail informel réalisé par l'Inspection du travail méritent également d'être mentionnés. Ces normes et politiques institutionnelles ont eu des nombreux impacts sur le monde syndical qu'il s'agit d'étudier ici. Certains étaient cherchés par la gauche, d'autres sont inattendus et plutôt indésirables de son point de vue.
Études
- La filière brésilienne des pierres gemmes « de couleur » - Aurélien Reys p. 161-178 Au Brésil, et ce malgré leur relative dispersion à travers tout le pays, l'exploitation des gisements de pierres gemmes de couleur reste l'apanage de deux états : ceux du Minas Gerais et du Rio Grande do Sul. D'autres activités, telles que la taille des gemmes ou leur commerce, y ont même pris place en nombre et ont transformé ces deux espaces en véritables plateformes de l'industrie gemmifère nationale. Cette polarisation de la production n'est toutefois pas l'unique conséquence de facteurs de nature géographique ou économique. Ces activités ayant émergé et s'étant développées en des temps antérieurs, lorsque des environnements différents existaient, leur naissance et leur évolution sont aussi le reflet de contextes passés. Leur bonne appréhension doit donc en premier lieu être établie au prisme de la temporalité. En développement continu depuis le xixe siècle, l'industrie gemmifère brésilienne serait néanmoins en proie désormais à de profonds bouleversements.Despite the widespread dispersion of coloured gemstone exploitation in Brazil, two states remain by far the most important: Minas Gerais and Rio Grande do Sul. Other activities than mining, such as the cutting and trading, have transformed these areas into the main production centers of the national gem industry. Polarization of activities is not due entirely to natural geographic or economic factors. They evolved in the past while there were different environments and therefore their development reflects these past contexts. Developing constantly since the 19th century, the gem exploitation industry in Brazil may recently experience some profound changes.
- La filière brésilienne des pierres gemmes « de couleur » - Aurélien Reys p. 161-178
Lectures
- Marion Giraldou, Vierge ou putain ? Processus de marginalisation des prostituées de San José - Pascale Absi p. 181-183
- Lila Le Trividic Harrache, Démocratie et sexualité. Politisation de la pilule du lendemain dans le Chili de la Concertación (1990-2010) - Bérengère Marques-Pereira
- Jean Muteba Rahier, Blackness in the Andes: Ethnographic Vignettes of Cultural Politics in the Time of Multiculturalism - Tamara Hale p. 187-191
- Paula López Caballero, Les Indiens et la nation au Mexique. Une dimension historique de l'altérité - Elisabeth Cunin p. 187-191