Contenu du sommaire : Les théories de la Géopolitique
Revue | L'Espace Politique |
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Numéro | no 12, février 2011 |
Titre du numéro | Les théories de la Géopolitique |
Texte intégral en ligne | Accessible sur l'internet |
Edito
Les contributions anciennes et nouvelles à une approche théorique en géopolitique
- Main Theoretical Currents in Geopolitical Thought in the Twentieth Century - Pascal Venier Il est difficile de dégager des approches théoriques dans les courants de la pensée géopolitique traditionnelle, tant il est vrai qu'il s'agit avant tout de « visions du monde » contextualisées par l'Histoire. Néanmoins, on peut déceler dans les écrits de tous les horizons des constantes territoriales qui, rétroactivement, conditionnent la vie internationale. Depuis les années 1960, différents travaux à vocation théorique ou méthodologique ont été proposés, notamment en matière de géostratégie parce qu'il existait dans ce domaine une « demande ». On veut penser que leur synthèse permettra des avancées.It is difficult to identify theoretical approaches in the currents of traditional geopolitical thinking, as it is true that it's all about "worldviews" contextualized by history. Nevertheless, one can detect in the writings of all walks of constant territorial retroactively condition of international life. Since the 1960s, various work-oriented theoretical or methodological have been proposed, particularly in terms of geo-strategy because it existed in that area a "request ". We want to believe that their synthesis will advance.
- Réhabilitation et rénovation en matière de pensée géopolitique - David Criekemans La prise en compte de la question des représentations en géopolitique n'est pas aussi récente qu'on le croit en France. Aux Etats-Unis, la « révolution béhavioriste » a, dès le lendemain de la Seconde guerre mondiale, généré une nouvelle école, celle de la Cognitive Geopolitics, qui intègre les enseignements des sciences du comportement. Il s'agit, désormais, de considérer avec Kenneth Boulding (Boulding, 1971) que : « les gens dont les décisions déterminent les politiques et les actions des nations ne répondent pas aux faits « objectifs » de la situation...mais à leur « image » de la situation. C'est la façon dont ils pensent le monde, non pas ce qu'il est en réalité, qui détermine leur attitude ». Mais les initiateurs de la démarche sont Harold et Margaret Sprout, et il convient de rappeler ici l'importance de leur apport. Selon eux, la réalité du monde est un complexe formé par un réel matériel et par une multitude de représentations qui relativisent le premier. C'est pourquoi ils distinguent pour chaque acteur, entre un environnement opérationnel et un environnement psychologique. Pour les auteurs constructivistes qui participent au courant de la Critical Geopolitics, tout se joue au niveau du second type d'environnement, mais avec une double particularité. La première, négative, est qu'ils perçoivent dans l'environnement psychologique des éléments culturels et politiques susceptibles d'amener les acteurs à de rechercher une transcendance dans l'espace matériel. Ce qui serait le défaut majeur de la géopolitique à la Mackinder. La seconde, positive, est que cet environnement est également intersubjectif, et que par conséquent les acteurs, qui construisent la réalité, sont en mesure de l'amender et de la normativiser. Au final, en combinant les suggestions des deux courants précédents aux apports des autres écoles de pensée, il nous semble possible d'envisager une géopolitique compréhensive.Taking into account the issue of representations in geopolitics is not as recent as we think in France. United States, "the behaviorist revolution" has, immediately after the Second World War generated a new school, that of the Cognitive Geopolitics, which incorporates the teachings of the behavioral sciences. It is henceforth regarded with Kenneth Boulding (Boulding, 1971) that: "People whose decisions determine the policies and actions of nations do not meet the" objective "facts of the situation ... but to their" image "of the situation. It's how they think the world is not what it actually determines their attitude. " But the originators of the approach are Harold and Margaret Sprout, and it is worth recalling the importance of their contribution. According to them, the reality of the world is a complex formed by a real hardware and a multitude of performances that relativize the first. That is why they differ for each player, between an operational environment and psychological environment. For constructivist authors involved aware of the Critical Geopolitics, everything is played at the second type of environment, but with a double feature. The first, negative, is that they perceive in the psychological environment of the cultural and political actors capable of bringing to seek transcendence in physical space. What would be the major defect of geopolitics to Mackinder. The second, positive, is that this environment is also intersubjective, and therefore the players that build reality, are able to amend it and normativisation. Finally, by combining the suggestions of the two currents to previous contributions of other schools of thought, it seems possible to envisage a geopolitical understanding. Mots clés.
