Contenu du sommaire : Les animaux pensent-ils ?

Revue Terrain Mir@bel
Numéro no 34, mars 2000
Titre du numéro Les animaux pensent-ils ?
Texte intégral en ligne Accessible sur l'internet
  • Revue de presse du numéro 34 accès libre
  • Les animaux pensent-ils ?

    • Et si un lion pouvait parler… - Gérard Lenclud p. 5-22 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les investigations sur l'esprit animal comportent un enjeu anthropologique dans la mesure où elles obligent à se poser la question de la définition de la pensée, de ses rapports avec la conscience et le langage. Toute pensée humaine est-elle consciente et linguistiquement exprimée ou exprimable ? En réalité, le concept de pensée renvoie à des phénomènes différents : penser au sens d'avoir des représentations mentales (croyances, désirs, etc.) n'est pas penser au sens de réfléchir ou de délibérer avec soi-même. C'est pourquoi les anthropologues doivent distinguer entre ce qui relève de la sphère des représentations mentales, laquelle obéit à des mécanismes innés, et ce qui relève du domaine de la pensée consciente et linguistiquement exprimée, laquelle est pour une large part culturellement constituée.
      If lions could talk… Studies of the animal mindInquiry into the animal mind has anthropological significance insofar as it raises questions about how to define the thinking process and its relation to language and consciousness. Does human thinking always necessitate consciousness and actual or possible verbalization? In fact, the notion of thinking is ambiguous. To think in the sense of having mental representations (beliefs, desires…) is not to think in the sense of “pondering”. For this reason, anthropologists should distinguish between the sphere of mental representations that, intuitive and culture-free, depends on innate processes, and the sphere of conscious thoughts, that, formulated in language, is largely shaped by culture.
    • L'animal intentionnel - Joëlle Proust p. 23-36 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Les animaux forment des représentations mentales dès qu'ils ont la capacité d'extraire de l'information sur les corrélations environnementales, de la fixer dans certains états internes mémorisés et d'identifier des objets et des événements indépendants de la perception qu'ils en ont. Un dispositif de calibration entre les modalités sensorielles est indispensable pour que les représentations soient appliquées à des objets perçus comme extérieurs. Les animaux qui  disposent de ce type de représentation dite objective sont susceptibles de former des concepts. Toutefois, les animaux sociaux non humains extraient l'information sociale non sur la base du registre psychologique (croyances et désirs) mais sur la base d'indices comportementaux. Ils ont ainsi une théorie sociale rudimentaire, mais non une théorie de l'esprit.
      The intentional animalAnimals form mental representations from which they can extract information about environmental correlations, set certain memorized internal states, and identify objects and events without perceiving them. A means of “calibration” is indispensable for applying representations to objects perceived as being external. The animals having this type of so-called objective representation are capable of forming concepts. However, non-human social animals extract social information not on a psychological basis (beliefs and desires) but by using behavioral indicators. They thus have a rudimentary social theory but not a theory of mind.
    • Techniques du corps et traditions chimpanzières - Frédéric Joulian p. 37-54 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Cet article relève le défi d'une comparaison des comportements « culturels » des primates et des hommes, en reprenant le concept de techniques du corps tel qu'il a été forgé par Mauss au début de ce siècle et en examinant ses implications en termes de tradition, d'objectivation et de technique. L'argument développé ici se fonde sur des observations étho-archéologiques réalisées par l'auteur depuis 1988 sur les activités de cassage de noix chez les chimpanzés d'Afrique de l'Ouest. Il se base également sur les données éthologiques publiées tant à propos des transmissions volontaires de techniques que des traditions non instrumentales de ces anthropoïdes. Le but de ce texte est de démontrer le caractère intentionnel et collectif des représentations impliquées dans cette activité et de soulever la question d'une signification simienne des techniques.
      Body techniques and chimpanzee traditionsHow to compare the “cultural” behavior of human beings and of other primates? To answer this question, the concept of “body techniques” as formulated by Mauss in the early 20th century is adopted; and its implications are examined in terms of tradition, “objectivation” and techniques. The author's ethological and archeological observations since 1988 of how West African chimpanzees crack nuts and the ethological publications on this species' noninstrumental traditions and voluntary transmission of techniques are used to prove that the cognitive representations involved in cracking nuts are intentional and collective. Questions are raised about the meanings of these techniques to the animals themselves.
    • Construire l'esprit du dauphin - Véronique Servais p. 55-72 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Est comparée ici la manière dont l'« esprit » du dauphin est construit dans six contextes interactionnels distingués par le degré de participation (au sens ethnographique du terme) qu'ils impliquent de la part des êtres humains, et éventuellement des dauphins : l'étude du cerveau, l'étude des capacités sensorielles, les recherches sur la cognition, l'observation naturaliste, le discours des delphinariums et la rencontre en pleine mer. En vertu de ces comparaisons, il est avancé que l'attribution d'un « esprit » au dauphin dépend étroitement du degré de parenté reconnu entre les hommes et les animaux, et que celui-ci est lui-même fonction de la capacité des humains à se laisser « affecter » par les animaux.