- Doing discourse analysis in Critical Geopolitics - Martin Müller L'objectif de cet article est d'offrir un exposé plus explicite de la méthodologie utilisée pour l'analyse du discours en géopolitique critique (Critical Geopolitics). En proposant une classification selon trois dimensions principales, soient le contexte (immédiat ou distal), la forme analytique (poststructuraliste ou impérative-explicative) et la position politique (impliquée ou détachée), il examine de quelles façons la géopolitique critique comprend et utilise l'analyse du discours. Puis, il propose que la théorie poststructuraliste du discours d'après Laclau et Mouffe soit particulièrement appropriée pour tenter de résoudre une variété de problèmes émergents en géopolitique critique.This paper seeks to contribute towards a more explicit and candid discussion of the methodologies of discourse analysis within critical geopolitics. Proposing a classification along the three core dimensions of context (proximate or distal), analytic form (post-/structuralist or interpretive-explanatory) and political stance (involved or detached), it examines the ways in which critical geopolitics scholarship has understood and made use of discourse analysis. Subsequently, the paper introduces the poststructuralist discourse theory of Laclau and Mouffe, arguing that it is particularly suitable to address a number of key emerging concerns on the agenda of critical geopolitics.
- Aux origines d'une géopolitique de l'action spatiale : Michel Foucault dans les géographies françaises - Marc DUMONT Les réflexions que Michel Foucault a pu mener de son vivant sur la fonction politique de l'espace ont été l'objet d'une appropriation contrastée par la géographie française. Ses rapports avec la discipline ont d'abord été teintés de mésentente et d'incompréhension comme l'illustre leurs échanges infructueux entretenus dans le cadre des premiers numéros de la revue de géopolitique Hérodote. En revanche, après cet échange riche de réflexion, deux appropriations majeures des travaux de Foucault seront réalisées par la géographie. D'abord, celle de Claude Raffestin qui, dans les années 1980, pose véritablement à partir d'une lecture de M. Foucault les bases d'une nouvelle géographie du politique et du pouvoir, en s'attachant à la fois à une déconstruction de la géopolitique classique et de ses souches idéologiques, puis à théoriser les relations de pouvoirs et leurs instruments (populations…). Il formalisera notamment à cette occasion la notion d'« arrangements territoriaux ». Puis, celle de Michel Lussault, également géographe, qui va s'emparer de trois expressions foucaldiennes : l'« ensemble pratique », le « dispositif spatial » et les « systèmes normatifs ». A partir de ces trois notions, le géographe va contribuer à l'émergence d'un courant plus large en géographie se spécialisant sur l'analyse de la dimension spatiale de l'action politique. En parcourant ces trois temps d'appropriation des travaux de Michel Foucault, cet article vise à apporter un éclairage à l'histoire d'une géographie française contemporaine du politique désormais affirmée et cohérente.The Intellectual work of Michel Foucault about the political space has been appropriated in different ways by the French geography. Debates around the discipline have to be characterized by a lack of understanding : in the seventies, geography was not yet ready to renew the dominant and specific analytical way of understanding space and politics : power is still identified with the State, space is understood as the national territory. The controversy in the first issue of the journal Herodote, is very instructive. From the 1980s, Claude Raffestin, geographer, develops a new geography of politics and power, in reference to Michel Foucault's conceptions. Raffestin questions the relations between knowledge and power ; he write a story of geopolitics, which shows how this discipline is also an ideological discourse to justify the dominant power in his own nation. Raffestin will also theorize geography of political phenomena: a theory of space conceived as a field of power. Also geographer, Michel Lussault thinks in the 1990s a new use of Foucault. He supplements the classical notion of “actors system”, with the concept of "dispositif". He wants to keep on the role of images in political action and underlines the importance of norms in everyday individual action. With the work of this three generation of geographers, this article aim to clarify the meaning of French contemporary political geography, the emergence of several of its founding concepts: power, conflict...