      Constructing the dolphin's mindComparisons are made of how the dolphin's “mind” is “constructed” in six interactional contexts distinguished by the degree of participation (in the ethnological sense of the term) by human beings or even by the dolphins themselves: the study of the brain, the study of sensorial capabilities, research on cognition, naturalistic observations, communication among dolphins, and meetings on the high sea. On the basis of these comparisons, it is argued that whether or not people attribute a “mind” to the dolphin very much depends on the degree of likeness that they recognize with these animals, which, in turn, depends on the person's capacity to let himself be “affected” by them.
    • Les enfants et la pensée animale - Gregg Solomon, Deborah Zaitchik p. 73-88 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      La majeure partie de ce que les enfants pensent de la pensée animale est un reflet de leurs théories intuitives et de leurs capacités de raisonnement précoces. Même les très jeunes enfants peuvent raisonner en termes de psychologie naïve. De plus, il est avancé que les enfants ont la possibilité de penser les humains – les prototypes mêmes des êtres qui pensent et se comportent – comme une entité unique. Il a été également prouvé  que les enfants, à l'instar des adultes, raisonnent au sujet des espèces naturelles comme possédant des « essences » uniques qui font d'elles ce qu'elles sont, avec leurs caractéristiques propres. Même après que les enfants ont construit une théorie biologique naïve et en sont venus à considérer les humains comme une espèce animale parmi d'autres, ils ne perdent jamais entièrement ce sens intuitif naïf précoce selon lequel les humains forment une espèce ontologique à part, dotée d'une pensée supérieure, vue comme un caractère essentiel de leur « humanité » . Ils sont, par conséquent, réticents à attribuer de tels traits essentiellement humains – comme la capacité de faire semblant ou d'imaginer – à d'autres animaux.
      Children and animal thoughtMuch of what children think about animal thought reflects their intuitive theories and their capacity, formed at an early age, for reasoning. Even preschoolers reason using a naive psychology. Children are disposed to think of human beings (the archetypical thinking and behaving beings) as an ontologically unique entity. There is also evidence that they, like adults, tend to think as though natural species have unique “essences” that make them what they are with their particular characteristics. Even after children have constructed a naive theory of biology and come to understand people as one animal species among others, they never entirely lose their earlier naive, intuitive sense of humans as an ontologically separate kind whose “higher thinking” is an essential characteristic of their “humanity”. Consequently, they are reluctant about attributing such essentially human characteristics as the ability to pretend or imagine to other animals.
    • Les gens ressemblent-ils aux poulets ? - Rita Astuti p. 89-106 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Pour les Vezo de Madagascar, la sagesse – et l'aptitude aux tabous que celle-ci génère – est la qualité essentielle qui sépare les hommes des animaux. Toutefois, malgré l'engagement moral des Vezo à maintenir une frontière nette entre ces deux catégories d'êtres vivants, celle-ci devient perméable dans certains contextes. Ainsi, dans des occasions particulières, les Vezo conviennent-ils que les humains et les animaux appartiennent à la même catégorie supérieure d'«êtres vivants». Cet article décrit plusieurs des contextes dans lesquels les Vezo explorent les mystères intellectuels liés à la coexistence de ces vérités ontologiques contradictoires. Il fait l'hypothèse qu'en observant le développement cognitif des enfants occidentaux et vezo il serait possible de comprendre l'origine de l'incertitude sur la nature exacte de la frontière homme-animal.
      Do people resemble chickens? Thoughts about the animal/human borderline in MadagascarAccording to the Vezo of Madagascar, the essential difference between people and animals has to do with wisdom and the capacity for taboos that comes from wisdom. Despite their moral commitment to clearly distinguishing people from animals, the borderline is permeable in certain contexts, when it is admitted that people and animals actually belong to a single category of “living beings”. Several contexts are described in which the Vezo explore the intellectual puzzles arising from the unresolved coexistence of these contradictory ontological truths. It is hypothesized that observing the cognitive development of Western and Vezo children would help us understand the origin of the uncertainty about the boundary separating people from animals.
    • Raison humaine et intelligence animale dans la philosophie grecque - Jean-Louis Labarrière p. 107-122 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Le problème de la pensée animale a été abordé selon deux biais principaux par les philosophes grecs. Certains ont cherché à repérer et à définir les différentes formes d'intelligence animale et les facultés que ces dernières impliquaient alors. Telle semble avoir été l'approche d'Aristote. D'autres philosophes ont considéré la question comme relevant principalement de la philosophie morale : quelle doit être l'attitude du sage s'il entend honorer les dieux ? Soit les dieux n'ont pas accordé la raison aux animaux, et il n'existe aucune relation de justice entre eux et nous, ce qui entraîne que nous pouvons les manger à bon droit. Soit les dieux leur ont accordé la raison, et nous devons les considérer comme nos frères, ce qui implique qu'ils possèdent des droits et que nous avons des devoirs. Le sage devrait ainsi s'abstenir de manger des animaux puisqu'il s'agit d'êtres rationnels. Tel est le sens des arguments que Plutarque et Porphyre opposent aux stoïciens.