- Pragmatisme et géopolitique - Les opportunités méthodologiques d'une retrouvaille épistémologique - Gérard DUSSOUY La transposition du pragmatisme à la géographie apparaît susceptible d'apporter à tous les niveaux (du local au global) des réponses au débat épistémologique qui agite la discipline depuis plusieurs années. Elle lui permet avant tout d'échapper à l'alternative pénalisante entre le positivisme et le constructivisme. En géopolitique, plus spécialement, le pragmatisme peut contribuer au renouvellement conceptuel et méthodologique. D'une part, il permet d'en dépasser les définitions réductrices bien connues, et de l'élever au rang d'une ontologie spatiale plurielle, anti-essentialiste, et multiperspectiviste. D'autre part, en l'amenant à renoncer à toute théorie représentationaliste (celle qui se veut une « copie du réel »), l'épistémologie pragmatiste libère la géopolitique de l'enfermement du paradigme pour en faire la science des configurations spatiales d'acteurs et de pouvoirs. Grâce à l'herméneutique qu'il réhabilite, le pragmatisme met à la disposition de la géopolitique une approche méthodologique, holiste et réflexive, à contextes multiples.The transposition of pragmatism appears to geography can make to all levels (from local to global) responses to the epistemological debate that stirred the discipline for many years. It allows him to escape before any punitive alternative between positivism and constructivism. Geopolitics, more specifically, pragmatism can contribute to conceptual and methodological renewal. On the one hand, it allows overcoming the simplistic definitions well known, and raising the level of a spatial ontology pluralistic, anti-essentialist and plural-perspectivist. On the other hand, leading him to renounce any representationalist theory (the one who wants a "copy of reality”), pragmatist epistemology releases the confinement of the geopolitical paradigm into the science of spatial configurations of actors and authorities. Through Hermeneutics that rehabilitates, pragmatism offers the geopolitical methodological approach, holistic and reflexive in multiple contexts.
- Main Theoretical Currents in Geopolitical Thought in the Twentieth Century - Pascal Venier
Un renouvellement des problématiques
- Une géopolitique des classes ? - Stéphane Rosière Cet article esquisse une géopolitique des classes envisagée comme une lutte entre une classe dominante (l'oligopole mondial) et une classe pauvre, périphérique. Après avoir envisagé les conditions épistémologiques de la marginalité de cette réflexion, la géopolitique ayant été pensée comme science de l'impérialisme et ne s'intéressant pas aux clivages de classe, l'auteur tente d'ordonner les éléments qui la constitueraient. La position dominante de l'oligopole ne peut perdurer que dans une certaine organisation/production de l'espace. Celle-ci est relativement indifférente à la fragmentation territoriale (étatique), mais est très sensible à la hiérarchie et au contrôle des lieux, ainsi qu'à leur mise en réseau aux échelles globale et locale. L'auteur examine les modalités de cette domination/production de l'espace à l'échelle globale, notamment à travers l'exemple américain, puis à l'échelle locale, à l'échelle urbaine. L'importance de la violence sociale paraît accrue dans un monde marqué par la diminution des conflits interétatiques. Les classes sociales paraissent jouer un rôle inversement proportionnel par rapport au vecteur national qui fonderait la rugosité des relations internationales. La transmission de la rugosité de l'international à l'intranational serait l'une des dimensions actuelles d'une géopolitique des classes, ou d'une géopolitique « radicale ».This paper aims to discuss the possibility to set a geopolitics of social classes. This geopolitical theory may be sketched as a struggle between a dominant class (world oligopoly) that symbolize the center of World-system and a dominated class gathering poor people located at the periphery. This paper explains first why this refexion never grew up. Indeed, geopolitics was, first of all, the science of imperialism and never paid attention to social classes. Then, the author tries to define which elements could constitue a ‘geopolitics of social classes'. The dominant position of ologopoly may endure only in a certain organisation/production of space. This organisation/production is more or less indifferent to territorial fragmentation into states, but it is very sensitive to hierarchy and control of places and to networks structuration at global and local scales. The author reviews the condition of this domination/production at the global scale – mostly through the United States politics example – and at the local scale considering mostly the structure of contemporary cities. The significance of social violence seems to be more accurate in a world where interstates violence (wars) is decreasing. Social ‘class' factor seems to play a role in inverse proportion with national factor which is the base of international relations. The transition from interstate roughness to interclasses roughness could be one of the contemporary characteristic of a social classes geopolitics, or a "radical" geopolitics.
- Territorial shock: Toward a Theory of Change - Gertjan Dijkink Cet article cherche à interpréter la territorialité comme une formation sociale ayant un fondement géographique, qui se recompose pendant les périodes décisives de l'histoire. Depuis les dernières décennies du vingtième siècle, selon cette conception, plusieurs tentatives ont essayé de comprendre ‘la globalisation' en intégrant les ‘reterritorialisations' du passé (en particulier la naissance des États à la fin du Moyen Age). Le modèle dynamique que l'auteur propose ici repose sur trois principes territoriaux (autorité, clôture et identité) qui s'avèrent actifs ou passifs, de façon alternative, à chaque passage d'une époque territoriale à une autre. Ce mécanisme éclaire aussi les grandes révolutions spirituelles qui accompagnent le changement territorial et dont les contemporains découvrent maintenant l'effet déstabilisant. D'après cette perspective nous entrons dans une époque dans laquelle la solidarité territoriale (la citoyenneté) est mise à l'épreuve. Il est entendu que cela ne fait que renouveler la géographie du pouvoir, sans la mettre hors jeu, et quand bien même des courants spirituels nouveaux postulent une déterritorialisation absolue au titre du vitalisme individuel (et d'autres formes d'allégeances).This article tries to explain territoriality as a social assemblage linked to a geographic base which is restructured during crucial (axial) periods in history. Since the last decades of the 20th century, frequent attempts have been made to understand ‘globalization' by looking to earlier‘re-territorializations' in history (particularly the emergence of territorial states in Europe at the end of the Middle-Ages). The dynamic model proposed by the author involves three territorial principles (control, closure and identity) that alternate in terms of active and passive at each transition to a new territorial epoch. This mechanism also casts some light on the great spiritual (religious) changes that seem to accompany territorial change and reveal its disturbing impact (like an earthquake) on contemporaries. According to this perspective we are now entering a period in which territorial solidarity (citizenship) is severely tested although a clear geography of power continues. New spiritual movements promote de-territorialization and individual resilience.
- Le retour d'une géopolitique des ressources ? - Kattalin Gabriel-Oyhamburu L'histoire de la géopolitique est totalement dépendante du moment historique dans lequel elle s'inscrit. Longtemps rivée à l'Etat et au principe de souveraineté nationale, elle est, aujourd'hui en cours de reformulation. En effet, la rareté des ressources énergétiques, hydriques et agro-alimentaires liée fondamentalement à l'accès au marché des pays émergents restructure l'architecture mondiale et donne à la géopolitique de nouvelles priorités. Au début du XXème siècle comme pendant la Guerre Froide, pour calculer le degré de puissance d'un territoire donné, qu'il soit régional, stato-national supranational ou mondial, il suffisait de s'interroger sur sa visée expansionniste. Aujourd'hui ce schéma est obsolète. Il faut revoir sa copie et penser la géopolitique autrement. Les vecteurs de toute puissance dépendent de plus en plus de la politique de sécurisation des ressources. Est-ce, pour autant, un retour à la position-ressources de Kenneth Waltz ? Partiellement. Nous sommes en présence d'une nouvelle configuration, celle de deux puissances, deux hyperpuissances qui assoient de plus en plus leur pouvoir sur le contrôle de ces ressources, et non pas, comme on pourrait le supposer sur la maîtrise de l'économie de la connaissance. Cette rivalité sourde fait émerger des nouveaux lieux, les nœuds géostratégiques, convoités par les Etats-Unis et la Chine. Dans cette deuxième phase de la troisième mondialisation, il ne s'agit donc pas d'asseoir sa domination sur le Heartland ou le Rimland mais de s'implanter, par une stratégie souple, dans des zones de forte production des ressources.The history of geopolitics is completely dependant on the moment in time it is related to. Historically linked to the State and the principle of national sovereignty, it is today in reformulation. Although, the scarcity of the resources in energy, water, and agro-alimentary, related basically to the market access of the emerging nations, restructures the architecture of the world and gives new priorities to geopolitics. At the beginning of the 20th century as during the Cold war, to calculate the degree of power of a given territory, whether it is regional, national, or supranational, it was enough to examine its expansionist goals. Today this analysis is obsolete. It is necessary to reconsider the point of view and to think geopolitics differently. The vectors of any power depend more and more on the policy of securitization of the resources. Is this a come back to the resource-position of Kenneth Waltz? Partially. We are in the presence of a new configuration, that of two States, America and China, two hyper powers that build more and more their power on the control of such resources, and not, as one could imagine, on the control of knowledge. This soft competition creates new spaces, geostrategic nodes, controlled by the United States and China. In this second phase of the third globalization, it is not a matter of controlling the Heartland or the Rimland but that of being present, through flexible strategic planning, in areas of strong production of the resources.
- Une géopolitique des classes ? - Stéphane Rosière