      Human reason and animal intelligence in Greek philosophyAncient Greek philosophers approached the problem of animal thought in two major ways. Some of them, like Aristotle, sought to identify and define different forms of animal intelligence and the thus implied faculties. Others considered the question to be mainly a matter of moral philosophy: what attitude should the wise person adopt if he wants to honor the gods? Either the gods did not grant reason to animals (and, consequently, since the relation with animals is not a matter of justice, we may eat them) or else they did (and, consequently, animals are to be considered brothers, a view that endows them with rights and us with duties). Plutarch and Porphyry argued against the Stoics that the wise person should abstain from eating animals since they are rational beings.
    • Les animaux comme partenaires de chasse - Harvey A. Feit p. 123-142 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      Chez les chasseurs cris de la région de la baie James, dans le nord du Québec, le monde de la pensée et celui des animaux interfèrent souvent, au gré des divers événements de la vie et des activités quotidiennes – chasse, relations sociales, luttes politiques. Tout comme les Ojibwa décrits par A. I. Hallowell, les Cris ne font pas de distinction radicale entre nature et société, ou entre humains et animaux, mais vivent dans un monde animé par différentes sortes de personnes. Si les animaux sont crédités d'une pensée aux yeux des chasseurs cris, ces derniers ne sauraient cependant avoir qu'un accès indirect et incomplet à cette pensée. La chasse crée des contacts avec le monde non humain. Ces expériences nouvelles sont en adéquation profonde avec les habitudes des Cris et confirment par là même la réalité de ce monde autre. Les grandes ruptures, dans ce cosmos social, sont le résultat d'actes asociaux tels que l'exploitation des animaux et des hommes perpétrée par des « cannibales de la forêt » ou des non-Cris. Au milieu de toutes les dégradations causées à leurs terres par l'industrie, les animaux incarnent idéalement – mais aussi très physiquement – le maintien de cette relation de réciprocité qui confirme aux Cris leur propre permanence.
      Animals as hunting partners: Reciprocity among the James Bay CreeFor the James Bay Cree hunters of northern Quebec, the animal world and the world of thought interact in circumstances ranging from hunting through social relations to politics. Like the Ojibwa described by A.I. Hallowell, the Cree do not radically separate society from nature, nor the human from the animal world. Cree hunters attribute thinking, but of an indirect, incomplete sort, to animals. Hunting creates contacts with the nonhuman world, an experience that fits into Cree conceptions and thus confirms this other world's reality. Ruptures in this social cosmos result from the asocial acts committed by “forest cannibals” or non-Crees who exploit both animals and people. In the midst of all the ecological degradation wrought by industry, animals ideally and physically incarnate an ongoing reciprocity, which reassures the Cree about their own survival.
  • Repères

    • Les clichés de la Grande Guerre - Yves Pourcher p. 143-158 accès libre avec résumé avec résumé en anglais
      L'histoire de la Grande Guerre s'est construite autour de clichés. Ainsi l'entrée en guerre, d'abord décrite comme une grande manifestation d'enthousiasme patriotique, est aujourd'hui communément présentée sous le signe de la tristesse résolue. En relisant les notes des instituteurs, les historiens ont décrit la stupeur comme le sentiment commun des populations. On doit néanmoins s'interroger sur la nature de cette stupeur et sur la signification de la tristesse résolue. Car les témoignages qui l'évoquent soulignent aussi l'hésitation, la diversité et la rapidité des évolutions. Après avoir entendu le tocsin, les gens ont pu successivement éprouver la stupeur, la peur, l'émotion, la tristesse, la confiance et l'enthousiasme. La tristesse résignée ne marque-t-elle pas le point final d'un cycle et n'est-elle pas une composition reprise, enrichie et transformée en cliché par la littérature ?
      World War I commonplaces: Between history and fictionThe history of World War I has taken shape around commonplaces. For instance, the major feeling at the start of the war used to be described as patriotic enthusiasm but is now often said to have definitely been sadness. A new reading of the notes left by school teachers has led historians to describe the population's general feeling as stupefaction. Questions should be raised about this stupefaction and sadness, since the pieces of evidence that mention these feelings also emphasize hesitation and the quick pace of change. Once they heard the tocsin, people might have successively felt stupefied, scared, sad, confident and enthusiastic. Does a feeling of sad resignation not mark the end of a cycle? Has the literature not turned this feeling into a commonplace?
    • Que signifie mettre en exposition ? - Nélia Dias p. 159-164 accès libre